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Date : 20170707


Dossier : T ‑1456‑16

Référence : 2017 CF 660

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 7 juillet 2017

En présence de monsieur le juge LeBlanc

ENTRE :

YONG LONG YE

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  Le demandeur, un détenu sous responsabilité fédérale, sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 3 mai 2016 par laquelle la Section d’appel de la Commission des libérations conditionnelles du Canada [la Section d’appel] a confirmé le refus de la Commission des libérations conditionnelles [la Commission] de lui accorder une libération conditionnelle totale.

[2]  Le demandeur soutient qu’en tant que délinquant incarcéré pour la première fois dans un pénitencier fédéral, il avait droit à ce que l’examen de sa demande de libération conditionnelle totale soit tranché en vertu des dispositions relatives à la procédure d’examen expéditif [PEE] désormais abrogées de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992, c 20 (la Loi), même si la semi-liberté lui avait déjà été refusée au titre de ce régime. La Section d’appel, comme la Commission avant elle, en a décidé autrement et a conclu que la demande de libération conditionnelle totale du demandeur devait être examinée sous le régime ordinaire prévu par la Loi. Les deux régimes prévoient des critères différents.

[3]  La question à trancher en l’espèce en est une d’interprétation législative. Plus précisément, il s’agit de savoir si le régime de la PEE, qui vise les délinquants non violents, présentant un faible risque et incarcérés pour la première fois, est épuisé lorsqu’un délinquant admissible à la PEE, qui s’en est déjà prévalu, n’a pas obtenu de libération. Le demandeur affirme que non. Le défendeur soutient que oui.

II.  Contexte

[4]  Le 19 décembre 2008, le demandeur a été déclaré coupable d’infractions liées au trafic de drogues illicites et de complot en vue de recycler des produits de la criminalité. Il a été condamné à une peine d’emprisonnement totale de 18 ans. En tant que délinquant primaire, il a été établi qu’il pouvait se prévaloir de la PEE, aux termes de laquelle il serait admissible à une semi-liberté une fois qu’il aurait purgé un sixième de sa peine. Il a donc été déterminé qu’il ne serait pas admissible à la semi-liberté au titre de la PEE avant le 19 décembre 2011. Sous le régime de la PEE, le demandeur pouvait bénéficier d’une semi-liberté si la Commission était convaincue qu’il n’existait aucun motif raisonnable de croire qu’il commettrait, en cas de mise en liberté, une infraction accompagnée de violence avant l’expiration de sa peine.

[5]  Le 28 mars 2011, le législateur a adopté la Loi sur l’abolition de la libération anticipée des criminels, LC 2011, c 11 [l’ALAC] qui abrogeait le régime de la PEE de manière rétroactive à l’égard des délinquants qui étaient admissibles à cette procédure au moment de la détermination de leur peine, mais dont la demande n’avait pas encore été examinée au moment de l’adoption de l’ALAC. Le demandeur ne pouvait donc plus se prévaloir de la PEE et la date de son admissibilité à la semi-liberté a été redéterminée en conséquence. Aux termes du régime ordinaire d’examen des demandes de libération conditionnelle établi en vertu de la Loi, le demandeur n’était admissible à la semi-liberté que six mois avant d’avoir purgé un tiers de sa peine, et cette libération conditionnelle pouvait lui être refusée si la Commission était convaincue qu’il commettrait, une fois mis en liberté, la moindre infraction.

[6]  Le 26 juin 2012, dans l’arrêt Whaling c Canada (Procureur général), 2012 BCSC 944, la Cour suprême de la Colombie-Britannique a conclu que l’abrogation rétroactive du régime de la PEE par l’ALAC enfreignait de manière injustifiable l’alinéa 11h) de la Charte canadienne des droits et libertés et qu’elle était, de ce fait, inopérante. Cette décision a été confirmée à la fois par la Cour d’appel de la Colombie-Britannique (Whaling c Canada (Procureur général), 2012 BCCA 435) et par la Cour suprême du Canada (Canada (Procureur général) c Whaling, 2014 CSC 20, [2014] 1 RCS 392 [Whaling 2014]).

[7]  La Cour suprême de la Colombie-Britannique ayant refusé de suspendre sa déclaration d’invalidité pour laisser au législateur le temps de modifier la Loi, l’admissibilité du demandeur à la PEE a été rétablie et le 24 octobre 2012, son dossier a été renvoyé devant la Commission pour qu’elle examine sa demande de libération conditionnelle au titre de ce qui était désormais l’ancien régime de la PEE. Le 8 novembre 2012, la Commission a conclu qu’il existait des motifs raisonnables de croire que le demandeur commettrait, s’il était mis en liberté, une infraction accompagnée de violence avant l’expiration de sa peine. Comme le prévoit le régime de la PEE, la décision de la Commission a été réexaminée le 30 novembre 2012 par un comité composé de deux de ses membres. Ce comité n’a pas accordé de semi-liberté au demandeur.

[8]  La décision de la Commission a été confirmée le 8 avril 2013 par la Section d’appel. Le demandeur a tenté d’obtenir une prorogation de délai pour introduire une demande de contrôle judiciaire à l’encontre de cette décision, mais sans succès.

[9]  Le 4 décembre 2013, le demandeur a sollicité une semi-liberté au titre du régime ordinaire. Sa demande a été rejetée, car la Commission était convaincue que sa mise en liberté entraînerait un risque excessif de récidive. La décision de la Commission a été confirmée par la Section d’appel le 14 janvier 2015. Le demandeur a donc déposé une demande de contrôle judiciaire de cette décision au motif que la Commission et la Section d’appel avaient commis une erreur susceptible de contrôle en n’examinant pas sa demande suivant les critères de l’ancien régime de la PEE. La demande de contrôle judiciaire du demandeur a été rejetée le 11 janvier 2016 (Ye c Canada (Procureur général), 2016 CF 35 [Ye 2016]). En ce qui concerne les critères relatifs à la PEE, la Cour (au nom de laquelle s’exprimait le juge Barnes) a conclu que le demandeur ne pouvait pas soulever à l’étape du contrôle judiciaire des arguments qui n’avaient pas été avancés devant la Commission ou la Section d’appel. La Cour n’a pas examiné l’argument sur le fond (Ye 2016, au paragraphe 17).

[10]  En juin 2015, le demandeur a présenté une demande de libération conditionnelle totale sous le régime ordinaire d’examen des demandes de libération conditionnelle. Cette fois‑là, il a fait valoir que sa demande devait être examinée suivant les critères du régime de la PEE. Le 9 novembre 2015, la Commission a refusé sa demande, y compris l’observation concernant les critères applicables à l’examen de sa demande. Sur cette question particulière, la Commission n’a pas fourni de motifs détaillés. Elle s’est contentée d’affirmer que l’admissibilité du demandeur à la PEE était épuisée, puisque sa demande de semi-liberté au titre de ce régime avait déjà été examinée et refusée, et a ajouté qu’après avoir reçu une lettre de la Commission l’informant de ce fait, le demandeur avait, selon son agent de libération conditionnelle, [traduction] « décidé de soumettre une demande de libération conditionnelle totale suivant les critères ordinaires » (dossier du défendeur, à la page 246).

[11]  Comme je l’ai indiqué au début de ces motifs, la Section d’appel, dans une décision datée du 3 mai 2016, a rejeté l’appel interjeté par le demandeur à l’encontre de la décision de la Commission. En particulier, la Section d’appel a estimé, au regard de l’ancien paragraphe 126(6) de la Loi, que la Commission avait appliqué le bon critère juridique en examinant la demande de libération conditionnelle totale du demandeur d’après les critères ordinaires, plutôt que les critères relatifs à la PEE. Les motifs de la Section d’appel sur ce point sont les suivants :

[traduction]

Aux termes du paragraphe 126(6) de la [Loi], le délinquant qui se voit refuser une libération conditionnelle continue d’avoir droit au « réexamen de son dossier » selon les modalités prévues au paragraphe 123(5) de la [Loi], portant l’intitulé « Réexamen ». La Section d’appel estime que le « réexamen » mentionné au paragraphe 126(6) de la [Loi] renvoie au réexamen dont il est question au paragraphe 123(5), lequel relève du régime ordinaire, ainsi qu’aux délais afférents prévus au paragraphe 123(5), et non aux examens accélérés de demandes de libération conditionnelle. Ces examens ordinaires sont visés par l’article 102 de la [Loi], qui assortit la libération conditionnelle des critères suivants: « une récidive du délinquant avant l’expiration légale de la peine qu’il purge ne présentera pas un risque inacceptable pour la société » et « cette libération contribuera à la protection de celle-ci en favorisant sa réinsertion sociale en tant que citoyen respectueux des lois ». Non seulement le paragraphe 126(6) de la [Loi] précise-t-il que les réexamens devront s’effectuer selon les modalités prévues dans une disposition relevant des « [e]xamen[s] des dossiers de libération conditionnelle » et des « [r]éexamen[s] » ordinaires, mais le paragraphe 126(6) ne mentionne pas explicitement d’examen de type PEE, nonobstant l’article 102, comme l’indique clairement le paragraphe 126(6) ou 126(5) de la [Loi].

Compte tenu des circonstances particulières à votre dossier, lequel indique que la semi-liberté ne vous a pas été accordée en 2012, la Commission a eu raison de soumettre votre demande de libération conditionnelle totale à un examen ordinaire le 5 novembre 2015, comme elle l’a fait avant de vous refuser la libération conditionnelle le 6 août 2014.  Par conséquent, la Section d’appel estime qu’en refusant de vous accorder une libération conditionnelle totale, la Commission n’a pas commis d’erreur de droit puisqu’elle a appliqué le bon critère juridique et qu’elle n’a pas outrepassé sa compétence en rendant une décision sur la base d’un examen que vous aviez demandé durant l’audience du 5 novembre 2015, et dans le cadre duquel elle a appliqué les critères ordinaires d’examen des demandes de libération conditionnelle prévus à l’article 102 de la [Loi].

(Dossier du défendeur, aux pages 257 et 258)

[12]  Le demandeur se défend d’avoir voulu faire examiner son cas par la Commission suivant les critères ordinaires d’examen des demandes de libération conditionnelle totale.

III.  Norme de contrôle

[13]  Les parties ne s’entendent pas sur la norme de contrôle applicable. Le demandeur fait valoir que la question dont la Cour est saisie en est une d’interprétation législative et qu’elle doit donc être soumise à la norme de la décision correcte.

[14]  Le défendeur fait valoir qu’il existe à présent une présomption bien établie selon laquelle la norme de la raisonnabilité s’applique à la décision d’un décideur administratif qui interprète sa ou ses propres lois constitutives étroitement liées à son mandat et dont il a une connaissance approfondie (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 54 [Dunsmuir]; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, 1 RCS 339, au paragraphe 25 [Khosa]; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teacher’s Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 RCS 654, aux paragraphes 30 à 39 [ATA]; McClean c British Columbia (Securities Commission), 2012 CSC 67, [2013] 3 RCS 895, aux paragraphes 21 et 22 [McClean]).

[15]  Le défendeur affirme en outre que dans au moins deux décisions récentes – Spring c Canada (Procureur général), 2016 CF 87 [Spring] et Twins c Canada (Procureur général), 2016 CF 537 [Twins] – la Cour a appliqué la norme de la raisonnabilité à des affaires intéressant l’interprétation par la Commission de la Loi ou de dispositions législatives étroitement liées à son mandat. Dans Spring, la Commission était appelée à interpréter une disposition de la Loi sur le casier judiciaire, LRC (1985), c C‑47, relativement à une demande de suspension de casier judiciaire. Dans Twins, une affaire de révocation de la semi-liberté, la demanderesse faisait valoir qu’il incombait à la Commission d’interpréter la Loi d’une manière qui tienne compte du problème systémique de la surreprésentation des Autochtones incarcérés au Canada.

[16]  Il est également bien établi que le principe invoqué par le défendeur trouve à s’appliquer sauf si l’interprétation de la Loi constitutive relève de l’une des catégories de questions à l’égard desquelles la norme de la décision correcte continue de s’appliquer, à savoir :

  • a) les questions constitutionnelles;

  • b) les questions de droit qui revêtent une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et qui sont étrangères au domaine d’expertise du décideur;

  • c) les questions portant sur la délimitation des compétences respectives de tribunaux spécialisés concurrents;

  • d) les questions touchant véritablement à la compétence.

(ATA, au paragraphe 30)

[17]  Comme nous venons de le voir, en l’espèce, le demandeur est d’avis que la norme de la décision correcte s’applique, car la question d’interprétation législative à trancher intéresse la compétence de la Commission. Je ne souscris pas à cet avis, car à mon sens, cette question ne touche pas « véritablement » à la compétence. Il est désormais bien établi que de telles questions doivent s’entendre au sens strict de la faculté du décideur administratif de connaître de la question en premier lieu (Dunsmuir, au paragraphe 59). D’après la majorité de la Cour dans l’arrêt ATA, il en est ainsi, car « tout acte du tribunal qui requiert l’interprétation de sa loi constitutive soulève la question du pouvoir ou de la compétence du tribunal d’accomplir cet acte » (ATA, au paragraphe 34).

[18]  C’est précisément ce dont il s’agit en l’espèce, puisque la question à trancher n’est pas tant de savoir si la Commission est compétente pour examiner la demande de libération conditionnelle totale du demandeur ‒ elle l’est manifestement ‒, mais plutôt si elle peut le faire en se servant des critères du régime ordinaire d’examen des demandes de libération conditionnelle plutôt que de ceux du régime de la PEE à présent abrogé.

[19]  Je crois respectueusement que dans Ye 2016, le juge Barnes a très justement estimé que la question que le demandeur a soulevée devant la Commission et la Section d’appel quant à la norme ou au critère applicable qui doit régir sa demande de libération conditionnelle totale « rel[ève] précisément des connaissances spécialisées des deux décideurs » (Ye 2016, au paragraphe 18). Il y a donc lieu d’examiner avec déférence la décision de la Section d’appel. Cette déférence reconnaît qu’une disposition législative peut donner lieu à plus d’une interprétation, pour autant que celle qu’ont retenue les décideurs appartienne aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, au paragraphe 41; Khosa, au paragraphe 25).

[20]  Il incombait au demandeur de démontrer pourquoi la Cour ne devait pas soumettre l’interprétation retenue par la Section d’appel de sa loi constitutive à la norme déférente de la raisonnabilité (ATA, au paragraphe 39). Il ne s’est pas acquitté de ce fardeau.

IV.  Analyse

[21]  L’approche moderne de l’interprétation législative oblige à lire les termes d’une loi « dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la [loi], l’objet de la [loi] et l’intention du législateur » (Bell ExpressVu Limited Partnership c Rex, [2002] 2 RCS 559, au paragraphe 26, citant Driedger, Construction of Statutes (2e éd., 1983)). En d’autres termes, une analyse téléologique et contextuelle est de mise (Canada Trustco Mortgage Co. c Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 RCS 601 au paragraphe 10; Canada (Procureur général) c Celgene Corporation, 2009 CAF 378, au paragraphe 36).

A.  Le régime « ordinaire » des libérations conditionnelles : esprit et objet

[22]  Le régime des libérations conditionnelles établi par la Loi est prévu à la partie II (articles 99 à 156). L’objectif des libérations conditionnelles, énoncé à l’article 100, est de « contribuer au maintien d’une société juste, paisible et sûre en favorisant, par la prise de décisions appropriées quant au moment et aux conditions de leur mise en liberté, la réadaptation et la réinsertion sociale des délinquants en tant que citoyens respectueux des lois ». L’article 100.1 souligne que la « protection de la société » est « [d]ans tous les cas, […] le critère prépondérant appliqué par la Commission […] ».

[23]  Alors que l’article 101 fournit à la Commission des directives en vue de l’accomplissement de l’objectif du régime des libérations conditionnelles, l’article 102 énonce les critères requis pour accorder la libération conditionnelle, lesquels sont extrêmement pertinents en l’espèce. L’article 102 indique à cet égard que la Commission peut autoriser la libération conditionnelle si elle est d’avis i) qu’une récidive du délinquant avant l’expiration légale de la peine qu’il purge ne présentera pas un risque inacceptable pour la société; et ii) que cette libération contribuera à la protection de celle‑ci en favorisant sa réinsertion sociale en tant que citoyen respectueux des lois.

[24]  Les autres composantes du régime ordinaire qui intéressent la question à trancher en l’espèce sont les règles régissant l’admissibilité à la libération conditionnelle et les examens en vue de celle-ci; ces règles figurent aux articles 119 à 124. En particulier, l’article 119 prévoit, suivant différents scénarios, la proportion de la peine qui doit être purgée avant qu’un délinquant puisse bénéficier d’une semi-liberté. En l’espèce, il n’est pas contesté que le demandeur n’était admissible à la semi-liberté au titre du régime ordinaire que six mois avant d’avoir purgé un tiers de sa peine. L’article 120 prévoit la même chose pour les libérations conditionnelles totales et précise, sous réserve d’un certain nombre d’exceptions, que le temps d’épreuve pour l’admissibilité à la libération conditionnelle totale est d’un tiers de la peine à concurrence de sept ans.

[25]  Les articles 122 à 124 concernent l’examen des dossiers de libération conditionnelle. Les articles 122 et 123 énoncent la procédure relative à l’examen des dossiers de semi-liberté et de libération conditionnelle totale respectivement, ce qui inclut le type de décisions que la Commission peut rendre, les cas dans lesquels elle doit ou peut effectuer un examen, la durée maximale des semi-libertés et, plus spécifiquement au paragraphe 123(5), les délais en vue des réexamens lorsqu’une semi-liberté ou une libération conditionnelle totale a été refusée. L’article 123 contient aussi des dispositions spécifiques concernant les réexamens des dossiers de délinquants violents à qui une libération conditionnelle a été refusée (paragraphe 123(5.01)) et de délinquants, notamment violents, pour lesquels il y a eu annulation ou cessation de la libération conditionnelle (paragraphes 123(5.1) et (5.2)).

[26]  Pour sa part, l’article 124 concerne les délinquants illégalement en liberté, le moment de la libération des délinquants à qui une libération conditionnelle a été accordée sans en fixer la date, ainsi que le pouvoir de la Commission d’annuler ou de mettre fin à une libération conditionnelle sur la base de renseignements nouveaux qui ne pouvaient avoir raisonnablement été portés à sa connaissance au moment où la libération conditionnelle a été accordée, ou lorsque le délinquant refuse de se soumettre ‒ ou qu’il obtient un résultat positif ‒ à un test de dépistage de drogue. L’effet des libérations conditionnelles est énoncé à l’article 128; les articles 135 à 138 concernent pour leur part la suspension, l’annulation ou la cessation des libérations conditionnelles lorsque les délinquants en violent une des conditions, qu’ils récidivent alors qu’ils sont sous le coup d’une libération conditionnelle, ou que la Commission est convaincue qu’il est nécessaire et raisonnable de suspendre la libération conditionnelle pour prévenir la violation de ses conditions ou pour protéger la société, ainsi que la réincarcération dans de tels cas.

[27]  Enfin, les articles 140 à 145 prévoient les cas où la Commission doit tenir une audience aux fins de l’examen de la libération conditionnelle, et comment cette audience doit se dérouler, en indiquant qui peut y assister, qui peut assister le délinquant, de quelle manière les déclarations des victimes doivent être présentées et examinées, et selon quelles modalités les renseignements doivent être préalablement divulgués au délinquant et aux victimes, et le dossier concernant chaque audience conservé.

[28]  Les dispositions de la partie II de la Loi concernent également la constitution, la compétence et l’organisation de la Commission, et notamment de la Section d’appel (articles 103 à 111 et 146 à 155), et prévoient les règles régissant les permissions de sortir sans escorte (articles 115 à 118), les libérations d’office (article 127), la détention durant les périodes de libération d’office (articles 129 à 132), ainsi que les conditions de mise en liberté et de surveillance de longue durée (articles 133 à 134.1). Le pouvoir réglementaire est délégué au gouverneur en conseil en vertu de l’article 156.

B.  Le régime de la PEE : esprit et objet

[29]  Le régime de la PEE introduit en 1992 ne s’appliquait alors qu’aux libérations conditionnelles totales et était prévu aux anciens articles 125 et 126. La PEE se voulait « une procédure simplifiée permettant au délinquant non violent qui en est à sa première infraction d’être évalué en vue d’une libération conditionnelle sur la base d’une seule question, soit celle de savoir s’il n’existe aucun motif raisonnable de croire que le délinquant, s’il est mis en liberté, commettra une infraction accompagnée de violence » (Whaling 2014, au paragraphe 2).

[30]  Le paragraphe 125(1) énonçait les catégories de délinquants ayant commis une première infraction, mais inadmissibles à la PEE. Il s’agissait des délinquants purgeant une peine pour des crimes graves tels que le meurtre, le terrorisme, des infractions d’ordre sexuel ou des infractions graves liées aux drogues et pour lesquels l’admissibilité à la semi-liberté était retardée en vertu d’une ordonnance judiciaire. Cette liste incluait aussi les délinquants « dont la semi-liberté a été révoquée » (alinéa 125(1)c)). Le processus d’examen pour les délinquants admissibles à la PEE était prévu aux paragraphes 125(2) et 125(3) ainsi qu’à l’article 126. L’examen devait être d’abord effectué par le Service correctionnel du Canada (paragraphes 125(2) et (3)), puis, après transmission du dossier, par la Commission, et enfin, en cas de refus de la libération conditionnelle, par un comité de la Commission différemment constitué (article 126).

[31]  En vertu du paragraphe 126(2), les délinquants admissibles ayant commis une première infraction se voyaient automatiquement accorder une libération conditionnelle totale « si [la Commission] [était] convaincue qu’il [n’existait] aucun motif raisonnable de croire que le délinquant commettr[ait] une infraction accompagnée de violence s’il [était] remis en liberté avant l’expiration légale de sa peine ». La Commission procédait à l’examen sans tenir d’audience (paragraphe 126(1)); si la libération conditionnelle n’était pas accordée, le refus de la Commission ainsi que ses motifs étaient soumis au réexamen d’un comité dont les commissaires n’avaient pas pris part à la décision de refus (paragraphe 126(4)).

[32]  Les anciens paragraphes 126(6) et (8) sont particulièrement pertinents à la présente affaire. Suivant le paragraphe 126(6), le délinquant dont la libération conditionnelle totale avait été refusée « continua[it] toutefois d’avoir droit au réexamen de son dossier selon les modalités prévues au paragraphe 123(5) », tandis qu’aux termes du paragraphe 126(8), le délinquant perdait le bénéfice de la procédure expéditive en cas de révocation ou de cessation de la libération conditionnelle accordée au titre de ce régime.

[33]  Ces trois dispositions étaient ainsi libellées :

123. […]

123. […]

Réexamen

Further review – Board does not grant parole

(5) En cas de refus de libération conditionnelle dans le cadre de l’examen visé au paragraphe (1) ou à l’article 122 ou encore en l’absence de tout examen pour les raisons exposées au paragraphe (2), la Commission procède au réexamen dans les deux ans qui suivent la date de la tenue de l’examen, ou la date fixée pour cet examen, selon la plus éloignée de ces dates, et ainsi de suite, au cours de chaque période de deux ans, jusqu’au premier en date des événements suivants :

(5) If the Board decides not to grant parole following a review under subsection (1) or section 122 or if a review is not made by virtue of subsection(2), the Board shall conduct another review within two years after the later of the day on which the review took place or was scheduled to take place and thereafter within two years after that day until

a) la libération conditionnelle totale ou d’office;

(a) the offender is released on full parole or on statutory release;

b) l’expiration de la peine;

(b) the offender’s sentence expires; or

c) le délinquant a moins de quatre mois à purger avant sa libération d’office.

(c) less than four months remain to be served before the offender’s statutory release date.

126. […] (repealed)

126. […] (repealed)

Refus

Refusal of parole

(6) Dans le cas contraire, la libération conditionnelle totale est refusée, le délinquant continuant toutefois d’avoir droit au réexamen de son dossier selon les modalités prévues au paragraphe 123(5).

(6) An offender who is not released on full parole pursuant to subsection (5) is entitled to subsequent reviews in accordance with subsection 123(5).

Conséquences de la révocation

Termination or revocation

(8) En cas de révocation ou de cessation de la libération conditionnelle, le délinquant perd le bénéfice de la procédure expéditive

(8) Where the parole of an offender released pursuant to this section is terminated or revoked the offender is not entitled to another review pursuant to this section.

[34]  En 1997, le régime de la PEE a été élargi de manière à prévoir une admissibilité plus rapide à la semi-liberté par l’insertion dans la Loi des articles 119.1 et 126.1, depuis abrogés. La semi-liberté était dès lors accessible à la même catégorie de délinquants ayant commis une première infraction après six mois, ou une fois purgé le sixième de la peine, selon le délai le plus tardif, au lieu des six mois avant l’admissibilité à la libération conditionnelle totale (article 119.1); par ailleurs, la question de savoir si un délinquant admissible à la PEE devait être mis en semi-liberté devait être tranchée en appliquant les articles 125 et 126, avec les adaptations nécessaires (article 126.1).

[35]  Le processus décrit aux paragraphes 125(2) et 125(3) et à l’article 126 devait être suivi en conformité avec les étapes et les délais prévus au paragraphe 159(1) du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92‑620 [le Règlement], aujourd’hui abrogé. Cette disposition prévoyait :

159 (1) Le Service doit examiner le cas du délinquant visé à l’article 125 de la Loi dans le mois qui suit son admission dans un pénitencier ou dans un établissement correctionnel provincial lorsqu’il doit purger sa peine dans cet établissement.

159 (1) The Service shall review the case of an offender to whom section 125 of the Act applies within one month after the offender’s admission to a penitentiary, or to a provincial correctional facility where the sentence is to be served in such a facility.

(2) Le Service doit, conformément au paragraphe 125(4) de la Loi, transmettre à la Commission le cas du délinquant au plus tard trois mois avant la date de son admissibilité à la libération conditionnelle totale.

(2) The Service shall refer the case of an offender to the Board pursuant to subsection 125(4) of the Act not later than three months before the offender’s eligibility date for full parole.

(3) La Commission doit, conformément au paragraphe 126(1) de la Loi, examiner le cas du délinquant au plus tard sept semaines avant la date de son admissibilité à la libération conditionnelle totale.

(3) The Board shall, pursuant to subsection 126(1) of the Act, review the case of an offender not later than seven weeks before the offender’s eligibility date for full parole.

(4) Le comité doit, conformément au paragraphe 126(4) de la Loi, réexaminer le cas du délinquant avant la date de son admissibilité à la libération conditionnelle totale.

(4) A panel shall, pursuant to subsection 126(4) of the Act, review the case of an offender before the offender’s eligibility date for full parole.

[36]  Dans l’arrêt Whaling 2014, la Cour suprême a décrit en ces termes les principales différences entre la PEE et les régimes ordinaires d’examen de demandes de libération conditionnelle :

a)    Le régime de la PEE était simplifié dans le sens où l’application de la PEE était automatique, c’est‑à‑dire que les dossiers des délinquants admissibles étaient transmis à la Commission sans qu’il soit nécessaire de présenter de demande en ce sens.

b)    L’examen lié à la PEE s’effectuait sans audience.

c)    Le critère de mise en liberté sous le régime de la PEE reposait sur une norme de nature présomptive, moins stricte que la norme du « risque inacceptable pour la société » présidant à la procédure normale de libération conditionnelle; de plus, la Commission n’avait pas le pouvoir discrétionnaire de refuser de remettre le délinquant en liberté, sauf si elle était convaincue qu’il n’existait aucun motif raisonnable de croire qu’il commettrait, une fois mis en liberté, une infraction accompagnée de violence.

d)    Le processus de mise en semi-liberté au titre la PEE était engagé plus tôt que dans la procédure normale, soit une fois que le délinquant avait purgé le sixième de sa peine ou après six mois, selon la plus longue de ces périodes, alors que l’admissibilité était fixée, selon la procédure normale, à six mois avant la date d’admissibilité à la libération conditionnelle totale.

(Whaling 2014, aux paragraphes 13 et 14)

C.  Intention du législateur : Les objectifs qu’il poursuivait en créant la PEE

[37]  Comme je l’indiquais plus tôt, la PEE a été décrite dans l’arrêt Whaling 2014 comme une « procédure simplifiée » permettant « au délinquant […] qui en [était] à sa première infraction » d’être évalué en vue d’une libération conditionnelle sur la base d’une seule question, celle de savoir s’il n’existait aucun motif raisonnable de croire qu’il commettrait, s’il était mis en liberté, une infraction accompagnée de violence (Whaling 2014, au paragraphe 2).

[38]  Même si les cours de justice doivent rester conscientes de la fiabilité et de la portée limitées des faits législatifs, ceux‑ci peuvent servir à confirmer le contexte et l’objet de la législation contestée ou, dans certains cas, à prouver directement l’intention du législateur (Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c Canada (Procureur général), 2011 CSC 53, [2011] 3 RCS 471, au paragraphe 44; Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c Canada (Procureur général), 2014 CSC 40, [2014] 2 RCS 135, au paragraphe 47). En l’espèce, j’estime qu’ils sont particulièrement utiles.

[39]  Le Livre vert – Vers une réforme : les affaires correctionnelles et la mise en liberté sous condition, déposé en 1990 par le solliciteur général du Canada d’alors, constitue un important élément de preuve à cet égard. Ce document était le plan directeur de la réforme de la Loi sur les pénitenciers et de la Loi sur la libération conditionnelle ayant mené à l’adoption, en 1992, d’un seul texte législatif unifié – la Loi – régissant à la fois le système correctionnel et la libération conditionnelle.

[40]  C’est à cette époque que l’introduction de la PEE dans le système canadien d’examen des demandes de libération conditionnelle a été proposée pour la première fois. Cette idée a été suggérée parce que dans le système alors en vigueur, le SCC et le prédécesseur de la Commission, la Commission nationale des libérations conditionnelles, consacraient pratiquement la même quantité de ressources, d’énergie et de temps à étudier, en vue de leur mise en liberté, les cas de délinquants primaires non violents, comme les auteurs d’infractions contre des biens, que ceux de délinquants violents récidivistes. Le gouvernement de l’époque a estimé que cela constituait une utilisation inefficace des ressources, puisque [traduction] « les plus grands efforts devraient être consacrés aux délinquants qui représentent la plus grande menace pour la sécurité publique » (dossier du défendeur, à la page 29).

[41]  Le gouvernement a donc proposé que [traduction] « le traitement de ces délinquants purgeant leur première peine dans un pénitencier fédéral relativement à une infraction non violente soit accéléré en partant du principe que le délinquant sera mis en liberté à la date d’admissibilité à sa libération conditionnelle, et que sa remise en liberté interviendra de droit à cette date, à moins que la Commission nationale des libérations conditionnelles n’estime qu’il y ait des motifs raisonnables de croire qu’une infraction violente puisse être commise avant l’expiration du mandat » (dossier du défendeur, à la page 29). La différence entre la PEE et les procédures ordinaires tenait [traduction] « aux critères de remise en liberté (c.‑à‑d., le risque de commettre ultérieurement un acte violent, par opposition au critère plus général du « risque inacceptable »), et à l’identification planifiée et réfléchie d’un groupe de délinquants qu’il s’agit avant tout de réinsérer dans la société le plus tôt possible, tout en respectant l’impératif de la sécurité publique » (dossier du défendeur, à la page 30).

[42]  Des remises en liberté plus rapides de même qu’une approche simplifiée de préparation des dossiers devaient permettre de remplir l’objectif du gouvernement consistant à [traduction] « libérer des ressources pour les affecter à des programmes et aux incarcérations plus longues de délinquants à plus haut risque ayant commis des infractions plus graves » (dossier du défendeur, à la page 30).

[43]  À l’étape de la deuxième lecture du projet de loi qui allait devenir la Loi [projet de loi C ‑36], le solliciteur général du Canada de l’époque a insisté sur le fait que le principe fondamental à l’origine de cette réforme des systèmes correctionnel et de mise en liberté sous condition canadiens était la protection du public, de sorte que si un délinquant représentait une menace pour la société, il ne serait pas remis en liberté. Comme il l’a souligné, [traduction] « à partir de maintenant », c’était le public canadien, et non les délinquants, qui [traduction] « recevrait le bénéfice du doute » (dossier du défendeur, à la page 35). Dans ce contexte, le projet de loi C ‑36 visait à [traduction] « durcir les règles existantes d’admissibilité à la libération conditionnelle, en ce qui concerne notamment les infractions violentes, les infractions graves liées aux drogues et les infractions sexuelles à l’égard des enfants » (dossier du défendeur, à la page 35). Il proposait aussi [traduction] « aux fins d’un équilibre nécessaire » que les délinquants primaires non violents [traduction] « aient la chance de bénéficier d’une libération conditionnelle ordinaire dès leur première date d’admissibilité après avoir purgé un tiers de leur peine » (dossier du défendeur, à la page 35). Ce processus donnait auxdits délinquants [traduction] « une dernière chance de montrer qu’ils pouvaient prendre les mesures nécessaires pour mettre de l’ordre dans leur vie et devenir rapidement des membres de la société respectueux des lois » (dossier du défendeur, à la page 36).

[44]  Le solliciteur général a ensuite expliqué, dans le droit fil du problème souligné dans le Livre vert, pourquoi la PEE était désirable pour les délinquants primaires non violents :

[TRADUCTION]

Ce groupe est déjà très susceptible de tirer profit de la libération conditionnelle à une date plus avancée, mais le défaut de les remettre en liberté a malheureusement trop souvent à voir avec la complexité du processus bureaucratique de détermination des libérations conditionnelles plutôt qu’avec le bien-fondé du dossier.

(Dossier du défendeur, à la page 36)

[45]  Comme je l’ai déjà indiqué, la PEE a commencé à s’appliquer aux semi-libertés en 1997 par l’ajout à la Loi des articles 119.1 et 126.1 aujourd’hui abrogés. Les modalités de la PEE en vue des libérations conditionnelles totales s’appliquaient aux semi-libertés « avec les modifications nécessaires » (article 126.1).

D.  La position du demandeur

[46]  Le demandeur soutient que rien dans la Loi n’indique que le législateur ait voulu, expressément ou par voie de conséquence nécessaire, que le régime de la PEE soit épuisé si le délinquant s’est vu initialement refuser la semi-liberté au titre de celui-ci. Au contraire, le législateur a précisé en termes exprès dans quels cas le délinquant ne peut plus bénéficier du régime de la PEE, et le fait de ne pas avoir obtenu la semi-liberté au titre de ce régime n’en est pas un. Les cas susmentionnés sont ceux où la semi-liberté a été révoquée (alinéa 125(1)c)) ou ceux où il y a eu révocation ou cessation de la libération conditionnelle (paragraphe 126(8)).

[47]  Le demandeur affirme en outre que l’ancien paragraphe 126(6) de la Loi ne modifiait pas les critères applicables aux examens postérieurs au refus de la semi-liberté au titre du régime de la PEE. Il soutient à cet égard qu’en ne mentionnant spécifiquement que le paragraphe 123(5) de la Loi, le législateur a bien fait comprendre que le paragraphe 126(6) ne visait que les délais relatifs à ces examens subséquents, et non les critères sur la base desquels la Commission devait effectuer ces examens. Il ajoute que si le législateur avait voulu que les examens subséquents au refus de la semi-liberté soient fondés sur le critère plus général du « risque inacceptable pour la société » applicable sous le régime ordinaire d’examen des demandes de libération conditionnelle, il l’aurait indiqué expressément en précisant que ces examens devaient être menés conformément à l’article 123 de la Loi et en omettant toute référence à un paragraphe spécifique de cette disposition.

[48]  En l’absence de pareilles indications, avance le demandeur, il faut présumer que le législateur a délibérément limité l’applicabilité de l’article 123 au paragraphe 123(5) qui prévoit les délais, de manière à maintenir l’intégrité des critères de la PEE au stade de l’examen en vue de la libération conditionnelle totale. Le demandeur affirme que dans un tel contexte, le délinquant admissible à la PEE qui se voit initialement refuser la semi-liberté et qui n’est admissible à la libération conditionnelle totale que plus tard, a le droit de continuer à s’organiser pour montrer, au moment de l’examen en vue de sa libération conditionnelle totale, qu’il satisfait aux critères de la PEE. En d’autres mots, un tel délinquant reste admissible à la PEE, à moins que des dispositions de la Loi qui le prévoient expressément ne le rendent inadmissible.

[49]  Enfin, le demandeur soutient que toute ambiguïté dans les dispositions en cause doit être interprétée en sa faveur étant donné que sa liberté est en jeu.

E.  L’interprétation par la Section d’appel de l’ancien régime de la PEE est raisonnable

[50]  La question à trancher en l’espèce est de savoir si l’interprétation de la Commission et de la Section d’appel selon laquelle le régime de la PEE est épuisé une fois que la semi-liberté a été refusée se défend au regard des faits et du droit. Une analyse téléologique et contextuelle de ce régime amène à conclure que cette interprétation est une issue défendable, si ce n’est la seule.

[51]  De mon point de vue, la PEE a été introduite dans un contexte où la protection du public était le critère déterminant et où les règles d’admissibilité à la libération conditionnelle ont été durcies; ce processus devait permettre au SCC et à la Commission de concentrer leurs ressources sur des délinquants à plus haut risque ayant commis des crimes plus graves, en remettant en liberté certains délinquants primaires non violents dès qu’ils étaient admissibles à la libération conditionnelle.

[52]  Il est donc tout à fait logique, comme le soutenait le défendeur, que la PEE ait été destinée à offrir aux délinquants primaires non violents une occasion unique d’obtenir une libération conditionnelle au titre de ce régime, c’est-à-dire de démontrer qu’ils appartenaient bel et bien à cette catégorie de délinquants. Si l’un d’eux n’y parvenait pas, c’est‑à‑dire que s’il était établi à la première date d’admissibilité à la libération conditionnelle qu’il commettrait une infraction avec violence avant l’expiration de sa peine, aucune raison de principe ne justifie que ce délinquant soit traité dès lors autrement qu’un délinquant à plus haut risque ayant commis des infractions plus graves, y compris un délinquant violent, puisque la PEE a été conçue pour libérer des ressources dans un contexte où la protection du public était – et demeure – le critère déterminant et primordial du régime de mise en liberté sous condition prévu par la Loi.

[53]  En d’autres termes, il paraîtrait incompatible avec la Loi et les objectifs politiques de la PEE que des délinquants à plus haut risque, comme le demandeur, qui n’a pas obtenu de semi‑liberté au titre de la PEE parce que la Commission a estimé qu’il risquait de commettre à nouveau des crimes violents, continuent de se prévaloir des critères moins stricts de la PEE en vue des examens subséquents de demandes de libération conditionnelle.

[54]  Rien dans le libellé des anciens articles 126 et 126.1 de la Loi, et en particulier de l’ancien paragraphe 126(6), aux termes duquel un délinquant n’ayant pas bénéficié d’une libération conditionnelle (ou de la semi-liberté suivant l’ancien article 126.1) après s’être prévalu de la PEE continuait néanmoins d’avoir droit au réexamen de son dossier selon les modalités du régime normal prévues au paragraphe 123(5), ne s’oppose à cette interprétation. Une simple lecture de ces dispositions, ainsi que de l’article 159 du Règlement, qui peut contribuer à élucider l’intention du législateur, d’autant plus que cette disposition et celles de la Loi intéressant la PEE étaient « étroitement liées » (Monsanto Canada Inc. c Ontario (Surintendant des services financiers), 2004 CSC 54, [2004] 3 RCS 152, au paragraphe 35), tend à montrer que la PEE n’était pas censée s’appliquer à nouveau aux fins des réexamens postérieurs aux refus, mais qu’il s’agissait plutôt d’un processus à demande unique assorti de critères particuliers de mise en liberté destinés à s’appliquer à la première date d’admissibilité du délinquant à la libération conditionnelle. L’alinéa 140(1)b) de la Loi, tel qu’il existait à l’époque, exigeait la tenue d’une audience aux fins du « réexamen » effectué par la Commission aux termes du paragraphe 126(4), ce qui confirme que la PEE était bien destinée à être un processus à demande unique.

Audiences

 

Review Hearings

140(1) La Commission tient une audience, dans la langue officielle du Canada que choisit le délinquant, dans les cas suivants, sauf si le délinquant a renoncé par écrit à son droit à une audience ou refuse d'être présent :

140(1) The Board shall conduct the review of the case of an offender by way of a hearing, conducted in whichever of the two official languages of Canada is requested by the offender, unless the offender waives the right to a hearing in writing or refuses to attend the hearing, in the following classes of cases:

a) le premier examen du cas qui suit la demande de semi-liberté présentée en vertu du paragraphe 122(1), sauf dans le cas d'une peine d'emprisonnement de moins de deux ans;

(a) the first review for day parole pursuant to subsection 122(1), except in respect of an offender serving a sentence of imprisonment of less than two years;

b) l'examen prévu au paragraphe 123(1), le réexamen visé au paragraphe 126(4) et chaque réexamen prévu en vertu du paragraphe 123(5);

(b) the first review for full parole pursuant to subsection 123(1), including the review conducted pursuant to subsection 126(4), and subsequent annual reviews pursuant to subsection 123(5);

c) les examens ou réexamens prévus aux articles 129, 130 et 131;

(c) a review conducted pursuant to section 129, 130 or 131;

d) les examens qui suivent, le cas échéant, la suspension, l'annulation, la cessation ou la révocation de la libération conditionnelle ou d'office;

(d) a review following a suspension, cancellation, termination or revocation of parole or following a suspension, termination or revocation of statutory release; and

e) les autres examens prévus par règlement.

(e) any review of a class specified in the regulations.

[55]  Le demandeur n’appuie sur aucune justification rationnelle l’assertion selon laquelle l’ancien l’article 126 doit être interprété comme rendant inadmissibles à la procédure expéditive les seuls délinquants dont la libération conditionnelle a été révoquée ou a pris fin au titre de la PEE, et non ceux dont la remise en liberté au titre de ce régime a été refusée en premier lieu. Comme le fait justement remarquer le défendeur, les délinquants pour lesquels il y a eu révocation ou cessation de la libération conditionnelle accordée au titre de la PEE ont d’abord été remis en liberté en vertu de cette procédure accélérée, contrairement au demandeur. En d’autres termes, il a été établi qu’ils ne commettraient pas, contrairement au demandeur, une infraction accompagnée de violence avant l’expiration de leur peine.

[56]  Cela pose la question de savoir pourquoi ces délinquants primaires non violents et reconnus comme tels, et qui ont déjà rempli les critères moins stricts de l’ancien paragraphe 126(2), devraient être traités moins favorablement aux fins des réexamens que les délinquants comme le demandeur qui, bien qu’ils n’aient pas rempli ces critères, soutiennent qu’ils devraient avoir la possibilité de convaincre la Commission dans le cadre de réexamens futurs qu’ils ne sont plus susceptibles de commettre une infraction accompagnée de violence.

[57]  J’estime respectueusement qu’il y a là une incohérence que le législateur n’a pas pu souhaiter. J’ajouterais à cela que pour des raisons évidentes, la révocation (de même que la cessation) et les refus sont traités séparément dans le régime ordinaire d’examen en vue d’une libération conditionnelle : ils ne surviennent pas en même temps et de la même manière, et ne reposent pas nécessairement sur les mêmes motifs. L’ancien article 126 reflète simplement cette structure, mais cela ne change rien au fait que la PEE est épuisée dès que la libération conditionnelle totale ou la semi-liberté est refusée, révoquée ou qu’il y est mis fin au titre de ce régime.

[58]  Dans Leduc c Canada (Procureur général), (2000) 196 FTR 74 (CF), la Cour a rejeté l’argument selon lequel la question de savoir si la libération conditionnelle au titre de la PEE devait être révoquée après sa suspension devait être tranchée suivant les critères relatifs à cette procédure. La Cour a estimé qu’une telle interprétation reviendrait à ajouter des termes qui ne figurent pas à l’article 135 de la Loi. De la même manière, l’argument du demandeur reviendrait à mon avis à ajouter des termes à l’ancien paragraphe 126(6), lequel, comme je l’ai déjà indiqué, prévoyait que les réexamens devaient s’effectuer selon les modalités du paragraphe 125(3) lorsque la libération conditionnelle au titre de la PEE était refusée. Cependant, ces dispositions ne spécifiaient pas que ces réexamens devaient s’effectuer suivant les critères relatifs à la PEE, comme le prétend le demandeur.

[59]  Je note à cet égard, comme l’a fait la Section d’appel, que lorsque la Commission et le comité doivent ordonner la remise en liberté d’un délinquant en vertu de la PEE, qu’il s’agisse d’une semi-liberté aux termes de l’article 126.1, ou d’une libération conditionnelle totale, aux termes des paragraphes 126(2) et 126(5), respectivement, ils le font expressément « [p]ar dérogation à l’article 102 », qui prévoit, comme nous l’avons vu, l’application des critères ordinaires d’examen en vue d’une libération conditionnelle. Il n’existe pas de telle clause dérogatoire visant les réexamens effectués, au titre de l’ancien paragraphe 126(6), selon les modalités du paragraphe 125(3).

[60]  Ce qui nous amène à la seconde critique principale que le demandeur formule à l’encontre de l’interprétation de la Loi retenue par la Section d’appel. Comme je l’ai déjà indiqué, ce dernier fait valoir que le législateur, en faisant spécifiquement référence au paragraphe 123(5) dans l’ancien paragraphe 126(6), n’a modifié que les délais relatifs aux réexamens envisagés dans cette disposition, et non les critères sur la base desquels la Commission effectuerait ces réexamens. De ce fait, soutient-il, même si les délais du régime ordinaire s’appliquent à présent en vertu de l’ancien paragraphe 126(6), il n’en va pas de même des critères de ce régime. Il avance que si le législateur avait voulu que ces critères s’appliquent, au lieu de ceux de la PEE, il l’aurait indiqué expressément ou du moins il aurait fait référence à l’ensemble de l’article 123.

[61]  Cette observation pose deux problèmes. Premièrement, elle n’explique pas pourquoi le législateur a expressément exclu les critères du régime ordinaire lorsqu’il s’agissait de décider, aux termes des anciens paragraphes 126(2) ou 126(4), si un délinquant admissible à la PEE devait être mis en liberté conditionnelle, mais ne l’a pas fait à l’égard des réexamens effectués en vertu du paragraphe 126(6) lorsqu’une libération conditionnelle au titre de la PEE a été refusée initialement. Cette structure indique plutôt l’intention de ne pas exclure les critères du régime ordinaire du processus d’examen envisagé par l’ancien paragraphe 126(6).

[62]  Deuxièmement, il existe un lien étroit et logique entre le paragraphe 123(5) et l’ancien paragraphe 126(6), puisqu’ils concernent tous deux l’étape suivant un refus initial de libération conditionnelle, à savoir le droit de bénéficier d’un réexamen dans un délai précis. À cet égard, les autres dispositions de l’article 123 ne sont d’aucun secours au demandeur puisqu’elles prévoient des parties, des étapes et des délais différents par rapport au processus d’examen en vue d’une libération conditionnelle totale, le réexamen suivant le rejet initial de la semi-liberté ou de la libération conditionnelle totale étant l’un d’eux. En particulier, l’article 123 ne spécifie pas les critères applicables à ce processus, contrairement à l’article 102. Dans ce contexte, une référence générale à l’article 123 dans l’ancien paragraphe 126(6) aurait probablement semblé étrange de la part du législateur.

[63]  Cela indique, à mon avis, que rien dans les dispositions en cause – et dans la Loi en général – ne vient appuyer l’idée qu’un processus disjoint régisse les réexamens envisagés par l’ancien paragraphe 126(6), dont un aspect serait inspiré du régime ordinaire, et l’autre du régime de la PEE. Comme nous l’avons vu, les faits législatifs eux-mêmes ne confirment en rien un tel point de vue.

[64]  Dans l’ensemble, je suis d’accord avec le défendeur lorsqu’il déclare au paragraphe 53 de ses observations écrites :

[traduction]

Une interprétation plus cohérente des paragraphes 126(6) et (8) serait que les délinquants qui n’obtiennent pas de libération conditionnelle au titre de la PEE, ou dont ladite libération a ensuite été révoquée ou a pris fin, font l’objet d’un réexamen aux termes des articles 122 ou 123 de la [Loi]. Le paragraphe 126(8) appuie en fait l’interprétation voulant que l’article 126 accorde au délinquant une seule possibilité de mise en liberté conditionnelle au titre de la PEE. Si le délinquant n’est pas mis en liberté sous condition au titre de la PEE, ou qu’il y a cessation ou révocation de sa libération conditionnelle, il n’est donc plus visé par l’article 126. Cette interprétation de la PEE comme une occasion unique pour le délinquant d’obtenir une libération conditionnelle de manière expéditive est d’ailleurs étayée par l’historique législatif des dispositions relatives à cette procédure.

[Non souligné dans l’original.]

[65]  Le droit à la liberté invoqué par le demandeur ne modifie pas les règles d’interprétation, surtout s’il a pu se prévaloir de la PEE. Il y a eu accès. La question en l’espèce était de savoir si l’interprétation de la Commission et de la Section d’appel d’après laquelle la PEE était épuisée une fois que la libération conditionnelle au titre de ce régime a été refusée appartient aux issues possibles et acceptables. Non seulement suis-je convaincu que c’est le cas, mais je suis aussi convaincu, sur la base d’une interprétation téléologique et contextuelle, que c’est là l’interprétation correcte.

[66]  La PEE visait à donner à une catégorie de délinquants primaires non violents [traduction] « une dernière chance de montrer qu’ils peuvent prendre les mesures pour mettre de l’ordre dans leur vie et devenir rapidement des membres de la société respectueux des lois » (dossier du défendeur, à la page 36) (non souligné dans l’original) Le législateur n’a simplement pas envisagé l’idée que des délinquants admissibles à la PEE et ayant bénéficié de cette chance, mais dont il a établi qu’ils risquaient de commettre un crime accompagné de violence, obtiennent une seconde chance d’être évalués suivant les critères moins stricts de cette procédure.

[67]  Pour tous ces motifs, la demande de contrôle judiciaire du demandeur est rejetée et les dépens sont adjugés au défendeur. Ce dernier a suggéré à l’audience que le montant de ceux-ci soit fixé à 500 $. C’est la somme que le juge Barnes, dans Ye 2016, avait ordonné au demandeur de payer. Ce montant me semble raisonnable.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée et que les dépens s’élevant à 500 $ sont adjugés au défendeur.

« René LeBlanc »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T ‑1456‑16

 

INTITULÉ :

YONG LONG YE c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

le 11 janvier 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

le juge LEBLANC

 

DATE DES MOTIFS :

le 7 juillet 2017

 

COMPARUTIONS :

Bibhas Vaze

 

POUR Le demandeur

 

Mark E. W. East

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Conroy & Company

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Nathalie G. Drouin

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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