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Date : 20161114


Dossier : T-1390-16

Référence : 2016 CF 1269

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Vancouver (Colombie‑Britannique), le 14 novembre 2016

En présence du protonotaire Roger R. Lafrenière

ENTRE :

DARREN OMAN

demandeur

et

HUDSON BAY PORT COMPANY

S/N PORT DE CHURCHILL

défenderesse

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]               Le 18 août 2016, le demandeur, Darren Oman, a introduit une action en dommages‑intérêts contre la défenderesse, Hudson Bay Port Company, pour congédiement injustifié ou déguisé. Voici un résumé des principaux faits allégués dans la déclaration.

I.                   Allégations présentées dans la déclaration

[2]               Depuis 2008, le demandeur travaillait comme débardeur pour la défenderesse, une société constituée en vertu d’une loi fédérale qui s’occupe des activités de transport au port de Churchill, au Manitoba. À titre d’employé, le demandeur était également membre de l’Alliance de la Fonction publique du Canada, UCET, section locale 50503 (l’AFPC), qui avait conclu une convention collective régissant la relation entre les parties (la convention collective).

[3]               Le 3 décembre 2013, la défenderesse a mis fin à l’emploi du demandeur pour des raisons disciplinaires. Le demandeur a formulé un grief à l’encontre de la mesure disciplinaire, et l’affaire a été soumise à l’arbitrage, conformément aux modalités de la convention collective. Le 15 décembre 2015, un arbitre a conclu que le demandeur avait été congédié injustement et a ordonné à la défenderesse de réintégrer le demandeur au début de la saison de 2016.

[4]               En raison de préoccupations pour sa santé et sa sécurité, et par crainte de subir des représailles de la part de la défenderesse, le demandeur a présenté une lettre, le 18 mars 2016, dans laquelle il a offert de renoncer à son droit de retourner au travail en échange du remboursement du salaire perdu et de dommages-intérêts punitifs. Le demandeur prétend que la défenderesse n’a pas répondu à sa lettre, mais qu’elle a plutôt informé l’AFPC qu’elle engagerait des poursuites contre le demandeur.

[5]               Le demandeur allègue que la défenderesse l’a [traduction] « congédié injustement et/ou de façon déguisée sans justification et sans avis ou sans avis raisonnable » le 16 juin 2016 ou vers cette date en lui envoyant une lettre qui modifiait ses conditions de travail [traduction] « unilatéralement et de manière appréciable ». Selon le demandeur, on lui a offert un poste moins bien rémunéré, et son emploi était conditionnel à l’issue d’une audience disciplinaire.    

[6]               Le demandeur a traité la conduite de la défenderesse comme un acte de résiliation de son contrat d’emploi. Puisqu’il n’a pas été réintégré, comme l’arbitre l’avait ordonné, le demandeur ne s’estimait pas lié par la procédure de règlement des griefs prévue dans la convention collective, et il a conclu qu’il avait qualité pour engager une action civile.

II.                Requête en radiation présentée par la défenderesse

[7]               Le demandeur réclame des dommages-intérêts généraux, spéciaux et punitifs, parce que la défenderesse a procédé au congédiement [traduction« d’une façon dure, vengeresse, répréhensible et malicieuse qui constituait une violation arbitraire et délibérée du contrat d’emploi du demandeur ».

[8]               La défenderesse a présenté une requête en radiation de la déclaration en vertu du paragraphe 221(1) des Règles des Cours fédérales [les RCF] au motif que la Cour fédérale n’a pas compétence pour trancher les allégations ou pour accorder la réparation demandée dans la déclaration et que la procédure constitue un abus de procédure.

[9]               S’agissant d’une requête en radiation d’un acte de procédure aux termes du paragraphe 221(1) des RCF, le critère à appliquer est de savoir s’il est « évident et manifeste » que la déclaration ne révèle aucune cause d’action valable : Hunt c Carey, 1990 CanLII 90 (CSC), [1990] 2 RCS 959, [1990] ACS n93, au paragraphe 32 (QL). Le critère du caractère « évident et manifeste » s’applique à la radiation des actes de procédure pour défaut de compétence de la même manière qu’il s’applique à la radiation d’un acte de procédure au motif qu’il ne révèle aucune cause d’action valable. Le défaut de compétence doit être « évident et manifeste » pour justifier la radiation des actes de procédure à la présente étape préliminaire.

[10]           Le paragraphe 221(2) prévoit qu’aucune preuve n’est admissible dans le cadre d’une requête en radiation d’une déclaration au motif qu’elle ne révèle aucune cause d’action. Par contre, lorsque la requête est fondée sur le défaut de compétence, elle peut s’appuyer sur une preuve : Mil Davie Inc c Société d’Exploitation et de Développement d’Hibernia Ltée, 1998 CanLII 7789 (CAF), [1998] ACF n614, 226 NR 369 (CAF).

[11]           À l’appui de sa requête, la défenderesse a déposé l’affidavit de Jeffrey McEachern, souscrit le 12 octobre 2016 (l’affidavit de M. McEachern), qui énonce les éléments de preuve qui se rapportent à l’emploi du demandeur auprès de la demanderesse. Il s’agit d’une copie de la convention collective conclue entre la défenderesse et l’AFPC qui régit les parties; les détails concernant la cessation de l’emploi du demandeur le 3 décembre 2013 et le grief présenté par l’AFPC pour le compte du demandeur; une copie de la décision arbitrale rendue le 15 décembre 2015 et annulant le congédiement et y substituant une période de suspension jusqu’au printemps suivant; et un résumé des événements survenus après que la décision arbitrale a été rendue. Comme l’affidavit de M. McEachern établit les faits nécessaires relatifs à la compétence de la Cour, je suis convaincu que la Cour est dûment saisie de la preuve dans le cadre de la présente requête.

III.             Questions en litige

[12]           Aux paragraphes 23 à 31 de la déclaration, le demandeur allègue qu’il a été congédié injustement ou de façon déguisée le 16 juin 2016 ou vers cette date. La présente requête ne vise pas à contester les allégations formulées par le demandeur. Il a, bien entendu, droit à son opinion et à ses croyances. La question dont je suis saisi est simplement celle de savoir si la Cour a compétence pour entendre la demande du demandeur.

IV.             Analyse

[13]           Le demandeur fait valoir qu’il n’était pas un employé lorsqu’il a reçu la lettre de la défenderesse datée du 16 juin 2016. Selon le demandeur, la conduite de la défenderesse constituait une violation de contrat préalable à l’emploi, et elle est au cœur de sa cause d’action. Cependant, le demandeur soulève des arguments et adopte des positions juridiques qui ne sont pas étayés par des éléments de preuve.

[14]           La preuve non contredite dont je suis saisi établit que le demandeur était un employé au moment de la cessation d’emploi alléguée, à savoir en juin 2016. Le congédiement antérieur du demandeur avait été annulé le 15 décembre 2015 par un arbitre, qui lui a substitué une période de suspension se terminant au printemps suivant. Il s’ensuit que le demandeur a été réintégré immédiatement comme employé (même s’il était suspendu) et qu’il pouvait se prévaloir des droits accordés aux employés mis en disponibilité aux termes des articles 11.03, 11.06 et 9.04(d) de la convention collective.

[15]           Le 18 mars 2016, le demandeur a écrit une lettre à la défenderesse, comme il est allégué au paragraphe 20 de la déclaration. Le demandeur a toutefois omis de mentionner qu’il avait demandé à la défenderesse de lui verser la somme de 265 000 $ à titre d’arriéré de salaire, d’intérêts et de dommages-intérêts [traduction] « pour tous les torts, la douleur et l’humiliation » dont sa famille et lui ont souffert en raison de la [traduction] « discrimination dont la défenderesse a fait preuve lors de l’arbitrage ». Il a également omis de mentionner qu’il avait offert de [traduction] « tout abandonner pour oublier les torts, la douleur et l’humiliation » que la défenderesse lui causait depuis deux ans et demi, en échange du versement d’une somme de 530 000 $, faute de quoi il [traduction] « rendrait l’affaire publique et appellerait toutes les stations de nouvelles et les journalistes du pays pour leur parler des tactiques discriminatoires employées par [la défenderesse] pour violer [ses] droits et libertés » lors de l’audience d’arbitrage.

[16]           Le 16 juin 2016, la défenderesse a écrit au demandeur, conformément à l’article 11 de la convention collective, pour lui donner un avis de rappel au travail. Le demandeur a été informé que s’il avait l’intention d’accepter le rappel au travail, une entrevue disciplinaire serait menée avant son retour au travail avec des représentants syndicaux pour discuter de la lettre qu’il avait envoyée à la défenderesse pendant la saison morte.

[17]           Le demandeur n’est pas retourné au travail. Le 5 juillet 2016, le vice-président de la section locale de l’AFPC a envoyé une lettre indiquant ce qui suit : [traduction] « [e]n l’absence de démission de la part de M. Oman, la présente lettre constituera sa démission [...] » L’emploi du demandeur a pris fin le 8 juillet 2016. Aucun grief n’a été présenté par le demandeur à l’égard des questions soulevées après que la décision arbitrale a été rendue.

[18]           L’action en responsabilité délictuelle intentée par le demandeur pour congédiement injustifié ou congédiement déguisé n’est pas recevable, car les dispositions de la convention collective sont larges et régissent expressément la conduite qui est au cœur du litige. Le législateur a créé des institutions et des recours légaux conçus spécialement pour offrir une réparation aux personnes lésées, et les tribunaux ne devraient pas intervenir à la légère avant que tous ces recours prévus par la loi aient été épuisés – et même dans ce cas, cela ne peut se faire que par voie de contrôle judiciaire.  

[19]           Les demandes à l’égard desquelles les tribunaux ne sont pas compétents portent sur le congédiement injustifié, le congédiement déguisé et toute une gamme de différends en milieu de travail qui sont régis par une convention collective. Dans l’arrêt de principe Weber c Ontario Hydro, 1995 CanLII 108 (CSC), [1995] 2 RCS 929 [Weber], la Cour suprême du Canada a conclu que, lorsque l’objet d’un différend est visé par un régime prévu par la loi ou une convention collective, le tribunal devrait, en règle générale, s’en remettre aux mécanismes établis par le régime applicable (paragraphes 50 à 58 et 67).

[20]           La compétence de la Cour fédérale est d’origine législative. Le critère à trois volets pour pouvoir conclure à la compétence de la Cour fédérale a été établi dans ITO International Terminal Operators Ltd c Miida Electronics Inc, 1986 CanLII 91 (CSC), [1986] 1 RCS 752, à la page 766. Les conditions suivantes doivent être réunies : (1) il doit y avoir attribution de compétence par une loi du Parlement; (2) il doit exister un ensemble de règles de droit fédérales qui soit essentiel à la solution du litige; (3) la loi doit être une loi du Canada. Dans Canadian Pacific Ltd c United Transportation Union, [1979] 1 CF 609, la Cour d’appel fédérale a conclu qu’une réclamation découlant d’une convention collective était présentée en vertu d’une « loi fédérale » au sens de l’article 23 de la Loi sur la Cour fédérale, parce que les conventions collectives étaient visées par le Code canadien du travail. Par contre, la Cour a également conclu que le Code canadien du travail confère aux arbitres du travail la compétence exclusive pour régler les litiges des parties, ce qui a été confirmé par la suite dans Weber.

[21]           Dans l’arrêt Vaughan c Canada, [2005] 1 RCS 146, 2005 CSC 11 (CanLII), la Cour suprême a souligné qu’il fallait s’attacher non pas à la qualité juridique du tort, mais aux faits qui donnent naissance au litige pour décider s’il y a un autre recours adéquat (paragraphe 11). Sauf dans les circonstances les plus inhabituelles, le tribunal devrait se déclarer incompétent et s’en remettre aux régimes de règlement des griefs prévus par la loi (paragraphe 2).

[22]           Le fondement des allégations formulées par le demandeur dans la déclaration se rapporte à un conflit de travail entre un employé et son employeur. Les allégations énoncées aux paragraphes 7 à 15 ont déjà été tranchées et sont chose jugée. Le reste des allégations se rapportent aux événements qui sont survenus après que la décision arbitrale a été rendue. Ces questions sont expressément visées par la procédure de règlement des griefs.

[23]           Le demandeur avait parfaitement le droit de déposer un grief pour contester la décision de son employeur de mettre fin à son emploi, comme le prévoit expressément l’article 7 de la convention collective. Le demandeur doit épuiser ces recours avant de pouvoir s’adresser au tribunal. Même dans ce cas, la réparation doit être demandée par voie de contrôle judiciaire et non par voie d’action. Subsidiairement, il aurait pu prendre des mesures pour faire exécuter la décision de l’arbitre s’il estimait que la lettre du 16 juin 2016 de la défenderesse contrevenait à l’ordonnance de réintégration.

V.                Conclusion

[24]           Compte tenu de ce qui précède et pour les motifs énoncés dans les observations écrites de la défenderesse, que j’adopte et reprends à mon compte, je conclus qu’il est évident et manifeste que la Cour fédérale n’a pas la compétence pour instruire la demande du demandeur. Par conséquent, la déclaration est radiée en totalité.

[25]           Quant aux dépens, je ne vois aucune raison de déroger à la règle générale selon laquelle ils devraient suivre l’issue de la cause. La défenderesse a demandé que les dépens soient accordés sur la base avocat-client au motif que l’action du demandeur est scandaleuse, frivole et vexatoire et qu’elle constitue un abus de procédure. Cependant, les dépens avocat-client ne doivent être accordés que dans des circonstances exceptionnelles et seulement lorsqu’une partie se livre à des agissements qui méritent une sanction, c’est-à-dire, lorsqu’elle adopte une conduite qui a souvent été qualifiée de « répréhensible, scandaleuse ou outrageante » : Young c Young, 1993 CanLII 34 (CSC), [1993] 4 RCS 3, au paragraphe 66; Louis Vuitton c Lin Pi-Chu Yang, 2007 CF 1179 (CanLII), au paragraphe 55; Chrétien c Gomery, 2011 CAF 53 (CanLII), au paragraphe 3. La défenderesse n’a pas établi que le demandeur avait adopté une telle conduite. Dans l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire, je fixe par la présente les dépens de la requête et de l’action au montant forfaitaire de 1 000 $, y compris les débours et les taxes.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que :

1.                  la déclaration soit radiée, sans autorisation de la modifier.

2.                  les dépens de la requête, fixés par la présente à 1 000 $, débours et taxes compris, soient versés par le demandeur à la défenderesse.

« Roger R. Lafrenière »

Protonotaire


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1390-16

 

INTITULÉ :

DARREN OMAN c HUDSON BAY PORT COMPANY S/N PORT DE CHURCHILL

 

REQUÊTE PRÉSENTÉE PAR ÉCRIT ET EXAMINÉE À VANCOUVER (COLOMBIE‑BRITANNIQUE), CONFORMÉMENT À LA RÈGLE 369

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE PROTONOTAIRE LAFRENIÈRE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 14 NOVEMBRE 2016

 

COMPARUTIONS :

CHRISTINA J. COOK

 

POUR LE DEMANDEUR

DARREN OMAN

 

PAUL D. EDWARDS

POUR LA DÉFENDERSSE

HUDSON BAY PORT COMPANY

S/N PORT DE CHURCHILL

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

CHRISTINA J. COOK

Wilder Wilder Langtry

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LE DEMANDEUR

DARREN OMAN

 

PAUL D. EDWARDS

Duboff Edwards Haight & Schachter

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LA DÉFENDERSSE

HUDSON BAY PORT COMPANY

S/N PORT DE CHURCHILL

 

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