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Date : 20170512


Dossier : IMM-2938-16

Référence : 2017 CF 493

Ottawa (Ontario), le 12 mai 2017

En présence de monsieur le juge Mosley

ENTRE :

JOAO BAYEKULA NZUNGU

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Nature de l’affaire

[1]               Le demandeur a fait une demande de contrôle judiciaire, en effet, de trois décisions : (1) une décision sur l’irrecevabilité de sa demande de statut de réfugié sous le paragraphe 101(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR]; (2) le rapport d’interdiction de territoire pris en vertu du paragraphe 44(1) de la LIPR ; ainsi que (3) la mesure d’exclusion prise contre lui en vertu de l’article 228 du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [RIPR].

[2]               Cette demande de contrôle judiciaire est présentée en vertu de l’article 72 de la LIPR. L’autorisation d’intenter un contrôle judiciaire a uniquement été accordée sur la décision de l’irrecevabilité de la demande de statut de réfugié.

II.                Les faits

[3]               Le demandeur n’a pas présenté d’affidavit en son nom au soutien de sa demande, alléguant un manque de fonds et le fait qu’il a été refoulé aux États-Unis. Le seul affidavit au soutien de la demande est celui du prétendu neveu du demandeur. Cet affidavit reprend les arguments juridiques avancés par le demandeur dans son mémoire et est majoritairement dépourvu de faits.

[4]               Le demandeur, M. Joao Bayekula Nzungu, est originaire de la République d’Angola.

[5]               M. Nzungu est arrivé aux États-Unis à l’aide d’un visa pour participer à une conférence dans le cadre de son emploi. Après son arrivée, il a séjourné durant quelques mois dans l’État de New York.

[6]               Le 24 juin 2016, le demandeur s’est présenté au poste frontalier de Fort Erie, en provenance des États-Unis, pour demander le statut de réfugié. Il disait y rencontrer son prétendu neveu, M. Nsimba Afonso, citoyen canadien, et donc bénéficierait d’une exception familiale à l’irrecevabilité de sa demande.

[7]               Après avoir interrogé le demandeur et, par téléphone, M. Afonso, l’agent a conclu que le demandeur n’avait pas prouvé de lien de parenté avec M. Afonso. Ce faisant, n’ayant pas de famille au Canada, sa demande a été jugée irrecevable par le délégué du ministre, sur rapport de l’agent.

[8]               Le même jour, l’agent a préparé un rapport aux termes du paragraphe 44(1) de la LIPR selon lequel il était d’avis que le demandeur était interdit de territoire pour manquement aux exigences de la loi au sens de l’article 41 de la LIPR. Le délégué du ministre a ensuite pris une mesure d’exclusion aux termes de l’article 228 du RIPR. Le demandeur a ensuite été refoulé vers les États-Unis.

III.             Décision contestée

[9]               Le délégué du ministre a conclu, sur la base des recommandations de l’agent, selon lesquelles le demandeur n’avait pas de famille au Canada, que sa demande de statut de réfugié de ne pouvait être déférée à la Section de protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. N’ayant pas de famille au Canada au sens de l’article 159.5 du RIPR et étant entrée par voie terrestre via les États-Unis, tiers pays sûr désigné sous l’alinéa 101(1)(e) de la LIPR et l’article 159.3 du RIPR, sa demande a été jugée irrecevable.

IV.             Questions en litige

[10]           Les questions en litige sont les suivantes :

1.      L’agent a-t-il violé les principes d’équité procédurale ?

2.      La décision du délégué du ministre est-elle déraisonnable ?

V.                Analyse

A.                La norme de contrôle

[11]           Les questions en litige ayant trait à l’équité procédurale sont révisées sous la norme de la décision correcte (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 43).

[12]           La légalité de la décision, en l’absence d’une question d’importance pour le système à l’extérieur de l’expertise des décideurs, comme c’est le cas en l’espèce, est révisable sous la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 60 [Dunsmuir]). Suivant cette norme, la Cour interviendra seulement si la décision n’est pas justifiable, transparente, ou intelligible, ainsi que si elle ne fait pas partie des issues possibles au regard des faits et du droit (Dunsmuir au para 47).

(1)               L’agent a-t-il violé les principes d’équité procédurale ?

[13]           Premièrement le demandeur soumet que l’agent a commis “une erreur de droit et de fait” en ne donnant pas d’avis au demandeur de son droit de demander l’autorisation et d’intenter le contrôle judiciaire soit au moment de rendre ses décisions, ou après avoir rendu celles-ci. Le demandeur soumet que ces erreurs constituent des violations à l’équité procédurale puisqu’il aurait été “dépourvu des recours dont il bénéficie en vertu de la Loi”.

[14]           Le demandeur n’avance aucun argument juridique pour fonder ses prétentions, ni aucune autorité. Il se réfère uniquement aux Bulletins et guides opérationnels ENF 6 “Par. 5.4 Avis aux intéressés de leur droit d’interjeter appel / de déposer une demande de contrôle judiciaire” de Citoyenneté et Immigration Canada. Bizarrement, il semble que ce guide opérationnel n’est plus publié par le ministère puisqu’il a été retiré de son site internet. De plus, celui-ci concerne la procédure administrative entourant les rapports aux termes du paragraphe 44(1) de la LIPR et non l’irrecevabilité de sa demande de statut de réfugié. De surcroit, l’avis en question, soit celui du droit d’intenter un contrôle judiciaire, ne figure pas dans la section portant sur l’équité procédurale dans le guide en question. Ce faisant, le fait que le demandeur se trouve actuellement en contrôle judiciaire des décisions rendues à son endroit rend nécessairement la question théorique (Borowski v Canada (Attorney General), [1989] 1 SCR 342, [Borowski]). Le demandeur a été informé de ses droits d’une façon ou d’une autre. Il n’a perdu aucun droit ou recours. Dans les circonstances, la Cour ne voit aucune raison à déterminer la question.

[15]           Deuxièmement, le demandeur prétend de ne pas avoir véritablement bénéficié de son droit à un interprète. Il soutient que l’agent qui l’a interrogé lui a posé des questions en français avant l’arrivée de son interprète portugais. L’agent aurait ensuite utilisé les réponses du demandeur pour relever des incohérences durant l’entrevue formelle. Le demandeur soutient aussi que le dossier certifié est incomplet puisque les questions supposément posées par l’agent avant l’entrevue ne figurent nulle part dans les notes de l’agent. Le demandeur n’avance aucun argument juridique ni précédent, au soutien de sa prétention.

[16]           Il faut rappeler que  la Cour n’a pas reçu d’affidavit de la part du demandeur et que cette prétention provient uniquement des représentations écrites et orales de son avocat.

[17]           Le demandeur a objectivement eu droit à un interprète. Le demandeur a d’ailleurs signé une déclaration à cet effet. Il a aussi explicitement affirmé, à deux reprises, en réponse aux questions de l’agent, qu’il comprenait l’interprète.

[18]           La seule preuve qui pourrait fonder la prétention du demandeur selon laquelle l’agent l’aurait questionné avant l’arrivée de l’interprète et aurait utilisé sa réponse contre lui est une question portant sur le statut conjugal du demandeur dans les notes de l’agent. À première vue, la question suggère que l’agent aurait posé une question au demandeur concernant sa conjointe avant l’entrevue lors de laquelle le demandeur bénéficiait d’une traduction.

[19]           En l’absence de déclaration de la part du demandeur lui-même, ou de l’agent, il n’y a aucune preuve, autre que les questions et réponses dont nous avons la transcription, qui puisse démontrer qu’une question aurait été posée préalablement. Or, le fardeau de la preuve repose sur la demande.

[20]           Malgré que cette question est problématique, la réponse n’a pas été déterminante, ni même mentionnée pas par le délégué du ministre dans sa décision sur l’irrecevabilité de la demande de statut de réfugié. La question de son statut conjugal ne lui a pas été préjudiciable. Ne portant pas sur son lien de parenté avec M. Afonso, elle n’a pas, à elle seule, mené au rejet de sa demande. Les notes de l’agent contenaient plusieurs incohérences relevées dans le témoignage du demandeur. Ces notes se basaient sur les questions posées en entrevue et constituaient le fondement de sa recommandation au délégué du ministre.

[21]           Au final, le demandeur a objectivement pu bénéficier à son droit à un interprète et, en l’absence de toute preuve de sa part, la Cour ne peut valablement conclure à une violation de l’équité procédurale en l’espèce.

[22]           Finalement, le demandeur soutient que l’agent a violé les principes d’équité procédurale en interrogeant le prétendu neveu du demandeur en anglais, plutôt qu’en français, tel qu’il l’aurait demandé. Une fois de plus, il ne présente aucun argument juridique ni précédent au soutien de sa prétention.

[23]           L’affidavit du prétendu neveu du demandeur ne fait qu’énoncer le fait que son choix de langue officielle lui a été refusé. Il n’y a rien dans la preuve qui permet d’étayer cet argument. De plus, les notes de l’agent, incluant les passages concernant le prétendu neveu, sont en français. Il n’y a donc eu aucune une violation aux droits procéduraux du demandeur.

(2)               La décision du délégué du ministre est-elle déraisonnable?

[24]           L’ensemble des prétentions du demandeur repose sur des manquements allégués à l’équité procédurale. Il soutient que les erreurs susmentionnées rendent déraisonnable la décision d’irrecevabilité. Or, il ne présente aucun argument juridique ni autorité, pour soutenir sa prétention.

[25]           En l’espèce, l’agent a posé plus de 70 questions au demandeur. Celles-ci portaient tant sur lui et sa famille, que sur la raison et le lieu de ses déplacements aux États-Unis. Se fondant sur les questions qu’il a posées, l’agent a noté 14 points problématiques dans le témoignage du demandeur, certains points entrant en conflit avec le témoignage de M. Afonso.

[26]           L’élément essentiel de la recommandation de l’agent était que le demandeur n’a pas démontré que M. Afonso était véritablement son neveu et, ce faisant, que le demandeur ne pouvait pas bénéficier de l’exception familiale prévue à l’article 159.5 du RIPR à l’irrecevabilité de sa demande prévue sous 101(1)(e) de la LIPR.

[27]           L’agent n’a pu notamment confirmer l’authenticité de la documentation fournie par M. Afonso pour prouver son lien de parenté avec le demandeur. Le demandeur s’est d’ailleurs mépris dans le nom de son prétendu neveu à plus d’une reprise. De plus, leurs versions sur la fréquence de leurs communications divergeaient, sans compter que le but de la visite au Canada du demandeur était inconnu de M. Afonso.

[28]           Le délégué du ministre a noté que le demandeur prétendait avoir un neveu au Canada, soit M. Afonso. Le demandeur a tenté de présenter un certificat de naissance pour son neveu. Celui-ci n’a pu être authentifié, notamment en raison de son manque de marques de sécurité. Le demandeur n’a pu donner d’informations spécifiques sur les membres de sa famille, incluant M. Afonso. Le délégué a noté que plusieurs divergences ont été relevées dans les entrevues des deux hommes. Le délégué du ministre a conclu que le demandeur n’avait pas démontré qu’il avait de la famille au Canada. Il a donc conclu à l’irrecevabilité de la demande de statut de réfugié du demandeur. Cette conclusion faisait partie des issues possibles dans les circonstances.

[29]           En somme, le demandeur n’a allégué ni démontré aucune erreur susceptible de révision dans la décision sur l’irrecevabilité de sa demande de statut de réfugié. En l’absence d’erreur susceptible de révision, il n’est pas le rôle de cette Cour de se substituer au décideur administratif (Khosa au para 59 ; Newfoundland and Labrador Nurses' Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 au para 15).

VI.             Conclusion

[30]           Pour ces raisons, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT dans IMM-2938-16

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a aucune question d’importance générale à certifier.

« Richard G. Mosley »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2938-16

INTITULÉ :

JOAO BAYEKULA NZUNGU c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 14 mars 2017

JUGEMENT et MOTIFS:

LE JUGE mosley

DATE DES MOTIFS :

LE 12 mai 2017

COMPARUTIONS :

Alain Tayeye

Pour le demandeur

Diya Bouchedid

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Alain Tayeye

Avocat et Notaire

Ottawa (Ontario)

Pour le demandeur

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

Pour le défendeur

 

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