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Date : 20170328


Dossier : IMM-3706-16

Référence : 2017 CF 323

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 28 mars 2017

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

EDISON JAMES NWABUEZE

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’un examen des risques avant renvoi (ERAR) effectué par un agent d’immigration (l’agent chargé de l’ERAR) le 18 août 2016 au terme duquel il a conclu que le demandeur ne risquait pas de faire l’objet de torture, de persécution, de menace de mort ou de peine ou de traitement cruel et inusité s’il était renvoyé au Nigéria, son pays d’origine.

[2]  Comme il est expliqué plus en détail ci-dessous, la présente demande est accueillie, parce que, dans son analyse, l’agent chargé de l’ERAR ne présente aucune explication valable pour avoir pris une décision différente de celle de l’agent ayant examiné la demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire présentée par le demandeur, à l’égard de la question de savoir si le demandeur appartenait au « Mouvement pour l’actualisation de l’État souverain du Biafra » (MASSOB).

II.  Résumé des faits

[3]  Le demandeur, Edison James Nwabueze, est citoyen du Nigéria. Il est arrivé au Canada le 2 novembre 2006, et a présenté une demande d’asile fondée sur sa crainte d’être persécuté en raison de son appartenance à l’organisation politique du MASSOB. Sa demande d’asile a été rejetée le 27 juin 2008, car la Section de la protection des réfugiés a conclu qu’il n’était pas crédible dans ses allégations d’appartenance au MASSOB et de crainte de retourner au Nigéria parce que la police et des agents de sécurité le recherchaient. La Cour fédérale a subséquemment rejeté la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de cette décision présentée par M. Nwabueze.

[4]  M. Nwabueze réside maintenant au Canada depuis près d’une dizaine d’années et a présenté des demandes de résidence permanente fondées sur des considérations d’ordre humanitaire. Sa dernière demande a été rejetée le 12 mai 2016 pour des motifs de sécurité entourant son appartenance au MASSOB. L’agent ayant examiné la demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire a conclu que M. Nwabueze était interdit de territoire en vertu de l’alinéa 34(1)f) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR). Cette décision a récemment été infirmée lors d’un contrôle judiciaire, en raison des préoccupations liées à l’équité procédurale, parce que l’agent ayant examiné la demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire s’était fondé sur des renseignements qui n’avaient pas été communiqués à M. Nwabueze pour conclure que le MASSOB était une organisation terroriste (Nwabueze c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 26). Dans cette demande de contrôle judiciaire, M. Nwabueze n’a pas nié son implication dans le MASSOB.

[5]  M. Nwabueze a aussi déposé une demande d’ERAR le 26 mars 2014, en déclarant craindre d’être persécuté par le gouvernement nigérian en raison de son appartenance au MASSOB, ainsi que par le public et le gouvernement en raison de sa séropositivité pour le VIH. Sa demande d’ERAR a été rejetée le 13 juillet 2016 par la décision qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

III.  Questions en litige

[6]  Le demandeur soumet à la Cour les questions suivantes aux fins d’examen :

  1. Quelle est la norme de contrôle applicable?

  2. La conclusion de l’agent chargé de l’ERAR selon laquelle le demandeur n’appartenait pas au MASSOB était-elle déraisonnable?

  3. L’agent chargé de l’ERAR a-t-il commis une erreur en concluant que le demandeur n’était exposé à aucun risque au Nigéria du fait de sa séropositivité pour le VIH?

IV.  Discussion

[7]  Il n’est pas contesté entre les parties, et la Cour est d’accord, que la norme de contrôle applicable aux questions de fond soulevées en l’espèce, qui concernent l’évaluation de la preuve présentée dans la demande d’ERAR qu’a effectuée l’agent chargé de l’ERAR, est celle de la décision raisonnable (Haq c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 370, au paragraphe 15; Nguyen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 59, au paragraphe 4).

[8]  Ma décision d’accueillir la présente demande repose sur la première question de fond soulevée par M. Nwabueze, selon laquelle l’agent chargé de l’ERAR a commis une erreur susceptible de révision lorsqu’il a conclu que le demandeur n’appartenait pas au MASSOB. Cette erreur consiste, pour l’agent chargé de l’ERAR, à n’avoir présenté aucune explication valable pour justifier sa décision différente de celle de l’agent ayant examiné la demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, à l’égard de la question de savoir si M. Nwabueze appartenait au MASSOB.

[9]  M. Nwabueze y fait référence par courtoisie. À vrai dire, il s’agit d’une erreur d’appellation. Comme l’a souligné le défendeur, le juge Harrington a expliqué au paragraphe 36 de la décision McNally c Canada (Ministre du Revenu national), 2015 CF 767 que la courtoisie, dans un contexte judiciaire, s’applique aux décisions portant sur des points de droit, et non sur des conclusions de fait. En outre, comme le professe la Cour au paragraphe 15 de la décision Siddiqui c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 6 [Siddiqui], qui traitait des décisions contradictoires des commissaires de la Commission de l’immigration et du statut de réfugiés (CISR), aucune exigence juridique stricte n’oblige un décideur à suivre les conclusions de fait d’un autre. C’est particulièrement vrai lorsque la norme de révision reposant sur le caractère raisonnable s’applique.

[10]  Cependant, M. Nwabueze reconnaît ces principes. Il ne soutient pas que l’agent chargé de l’ERAR était tenu de suivre la conclusion de l’agent ayant examiné la demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire selon laquelle il appartenait au MASSOB. Il soutient plutôt que l’agent chargé de l’ERAR était tenu de justifier une conclusion différente par des motifs valables. M. Nwabueze se fonde sur le paragraphe 18 de la décision que le juge Phelan a rendue dans l’affaire Siddiqui :

[18]  Ce qui nuit à la décision de la Commission c’est l’omission de s’exprimer sur les conclusions contradictoires de la décision Memon [décision A5-00256 de la CISR]. Il se pourrait bien que le commissaire ne fût pas d’accord avec les conclusions de la décision Memon et il pourrait avoir de bonnes et solides raisons pour cela. Toutefois, le demandeur a droit, pour des raisons d’équité, à une décision complète, à une explication sur les raisons pour lesquelles le commissaire en cause, après avoir analysé les mêmes documents portant sur la même question, a pu parvenir à une conclusion différente.

[11]  Le défendeur ne conteste pas le fait que ce principe exprimé dans la décision Siddiqui représente l’état actuel du droit, mais il soutient qu’il faut l’envisager dans le contexte particulier de l’espèce, où l’agent chargé de l’ERAR examinait de nouveaux éléments de preuve dont ne disposait pas l’agent ayant examiné la demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, et que l’agent chargé de l’ERAR a présenté une explication raisonnable pour s’être écarté de la conclusion de l’agent ayant examiné la demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire.

[12]  M. Nwabueze reconnaît que l’agent chargé de l’ERAR avait reçu de nouveaux éléments de preuve, qui corroboraient son argumentation selon laquelle il appartenait au MASSOB, dont la Section de la protection des réfugiés ou l’agent ayant examiné la demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire ne disposaient pas. Dans sa décision, l’agent chargé de l’ERAR examine ces nouveaux éléments de preuve de manière approfondie, mais estime qu’ils ont une faible valeur probante et leur accorde peu de poids. L’agent chargé de l’ERAR se penche ensuite sur la conclusion de l’agent ayant examiné la demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, selon laquelle M. Nwabueze ne pouvait, conformément à l’alinéa 34(1)f) de la LIPR, invoquer des considérations d’ordre humanitaire. L’agent fournit deux motifs pour avoir accordé moins de poids à cette conclusion qu’à celle de la Section de la protection des réfugiés, selon laquelle M. Nwabueze n’appartenait pas au MASSOB.

[13]  Le premier motif, c’est que la décision fondée sur l’alinéa 34(1)f) qu’avait rendue l’agent ayant examiné la demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire reposait sur un critère moins strict des motifs raisonnables, tandis que celle de la Section de la protection des réfugiés, tout comme la propre décision de l’agent chargé de l’ERAR, s’appuyait sur la norme de la prépondérance des probabilités. Le deuxième motif, c’est que la décision fondée sur l’alinéa 34(1)f) reposait sur l’allégation d’appartenance au MASSOB qu’avait maintenue M. Nwabueze, tandis que la Section de la protection des réfugiés avait rendu sa conclusion après avoir reçu celui-ci en entrevue et avoir examiné les documents à l’appui qu’il avait présentés.

[14]  M. Nwabueze fait valoir que l’agent chargé de l’ERAR a commis une erreur lorsqu’il a établi la norme applicable à la décision fondée sur l’alinéa 34(1)f). Il soutient que, même si la norme des [traduction] « motifs raisonnables » s’applique à la décision de l’agent ayant examiné la demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire quant à savoir si une organisation s’est livrée à des actes terroristes, elle ne s’applique pas à la décision factuelle portant sur l’appartenance à l’organisation, qui doit être démontrée selon la prépondérance des probabilités (Mugesera c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2005 CSC 40, aux paragraphes 58 et 59). Le défendeur concède que l’agent chargé de l’ERAR semble avoir mal compris ce point, ou qu’à tout le moins, il ne ressort pas clairement de ses motifs qu’il a compris ce point.

[15]  Je retiens la thèse de M. Nwabueze voulant que les motifs démontrent que l’agent chargé de l’ERAR n’a pas bien saisi la norme de preuve applicable à la conclusion factuelle de l’agent ayant examiné la demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Conformément aux obligations prescrites par la décision Siddiqui, le paragraphe de la décision où l’agent chargé de l’ERAR fait référence aux seuils ou aux normes applicables est consacré à l’explication des raisons pour lesquelles la décision diffère de celle de l’agent ayant examiné la demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. La décision particulière de l’agent ayant examiné la demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire sur laquelle l’agent chargé de l’ERAR devait se pencher était la conclusion factuelle, selon laquelle M. Nwabueze appartenait au MASSOB. Par conséquent, la référence au critère moins strict des motifs raisonnables ne peut s’interpréter en toute logique qu’en tant que référence à la norme de preuve applicable à la conclusion factuelle de l’appartenance. À cet égard, l’agent chargé de l’ERAR était manifestement dans l’erreur.

[16]  Le défendeur soutient que cette erreur est négligeable parce que l’agent chargé de l’ERAR a justifié par un deuxième motif la dérogation à la conclusion de l’agent ayant examiné la demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, et plus particulièrement parce que le dossier de la preuve dont disposaient les deux agents était en soi différent et que l’agent chargé de l’ERAR avait eu l’avantage de disposer de nouveaux éléments de preuve.

[17]  Je conclus que ces arguments ne constituent pas un fondement permettant de maintenir la décision malgré l’erreur de l’agent chargé de l’ERAR. Celui-ci a justifié par deux motifs sa dérogation à la conclusion de l’agent ayant examiné la demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Si l’agent chargé de l’ERAR avait compris correctement que la même norme de preuve s’appliquait à la question de l’appartenance au MASSOB dans les deux demandes, il aurait quand même pu tirer une conclusion différente de celle qui concernait la demande pour considérations d'ordre humanitaire. Cependant, la Cour ne peut pas le savoir. M. Nwabueze n’a pas reçu d’explication valable des raisons pour lesquelles l’agent chargé de l’ERAR était parvenu à une conclusion différente, ce à quoi M. Nwabueze a droit conformément à la décision Siddiqui.

[18]  Par ailleurs, j’estime que les nouveaux éléments de preuve ne sont d’aucun recours pour le défendeur au vu des faits de l’espèce. J’admets qu’un dossier de preuve différent puisse représenter un fondement solide pour parvenir à une conclusion qui diffère d’une conclusion antérieure à l’égard de la même question. Cependant, dans le cas qui nous occupe, M. Nwabueze a fait valoir que les nouveaux éléments de preuve étayaient encore plus solidement son allégation selon laquelle il avait appartenu au MASSOB. Même si l’agent chargé de l’ERAR a conclu que les éléments de preuve avaient une valeur probante insuffisante, il ne s’est pas fondé sur les nouveaux éléments de preuve dans le cadre de l’explication ayant mené à une conclusion différente de celle qu’avait tirée l’agent ayant examiné la demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire en fonction du dossier antérieur. Au lieu de cela, lorsqu’il a abordé la conclusion fondée sur l’alinéa 34(1)f), l’agent chargé de l’ERAR a présenté l’explication qui se fondait en partie sur l’erreur entourant la norme de preuve applicable à cette conclusion, ce que j’ai expliqué ci-dessus.

[19]  Je conclus par conséquent que la décision est déraisonnable en raison de l’erreur commise par l’agent chargé de l’ERAR, de sorte qu’il doit être fait droit à la présente demande de contrôle judiciaire et que la demande d’ERAR de M. Nwabueze doit être renvoyée à un autre agent pour nouvel examen. Il est donc inutile que la Cour tire des conclusions à l’égard de l’autre question soulevée par M. Nwabueze, concernant la crainte qu’il allègue en raison de sa séropositivité pour le VIH. Le nouvel examen de sa demande comprendra l’examen de ces allégations.

[20]  Aucune des parties n’a proposé de question aux fins de certification, et aucune question n’est mentionnée.


JUGEMENT

LA COUR accueille la demande de contrôle judiciaire, et l’affaire est renvoyée à un autre agent d’immigration aux fins de nouvel examen. Aucune question n’est certifiée aux fins d’un appel.

« Richard F. Southcott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 26e jour d’août 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3706-16

INTITULÉ :

EDISON JAMES NWABUEZE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 28 février 2017

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SOUTHCOTT

DATE DES MOTIFS :

Le 28 mars 2017

COMPARUTIONS :

Adrienne Smith

POUR LE DEMANDEUR

Teresa Ramnarine

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Adrienne Smith

Avocat

Jordan Battista LLP

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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