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Date : 20170323


Dossier : IMM-2002-16

Référence : 2017 CF 305

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 23 mars 2017

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

PAL PETER ZDRAVIAK

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Résumé

[1]  Le demandeur, M. Zdraviak, est un citoyen de la Hongrie. Il est entré au Canada en mai 2013 et a demandé l’asile au motif de son origine ethnique rome et juive. Entre 2012 et 2014, M. Zdraviak a été accusé et déclaré coupable de plusieurs infractions criminelles, notamment pour voies de fait causant des lésions corporelles. En juillet 2014, il a été déclaré interdit de territoire au Canada pour cause de grande criminalité. Ensuite, on a mis fin à sa demande d’asile et une mesure d’expulsion a été prise contre lui.  

[2]  M. Zdraviak a présenté une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) en avril 2015. Il a prétendu qu’en raison de son origine, il risquait de subir un préjudice aux mains de groupes d’extrême droite et d’une organisation raciste de la Hongrie. L’agent de l’ERAR a conclu que M. Zdraviak n’était pas une personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR). La demande d’ERAR a été rejetée.

[3]  M. Zdraviak fait valoir qu’en rejetant la demande d’ERAR, l’agent a manqué à l’équité procédurale en tirant des conclusions négatives déguisées sur le plan de la crédibilité et en ne tenant pas d’audience. Il affirme que la décision touchant le caractère suffisant de la preuve et les conclusions négatives relatives à la crédibilité étaient déraisonnables et que l’agent a commis une erreur en évaluant la protection de l’État.

[4]  La demande soumet à la considération de la Cour les questions suivantes :

  1. Y a-t-il eu un manquement à l’équité procédurale?

  2. Est-ce que les conclusions de l’agent concernant le caractère suffisant de la preuve, la crédibilité et les incohérences étaient déraisonnables?

C.  Est-ce que l’agent a commis une erreur, en ce qui concerne son traitement de la protection conférée par l’État?

[5]  Après avoir examiné les observations écrites des parties et tenu compte de leurs arguments oraux, je ne peux pas conclure que l’agent a commis une erreur susceptible de révision. Je suis également d’avis que les conclusions de l’agent concernant le caractère suffisant de la preuve étaient raisonnables. Plus particulièrement, il n’était pas déraisonnable pour l’agent de conclure que M. Zdraviak n’avait pas présenté une preuve suffisante pour établir qu’il est d’origine ethnique à moitié rome ou qu’il est considéré comme un Rom dans la société hongroise. La présente demande est rejetée pour les motifs énoncés ci-après.

II.  Norme de contrôle

[6]  Les parties soumettent que les questions concernant l’équité procédurale doivent être examinées en fonction de la norme de la décision correcte (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir], Sketchley c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, aux paragraphes 52 et 53 et Reinhardt c. Canada (Procureur général), 2016 CAF 158, au paragraphe 14). Je suis d’accord. Au moment de considérer les questions d’équité procédurale, la Cour doit déterminer si le processus suivi par l’agent de l’ERAR a atteint le degré d’équité nécessaire dans les circonstances (Zmari c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2016 CF 132, au paragraphe 13 [Zmari], citant Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, au paragraphe 115).

[7]  Les parties s’entendent aussi sur la norme de contrôle à utiliser pour évaluer les conclusions de fait et les conclusions mixtes de fait et de droit de l’agent dans le contexte de la demande d’ERAR. Ces questions seront appréciées selon la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir, aux paragraphes 51, 54 et Rathnavel c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 564, au paragraphe 19).

III.  Analyse

A.   Y a-t-il eu un manquement à l’équité procédurale? Est-ce que les conclusions de l’agent concernant le caractère suffisant de la preuve, la crédibilité et les incohérences étaient déraisonnables?

[8]  Les arguments du demandeur sur l’équité procédurale et le caractère raisonnable de la décision sont liés, et je vais les traiter ensemble.

[9]  Le demandeur fait valoir que l’agent a manqué à l’obligation d’équité procédurale en ne tenant pas d’audience conformément à l’article 113 de la LIPR et à l’article 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (Règlement).

[10]  Selon l’alinéa 113b) de la LIPR, une audience peut être tenue si le ministre l’estime requis, compte tenu des facteurs réglementaires. Par ailleurs, l’article 167 du Règlement établit les facteurs prescrits :

167 Pour l’application de l’alinéa 113b) de la Loi, les facteurs ci-après servent à décider si la tenue d’une audience est requise :

a) l’existence d’éléments de preuve relatifs aux éléments mentionnés aux articles 96 et 97 de la Loi qui soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité du demandeur;

b) l’importance de ces éléments de preuve pour la prise de la décision relative à la demande de protection;

c) la question de savoir si ces éléments de preuve, à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que soit accordée la protection.

167 For the purpose of determining whether a hearing is required under paragraph 113(b) of the Act, the factors are the following:

(a) whether there is evidence that raises a serious issue of the applicant’s credibility and is related to the factors set out in sections 96 and 97 of the Act;

(b) whether the evidence is central to the decision with respect to the application for protection; and

(c) whether the evidence, if accepted, would justify allowing the application for protection.

[11]  M. Zdraviak fait valoir, en s’appuyant sur la décision du juge Keith Boswell dans l’affaire Zmari, que l’article 167 devient applicable lorsque la crédibilité est remise en question. Il ajoute que puisque sa demande d’asile n’a jamais été entendue, il n’a jamais eu droit à une audience qui aurait permis d’évaluer la question de crédibilité. Il prétend que sa preuve de discrimination a été décrite dans une déclaration sous serment et que ce type de document est présumé véridique lorsqu’il n’y pas de raisons valables de douter de cette véracité. De plus, il affirme que la déclaration sous serment était corroborée par des éléments de preuve documentaire.

[12]  Le demandeur indique que bien que l’agent n’ait pas explicitement remis en question la véracité de sa déclaration sous serment, sa conclusion de preuve insuffisante se voulait une conclusion déguisée concernant la crédibilité. Il fait valoir que cela se reflète dans les préoccupations de l’agent concernant la preuve documentaire, lesquelles n’auraient jamais été soulevées si l’agent avait déterminé que la déclaration sous serment était crédible. Il soutient qu’en examinant la décision de l’agent, la Cour doit aller au-delà du libellé « preuve insuffisante » utilisé par l’agent et reconnaître qu’il s’agit d’une question liée à la crédibilité.

[13]  La jurisprudence citée par le demandeur affirme qu’une cour de révision doit considérer la question de façon plus large en ne se limitant pas aux choix de mots de l’agent au moment de déterminer si la décision de l’agent portait en réalité sur la crédibilité du demandeur (Zokai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2005 CF 1103, au paragraphe 12, Liban c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2008 CF 1252, au paragraphe 14 et Chekroun c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2013 CF 738, aux paragraphes 70 et 71).

[14]  Pour déterminer si les conclusions de l’agent portaient sur la crédibilité, il n’est pas nécessaire d’examiner la décision en détail.

[15]  La décision mentionne que l’agent possédait le formulaire de renseignements personnels (FRP) de M. Zdraviak et d’autres éléments de preuve documentaire à l’appui de la demande d’ERAR. L’agent a énuméré et examiné ces éléments de preuve, puis a relevé des incohérences entre la déclaration sous serment du FRP et l’information fournie au cours d’une entrevue présentencielle. Après avoir indiqué ces incohérences, l’agent a souligné [traduction] « … les aspects communs des déclarations ». Il a notamment fait référence aux allégations de mauvais traitements fondés sur l’origine ethnique que le demandeur a subis à l’école et dans la société et que, malgré le fait que M. Zdraviak a le teint pâle et est blond, il a néanmoins été maltraité parce que les membres de la communauté connaissaient les origines de son père. Le fait que l’agent ait relevé des éléments incohérents et cohérents entre les différences éléments de preuve n’équivaut pas à une conclusion, explicite ou implicite, quant à la crédibilité.

[16]  Après avoir examiné l’ensemble de la preuve, l’agent s’est ensuite penché sur le profil de M. Zdraviak. L’agent a souligné que M. Zdraviak a le fardeau de prouver le bien-fondé de sa demande. Il a mentionné que M. Zdraviak a lui-même reconnu que ni son nom ni son apparence ne démontrent ses origines romes ou juives. L’agent a noté que les tentatives du demandeur de déménager à l’intérieur de la Hongrie auraient été infructueuses parce que son identité ethnique était indiquée dans un « document sur les antécédents de travail ». Ce document n’a pas été présenté en preuve. L’agent a mentionné : (1) la mauvaise qualité de la preuve documentaire; (2) l’absence d’information liée à l’origine ethnique de sa mère et au harcèlement en raison de l’origine ethnique mentionné dans une lettre de sa mère; (3) l’absence d’explications touchant l’obtention de la preuve documentaire. Après avoir souligné la faiblesse de la preuve documentaire, l’agent a conclu que ces documents avaient peu de valeur probante et leur a accordé peu de poids.

[17]  À la lumière de cette évaluation de la preuve faite par l’agent, M. Zdraviak fait valoir que l’agent a tiré une conclusion défavorable au sujet de la crédibilité. Pour souscrire à ce point de vue, il me faudrait conclure non seulement que la déclaration sous serment du FRP de M. Zdraviak doit jouir d’une présomption de véracité, mais qu’elle est également suffisante en soi pour prouver, selon la prépondérance des probabilités, les faits qui y sont décrits. Je ne puis accepter cet argument. Après avoir souligné la faiblesse de la preuve, y compris concernant tout indice facilement identifiable de l’origine ethnique alléguée de M. Zdraviak, il n’était pas déraisonnable pour l’agent de déterminer ensuite si on avait satisfait au seuil de preuve requis. Cet exercice de pondération relève clairement du pouvoir de l’agent.

[18]  En l’espèce, l’agent n’a pas remis en question la crédibilité de M. Zdraviak, mais il a plutôt conclu que les éléments de preuve fournis, en tenant pour acquis qu’ils sont crédibles, étaient tout simplement insuffisants pour établir, selon la prépondérance des probabilités, que M. Zdraviak était d’origine ethnique à moitié rome et juive ou qu’il serait perçu comme tel par les membres de la société hongroise. L’agent n’a pas commis d’erreur en examinant la question de pondération de la preuve avant de considérer la crédibilité (Ferguson c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1067, au paragraphe 27).

[19]  La décision de l’agent est justifiée, transparente et intelligible. La décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, au paragraphe 47). Sa décision était raisonnable.

[20]  En déterminant que l’analyse de l’agent n’était pas fondée sur une conclusion portant sur la crédibilité, j’ai également conclu que les facteurs énumérés à l’article 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (RIPR) ne s’appliquaient pas. L’agent n’était pas obligé de tenir une audience. Il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale.

B.  Est-ce que l’agent a commis une erreur, en ce qui concerne son traitement de la protection conférée par l’État?

[21]  Ayant conclu que l’agent a raisonnablement déterminé que M. Zdraviak n’a pas établi un profil démontrant qu’il courait un risque, je n’ai pas à examiner la question de la protection de l’État.

IV.  Conclusion

[22]  Puisque je n’ai pas relevé de manquement à l’équité procédurale et que j’ai conclu que la décision de l’agent concernant l’origine ethnique de M. Zdraviak était raisonnable, la demande est rejetée.

[23]  Les parties n’ont pas relevé de question de portée générale et aucune question n’a été soulevée.


JUGEMENT

LA COUR rejette la présente demande. Aucune question n’est certifiée.

« Patrick Gleeson »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2002-16

 

INTITULÉ :

PAL PETER ZDRAVIAK c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 19 janvier 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GLEESON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 23 MARS 2017

 

COMPARUTIONS :

Katherine Ramsey

 

Pour le demandeur

 

Christopher Crighton

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Katherine Ramsey

Avocate

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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