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Date : 20170223


Dossier : IMM-3149-16

Référence : 2017 CF 223

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 23 février 2017

En présence de monsieur le juge Boswell

ENTRE :

SHANRONG ZHONG

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La demanderesse, Shanrong Zhong, est une citoyenne de 19 ans de la Chine qui a été incluse comme fille à charge de Zuan Zhong dans sa demande de résidence permanente présentée en avril 2013. Cependant, après qu’on ait découvert qu’elle n’était pas la fille biologique ou adoptive de M. Zhong et de son épouse, Yunlan Fan, un agent d’immigration du consulat général du Canada à Hong Kong et Macao a déterminé que la demanderesse ne satisfaisait pas aux exigences pour obtenir un visa de résident permanent en tant que membre de la famille de M. Zhong. Mme Fan et M. Zhong, au nom de la demanderesse, ont demandé que cette décision soit réexaminée pour des motifs d’ordre humanitaire, mais l’agent a rejeté cette demande dans une lettre datée du 11 juillet 2016. La demanderesse a maintenant fait une demande en vertu du paragraphe 72 (1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch. 27 [la LIPR] pour obtenir le contrôle judiciaire de la décision de l’agent relative au réexamen.

I.  Contexte

[2]  Au petit matin du 28 mars 1997, Mme Fan et son mari ont entendu un bébé pleurer à leur porte. Quand ils ont ouvert la porte, ils ont trouvé un nourrisson de sexe féminin dans un panier et, après avoir pris le bébé, ils ont découvert une fiche rouge indiquant que le bébé était à 23 h 50, le 25 mars 1997. En raison de l’incapacité de Mme Fan d’avoir des enfants, elle et M. Zhong ont décidé de garder le bébé et d’élever la demanderesse comme leur fille. Ils ont également décidé de ne divulguer à personne que la demanderesse avait été abandonnée parce qu’ils voulaient qu’elle grandisse heureuse sans être négativement touchée par le fait que ses parents biologiques l’avaient abandonnée.

[3]  Le 19 septembre 2000, les « parents » de la demanderesse ont obtenu un certificat de naissance pour elle par ce que Mme Fan qualifie de [traduction] « moyens irréguliers ». Ce certificat de naissance permettait à la demanderesse d’être inscrite au hukou de ses parents, ou registre des ménages, et d’obtenir de cette façon un statut juridique approprié en Chine. Selon Mme Fan, l’éducation, les services médicaux et, ultérieurement, le travail auraient été refusés à la demanderesse si elle n’avait pas été nommée dans le hukou de la famille. Ni Mme Fan ni M. Zhong n’ont révélé à la demanderesse qu’elle avait été abandonnée ou qu’ils n’étaient pas ses parents biologiques.

[4]  En 2010, M. Zhong a fui la Chine pour persécution religieuse et est arrivé au Canada où il a obtenu le statut de réfugié au sens de la Convention en mars 2013. Il a ensuite demandé le statut de résident permanent en avril 2013 et a inclus sa femme et la demanderesse comme membres de sa famille. Lors de l’examen de la demande au consulat général du Canada à Hong Kong et Macao, un agent d’immigration [l’agent] a remarqué que le certificat de naissance de la demanderesse était inhabituel parce qu’il était manuscrit. Dans une lettre à Mme Fan datée du 6 mars 2015, l’agent a demandé un test d’ADN pour confirmer la relation entre la demanderesse, M. Zhong et Mme Fan. Le test d’ADN a révélé que la demanderesse n’était pas la fille biologique de M. Zhong ou de Mme Fan.

[5]  Dans une lettre adressée à Mme Fan datée du 6 mai 2015, l’agent a présenté les résultats du test d’ADN et a indiqué que la demanderesse serait retirée de la demande de résidence permanente. L’agent a indiqué que la demanderesse ne satisfaisait pas à la définition d’« enfant à charge » prévue à l’article 2 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le Règlement] et, par conséquent, elle ne répondait pas aux exigences de l’alinéa 117(1)b) du Règlement. L’agent a également averti Mme Fan qu’elle pourrait être déclarée inadmissible pour fausses déclarations, en contravention du paragraphe 40 (1) de la LIPR, si elle ne répondait pas honnêtement aux questions. L’agent a ensuite demandé à Mme Fan de fournir toute autre information pertinente qui devrait être prise en considération avant qu’une décision finale soit prise.

[6]  Mme Fan a répondu à la lettre de l’agent par une lettre datée du 20 mai 2015 dans laquelle elle expliquait sa relation et celle de son mari avec la demanderesse et la raison pour laquelle ils n’ont jamais révélé le fait que la demanderesse avait été abandonnée par ses parents biologiques. Mme Fan a également expliqué qu’ils avaient obtenu le certificat de naissance de la demanderesse par des moyens irréguliers afin de s’assurer que la demanderesse obtiendrait un statut légal en Chine et ne serait pas considérée comme un [traduction] « enfant illégal et noir ». Mme Fan s’est excusée auprès de l’agent de ne pas avoir d’abord révélé que la demanderesse avait été abandonnée peu après sa naissance et qu’elle et M. Zhong avaient adopté la demanderesse; elle a demandé à l’agent de faire preuve de compassion en examinant le cas de sa fille.

[7]  Dans une lettre datée du 6 octobre 2015, l’agent a informé Mme Fan que la demanderesse ne satisfaisait pas aux exigences pour obtenir un visa de résident permanent en tant que membre de la famille de M. Zhong.. L’agent a cité la définition de l’« enfant à charge » à l’article 2 du Règlement, en vertu de laquelle l’enfant doit être l’enfant biologique ou adopté du parent. L’agent a fait remarquer que : les tests d’ADN ont confirmé que M. Zhong et Mme Fan n’étaient pas les parents biologiques de la demanderesse; que le certificat de naissance avait été incorrectement obtenu et considéré comme frauduleux après une vérification; et qu’il n’y avait aucune preuve d’adoption. L’agent a conclu que la demanderesse n’était pas un membre de la famille de M. Zhong et, par conséquent, a refusé sa demande de visa de résidence permanente en vertu du paragraphe 11(1) de la LIPR.

II.  La demande de réexamen

[8]  Dans une lettre datée du 15 décembre 2015, la demanderesse, par l’entremise d’un représentant retenu par M. Zhong et Mme Fan, a demandé à l’agent de réexaminer sa décision de lui refuser un visa de résident permanent et, pour des motifs d’ordre humanitaire, d’approuver la demande de visa. Plus précisément, on a demandé à l’agent de considérer la demanderesse comme un membre de la famille de fait de M. Zhong pour des motifs d’ordre humanitaire, en tenant compte de l’intérêt supérieur de l’enfant [ISE].

[9]  Les observations présentées à l’agent ont réitéré la relation de la demanderesse avec M. Zhong et Mme Fan et ont souligné qu’ils avaient dissimulé l’abandon de la demanderesse afin de l’empêcher de se sentir inférieure. Les observations mettaient en évidence la discrimination subie par les enfants sans hukou et la façon dont ces enfants, appelés « enfants noirs » ou heihaizhi, se voient refuser les soins de santé,  une éducation et d’autres services. Elles comprenaient également divers rapports sur les droits de l’homme du Département d’État des États-Unis, du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés et de l’Agence frontalière du Royaume-Uni concernant l’abandon des filles en Chine et les mauvais traitements infligés aux enfants « illégaux » et « noirs » et leur incapacité à accéder à l’éducation, aux soins de santé et à d’autres services.

[10]  Les observations indiquaient également que M. Zhong et Mme Fan avaient élevé la demanderesse comme leur propre fille. Ils ont fourni diverses photographies prises tout au long de la vie de la demanderesse pour démontrer leur relation ainsi que des copies du hukou, une carte de santé et des dossiers scolaires où il était documenté que la demanderesse était la fille de M. Zhong et de Mme Fan. Les observations indiquaient qu’après avoir reçu la lettre du 6 octobre 2015, M. Zhong et Mme Fan avaient tenté d’adopter officiellement la demanderesse, mais le Bureau des affaires civiques de la ville de Fuqing a déterminé que la demanderesse était inadmissible à l’adoption parce qu’elle était âgée de plus de 14 ans. La ville de Fuqing a toutefois délivré un certificat daté du 28 octobre 2015 confirmant que la demanderesse vivait avec M. Zhong et Mme Fan depuis 1997 et qui établissait « une relation de famille adoptive de fait ». Ce certificat a été remis à l’agent.

[11]  Le représentant de la demanderesse a déclaré à l’agent que la demanderesse devrait être considérée comme un membre de la famille de fait à cause de sa dépendance envers ses parents, faisant référence au Guide opérationnel IP-5 de Citoyenneté et Immigration Canada [le Guide]. Le Guide précise que des motifs d’ordre humanitaire convaincants peuvent exister pour permettre à un membre de la famille de fait d’immigrer au Canada, et prévoit ce qui soit dans la partie pertinente :

Les membres de la famille de fait sont des personnes qui ne satisfont pas à la définition de membres de la catégorie du regroupement familial. Ils se trouvent par ailleurs dans une situation de dépendance qui en fait des membres de fait d’une famille nucléaire qui se trouve au Canada ou qui présente une demande d’immigration. Par exemple, un fils, une fille (de plus de 22 ans), un frère ou une sœur laissés seuls dans le pays d’origine sans autre famille; un parent âgé comme un oncle ou une tante ou une personne sans lien de parenté qui habite avec la famille depuis longtemps. Font également partie de cette catégorie de personnes les enfants en tutelle pour qui l’adoption, telle que définie au R3(2), n’est pas un concept accepté. La séparation d’un parent de fait et de ses proches peut constituer la base d’une décision CH favorable.

[12]  Dans leurs observations, les demandeurs demandaient en outre à l’agent de prendre en considération le principe de l’ISE lorsqu’il examinerait la demande de la demanderesse. Invoquant l’affaire Kanthasamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, [2015] 3 RCS 909 [Kanthasamy], le représentant de la demanderesse a soutenu que la demanderesse était entièrement dépendante de M. Zhong et de Mme Fan pour les aspects physiques, émotionnels et financiers de sa vie et qu’elle serait incapable de survivre seule. Le représentant a soutenu que l’intérêt supérieur de la demanderesse était de venir au Canada avec sa mère et de retrouver son père qui ne peut pas retourner en Chine par crainte d’une persécution religieuse. Le refus de la demande de la demanderesse signifierait, en réalité, une séparation permanente entre la demanderesse et le seul père qu’elle ait jamais connu.

III.  La décision de l’agent

[13]  Dans une lettre adressée à Mme Fan, « au nom de Shanrong Zhong » datée du 11 juillet 2016, l’agent a rejeté la demande de réexamen de la demanderesse pour des motifs d’ordre humanitaire en vertu du paragraphe 25(1) de la LIPR. L’agent n’était pas convaincu que le fond de la demande de la demanderesse l’emportait sur son inadmissibilité à titre de membre de la catégorie du regroupement familial. L’agent a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment de preuve pour prouver que la demanderesse était une membre de la famille de fait. L’agent a noté que la crédibilité globale de M. Zhong et de Mme Fan était préoccupante en raison du certificat de naissance obtenu irrégulièrement et que ce n’est qu’après avoir reçu la lettre d’équité procédurale en mai 2015 que Mme Fan a admis avoir obtenu irrégulièrement un certificat de naissance pour la demanderesse. L’agent a fait remarquer que M. Zhong et Mme Fan auraient pu suivre un processus d’adoption peu après avoir trouvé la demanderesse abandonnée à leur porte en 1997 et qu’il n’était pas crédible qu’ils aient envisagé une adoption officielle seulement après que la demanderesse ait eu 14 ans. Selon l’agent, les copies du hukou, les dossiers scolaires et les photographies ne justifiaient pas le niveau déclaré de dépendance, de stabilité et de durée de la relation entre la demanderesse, M. Zhong et Mme Fan. L’agent n’a trouvé aucune preuve de soutien financier continu ou de contact continu entre M. Zhong et la demanderesse pour justifier la dépendance affective et financière.

[14]  En évaluant l’intérêt supérieur de la demanderesse, l’agent a noté qu’elle vivait dans le pays où elle est née, a grandi et a été éduquée et qu’elle connaissait la langue et la culture de ce pays. L’agent a conclu que des preuves insuffisantes avaient été fournies pour démontrer que la demanderesse ne serait pas en mesure de continuer à vivre en Chine et qu’à la fin de ses études, la demanderesse devrait posséder les compétences nécessaires pour être employable en Chine. L’agent a ajouté que la demanderesse avait 16 ans lorsqu’elle a été incluse dans la demande de résidence permanente de M. Zhong et qu’à l’âge de 19 ans, elle devrait être assez mature pour prendre soin d’elle-même financièrement et émotionnellement. L’agent a appuyé sa conclusion à cet égard en observant que, puisque M. Zhong avait demandé qu’un visa de résident permanent soit accordé à Mme Fan si la demande de réexamen était rejetée, cela démontrait que la demanderesse pourrait continuer à vivre en Chine par elle-même. L’agent a trouvé des éléments de preuve insuffisants pour établir le niveau de dépendance, la stabilité et la durée de la relation entre M. Zhong, Mme Fan et la demanderesse pour qu’elle soit considérée comme un membre de la famille de fait. L’agent a conclu en notant que la demanderesse était physiquement séparée de M. Zhong depuis avril 2010 et que, par conséquent, elle ne bénéficierait pas du fait de se réunir avec M. Zhong au Canada.

[15]  Les notes de l’agent dans le Système mondial de gestion des cas [SMGC] révèlent d’autres motifs à l’appui de la décision de ne pas accorder à la demanderesse un visa de résident permanent. Ces notes montrent les préoccupations de l’agent quant au manque de preuve concernant la relation de la demanderesse avec M. Zhong et l’absence de toute preuve de dépendance financière ou affective pendant que M. Zhong était au Canada. Bien que l’agent ait mentionné les photos, le hukou et les dossiers scolaires de la demanderesse dans les notes du SMGC, il semble qu’il ait accordé peu de poids aux dossiers scolaires parce qu’ils manquaient d’informations générales sur M. Zhong et Mme Fan, telles que leurs numéros de téléphone, leur âge, leur statut d’emploi et leur profession. Dans l’esprit de l’agent, ces dossiers, le hukou et les photos n’avaient [traduction] « pas démontré le niveau déclaré de dépendance, de stabilité et de durée de cette relation », même si le hukou et les dossiers scolaires citent M. Zhong et Mme Fan comme les parents de la demanderesse. L’agent n’a fait aucune mention dans les notes du SMGC du certificat délivré par le Bureau des affaires civiques de la ville de Fuqing, de la carte de santé familiale délivrée par le gouvernement local ou des rapports sur les droits de la personne fournis avec la demande de réexamen.

IV.  Les questions en litige

[16]  La demanderesse soulève plusieurs questions lorsqu’elle affirme que la décision de l’agent est déraisonnable. Ces questions peuvent être reformulées comme suit :

  1. Quelle est la norme de contrôle applicable?

  2. L’évaluation par l’agent de la question de savoir si la demanderesse était un membre de la famille de fait était-elle raisonnable?

  3. L’évaluation par l’agent de l’intérêt supérieur de la demanderesse en sa qualité d’enfant était-elle raisonnable?

V.  Analyse

A.  Quelle est la norme de contrôle applicable?

[17]  L’examen par l’agent des facteurs d’ordre humanitaire pour déterminer si une personne est un membre de la famille de fait est contrôlé selon la norme de raisonnabilité (Dorlus c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1095, au paragraphe 25, [2015] A.C.F. no 1117; Pervaiz c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 680, au paragraphe 15, [2014] A.C.F. no 802; Da Silva c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 347, au paragraphe 14, 386 FTR 247). La présumée omission de l’agent de tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant  comporte une question mixte de fait et de droit qui sera aussi examinée suivant la norme de raisonnabilité (Kanthasamy au paragraphe 44; Singh c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 240, au paragraphe 13, [2016] A.C.F. no 200).

[18]  En conséquence, la Cour ne devrait pas intervenir si la décision de l’agent est justifiable, transparente et intelligible, et elle doit déterminer « l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190. Ces critères sont respectés « [s]’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » : Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16, [2011] 3 RCS 708. De plus, « si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable »; et il ne s’agit pas non plus des « attributions de la cour de révision de soupeser les éléments de preuve » : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, aux paragraphes 59 et 61, [2009] 1 RCS 339.

[19]  L’argument de la demanderesse selon lequel l’agent a déraisonnablement omis de faire référence à certains éléments de preuve soulève une question quant à la suffisance des motifs de l’agent et la question de savoir si ces motifs expliquent adéquatement comment les éléments de preuve ont été traités. La norme de raisonnabilité s’applique à l’appréciation de la preuve documentaire par l’agent (Lozano Vasquez c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1255, au paragraphe 34, 222 ACWS (3d) 218).

B.  L’évaluation par l’agent de la question de savoir si la demanderesse était un membre de la famille de fait était-elle raisonnable?

[20]  La demanderesse soutient que l’agent a ignoré et mal interprété des éléments de preuve cruciaux qui contredisaient la conclusion selon laquelle la demanderesse n’était pas une membre de la famille de fait de M. Zhong. En particulier, la demanderesse souligne le certificat délivré par la ville de Fuqing et la carte de santé familiale, des documents gouvernementaux officiels qui, selon elle, confirment qu’elle vit avec M. Zhong et Mme Fan comme leur fille. Le certificat de la ville de Fuqing stipule que : la demanderesse a été abandonnée; vit avec M. Zhong et Mme Fan depuis qu’elle a été trouvée; est un membre enregistré dans le ménage de M. Zhong et de Mme Fan; et se trouve dans une relation de famille adoptive de fait avec M. Zhong et Mme Fan. La carte de santé familiale indique que la demanderesse est la fille de M. Zhong et de Mme Fan. Cette carte a été créée avant que M. Zhong quitte la Chine et confirme leur lien familial. La demanderesse affirme que ces deux documents attestent directement qu’elle est membre de fait de la famille de M. Zhong et que l’agent a complètement ignoré ces documents puisqu’ils ne sont pas mentionnés du tout dans la décision de l’agent ni dans les notes du SMGC.

[21]  Le défendeur soutient que l’agent n’a pas ignoré ou n’a pas interprété de façon erronée la preuve de la demanderesse et que la demande de réexamen de la demanderesse a été étudiée [traduction] « avec soin ». Selon le défendeur, l’agent n’était pas tenu de traiter spécifiquement chaque élément de preuve, et il est présumé qu’un décideur tient compte de tous les éléments de preuve présentés. Le défendeur affirme que l’agent a examiné raisonnablement toute la preuve, y compris le certificat délivré par la ville de Fuqing, et qu’il n’était pas obligé de commenter individuellement tous les documents, d’autant plus que la demanderesse n’a pas fait d’observations précises concernant la preuve documentaire non mentionnée. Le défendeur dit aussi qu’il était loisible à l’agent de déterminer que ni le certificat ni la carte de santé familiale n’étaient importants. Le défendeur ajoute en outre qu’il était loisible à l’agent de déterminer que les renseignements généraux sur les conditions dans le pays relatives aux enfants noirs ou non enregistrés ne résoudraient pas les questions concernant la relation de la demanderesse avec M. Zhong et Mme Fan.

[22]  Pour les motifs qui suivent, je conclus que l’évaluation par l’agent de la question de savoir si la demanderesse était un membre de fait de la famille de M. Zhong et de Mme Fan n’était pas raisonnable. Par conséquent, la décision de l’agent doit être annulée et l’affaire retournée à un autre agent d’immigration pour nouvel examen.

[23]  Dans Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. No 1425, 157 FTR 35, [Cepeda-Gutierrez], le juge Evans a fait l’observation suivante :

[16]  …les motifs donnés par les organismes administratifs ne doivent pas être examinés à la loupe par le tribunal (Medina c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1990) 12 Imm. L.R. (2d) 33 (C.A.F.)), et il ne faut pas non plus les obliger à faire référence à chaque élément de preuve dont ils sont saisis et qui sont contraires à leurs conclusions de fait, et à expliquer comment ils ont traité ces éléments de preuve (voir, par exemple, Hassan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1992), 147 N.R. 317 (C.A.F.)). … Une simple déclaration par l’organisme dans ses motifs que, pour en venir à ses conclusions, il a examiné l’ensemble de la preuve dont il était saisi suffit souvent pour assurer aux parties, et au tribunal chargé du contrôle, que l’organisme a analysé l’ensemble de la preuve avant de tirer ses conclusions de fait.

[17]  Toutefois, plus la preuve qui n’a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l’organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l’organisme a tiré une conclusion de fait erronée " sans tenir compte des éléments dont il [disposait] " : Bains c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 63 F.T.R. 312 (C.F. 1re inst.). Autrement dit, l’obligation de fournir une explication augmente en fonction de la pertinence de la preuve en question au regard des faits contestés. Ainsi, une déclaration générale affirmant que l’organisme a examiné l’ensemble de la preuve ne suffit pas lorsque les éléments de preuve dont elle n’a pas discuté dans ses motifs semblent carrément contredire sa conclusion. Qui plus est, quand l’organisme fait référence de façon assez détaillée à des éléments de preuve appuyant sa conclusion, mais qu’elle passe sous silence des éléments de preuve qui tendent à prouver le contraire, il peut être plus facile d’inférer que l’organisme n’a pas examiné la preuve contradictoire pour en arriver à sa conclusion de fait.

[24]  De plus, il est bien établi que les décideurs administratifs, y compris les agents d’immigration qui évaluent les facteurs d’ordre humanitaire en vertu du paragraphe 25(1) de la LIPR, n’ont pas à faire référence à tous les éléments de preuve. La présomption qu’un décideur a tenu compte de tous les éléments de preuve après avoir fait une déclaration générale indiquant qu’il l’a fait s’applique aux agents d’immigration qui évaluent les demandes pour des motifs d’ordre humanitaire. L’agent chargé d’examiner les circonstances d’ordre humanitaire (CH) n’est pas obligé de faire référence à chacun des éléments de preuve, à partir du moment où il déclare dans ses conclusions qu’il a tenu compte de toute la preuve (voir : Bustamante Ruiz c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1175, au paragraphe 38, 182 ACWS (3d) 996). Dans Palumbo c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 706, [2009] A.C.F. No 873, la Cour a souligné ce qui suit :

[13]  Il existe une présomption selon laquelle l’agent d’immigration a examiné l’ensemble de la preuve. Même si l’agent n’est pas obligé de faire état de l’ensemble des faits dans sa décision, les faits pertinents devraient être mentionnés et ils devraient être examinés et discutés. Une déclaration générale selon laquelle l’agent a examiné l’ensemble de la preuve peut être suffisante pour respecter le présent critère (Cepeda‑Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 1998 CanLII 8667 (CF), 157 F.T.R. 35, 83 A.C.W.S. (3d) 264 (C.F. 1re inst.); Bains c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 63 F.T.R. 312, 40 A.C.W.S. (3d) 657 (C.F. 1re inst.).

[25]  Toutefois, la retenue due aux décideurs administratifs se dissipe et prend fin lorsqu’un élément de preuve clé n’est pas adéquatement traité. Comme il a été mentionné dans Cepeda-Gutierrez, plus la preuve qui n’a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs du décideur est importante, et « plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l’organisme a tiré une conclusion de fait erronée "sans tenir compte des éléments dont il disposait" » (paragraphe 17).

[26]  L’agent en l’espèce n’a fait aucune mention de deux éléments de preuve documentaire importants pour arriver à la conclusion suivante :

[traduction]

Après avoir examiné votre demande à fond, je ne suis pas convaincu que le bien-fondé de votre demande a surmonté votre inadmissibilité à titre de membre de la catégorie du regroupement familial. Votre demande ne présente pas de motifs suffisants pour justifier une décision favorable pour des motifs d’ordre humanitaire.

[27]  En particulier, l’agent n’a jamais fait référence au certificat délivré par le Bureau des affaires civiques de la ville de Fuqing. Ce certificat a été obtenu après que l’agent a informé la demanderesse dans la lettre datée du 6 octobre 2015, qu’il n’y avait aucune preuve de son adoption. Il stipule sans équivoque que : la demanderesse a été abandonnée; vit avec M. Zhong et Mme Fan depuis qu’elle a été trouvée; est un membre enregistré dans le ménage de M. Zhong et de Mme Fan; et se trouve dans une relation de famille adoptive de fait avec M. Zhong et Mme Fan. Ce certificat indique clairement que la demanderesse était un membre de la famille de fait de Mme Fan et de M. Zhong; pourtant, les motifs de l’agent et les notes du SMGC ne mentionnent absolument pas le certificat, et ils n’expliquent pas non plus pourquoi le certificat n’avait pas d’importance ou qu’on lui a accordé peu ou pas de poids. L’absence de toute mention, et encore moins de toute discussion, au sujet de ce certificat rend les motifs de l’agent inintelligibles et, par conséquent, déraisonnables parce que la Cour en est réduite à émettre des hypothèses ou à se demander pourquoi ce document très pertinent a été ignoré ou négligé.

[28]  De plus, l’agent n’a jamais fait référence à la carte de santé familiale, un document officiel du gouvernement délivré en 2006, avant que M. Zhong ne quitte la Chine, et qui déclarait que la demanderesse était la fille de M. Zhong et de Mme Fan. De nouveau, l’absence de toute mention, et encore moins de toute discussion, au sujet de cette carte de santé rend les motifs de l’agent inintelligibles et, par conséquent, déraisonnables parce que la Cour en est réduite à émettre des hypothèses ou à se demander pourquoi ce document très pertinent a été ignoré ou négligé.

[29]  Dans cette affaire, l’agent n’a pas déclaré explicitement que tous les éléments de preuve avaient été examinés, mais seulement que la demande CH avait été étudiée « avec soin ». Dans les notes du SMGC, l’agent a noté seulement les photos et les dossiers scolaires soumis avec la demande de réexamen pour des motifs d’ordre humanitaire. En l’espèce, on ne peut présumer que l’agent a tenu compte de tous les éléments de preuve parce que les motifs et les notes du SMGC indiquent qu’il n’a pas tenu compte du certificat délivré par la ville de Fuqing et de la carte de santé familiale. Même si l’on suppose qu’étudier « avec soin » la demande de réexamen est suffisant pour créer une présomption selon laquelle la totalité de la preuve soumise a été prise en compte, l’agent aurait toujours dû faire référence à la preuve qui contredisait directement la conclusion de l’agent quant au fait que la demanderesse n’était pas un membre de la famille de fait.

[30]  En concluant que la demanderesse n’était pas un membre de la famille de fait, l’agent l’a fait sans faire référence à des éléments de preuve clés qui traitaient explicitement de la durée de la relation entre la demanderesse, Mme Fan et M. Zhong. Le certificat délivré par la ville de Fuqing et la carte de santé familiale, lorsqu’ils sont examinés de pair avec les dossiers scolaires et les photographies, suggèrent fortement que la demanderesse est une fille de fait de M. Zhong et de Mme Fan.

C.  L’évaluation par l’agent de l’intérêt supérieur de la demanderesse en sa qualité d’enfant était-elle raisonnable?

[31]  Il n’est pas nécessaire de déterminer si l’analyse de l’ISE réalisée par l’agent à l’égard du demandeur était raisonnable parce que la décision n’est pas raisonnable pour les motifs énoncés ci-dessus.

VI.  Conclusion

[32]  La demande de contrôle judiciaire a été accueillie. La décision de l’agent doit être annulée et l’affaire retournée à un autre agent d’immigration pour nouvel examen.

[33]  Ni l’une ni l’autre des parties n’ayant proposé de question aux fins de certification, aucune question n’est certifiée.


Jugement

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accordée; la décision de l’agent d’immigration daté du 11 juillet 2016 est annulée; la question est renvoyée à un autre agent d’immigration pour nouvel examen, conformément aux motifs du présent jugement; et aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Keith M. Boswell »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3149-16

 

INTITULÉ :

SHANRONG ZHONG c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 11 JANVIER 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BOSWELL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 23 FÉVRIER 2017

 

COMPARUTIONS :

Avvy Yao-Yao Go

 

pour la demanderesse

 

A. Leena Jaakkimainen

 

pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Metro Toronto Chinese and Southeast Asian Legal Clinic

Toronto (Ontario)

 

pour la demanderesse

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

pour le défendeur

 

 

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