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Date : 20170111


Dossier : IMM-1738-16

Référence : 2017 CF 35

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 11 janvier 2017

En présence de madame la juge Simpson

ENTRE :

OSMAN DUBOW-NOOR

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS DU JUGEMENT

[1]  Osman Dubow-Noor (le demandeur) a demandé le contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié en date du 4 avril 2016 (la décision) dans laquelle la Section d’appel des réfugiés a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés rendue le 16 septembre 2015, qui avait rejeté sa demande d’asile.

I.  Résumé des faits

[2]  Le demandeur est un citoyen de Singapour, né le 30 décembre 1990. Il s’est enfui au Kenya en 2007 où il s’est inscrit auprès du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. Il est demeuré au Kenya jusqu’en 2014. Il est ensuite retourné à Afmadow, en Somalie.

[3]  Le demandeur craint que l’organisation d’Al-Shabab ne porte atteinte à sa vie, celle-ci voyant son père comme un opposant. Al-Shabab a juré publiquement de tuer le père et la famille du demandeur. Le demandeur a affirmé qu’après son retour à Afmadow en 2014, Al-Shabab a ciblé son père et a attaqué la ville de Diif, où son père réside. Le demandeur a déclaré que deux personnes liées à son père ont été assassinées dans l’attaque, mais que son père n’était pas blessé parce que, bien s’il se trouvait à Diif, il n’était pas dans la maison familiale. Diif est un petit village comptant de 50 à 70 habitants.

[4]  Le demandeur soutient également qu’il risque d’être enlevé et recruté de force pour se battre au nom d’Al-Shabab. Il signale qu’Al-Shabab effectuait une rafle au moment où il dormait à la maison de sa sœur, à Afmadow. Sa sœur l’a averti alors que des membres d’Al-Shabab étaient dans la maison voisine. Il est sorti en courant de la maison pour se cacher dans les buissons et, par la suite, il a quitté la Somalie en direction de l’Amérique du Sud. Il est finalement arrivé aux États-Unis, où il a été détenu, et sa demande d’asile a été rejetée. Il est arrivé au Canada le 5 juillet 2015 et a demandé l’asile dès son arrivée.

II.  Décision de la Section de la protection des réfugiés

[5]  La Section de la protection des réfugiés a indiqué que certaines parties du récit du demandeur n’avaient pas d’explication raisonnable. Par exemple, il ne pouvait pas expliquer pourquoi son père avait été ciblé en 2014. Le père du demandeur s’était opposé à Al-Shabab pendant que Diif était sous le contrôle de l’organisation et, pourtant, il n’a pas été attaqué pendant cette période. La Section de la protection des réfugiés ne voyait pas clairement la raison pour laquelle, en 2014, après la perte du contrôle de Diif, Al-Shabab aurait ciblé le père du demandeur pour ensuite lancer une attaque sur tout le village et proférer des menaces de mort à toute la famille. Le demandeur n’a pas pu expliquer ce qui aurait pu causer ces événements.

[6]  De plus, la Section de la protection des réfugiés a constaté des incohérences dans les déclarations du demandeur concernant les membres de sa famille. Lors de l’audience, il a été constaté qu’il n’avait pas inclus le nombre des membres de sa famille dans ses formulaires écrits. Il a expliqué que les omissions ont eu lieu parce qu’il devait remplir rapidement les formulaires à la frontière. Toutefois, il a ensuite livré un témoignage contradictoire en indiquant qu’il avait disposé d’un délai de deux semaines pour remplir le formulaire de Fondement de la demande d’asile (FDA) avec l’aide d’un interprète. Par la suite, il a complètement changé son témoignage en disant qu’il n’avait pas mentionné les membres de sa famille dans les formulaires américains et qu’il ne voulait pas remplir les formulaires canadiens autrement. Le problème avec cette explication est que, dans un témoignage précédent, il a affirmé ne pas avoir rempli de formulaires aux États-Unis.

[7]  En ce qui concerne les allégations de recrutement de force par Al-Shabab, la Section de la protection des réfugiés a donné la préséance aux éléments de preuve documentaire objective. Elle a conclu que rien dans les éléments de preuve n’indiquait que des adultes étaient recrutés de force et qu’Al-Shabab va recruter de porte en porte dans des régions qui ne sont pas sous son contrôle. Lors de la période pertinente, Al-Shabab ne contrôlait pas Afmadow.

III.  Décision de la Section d’appel des réfugiés

[8]  La Section d’appel des réfugiés s’est penchée sur la demande du demandeur en vue de déposer un nouvel élément de preuve, le document intitulé « Shelter Cluster Somalia Mapping Exercise » (exercice de cartographie des regroupements d’abris en Somalie). Il est daté de décembre 2014, soit environ neuf mois avant l’audience de la Section de la protection des réfugiés. Cet élément de preuve indiquait une localité au nom semblable, c’est-à-dire Diff, dont la population est d’environ 7 000 personnes. Il a possiblement été déposé en vue de réfuter la conclusion de la Commission selon laquelle, si les attaques à Diif avaient eu lieu en 2014, le père du demandeur aurait été trouvé parce que Diif est une petite localité.

[9]  La Section d’appel des réfugiés s’est servie de Google Maps pour voir s’il pourrait exister plus d’une localité ayant le nom de Diif ou de Diff, mais elle a été dans l’incapacité de tirer une conclusion. La Section d’appel des réfugiés a décidé que le nouvel élément de preuve n’était pas admissible au sens du paragraphe 110(4) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, parce qu’il n’était pas nouveau et parce que sa pertinence n’était pas évidente.

IV.  Questions en litige

  1. La Section d’appel des réfugiés a-t-elle omis de procéder à un examen indépendant des éléments de preuve, comme l’enseigne l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93?

  2. La Section d’appel des réfugiés a-t-elle tiré des conclusions qui ne sont pas étayées par la preuve?

  3. La Section d’appel des réfugiés a-t-elle contrevenu aux principes d’équité procédurale lorsqu’elle n’a pas donné au demandeur l’occasion de répondre à la recherche effectuée au moyen de Google Maps?

  4. La Section d’appel des réfugiés a-t-elle examiné de manière indépendante la conclusion d’invraisemblance tirée par la Section de la protection des réfugiés?

V.  Analyse et conclusions

A.  La Section d’appel des réfugiés a-t-elle omis de procéder à un examen indépendant des éléments de preuve, comme l’enseigne l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93?

[10]  Le demandeur reconnaît que la Section d’appel des réfugiés a procédé à un examen indépendant des éléments de preuve portant sur le recrutement forcé, mais il oppose cette partie de la décision à l’évaluation de la Section d’appel des réfugiés portant sur la conclusion d’invraisemblance tirée par la Section de la protection des réfugiés. Selon lui, aux paragraphes 25 à 27 de la décision, la Section d’appel des réfugiés ne fait qu’énumérer les conclusions de la Section de la protection des réfugiés et retient ces conclusions sans en avoir fait l’analyse.

[11]  J’admets que les motifs sont peu nombreux, mais je ne peux dire qu’aucune analyse indépendante n’a été menée. Par exemple, la Section d’appel des réfugiés établit que la conclusion de la Section de la protection des réfugiés selon laquelle Diif compte 40 résidents n’est pas étayée par les éléments de preuve. De plus, la Section d’appel des réfugiés qualifie les problèmes de crédibilité en associant certains d’entre eux à une préoccupation plus vaste.

[12]  Le demandeur est très virulent à l’égard de la Section d’appel des réfugiés pour ne pas avoir examiné les raisons qu’il a données en vue d’expliquer le fait qu’il n’a pas énuméré les membres de sa famille dans les formulaires FDA. Toutefois, je suis d’avis que la Section d’appel des réfugiés n’était pas tenue d’analyser ces explications parce qu’elles avaient été discréditées par le témoignage du demandeur lui-même. À cet égard, voir le paragraphe 6 ci-dessus.

B.  La Section d’appel des réfugiés a-t-elle tiré des conclusions qui ne sont pas étayées par les éléments de preuve?

[13]  Sur la question du recrutement forcé, la Section de la protection des réfugiés a signalé que les éléments de preuve documentaire démontraient que les hommes adultes n’étaient pas recrutés et que le recrutement n’avait pas lieu dans des endroits qui n’étaient pas sous le contrôle d’Al-Shabab. Étant donné qu’Al-Shabab ne contrôlait pas Afmadow, la Section de la protection des réfugiés a conclu que le récit du demandeur décrivant une rafle de recrutement dans ce village n’était pas crédible.

[14]  Je souscris à l’argument du demandeur selon lequel les éléments de preuve documentaire laissent entendre que certains hommes adultes sont recrutés, même si la plupart des personnes recrutées sont des enfants. De plus, il ressort de ces éléments de preuve qu’Al-Shabab se livre à des attaques rapides et mortelles dans les régions qu’elle ne contrôle pas. Toutefois, la Section de la protection des réfugiés a conclu à bon droit que rien dans les éléments de preuve n’indique que des rafles systématiques ont lieu dans des localités comme Afmadow qui n’étaient pas sous le contrôle d’Al-Shabab.

[15]  Après avoir conclu que la rafle d’Afmadow n’a pas eu lieu, il n’était plus nécessaire de déterminer si Al-Shabab recrutait des hommes ailleurs.

C.  La Section d’appel des réfugiés a-t-elle contrevenu aux principes d’équité procédurale lorsqu’elle n’a pas donné au demandeur l’occasion de répondre à la recherche effectuée au moyen de Google Maps?

[16]  Je suis d’avis que la Section d’appel des réfugiés ne s’est pas fondée sur un élément de preuve extrinsèque lorsqu’elle a consulté Google Maps pour tenter d’établir la pertinence du nouvel élément de preuve du demandeur portant sur un endroit plus grand appelé Diff.

[17]  Il est manifeste qu’une recherche dans Google Maps ne constitue pas un élément de preuve extrinsèque. Dans la décision Pizarro Gutierrez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 623, le juge de Montigny s’est prononcé comme suit :

[46]  Deuxièmement, les documents publics disponibles sur internet (sic) sur la situation dans un pays et provenant de sources crédibles et connues ne constituent pas de la preuve extrinsèque. Ces documents étaient facilement accessibles sur internet (sic), et le fait que l’agente les ait consultés et s’y soit référé sans en aviser le demandeur ne saurait constituer une violation des exigences du devoir d’équité procédurale : [renvois omis].

[18]  De même, dans la décision Wang c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CF 705, le juge LeBlanc a déclaré : « les renseignements accessibles au public ne sont pas considérés comme une preuve “extrinsèque” tant que la preuve n’est pas nouvelle ».

[19]  Quoi qu’il en soit, contrairement aux observations du demandeur, la Section d’appel des réfugiés n’a tiré aucune conclusion au sujet de l’emplacement ou de la population de Diif en se fondant sur la recherche Google. Elle s’est appuyée sur le témoignage du demandeur selon lequel la population de Diif, là où vivait son père, comptait de 50 à 70 personnes.

D.  La Section d’appel des réfugiés a-t-elle examiné de manière indépendante la conclusion d’invraisemblance tirée par la Section de la protection des réfugiés?

[20]  Le défendeur reconnaît que, même si le terme « invraisemblable » n’a pas été utilisé, la Section de la protection des réfugiés a tiré une conclusion d’invraisemblance en concluant que, si l’attaque a Diif a eu lieu et que le père du demandeur s’y trouvait et était ciblé par Al-Shabab, il est invraisemblable que celui-ci ait échappé au danger, Diif n’étant qu’un très petit village. Le demandeur soutient que lorsqu’elle a tiré cette conclusion, la Section d’appel des réfugiés était tenue de tenir compte du formulaire FDA qui indiquait que le père du demandeur n’était pas à Diif pendant l’attaque, même si, à l’audience de la Section de la protection des réfugiés, le demandeur avait affirmé que son père se trouvait à Diif au moment de l’attaque, sans être dans la maison familiale.

[21]  Le demandeur invoque un extrait de la décision de la Cour dans Leung c Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1994), 81 FTR 303 (CF 1re inst.), qui est citée avec approbation dans Valtchev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 776, au paragraphe 8. Dans cette affaire, la Cour discute de conclusions d’invraisemblance et énonce ce qui suit :

En conséquence, on peut évaluer l’à-propos d’une décision particulière seulement si la décision de la Commission relève clairement tous les faits qui sous-tendent ses conclusions [...]. La Commission aura donc tort de ne pas faire état des éléments de preuve pertinents qui pourraient éventuellement réfuter ses conclusions d’invraisemblance [...]

[Non souligné dans l’original.]

[22]  Je suis d’avis que cet extrait ne s’applique pas aux faits de l’espèce. Les éléments de preuve qui ont le potentiel de réfuter les conclusions d’invraisemblance doivent constituer une preuve pertinente et fiable. Le demandeur ne peut pas invoquer l’incohérence de sa déclaration qui figure au formulaire FDA.

[23]  Pour ces motifs, je conclus au caractère raisonnable de la décision de la Section d’appel des réfugiés.

VI.  Question à certifier

[24]  Aucune question n’a été posée aux fins de certification.


JUGEMENT

LA COUR rejette la présente demande de contrôle judiciaire.

« Sandra J. Simpson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 18e jour de septembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1738-16

INTITULÉ :

OSMAN DUBOW-NOOR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 21 NOVEMBRE 2016

JUGEMENT ET MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE SIMPSON

DATE DES MOTIFS :

LE 11 JANVIER 2017

COMPARUTIONS :

Luke McRae

POUR LE DEMANDEUR

Aleksandra Lipska

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bondy Aisling

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour le demandeur

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

Pour le défendeur

 

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