Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20170113


Dossier : T-1116-16

Référence : 2017 CF 48

Montréal (Québec), le 13 janvier 2017

En présence de monsieur le juge Gascon

ENTRE :

BENOIT BOSSÉ

ET

LES IMMEUBLES ROBO LTÉE

demandeurs

et

SA MAJESTÉ LA REINE

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Aux termes d’une requête logée en vertu de l’article 51 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [Règles], les demandeurs M. Benoît Bossé et Les Immeubles Robo Ltée [ci-après appelés collectivement M. Bossé] interjettent appel à l’encontre de deux ordonnances prononcées le 5 octobre 2016 et le 16 novembre 2016 par le protonotaire Morneau.

[2]               S’appuyant sur les alinéas 221(1)a) et c) des Règles, l’ordonnance du 5 octobre radiait la déclaration d’action de M. Bossé déposée auprès de la Cour en juillet 2016, au motif que la déclaration ne révélait pas de cause d’action valable et qu’elle était scandaleuse, frivole ou vexatoire. Dans son ordonnance, le protonotaire Morneau a radié la déclaration en entier, sans autorisation de la modifier, et a rejeté l’action de M. Bossé avec dépens. Quant à l’ordonnance du 16 novembre 2016, elle rejetait la demande de M. Bossé de procéder à une reconsidération de l’ordonnance du 5 octobre au motif que la lettre déposée par M. Bossé à cet effet constituait de façon claire et évidente un appel indirect à l’encontre de l’ordonnance du 5 octobre.

[3]               Tant dans ses représentations écrites que lors de l’audience devant cette Cour, l’avocate de la défenderesse Sa Majesté La Reine [la Couronne] a fait valoir que seule l’ordonnance du 16 novembre 2016 pouvait être sujette à une requête en appel aux termes de l’article 51 des Règles, puisque le délai prescrit de 10 jours pour un appel de l’ordonnance du 5 octobre était périmé et que M. Bossé n’avait pas déposé de requête demandant une prorogation de délai.

[4]               Tout comme le protonotaire, je suis conscient du fait que M. Bossé n’est pas représenté par avocat et qu’il n’a pas l’avantage d’avoir de l’expérience ou de recevoir des conseils relativement au processus judiciaire. Cependant, bien que la Cour affiche généralement une certaine souplesse et une certaine ouverture à l’égard des parties non représentées par avocat, ce fait, à lui seul, n’exempte pas une partie de son obligation de respecter les Règles et donc de s’acquitter de son fardeau prévu à l’article 51 des Règles dans les délais prescrits (Cotirta c Missinnipi Airways, 2012 CF 1262 au para 13, confirmé 2013 FCA 280). Ceci pourrait donc suffire à rejeter l’appel de M. Bossé à l’encontre de l’ordonnance du 5 octobre, et l’avocate de la Couronne a raison sur ce point.

[5]               Toutefois, considérant les intérêts de la justice et en vue de répondre à l’ensemble des démarches amorcées par M. Bossé devant cette Cour, je vais néanmoins, dans ma décision, traiter tant de l’appel de M. Bossé logé à l’encontre de l’ordonnance du 5 octobre du protonotaire Morneau que de son appel sur l’ordonnance du 16 novembre.

[6]               La Cour d’appel fédérale a récemment statué, dans l’affaire Corporation de soins de la santé Hospira c Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215 [Hospira], que la norme de contrôle applicable aux décisions discrétionnaires des protonotaires est désormais la norme énoncée par la Cour suprême du Canada dans Housen c Nikolaisen, 2002 CSC 33 [Housen] (Hospira aux paras 28, 79). Cette décision de la Cour d’appel fédérale s’inscrit dans la foulée de sa décision rendue dans l’affaire Decor Grates Incorporated c Imperial Manufacturing Group Inc, 2015 CAF 100 où la Cour avait aussi retenu la norme Housen relativement aux décisions de même nature prononcées par les juges de première instance. Aux termes de cette norme Housen, les « ordonnances discrétionnaires des protonotaires ne devraient être infirmées que lorsqu’elles sont erronées en droit, ou fondées sur une erreur manifeste et dominante quant aux faits » (Hospira au para 64). Ainsi, sur des questions de droit, la norme de la décision correcte s’applique alors que, sur des questions de fait ou mixtes de fait et de droit, la norme de l’erreur manifeste et dominante prévaut.

[7]               Les décisions des protonotaires portant tant sur une demande de réexamen ou sur une requête en radiation sont des décisions discrétionnaires qui soulèvent des questions mixtes de fait et de droit. Je ne peux donc infirmer les ordonnances du 5 octobre et du 16 novembre que si M. Bossé me convainc que le protonotaire Morneau a commis une erreur manifeste et dominante. Suite à ma lecture du dossier et après avoir considéré les représentations tant écrites qu’orales des deux parties, je conclus que ce n’est clairement pas le cas ni pour l’ordonnance du 16 novembre, ni pour celle du 5 octobre. La requête de M. Bossé doit donc échouer.

[8]               Si je regarde l’ordonnance du 16 novembre rejetant la demande de réexamen de M. Bossé, je constate que la lettre du 11 octobre 2016 de M. Bossé demandant au protonotaire Morneau de reconsidérer sa décision du 5 octobre n’exprimait aucun critère justifiant un réexamen. Or, l’article 397 des Règles est clair: le réexamen d’une ordonnance de la Cour ne peut s’opérer que si l’ordonnance ne concorde pas avec les motifs donnés pour la justifier ou si une question qui aurait dû être traitée a été oubliée ou omise volontairement. Dans son ordonnance, le protonotaire mentionne que la lettre de M. Bossé « constitue de façon claire et évidente un appel indirect de l’ordonnance du 5 octobre ». Il ne fait aucun doute, comme l’a souligné l’avocate de la Couronne, qu’une demande de réexamen d’une ordonnance n’est pas une nouvelle opportunité pour refaire le litige sur le fond de l’appel (Georgoulas v Canada (Attorney General), 2016 FCA 245 au para 8).

[9]               Je ne décèle donc aucune erreur manifeste et dominante dans les conclusions du protonotaire Morneau. Je suis plutôt d’avis que, dans son ordonnance du 16 novembre, le protonotaire n’a commis aucune erreur en rejetant la demande de réexamen de M. Bossé.

[10]           Dans son avis de requête du 23 novembre 2016, M. Bossé ne mentionne d’ailleurs aucun motif ni n’identifie aucune erreur, et encore moins une erreur manifeste et dominante, dans l’ordonnance du 16 novembre du protonotaire. Encore une fois, je dois constater, comme l’avait fait avant moi le protonotaire Morneau, que M. Bossé vise manifestement à refaire, dans le cadre de sa requête, le litige sur le fond de la déclaration qu’il a déposée devant la Cour. En fait, même les conclusions de son avis de requête ne portent pas sur la décision du protonotaire mais demandent plutôt à la Cour de statuer sur ses droits constitutionnels, sur la récusation de juges, sur l’immunité de mandataires fautifs du pouvoir exécutif, et sur des questions de procédure et de prescription en matière criminelle. Les conclusions apparaissant aux prétentions écrites de M. Bossé sont de même nature : elles réclament notamment d’ordonner l’arrêt de procédures en cours devant une autre instance au Canada, de se prononcer sur d’autres jugements ou décisions rendus contre M. Bossé, et d’accorder juridiction à un autre organisme fédéral de mener une enquête criminelle. Les représentations orales par M. Bossé lors de l’audience devant cette Cour poursuivent dans la même veine : elles demandent à la Cour d’ordonner de référer ses litiges aux instances appropriées, l’arrêt d’autres procédures, la destitution de juges ou l’exécution d’un mandat d’incarcération.

[11]           À l’évidence, l’appel de M. Bossé ne soulève aucune erreur manifeste et dominante dans l’ordonnance du 16 novembre refusant sa demande de réexamen. Les documents déposés par M. Bossé à l’appui de son appel et les remèdes recherchés dans sa requête reprennent plutôt l’essentiel des propos tenus dans sa déclaration d’action et reflètent une tentative indirecte d’en appeler de la radiation de sa déclaration prononcée par le protonotaire dans son ordonnance du 5 octobre.

[12]           Si je regarde maintenant l’ordonnance du 5 octobre radiant la déclaration de M. Bossé, le protonotaire a conclu, après avoir examiné la déclaration, que celle-ci n’articulait aucunement une ou plusieurs causes d’action qui respectent les règles de rédaction et le texte de la Règle 174 et que, même si on arrivait à cerner une telle cause d’action, il était « clair que celle-ci ne saurait relever de la juridiction de la Cour fédérale même si les demandeurs cherchent à dénoncer, entre autres, les agissements des juges nommés par le gouvernement fédéral ».

[13]           Encore une fois, nulle part dans son avis de requête du 23 novembre 2016 ou dans ses représentations écrites ou orales M. Bossé n’invoque ou n’identifie une erreur, et encore moins une erreur manifeste et dominante, dans l’ordonnance du 5 novembre radiant sa déclaration. En fait, comme je l’ai dit plus haut, même les conclusions de son avis de requête et les arguments contenus dans ses prétentions écrites et orales ne portent pas sur la décision du protonotaire mais demandent plutôt à la Cour de statuer sur différentes questions qui se retrouvent dans sa déclaration d’action ou en découlent. Tout comme pour l’ordonnance du 16 novembre, l’appel de M. Bossé ne soulève aucune erreur manifeste et dominante dans l’ordonnance du 5 octobre et reflète plutôt une tentative indirecte d’en appeler de la radiation de sa déclaration prononcée par le protonotaire.

[14]           En fait, la requête de M. Bossé et les documents et arguments soumis à son soutien viennent plutôt confirmer le fait que sa déclaration ne soulève aucune cause d’action valable, ne comporte pas de faits supportant une cause d’action contre la Couronne et recherche des remèdes qui ne relèvent pas de la juridiction de la Cour fédérale.

[15]           La question que je dois trancher dans le cadre de la requête logée par M. Bossé en appel des ordonnances du 5 octobre et du 16 novembre du protonotaire Morneau est de déterminer si le protonotaire a commis une erreur manifeste et dominante dans ses décisions. M. Bossé n’en a allégué aucune dans ses soumissions, et je suis d’avis qu’il n’en a démontré aucune.

[16]           Pour ces raisons, je dois rejeter la requête en appel de M. Bossé. En ce qui concerne les dépens, compte tenu du fait que M. Bossé n’est pas représenté par avocat et qu’il n’a pas eu gain de cause, j’adjuge des dépens s’élevant à 200 $ à son encontre.

 


JUGEMENT

LA COUR :

1.                     REJETTE l’appel des demandeurs / requérants;

2.                     ADJUGE à la défenderesse / intimée des dépens de l’ordre de 200 $.

« Denis Gascon »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1116-16

 

INTITULÉ :

BENOIT BOSSÉ ET LES IMMEUBLES ROBO LTÉE c SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 10 JANVIER 2017]

 

JUGEMENT ETMOTIFS:

LE JUGE GASCON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 13 janvier 2017

 

COMPARUTIONS :

Benoit Bossé

 

pour SON PROPRE COMPTE

 

Catherine M.G. McIntyre

 

pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

pour le défendeuR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.