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Date : 20170113


Dossier : IMM-2869-16

Référence : 2017 CF 49

[traduction française]

Ottawa (Ontario), le 13 janvier 2017

En présence de madame la juge Kane

ENTRE :

YOUSSOUF ALI WALITE

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Le demandeur, Youssouf Ali Walite, sollicite, en vertu de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), le contrôle judiciaire de la décision de la Section d’appel des réfugiés (la SAR) datée du 25 mai 2016, qui a confirmé la conclusion de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) selon laquelle il n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi.

[2]               Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.

I.                   Le contexte

[3]               Le demandeur est citoyen du Tchad et il appartient au groupe ethnique gorane. Il affirme que, le 11 novembre 2014, il a aidé à organiser une manifestation étudiante, à laquelle il a participé, contre la discrimination dont les Goranes et d’autres groupes minoritaires sont victimes lorsqu’il est question d’avoir accès aux études supérieures. Il affirme que la police a violemment dispersé les manifestants et qu’il est parti se cacher. Son frère et son père ont été arrêtés pour avoir refusé de dire à la police où il se trouvait.

[4]               Le demandeur est parti du Tchad le 22 décembre 2014 et, muni d’un visa américain, il s’est rendu aux États-Unis. Il est arrivé au Canada le 24 janvier 2015 et il a demandé l’asile peu de temps après.

La décision de la SPR

[5]               La SPR a conclu que la question déterminante était la crédibilité. Elle a conclu que le témoignage du demandeur concernant les motifs de la manifestation du 11 novembre 2014 et le rôle qu’il a joué quant à celle-ci n’était pas crédible.

[6]               La SPR a également tiré une conclusion défavorable du fait que le demandeur n’avait pas fait mention dans son formulaire Fondement de la demande d’asile (FDA) qu’Ibrahim Nour, le président d’un groupe étudiant, a été arrêté lors de la manifestation du 11 novembre 2014 et aurait dénoncé le demandeur à la police.

[7]               La SPR a également conclu que le demandeur n’était pas, comme il l’a prétendu, un étudiant à l’automne 2014. Elle a souligné qu’il avait beaucoup voyagé au cours de la même période, que la carte d’étudiant qu’il avait présentée comportait des vices et qu’il n’avait pas soumis d’autres documents pour prouver qu’il était vraiment étudiant à l’époque pertinente.

[8]               La SPR a rejeté la prétention du demandeur selon laquelle il était, à titre de Gorane voulant faire des études, victime de discrimination. Elle a souligné que le demandeur était hésitant lorsqu’il a répondu aux questions concernant le domaine dans lequel il étudiait et celui dans lequel il souhaitait étudier. Elle a également souligné que la preuve documentaire ne mentionnait pas que les Goranes étaient victimes de discrimination dans le domaine de l’éducation ou que c’était le motif des manifestations. La preuve documentaire indiquait que les manifestations ont été déclenchées par le non-versement des salaires des enseignants et la hausse des prix du carburant occasionnée par une pénurie.

II.                La décision de la SAR faisant l’objet du contrôle

[9]               La SAR a d’abord examiné deux documents que le demandeur voulait soumettre à titre de nouveaux éléments de preuve : la carte d’étudiant originale du demandeur et une lettre d’appui écrite par son ami, Issa Ali Oumar.

[10]           La SAR a conclu que les documents ne constituaient pas de nouveaux éléments de preuve aux termes du paragraphe 110(4) de la Loi.

[11]           La SAR a conclu que la carte d’étudiant n’était pas fiable pour plusieurs raisons : une partie de la carte n’était pas traduite en anglais ou en français, la carte ne portait aucun numéro de matricule ni aucune date de délivrance. La carte comportait en outre des fautes d’orthographe. La SAR a également souligné qu’une copie de la même carte d’étudiant, qui avait été partiellement traduite en français, faisait partie du dossier de la SPR.

[12]           La SAR a conclu que la lettre d’Issa Ali Oumar ne faisait pas mention d’un événement qui s’est produit après le rejet de la demande d’asile du demandeur par la SPR. Elle a également conclu que la lettre a été soumise sans vérification de l’identité de l’auteur. La SAR a souligné que les renseignements figurant dans la lettre étaient identiques à ceux figurant dans une autre lettre qui faisait partie du dossier de la SPR et qui a été examinée par la SPR.

[13]           En ce qui concerne le bien-fondé de l’appel, la SAR a conclu que la SPR n’a pas commis d’erreur dans son appréciation de la preuve et que plusieurs raisons permettaient de douter de la crédibilité du demandeur.

[14]           La SAR a souligné que le demandeur avait omis de mentionner dans son formulaire FDA qu’Ibrahim Nour, qui, selon lui, l’avait très probablement dénoncé à la police, avait été arrêté. Elle a conclu que cette omission minait la crédibilité du demandeur étant donné qu’elle avait directement trait au fondement même de la demande d’asile.

[15]           La SAR a souscrit à l’opinion de la SPR selon laquelle le demandeur n’était pas étudiant au lycée Roi Fayçal en septembre 2014. Elle a fait mention d’autres motifs justifiant cette conclusion : le passeport du demandeur délivré en janvier 2014 indique qu’il a travaillé comme agent commercial; ses voyages ne cadraient pas avec le mode de vie d’un étudiant au lycée; il avait déjà 25 ans et était fiancé; et la photocopie de sa carte d’étudiant ne portait pas de date de délivrance ni de numéro de matricule, et comportait des fautes d’orthographe dans le titre du document et dans le nom de l’école. La SAR a conclu que la SPR n’avait pas commis d’erreur en concluant que, selon la prépondérance des probabilités, le demandeur n’était pas retourné à l’école en septembre 2014 et ne pouvait pas avoir participé, à titre d’étudiant, à la manifestation de novembre 2014.

[16]           La SAR a fait remarquer que les observations du demandeur selon lesquelles la SPR a commis une erreur en n’examinant pas l’ensemble de la preuve et a commis une erreur en tirant une conclusion en matière de crédibilité en se fondant sur le fait qu’il a omis de mentionner l’arrestation d’Ibrahim Nour dans sa demande d’asile. La SAR a rejeté les deux arguments.

III.             Les questions en litige

[17]           Le demandeur soulève deux questions relativement au caractère raisonnable de la décision :

  • La SAR a-t-elle commis une erreur en refusant d’admettre de nouveaux éléments de preuve?
  • La SAR a-t-elle commis une erreur dans son appréciation de la crédibilité?

IV.             La norme de contrôle

[18]           Lorsqu’elle examine une décision de la SAR, la Cour applique la norme du caractère raisonnable aux conclusions tirées par la SAR relativement aux questions de fait, y compris la crédibilité et les questions mixtes de fait et de droit (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Huruglica, 2016 CAF 93, [2016] ACF no 313 (QL) [Huruglica]). Cela comprend les conclusions concernant l’admissibilité des nouveaux éléments de preuve (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Singh, 2016 CAF 96, au paragraphe 29, [2016] ACF no 315 (QL) [Singh]).

[19]           Lorsqu’elle applique la norme du caractère raisonnable, la Cour s’attarde « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel », « ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 R.C.S. 190).

V.                La SAR a-t-elle commis une erreur en refusant d’admettre de nouveaux éléments de preuve?

Les observations du demandeur

[20]           Le demandeur prétend qu’il a satisfait au critère relatif aux nouveaux éléments de preuve qui est énoncé au paragraphe 110(4) de la Loi, tel que précisé par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Singh.

[21]           Le demandeur prétend que sa carte d’étudiant originale aurait dû être admise. Il prétend que les raisons qu’il a données pour expliquer comment il se fait qu’il n’avait pas fourni sa carte d’étudiant originale à la SPR, à savoir qu’il ne s’attendait pas à ce que son statut d’étudiant soit une question si importante, étaient raisonnables. Il prétend également que la carte d’étudiant originale est usée et tachée, ce qui étaye sa prétention selon laquelle il était étudiant depuis 2010 au lycée, à Ndjamena. Il ajoute que la carte contient des renseignements conformes à ses renseignements personnels et comprend le sceau officiel de l’établissement d’enseignement et sa photo.

[22]           Le demandeur prétend que la lettre d’appui d’Issa Ali Oumar constitue un nouvel élément de preuve qui corrobore son témoignage selon lequel Ibrahim Nour a été arrêté par la police après avoir participé à la manifestation étudiante du 11 novembre 2014. Il a expliqué que cette lettre a été produite afin de répondre à une question qui n’a été soulevée qu’à l’audience de la SPR (c.-à-d., l’omission du nom et de l’arrestation d’Ibrahim Nour). Le demandeur souligne également que la SAR a commis une erreur en déclarant que l’identité de l’auteur de la lettre n’était pas confirmée par un document indépendant et il a fait remarquer que des copies de la carte d’identité nationale et du passeport d’Oumar étaient jointes.

Les observations du défendeur

[23]           Le défendeur souligne que bien que la SAR n’ait pas accepté la carte d’étudiant originale comme nouvel élément de preuve, elle a examiné le document et a raisonnablement conclu qu’elle ne pouvait lui accorder aucun poids.

[24]           La SAR a raisonnablement conclu que la carte d’étudiant n’établissait pas que le demandeur était étudiant en novembre 2014. Il n’est pas pertinent de savoir si la carte aurait dû être acceptée comme « nouvel élément », car la SAR a expressément tenu compte de la carte dans son évaluation de la crédibilité du demandeur.

[25]           Le défendeur soutient que les explications avancées par le demandeur pour justifier qu’il n’avait pas fourni plus tôt la lettre d’appui de M. Oumar n’étaient pas raisonnables, comme la SAR l’a elle-même conclu.

[26]           Le défendeur soutient également qu’il était raisonnable pour la SAR de conclure que le demandeur aurait pu ou aurait dû prévoir les préoccupations de la SPR au sujet de son statut d’étudiant et du fondement de sa demande d’asile.

[27]           Le défendeur souligne que le rôle de la SAR n’est pas de donner la possibilité de combler les lacunes au dossier soumis devant la SPR, mais de voir, si besoin est, à la correction des erreurs de fait, des erreurs de droit ou des erreurs mixtes de fait et de droit.

La SAR n’a pas commis d’erreur en refusant d’admettre les « nouveaux éléments » de preuve

[28]           Le paragraphe 110(4) de la Loi prévoit :

110(4) Dans le cadre de l’appel, la personne en cause ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet de sa demande ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’elle n’aurait pas normalement présentés, dans les circonstances, au moment du rejet.

110(4) On appeal, the person who is the subject of the appeal may present only evidence that arose after the rejection of their claim or that was not reasonably available, or that the person could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection.

[29]           Dans l’arrêt Singh, le juge de Montigny a souligné que la SAR ne peut mettre de côté le critère législatif clair du paragraphe 110(4). En outre, les facteurs établis dans l’arrêt Raza c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 385, [2007] ACF no 1632 (QL) (Raza), à savoir la crédibilité, la pertinence, la nouveauté et le caractère substantiel, demeurent applicables aux décisions de la SAR d’admettre de nouveaux éléments de preuve. La Cour d’appel fédérale a ajouté que seuls les éléments de preuve qui satisfont aux critères énoncés au paragraphe 110(4) sont admissibles.

[30]           Compte tenu de ce principe, le rôle de la Cour n’est pas de réexaminer la question de savoir si la nouvelle preuve aurait dû être acceptée, mais de déterminer si les conclusions de la SAR sont raisonnables.

[31]           La SAR a conclu que la carte d’étudiant comportait des erreurs qui ont jeté un doute sur son authenticité. Une copie de la carte était disponible et a été prise en considération par la SPR et est demeurée au dossier, de sorte que la carte originale ne constituait pas un nouvel élément de preuve. Il est raisonnable de s’attendre à ce que la carte d’étudiant originale du demandeur soit disponible au moment de l’audience de la SPR. L’explication du demandeur, selon laquelle il ne prévoyait pas que sa carte d’étudiant soit une question clé ou que l’original soit nécessaire, n’est pas raisonnable. La demande d’asile du demandeur reposait sur son prétendu rôle à une manifestation étudiante et il a soutenu être un étudiant qui a subi de la discrimination en matière d’accès à l’enseignement à cause de son origine ethnique. Établir qu’il était étudiant serait certainement une question clé.

[32]           La SAR a également conclu de façon raisonnable que la lettre d’appui d’Issa Ali Oumar ne constituait pas un nouvel élément de preuve, bien qu’elle ait déclaré par erreur que cette lettre n’était pas accompagnée de documents d’identité. La lettre ne fait pas référence à un événement qui est survenu après que la SPR a rejeté la demande d’asile du demandeur. Comme l’a noté la SAR, le contenu de la lettre était semblable à une autre lettre d’appui qui a été présentée à la SPR (soit la lettre de Cherif Adjber). La SAR a également conclu que le demandeur n’a pas réussi à établir que la lettre n’était pas normalement accessible ou qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il l’ait présentée à la SPR avant que cette dernière ne rejette sa demande d’asile. L’argument du demandeur, selon lequel la lettre n’a été produite que pour répondre à une question qui a été soulevée à l’audience, ne constitue pas une explication raisonnable. La question en litige était l’omission dans son formulaire FDA de mentionner l’arrestation d’Ibrahim Nour. La lettre n’explique pas pourquoi son formulaire FDA ne mentionnait pas le nom d’Ibrahim Nour ou son arrestation. En outre, l’autre lettre au dossier contenait des renseignements similaires.

[33]           Le rejet des « nouveaux éléments » de preuve par la SAR tient compte des critères prévus au paragraphe 110(4) de la Loi et des facteurs énumérés dans l’arrêt Raza.

VI.             La SAR a-t-elle commis une erreur dans son appréciation de la crédibilité et des conclusions?

Les observations du demandeur

[34]           Le demandeur soutient que la SAR a commis une erreur en se concentrant sur le fait qu’il n’a pas mentionné l’arrestation d’Ibrahim Nour dans l’exposé circonstancié de son formulaire FDA. Il fait valoir que les omissions ne sont graves ou importantes que lorsqu’elles sont au cœur de la demande d’asile et ne doivent pas être exagérées par la SAR.

[35]           Le demandeur soutient que l’élément central de sa demande est qu’il a pris part à une manifestation dans une école de Ndjamena, au Tchad, et qu’il a, en conséquence, été ciblé par les autorités. Son témoignage au sujet du rôle d’Ibrahim Nour était simplement un détail sur lequel il a apporté des précisions à l’audience.

[36]           Le demandeur soutient également que la SAR a commis une erreur en concluant qu’il n’était pas étudiant. Il soutient qu’il a fourni des éléments de preuve crédibles et dignes de foi pour établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’il était un étudiant en novembre 2014. Il signale que, bien que son passeport, délivré en janvier 2014, indique qu’il était « agent commercial », cela n’est pas incompatible avec sa prétention selon laquelle il était étudiant d’octobre 2010 à novembre 2014. Il a mentionné dans son formulaire FDA qu’il était étudiant et qu’il travaillait dans le commerce. Il soutient également que ses déplacements, ses fiançailles et son âge ne sont pas incompatibles avec le fait d’être étudiant. Le demandeur soutient que la SAR a commis une erreur en tirant une conclusion d’invraisemblance fondée sur des conjectures au sujet du mode de vie d’un étudiant sans tenir compte des éléments de preuve à l’appui.

[37]           Le demandeur se fonde également sur la présomption de validité des pièces d’identité étrangères. Il soutient que la SAR n’a fait ressortir aucun élément de preuve, outre ses propres observations, au sujet de l’authenticité des cartes d’étudiant ou d’autres documents. La SAR a fait une analyse microscopique de la carte d’étudiant, car il y avait d’autres caractéristiques qui donnaient à croire à l’authenticité de la carte.

[38]           Le demandeur soutient également que la SPR aurait dû tenir compte de la lettre d’appui de Cherif Adjber. La SAR a commis une erreur en omettant d’identifier et de corriger l’erreur commise par la SPR et en n’évaluant pas cette lettre de façon indépendante.

[39]           Cherif Adjber a écrit dans sa lettre qu’il a logé le demandeur pendant un mois, l’a aidé à obtenir un visa américain et à se procurer un billet d’avion pour les État-Unis. La lettre indiquait également que le demandeur était en danger, qu’il était poursuivi par les autorités tchadiennes et que, pour cette raison, le père et le frère du demandeur avaient disparu.

[40]           Le demandeur soutient en outre que ses allégations concernant la discrimination et la manifestation sont vraisemblables. Il fait valoir que la SAR et la SPR ont toutes deux fait abstraction de la preuve documentaire objective concernant la discrimination que subissent les Goranes. Il fait fond sur la preuve documentaire qui renvoie à des manifestations en raison de préoccupations au sujet de la dignité humaine en général et indique la participation d’enseignants, d’avocats et de fonctionnaires judiciaires. Il ajoute qu’il n’y avait aucune preuve que la discrimination dont les Goranes sont victimes en éducation n’était pas à l’ordre du jour de la manifestation de novembre 2014. Il fait valoir qu’il était, par conséquent, vraisemblable qu’il a aidé à organiser la manifestation du 11 novembre 2014 et y a participé.

Les observations du défendeur

[41]           Le défendeur soutient qu’il était loisible à la SPR, puis à la SAR, de conclure que le témoignage du demandeur à l’audience de la SPR concernant le rôle d’Ibrahim Nour n’était pas simplement une précision ou un ajout de détails mineurs à son formulaire FDA.

[42]           Le défendeur souligne que le demandeur n’a jamais mentionné le nom d’Ibrahim Nour dans son formulaire FDA ou son exposé circonstancié et n’a pas mentionné que le président avait été arrêté ou que ce dernier avait donné le nom du demandeur à la police.

[43]           Le défendeur soutient que la SPR et la SAR ont raisonnablement conclu que le demandeur n’avait pas établi qu’il était un étudiant en novembre 2014. La SPR a conclu que le demandeur avait quitté l’école au début de janvier 2014. Cette conclusion cadre avec la preuve du passeport du demandeur, délivré en janvier 2014, qui indique qu’il était « agent commercial ». Même si le demandeur a prétendu qu’il était retourné à l’école à temps plein en septembre 2014, il a omis de fournir des éléments de preuve pour établir ce fait, par exemple, une lettre d’admission ou des relevés de notes, comme l’a noté la SPR. Le seul élément de preuve était une carte d’étudiant que tant la SPR que la SAR ont raisonnablement rejetée.

VII.          L'évaluation de la crédibilité et les conclusions qu’en a tirées la SAR étaient raisonnables

[44]           Dans la décision Huruglica, la juge Gauthier a levé l’incertitude qui existait auparavant au sujet de la norme de contrôle que doit appliquer la SAR : la SAR doit s’acquitter de son rôle de tribunal d’appel et appliquer la norme de la décision correcte lorsqu’elle examine une décision de la SPR. Quant à savoir si la déférence envers la SPR est de mise, la juge Gauthier a souligné ce qui suit au paragraphe 70 : « Dans chaque cas, la SAR doit rechercher si la SPR a joui d’un véritable avantage et si, le cas échéant, elle peut néanmoins rendre une décision définitive relativement à une demande d’asile. » La juge Gauthier a souligné que la SAR élaborera sa propre jurisprudence au fil du temps.

[45]           En l’espèce, la SAR a apprécié de façon indépendante le témoignage du demandeur et a conclu qu’il manquait de crédibilité. Bien que la SAR ait tiré la même conclusion que celle tirée par la SPR, la SAR a fourni des motifs supplémentaires à l’appui de ses conclusions relatives à la crédibilité.

[46]           Je ne suis pas d’accord avec l’argument du demandeur selon lequel la SAR a commis une erreur en concluant qu’il était invraisemblable qu’il soit étudiant et que les manifestations aient porté sur la discrimination à l’égard des Goranes en matière d’accès à l’enseignement, du fait que la SAR n’a signalé aucun élément de preuve à l’appui de ses conclusions d’invraisemblance.

[47]           La SAR a étayé ses conclusions en faisant référence à la preuve ou à l’absence de preuve. Elle ne s’est pas fondée sur des conjectures en ce qui concerne le défaut du demandeur d’établir son statut d’étudiant et elle n’a pas non plus tiré de conclusions d’invraisemblance non fondées.

[48]           La SAR a raisonnablement conclu, à l’instar de la SPR, que le demandeur n’était pas un étudiant au lycée Roi Fayçal en novembre 2014. Comme la SAR l’a constaté, le passeport du demandeur, délivré le 23 janvier 2014, indique qu’il était agent commercial. Le dossier révèle un certain nombre de visas dans son passeport qui indiquent de nombreux déplacements en 2014. Bien que cela n’exclue pas que le demandeur ait été étudiant, cela a raisonnablement poussé la SPR et la SAR à approfondir la question.

[49]           La carte d’étudiant du demandeur comportait un certain nombre d’anomalies, notamment l’orthographe du nom de l’école et du mot « Scolaire ». Fait important, la carte d’étudiant, qu’il s’agisse de la copie ou de l’original, ne comprenait pas la date de délivrance ou d’expiration. Autrement dit, elle n’établissait pas l’année scolaire pour laquelle elle s’appliquait et ne confirmait pas que le demandeur est retourné à l’école en septembre 2014.

[50]           L’allusion du demandeur à sa réponse à une question dans une annexe à son formulaire FDA qui indique que ses activités étaient [traduction] « études/commerce » d’avril 2007 à la date du formulaire FDA, n’est pas une preuve contradictoire que la SPR et la SAR ont ignorée. Cette réponse sibylline ne permet pas d’établir que le demandeur est retourné à l’école à temps plein en septembre 2014 ou qu’il était étudiant au moment de la manifestation de novembre 2014.

[51]           En ce qui concerne la vraisemblance de l’allégation de discrimination, rien dans le dossier n’établit que la manifestation à laquelle il a participé avait quelque chose à voir avec la discrimination que subissent les Goranes en éducation. Le demandeur laisse entendre que la preuve objective confirme qu’il y avait des manifestations, que des gens ont été arrêtés et que les minorités sont victimes de discrimination et que ces éléments sont suffisants pour appuyer ses prétentions. Je ne suis pas d’accord. Le dossier, qui comprend le rapport du Département d’État des États-Unis et de nombreux reportages médiatiques au sujet des manifestations, ne dit rien à l’appui des prétentions du demandeur selon lesquelles il a participé dans la ville de Ndjamena à une manifestation qui avait un lien avec la discrimination que subissent les Goranes dans l’éducation.

[52]           L’argument du demandeur voulant que rien dans le dossier n’indique que les manifestations n’avaient pas trait à l’éducation donne à penser que le fardeau de la preuve concernant la discrimination et le lien avec un motif de la Convention devrait reposer sur le ministre, ce qui n’est manifestement pas le cas, en droit. Le demandeur doit établir le bien-fondé de sa demande. Il ne l’a pas fait. La SPR et la SAR ont raisonnablement conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve à l’appui des allégations du demandeur selon lesquelles il y a de la discrimination dans l’éducation et qu’il faisait l’objet de cette discrimination ou que sa participation à la prétendue manifestation l’a mis en danger.

[53]           En ce qui concerne l’omission dans le formulaire FDA, comme le souligne le défendeur, le rôle de M. Nour est un élément important dans la demande d’asile du demandeur. M. Nour aurait dénoncé le demandeur à la police, au Tchad. Cette dénonciation aurait fait ressortir le demandeur des nombreux autres manifestants et expliquerait pourquoi il a été ciblé par la police. Il ne s’agissait pas d’un détail explicatif concernant sa demande d’asile : c’était au cœur de sa demande. Pourquoi le demandeur aurait-il déclaré dans son formulaire FDA que lui et le président ont organisé les manifestations sans indiquer le nom du président, son arrestation et sa prétendue dénonciation à la police? Contrairement à ce que prétend le demandeur, il ne s’agit pas d’un détail au sujet d’un tiers. Le rôle d’Ibrahim Nour était lié à la prétendue participation du demandeur à la manifestation, au besoin de se cacher et à la prétendue arrestation de son père et de son frère pour avoir refusé de révéler l’endroit où il se trouvait.

[54]           La conclusion de la SAR selon laquelle cette omission justifiait une conclusion défavorable quant à la crédibilité est raisonnable.

[55]           En outre, la SAR n’a pas commis d’erreur en ne renvoyant pas expressément à la lettre de Cherif Adjber. Elle a examiné l’argument du demandeur voulant que la lettre ait été laissée de côté par la SPR, soulignant que la SPR est présumée avoir tenu compte de tous les éléments de preuve et n’a pas à faire référence à chaque élément. La SAR n’a pas commis d’erreur en concluant que la déclaration de la SPR, selon laquelle elle avait tenu compte de l’ensemble de la preuve, était fiable.

[56]           En outre, la SAR n’a pas commis d’erreur en ne renvoyant pas précisément à la lettre de Cherif Adjber. Elle a reconnu que cette lettre a été versée au dossier devant la SPR et que son contenu était semblable à la lettre d’Issa Ali Oumar, qu’elle n’a pas accepté comme nouvelle preuve. Par conséquent, la SAR était au courant du contenu de la lettre et on ne saurait lui reprocher d’en avoir fait fi.

[57]           La SAR a cité Moriom c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 588, au paragraphe 24, [2015] ACF no 553. Dans cette affaire, le juge Brown a examiné le principe selon lequel une conclusion générale de manque de crédibilité peut s’étendre à tous les éléments de preuve pertinents émanant du récit d’un demandeur. Il a examiné la jurisprudence et a fait observer, au paragraphe 26 :

À mon avis, la question relative à ces raisonnements a été résolue par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Sellan, 2008 CAF 381 (CanLII), 2008 CAF 381 (Sellan), où une question a été certifiée aux fins de décision par la Cour d’appel et où cette dernière a conclu ce qui suit :

[2]               Le juge a aussi certifié une question, en l’occurrence : Lorsqu’il existe une preuve objective pertinente susceptible d’étayer une demande de protection et que la Section de la protection des réfugiés estime que la preuve subjective présentée par le demandeur n’est pas crédible, sauf en ce qui concerne l’identité, la Section de la protection des réfugiés doit-elle apprécier cette preuve objective au regard de l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés?

[3]        À notre avis, il faut répondre à cette question de la façon suivante : Lorsque la Commission tire une conclusion générale selon laquelle le demandeur manque de crédibilité, cette conclusion suffit pour rejeter la demande, à moins que le dossier ne comporte une preuve documentaire indépendante et crédible permettant d’étayer une décision favorable au demandeur. C’est au demandeur qu’il incombe de démontrer que cette preuve existe.

[4]        Ce qui nous amène à la question de savoir s’il y avait au dossier présenté à la Commission une preuve permettant d’étayer une décision favorable à l’intimée. À notre avis, il est clair que cette preuve n’était pas au dossier. Nous sommes convaincus que si le juge avait examiné le dossier, comme il était tenu de le faire, il en serait sans aucun doute arrivé à la même conclusion. Dans ces circonstances, il serait inutile de renvoyer l’affaire à la Commission.

[58]           La question est donc de savoir si le dossier comporte une preuve documentaire indépendante et crédible capable d’étayer une décision favorable au demandeur d’asile, en dépit de la conclusion générale du manque de crédibilité. Plus précisément, la question en l’espèce est de savoir si la lettre de Cherif Adjber pouvait étayer une décision favorable au demandeur. Il est clair que tel n’était pas le cas. Les renseignements contenus dans la lettre ne dissipaient pas les doutes de la SAR au sujet de la crédibilité du demandeur, notamment qu’il était réellement un étudiant en novembre 2014, ou qu’il y avait discrimination contre les Goranes en matière d’accès à l’enseignement.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a aucune question à certifier.

« Catherine M. Kane »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2869-16

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :

YOUSSOUF ALI WALITE c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 8 DÉCEMBRE 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE KANE

 

DATE :

LE 13 JANVIER 2017

 

COMPARUTIONS :

DERYCK RAMCHARITAR

 

POUR LE DEMANDEUR

YOUSSOUF ALI WALITE

 

MANUEL MENDELZON

 

POUR LE DÉFENDEUR

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Silcoff, Shacter

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

YOUSSOUF ALI WALITE

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

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