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Date : 20170103


Dossiers : IMM-1850-16

IMM-1851-16

Référence : 2016 CF 1422

[TRADUCTION FRANÇAISE]

 

Ottawa (Ontario), le 3 janvier 2017

En présence de madame la juge Strickland

Dossier : IMM-1850-16

ENTRE :

NGOZI PATRICIA IKEJI

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

Dossier : IMM-1851-16

ET ENTRE :

NGOZI PATRICIA IKEJI

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La Cour est saisie des demandes de contrôle judiciaire visant la conclusion défavorable de l’examen des risques avant renvoi (ERAR) datée du 29 mars 2016 (IMM-1851-16), et la décision datée du même jour par laquelle la même agente d’immigration (agente) a refusé le la demande de résidence permanente de la demanderesse fondée sur des motifs d’ordre humanitaire (demande CH) (IMM-1850-16). Les deux demandes ont été instruites ensemble.

[2]               Pour les motifs qui suivent, je conclus que les deux décisions étaient raisonnables.

Contexte

[3]               La demanderesse est une citoyenne nigériane arrivée au Canada en juillet 1998 à l’âge de 19 ans. Deux mois après son arrivée, elle a présenté une demande d’asile fondée sur ses opinions politiques : elle alléguait qu’après la publication d’un article critique envers le régime, elle et dix collègues co-auteurs de l’article ont été détenues et violées à deux reprises par des soldats. La Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (CISR) n’a pas cru que les événements décrits par la demanderesse s’étaient produits et a rejeté sa demande le 10 mai 1999. D’après la décision et l’analyse du risque se rapportant à la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada (CDNRSRC) datées du 15 septembre 2000, les éléments de preuve convaincants étaient insuffisants pour confirmer que la demanderesse avait été particulièrement prise pour cible ou qu’elle se heurterait à un risque objectivement identifiable si elle devait retourner au Nigeria.

[4]               La demanderesse devait être renvoyée du Canada en juin 2001 et s’est vu refuser un sursis. Elle n’a pas quitté le pays et a continué à vivre au Canada sans statut juridique. Le 16 juillet 2015, elle a présenté une demande d’ERAR dans laquelle elle faisait valoir un nouveau risque, à savoir qu’elle craignait de retourner au Nigeria parce qu’elle se dit bisexuelle. Elle prétend qu’elle a été déshéritée et ostracisée par sa famille pour cette raison, et qu’elle s’expose à un risque du fait des lois criminalisant l’homosexualité qui sont en vigueur au Nigeria. Le 23 septembre 2015, elle a présenté au Canada une demande CH aux termes de l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), dans laquelle elle invoque son établissement au Canada, l’absence de tout établissement au Nigeria, le risque généralisé présent dans ce pays, les difficultés économiques et sociales auxquelles l’exposerait son départ du Canada, l’intérêt supérieur d’un enfant, son orientation sexuelle, ainsi qu’une affection médicale, l’anémie.

Décisions faisant l’objet du contrôle

i)                    La décision rendue à l’issue de l’ERAR

[5]               L’agente a conclu, au regard de tous les éléments de preuve produits, que la demanderesse n’avait pas établi, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle était bisexuelle.

[6]               Pour arriver cette conclusion, l’agente a noté que la demanderesse avait indiqué, dans l’affidavit fourni à l’appui de sa demande, qu’à son départ du Nigeria elle ne voulait pas s’admettre son identité sexuelle, mais qu’elle en est venue à accepter qui elle était et à s’afficher ouvertement peu après son arrivée au Canada en 1998. Elle n’avait pourtant pas divulgué ce risque lié à son orientation sexuelle à la CISR, un organe qui était en mesure de lui accorder la protection voulue. Dans sa demande subséquente au titre de la CDNRSRC, elle n’a pas non plus déclaré son orientation sexuelle et ne l’a pas invoquée comme un motif de crainte de retourner dans son pays. Ni le rapport psychologique d’août 1999, ni l’affidavit de son amie Catherine Uchendu, tous deux présentés à l’appui de sa demande CDNRSRC, ne mentionnent son orientation sexuelle. Par la suite, dans son affidavit du 28 juillet 2015 soumis à l’appui de l’ERAR, Mme Uchendu a déclaré qu’elle connaissait la demanderesse depuis l’été 1998, qu’elle savait tout de son passé, et notamment qu’elle avait été maltraitée et qu’elle n’avait pas eu beaucoup de chance dans ses relations hétérosexuelles ou bisexuelles.

[7]               L’agente a noté que d’après les rapports soumis par un travailleur social et un psychothérapeute à l’appui de l’ERAR, la demanderesse avait une relation sérieuse avec Stacy qui semble avoir débuté peu après son arrivée au Canada. La demanderesse avait d’ailleurs insinué dans son affidavit qu’elle et Stacy étaient engagées dans une relation à long terme et vivaient ensemble. Cependant, la preuve qu’elle a produite pour attester cette union de fait était insuffisante, et son affidavit était vague et avare de détails. L’agente a conclu que la preuve était insuffisante pour établir que la demanderesse était bisexuelle, compte tenu des éléments qu’elle a fournis en ce qui concerne sa prétendue relation à long terme avec Stacy.

[8]               Par ailleurs, la relation de la demanderesse avec Stacy contredisait ses antécédents d’immigration. M. Frank Ficker avait soumis une demande de parrainage d’une épouse au nom de la demanderesse le 10 février 2001, et cette dernière avait indiqué dans son formulaire IMM8 (demande CH) qu’elle avait été partie à un mariage authentique avec M. Ficker du 10 décembre 2000 au 13 juillet 2013. Or, durant la même période, elle était censée vivre en union de fait avec Stacy. La demanderesse n’a pas expliqué ce chevauchement apparent.

[9]               Ayant pris acte d’une lettre du 17 août 2015 de la Metropolitan Community Church de Toronto (« Metropolitan Church ») et des documents d’août de la même année émanant de l’organisation 519 Space for Change (« Centre 519 »), l’agente a toutefois conclu que même si ces documents établissaient un lien avec la collectivité, ils ne prouvaient pas l’orientation sexuelle de la demanderesse. L’agente a également pris acte des affidavits de Mme Uchendu et de M. Newman Obike, qui affirment qu’ils savaient que la demanderesse était bisexuelle, mais elle ne leur a accordé que peu de poids parce qu’ils ont été rédigés par des amis ayant un intérêt direct dans l’issue de la demande. L’agente a également noté que les déclarations ayant trait à l’orientation sexuelle de la demanderesse contenues dans les affidavits étaient vagues et peu détaillées.

[10]           L’agente a noté que la demanderesse réside au Canada depuis 1998, mais qu’elle n’a offert aucun autre renseignement ni détail concernant d’autres relations que celle qu’elle a nouée avec Stacy, à son arrivée. D’après l’agente, il était raisonnable de présumer que la demanderesse pouvait et voulait fournir des détails suffisants quant à son orientation bisexuelle.

[11]           Pour tous ces motifs, l’agente a conclu que la demanderesse n’avait pas établi son orientation sexuelle selon la prépondérance des probabilités.

ii)                  Décision quant à la demande CH

[12]           L’agente a indiqué que la demanderesse fondait sa demande CH sur son établissement, l’intérêt supérieur de l’enfant et la situation dans le pays en cause au regard de sa situation personnelle. Pour ce qui est de l’établissement, l’agente a conclu que la demanderesse se trouvait au Canada depuis près de 18 ans, mais que cela était insuffisant en soi pour justifier une dispense. Par ailleurs, bien qu’elle ait prétendu posséder et diriger une entreprise, elle n’a pas fourni assez d’éléments de preuve pour étayer cette allégation ou démontrer qu’elle s’était établie à un degré tel qu’il y avait lieu de l’exempter de l’obligation de présenter une demande de résidence permanente de l’extérieur du Canada. L’agente a noté que la demanderesse n’avait pas de famille au Canada, mais a pris acte des lettres de soutien fournies par ses amis, Mme Uchendu et M. Obike, dont elle a estimé qu’elles attestaient leur amitié, ainsi que des lettres du Centre 519 et de la Metropolitan Church. Cependant, l’agente n’était pas convaincue que la preuve établissait que la demanderesse souffrirait de la séparation, même si ces documents montraient qu’elle avait noué des amitiés et établi des liens dans la collectivité.

[13]           Fondamentalement pour les mêmes motifs que ceux énoncés dans la décision rendue à l’issue de l’ERAR, l’agente a conclu, compte tenu de l’ensemble de la preuve, que la demanderesse n’avait pas soumis d’éléments suffisants pour établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle était bisexuelle.

[14]           Quant à l’allégation de la demanderesse selon laquelle elle considère le fils de Mme Uchendu, né en décembre 2012, comme le sien, qu’ils sont en contact régulier, qu’elle le voit une fois par semaine et lui parle tous les jours, et à la lettre dans laquelle Mme Uchendu déclare que Joshua serait dévasté si la demanderesse quittait le Canada, l’agente a estimé que cette preuve n’établissait pas que le degré de dépendance était tel que le départ de la demanderesse nuirait à l’enfant ou que son intérêt supérieur serait lésé si elle devait présenter une demande de résidence permanente de l’extérieur du Canada.

[15]           La demanderesse a également indiqué qu’elle suivait une psychothérapie qui l’aidait à se remettre de ses expériences passées et à accepter son orientation sexuelle. Elle a fait valoir qu’il était important qu’elle poursuive ce traitement, mais qu’elle ne pourrait pas le faire au Nigeria, pays où elle a subi une agression sexuelle et où la bisexualité est taboue. L’agente a conclu que la preuve soumise par la demanderesse était insuffisante pour établir qu’elle suivait toujours une psychothérapie et que son retour au Nigeria compromettrait sa guérison. La demanderesse a ajouté qu’elle souffrait d’anémie et qu’elle traitait cette affection par des vitamines, des comprimés de fer et une alimentation saine. L’agente a estimé qu’elle n’avait pas démontré de manière satisfaisante que son affection ne serait pas adéquatement soignée au Nigeria.

[16]           Enfin, s’agissant de l’observation de la demanderesse d’après laquelle elle n’a jamais travaillé au Nigeria et qu’elle n’a ni famille ni communauté pour l’aider dans ce pays, l’agente a estimé que ces affirmations étaient hypothétiques et sans fondement. Par ailleurs, la demanderesse est arrivée au Canada à l’âge de 19 ans avec peu de compétences, d’expérience professionnelle et d’appuis familiaux, mais elle a réussi à établir un réseau, à trouver du travail et à suivre des cours. L’agente n’était pas convaincue qu’elle ne puisse faire de même au Nigeria.

[17]           Ayant examiné toutes les circonstances invoquées par la demanderesse, l’agente a conclu que la dispense demandée ne se justifiait pas compte tenu des facteurs d’ordre humanitaire, et elle a refusé la demande.

Questions en litige

[18]           À mon avis, les deux décisions soulèvent les questions suivantes :

1)                  Dans la décision rendue à l’issue de l’ERAR, l’agente a-t-elle rendu une décision voilée concernant la crédibilité, et dès lors commis une erreur en ne tenant pas d’audience?

2)                  Les décisions de l’agente étaient-elles raisonnables?

Norme de contrôle

[19]           La demanderesse soutient que les décisions rendues à l’issue de l’ERAR et quant aux demandes CH sont soumises à la norme de la décision raisonnable, pour ce qui est des questions de fait ou de fait et de droit, et à celle de la décision correcte, pour ce qui est des questions de droit; la décision globale doit être soumise, selon elle, à la norme de la décision raisonnable. Le défendeur fait valoir que les conclusions factuelles d’un agent d’ERAR ou chargé des demandes CH sont soumises à la norme de la décision raisonnable.

[20]           La norme de la décision raisonnable s’applique aux questions se rapportant à des conclusions voilées en matière de crédibilité. (Chekroun c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 738 au paragraphe 40 [Chekroun]; Angulo Lopez c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1022 aux paragraphes 20 et 24; Zeng c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 49 aux paragraphes 14 et 16). Bien que la jurisprudence soit divisée quant à la norme de contrôle applicable à la décision d’un agent d’ERAR de tenir ou non une audience, j’ai conclu dans des affaires antérieures que c’est la norme de la décision raisonnable qui s’applique en l’occurrence, attendu que l’agent d’ERAR décide de l’opportunité d’une telle audience en examinant la demande d’ERAR au regard des exigences prévues à l’alinéa 113b) de la LIPR et des facteurs énoncés à l’article 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (RIPR), ce qui est une question de fait et de droit (Chekroun au paragraphe 40; Seyoboka c, Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 514 au paragraphe 29).

[21]           Je conviens que la norme de contrôle applicable aux décisions des agents d’ERAR et chargés des demandes CH est celle de la décision raisonnable (Wang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 799 au paragraphe 11 [Wang ]; Chen c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 702 au paragraphe 13; Belaroui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 863 aux paragraphes 9 et 10; Herrera c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 261 au paragraphe 6 et 7; Aleziri c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 38 au paragraphe 11; Din c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 356 au paragraphe 5; Kisana c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 189 au paragraphe 18; Betoukoumesou c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 589 au paragraphe 16; Ogunyinka c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 595 au paragraphe 19), et que les questions d’équité procédurale appellent la norme de la décision correcte (Wang au paragraphe 11; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, [2009] 1 R.C.S. 339, 2009 CSC 12 au paragraphe 43; et Liu c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 836 au paragraphe 11).

QUESTION 1 : Dans la décision rendue à l’issue de l’ERAR, l’agente a-t-elle rendu une décision voilée concernant la crédibilité, et dès lors commis une erreur en ne tenant pas d’audience?

Position de la demanderesse

[22]           La demanderesse fait valoir que lorsque la crédibilité est un enjeu déterminant dans le cadre d’une demande d’ERAR, l’intéressé a droit à une audience en vertu de l’alinéa 113b) de la LIPR et de l’article 167 du RIPR. Le défaut de tenir une audience en pareil cas constitue un manquement à l’équité procédurale. En l’espèce, il n’y a pas eu d’audience et, dans la mesure où l’agente s’est prononcée sur la crédibilité, la décision est erronée (Liban c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1252 [Liban]).

[23]           Par ailleurs, dans la décision Chekroun, le demandeur avait fourni la lettre d’une organisation LGBTA, sans divulguer son orientation sexuelle dans la demande d’asile. La Cour a estimé que l’agent avait commis une erreur en ne présumant pas de la véracité de l’affidavit du demandeur établi sous serment et en exigeant des éléments de preuve corroborants sans avoir de motifs de douter de son caractère véridique. De même, en l’espèce, la demanderesse a fourni son affidavit et des éléments de preuve corroborants, notamment une lettre émanant d’une organisation LGBTA. Par conséquent, on peut tout au moins soutenir que l’agente ne l’a simplement pas crue et a donc commis une erreur en ne tenant pas d’audience.

Position du défendeur

[24]           Le défendeur soutient qu’il y a lieu de distinguer les affaires citées par la demanderesse au chapitre des conclusions voilées en matière de crédibilité et le cas présent, et il invoque plusieurs décisions dans lesquelles la Cour a estimé que les conclusions concernant le caractère suffisant de la preuve n’étaient pas des conclusions déguisées ayant trait à la crédibilité (Donelly Herman c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 629 aux paragraphes 16 à 18 [Herman]; Sayed c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 796 aux paragraphes 30 à 38; Ullah c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 221 aux paragraphes 27 à 35; Gao c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 59 aux paragraphes 32 à 47 [Gao]; Ibrahim c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 837 aux paragraphes 21 à 29 [Ibrahim]). Pour le défendeur, il est important de reconnaître la distinction entre la conviction que la demanderesse s’est acquittée de son fardeau de preuve, et le simple fait de ne pas la croire.

[25]           Le défendeur soutient qu’en l’espèce, la preuve produite par la demanderesse afin d’établir son orientation sexuelle était faible et impropre à satisfaire au fardeau de la preuve. Il n’y a pas eu de conclusion voilée en matière de crédibilité et la tenue d’une audience n’était pas requise (Herman aux paragraphes 16 et 17).

[26]           Quant à l’argument de la demanderesse voulant que l’agente ait commis une erreur en ne présumant pas de la véracité de son affidavit, la Cour, dans Maldonado c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 CF 302 (C.A.F.) Maldonado), a estimé que les témoignages sont présumés véridiques, à moins qu’il n’existe une raison valide d’en douter. Or, en l’espèce, la demanderesse a affirmé qu’elle vivait en union de fait durable avec Stacy pendant la période même où elle était mariée à son époux. Aucune explication n’a été fournie quant à cette contradiction, que la demanderesse semble avoir délibérément dissimulée à l’agente. Cela suffisait à réfuter la présomption de véracité de son affidavit et justifiait que l’agente n’accorde que peu de poids à celui-ci.

Analyse

[27]           Dans la décision Gao, la juge Kane de la Cour a noté qu’il peut être difficile de distinguer les conclusions relatives à l’insuffisance de la preuve de celles qui ont trait à la crédibilité :

[28]           32        Je constate que, dans certains cas, il est difficile d’établir une distinction entre une conclusion portant sur l’insuffisance de la preuve et une conclusion suivant laquelle un demandeur n’a pas été cru, c’est‑à‑dire n’était pas crédible. Le choix des mots employés, en l’occurrence le fait de parler de crédibilité ou de l’insuffisance de la preuve, ne permet pas à lui seul de déterminer si des conclusions ont été tirées sur une question ou sur l’autre ou sur les deux. On ne peut toutefois pas présumer que, lorsque l’agent conclut que la preuve ne démontre pas le bien-fondé de la demande du demandeur, l’agent n’a pas cru le demandeur.

[29]           Dans Ferguson c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1067 (Ferguson), l’agent d’ERAR avait conclu que la preuve fournie par la demanderesse afin d’établir qu’elle était lesbienne était insuffisante. Le seul élément présenté était une observation écrite de son avocate, que l’agent n’avait pas jugée probante. La demanderesse soutenait que l’agent avait en fait tiré une conclusion relative à la crédibilité. Le juge Zinn n’était pas d’accord, estimant que le raisonnement de l’agent d’ERAR suggérait simplement qu’il n’avait ni cru ni refusé de croire la demanderesse, mais qu’elle ne l’avait pas convaincu :

[30]           34        Je pense aussi qu’il n’y a rien dans la décision contestée qui indique qu’une partie quelconque de cette décision était basée sur la crédibilité de la demanderesse. L’agent ni ne croit ni ne croit pas que la demanderesse est lesbienne – il n’est pas convaincu. Il dit que la preuve objective n’établit pas qu’elle est lesbienne. En bref, il a conclu qu’il y avait un élément de preuve – la déclaration de l’avocate – mais que c’était insuffisant pour établir, selon la prépondérance de la preuve, que Mme Ferguson était lesbienne. Selon moi, cette conclusion ne remet pas en cause la crédibilité de la demanderesse.

[31]           La demanderesse invoque les décisions rendues dans Liban et Chekroun, qui lui semblent comparables à la présente affaire. Malgré des similarités factuelles, j’estime qu’il convient néanmoins d’établir une distinction. Contrairement à la décision Liban, l’agente en l’espèce n’a pas accordé une importance considérable aux conclusions de la CISR quant à la crédibilité. Elle a également expliqué dans ses motifs pourquoi elle avait accordé peu de valeur probante à la preuve soumise par la demanderesse.

[32]           Le cas présent se distingue aussi de l’affaire Chekroun, dans laquelle l’agent n’avait pas expliqué pourquoi la preuve du demandeur était insuffisante à elle seule pour établir son orientation sexuelle, alors qu’aucun élément contradictoire ni aucune incohérence ne venait remettre cette preuve en question. En l’espèce, l’agente a expliqué que l’affidavit de la demanderesse était vague et sans détails concernant sa prétendue relation à long terme avec Stacy. À cet égard, la demanderesse a indiqué simplement dans son affidavit qu’elle avait été très active auprès des associations communautaires nigérianes de Toronto entre 1998 et 2001, mais qu’elle avait dû rompre tous ces liens, car elle avait suscité des réactions violentes en commençant à vivre ouvertement avec sa partenaire lesbienne. Elle a déclaré qu’[traduction] « après m’avoir promis pendant des années de me parrainer comme conjointe de fait », elle m’a laissé tomber.

[33]           La demanderesse n’a pas non plus mentionné son mariage dans son affidavit, et elle n’a pas répondu à la question concernant son statut conjugal actuel dans sa demande d’ERAR. Mais, comme l’a noté l’agente, la preuve divulguée dans sa demande CH établit que la demanderesse a prétendu avoir été partie à un mariage authentique avec M. Ficker de 2000 à 2013. Ce mariage semble donc coïncider avec la période de sa prétendue union de fait avec Stacy. Bien qu’il puisse y avoir une explication raisonnable à ce sujet, la demanderesse n’en a avancé aucune dans son affidavit et c’est à elle que ce fardeau incombait (Moreno Corona c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 759 au paragraphe 27; Borbon Marte c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2010 CF 930 au paragraphe 39 [Borbon Marte]; Sufaj c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 373 au paragraphe 39; Ogunrinde c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2012 CF 760 au paragraphe 41; Gao au paragraphe 45).

[34]           À mon avis, le manque de détails concernant sa relation avec Stacy et l’omission de mentionner son mariage donnaient une raison valide de douter de la véracité de l’affidavit de la demanderesse et donc de réfuter la présomption issue de Maldonado.

[35]           La présente affaire ressemble davantage à celle qui fait l’objet de la décision Ferguson, puisque l’agent a pondéré la preuve et conclu que la norme juridique n’a tout simplement pas été satisfaite. Comme l’a déclaré le juge Zinn dans Ferguson, tous les éléments de preuve ne sont pas de qualité équivalente, et bien qu’un demandeur puisse se décharger du fardeau de la preuve après avoir établi chaque élément essentiel, il est possible qu’il ne s’acquitte pas du fardeau juridique parce que la preuve présentée ne démontre pas les faits requis selon la prépondérance des probabilités. Comme dans Ferguson, la demanderesse se serait acquittée de l’aspect juridique du fardeau de la preuve en l’espèce si elle avait établi devant l’agente son orientation sexuelle, selon la prépondérance des probabilités. Cependant, la question de savoir si la preuve présentée satisfait au fardeau juridique dépend grandement du poids qui lui a été accordé (Ferguson aux paragraphes 23 et 24), et l’appréciation par les agents d’ERAR de la valeur probante des éléments qui leur ont été soumis appelle une certaine retenue. Si cette appréciation entre dans l’éventail de la raisonnabilité, elle ne doit pas être modifiée (Ferguson au paragraphe 33; voir également Gao aux paragraphes 41 à 44; Herman aux paragraphes 17 et 18).

[36]           Comme dans Herman, je suis convaincue qu’en l’espèce l’agente n’a pas masqué des conclusions défavorables en matière de crédibilité en conclusions ayant trait au caractère insuffisant de la preuve produite par la demanderesse. Il lui était en fait loisible de conclure, sans tirer d’inférence défavorable quant à la crédibilité, que la preuve produite ne suffisait pas à établir, selon la prépondérance des probabilités, l’orientation sexuelle de la demanderesse. Par conséquent, il n’était pas nécessaire de tenir une audience.

QUESTION 2 :          Les décisions de l’agente étaient-elles raisonnables?

i)                    Décision rendue à l’issue de l’ERAR

Position de la demanderesse

[37]           La demanderesse fait valoir que la décision de l’agente était déraisonnable compte tenu de la preuve dont elle disposait. L’agente a commis une erreur en considérant comme une question de crédibilité en soi le temps mis par la demanderesse à divulguer le risque fondé sur son orientation sexuelle entre le moment de son audience devant la SPR et sa demande au titre de la CDNRSRC, et son ERAR (Chekroun). En outre, la preuve montrait que la communauté LGBTA au Nigeria et au Canada est très stigmatisée. Par conséquent, il n’était pas déraisonnable de la part de la demanderesse d’être réticente à divulguer son orientation sexuelle à quiconque, y compris aux autorités canadiennes.

[38]           Par ailleurs, bien que l’agente ait conclu que l’affidavit de la demanderesse manquait de détails quant à sa relation homosexuelle au Canada, n’était pas corroboré, et n’expliquait pas comment elle pouvait être partie à un mariage authentique avec un homme en même temps qu’elle vivait en union de fait avec Stacy, il indiquait qu’elle était engagée dans une relation homosexuelle, et qu’elle avait été ostracisée par la communauté nigériane lorsque cela s’est su. Des détails auraient pu être demandés et fournis dans le cadre d’une audience, qui n’a pas eu lieu.

[39]           La demanderesse fait valoir que même si la lettre rédigée par l’organisation LGBTA ne confirmait pas son orientation sexuelle, et que la participation à ses activités n’était pas forcément réservée aux membres de cette communauté, ce n’était pas une raison pour la rejeter d’emblée, car la lettre était probante. L’agente a commis une erreur en agissant ainsi.

[40]           L’agente a également commis une erreur en n’accordant qu’un poids minimal aux affidavits des amis de la demanderesse au motif qu’ils avaient un intérêt direct dans l’issue de la demande et que leurs affidavits manquaient de détails. D’après la demanderesse, la Cour rejette ce type de raisonnement, car il revient à contourner la présomption de véracité des affidavits et à ignorer que les déposants peuvent fournir, comme en l’espèce, un témoignage oculaire direct. Il était également déraisonnable de la part de l’agente de conclure que la demanderesse devait avoir eu d’autres relations homosexuelles pour établir son orientation sexuelle.

[41]           La demanderesse argue par ailleurs que suivant l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Kanthasamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 (Kanthasamy), les évaluations psychologiques ne doivent pas être écartées d’emblée. En l’espèce, l’agente ne dit pratiquement rien du rapport du psychothérapeute et ne remet pas en cause son avis d’après lequel la demanderesse souffre d’affections mentales. L’agente a donc ignoré cet élément de preuve important ou, du moins, manqué d’expliquer clairement pourquoi elle le rejetait.

Position du défendeur

[42]           Le défendeur soutient qu’il est pertinent que la demanderesse n’ait pas divulgué à la première occasion le risque auquel elle s’exposait et que, contrairement à ce qu’elle prétend, il est possible de tirer une inférence défavorable du défaut de l’invoquer dans le cadre d’une instance précédente. En l’espèce, il était raisonnable de la part de l’agente de signaler que la demanderesse avait eu deux occasions de soulever ce risque. La demanderesse n’affirme pas catégoriquement dans son affidavit qu’elle n’était pas consciente de son orientation sexuelle au moment de l’audition de sa demande d’asile. L’ERAR a pour objet d’examiner de nouveaux risques, et ne se veut pas une seconde audition de la demande d’asile. Quoi qu’il en soit, la décision de l’agente ne reposait pas sur l’omission de la demanderesse de divulguer plus tôt cet élément particulier, mais plutôt sur de multiples considérations liées à la preuve. Compte tenu des nombreux fondements de la décision, l’agente n’a pas eu tort de tenir compte du fait que la demanderesse n’avait pas divulgué plus tôt son orientation sexuelle.

[43]           Le défendeur fait valoir que les demandes d’ERAR s’effectuent par voie de documents, et que les audiences ne se justifient que dans les circonstances exceptionnelles. À ce titre, l’agente n’était pas tenue de convoquer une audience pour remédier aux insuffisances de l’affidavit de la demanderesse. C’est à cette dernière qu’il incombait plutôt d’avancer de meilleurs arguments.

[44]           Le défendeur soutient que l’agente a traité le reste de la preuve d’une manière raisonnable. Les lettres du Centre 519 et de la Metropolitan Church n’attestaient pas l’orientation sexuelle de la demanderesse et ne pouvaient être interprétées en ce sens. Les affidavits fournis par les deux amis de la demanderesse étaient vagues, et bien que Mme Uchendu ait aussi soumis un affidavit à l’appui de la demande de la demanderesse au titre de la CDNRSRC, il n’y est pas fait mention de son orientation sexuelle. Par ailleurs, des affidavits intéressés ne peuvent en soi démontrer un risque selon la prépondérance des probabilités. L’agente n’a pas eu tort de ne leur accorder qu’un poids minimal.

[45]           L’agente a également traité le rapport psychologique d’une manière raisonnable, attendu que la demande de protection de la demanderesse ne reposait pas sur son incapacité à recevoir des traitements au Nigeria, mais sur son orientation sexuelle. Le rapport a été établi sur la base d’une seule entrevue durant laquelle la demanderesse a relaté son expérience. Le défendeur soutient que le psychothérapeute ne pouvait pas attester l’orientation sexuelle de la demanderesse dans de telles circonstances. Par conséquent, l’agente n’a pas eu tort de ne pas conclure que le rapport contribuait à établir son orientation sexuelle.

[46]           Contrairement à ce qu’a affirmé la demanderesse, l’agente ne lui a pas demandé non plus qu’elle fournisse des éléments de preuve concernant d’autres relations homosexuelles au Canada. L’agente a simplement noté que la demanderesse avait vécu au Canada pendant 17 ans, et qu’elle avait déclaré au psychologue qu’elle fréquentait exclusivement des femmes, mais sans décrire aucune autre relation homosexuelle. C’était là un facteur raisonnable que l’agente pouvait prendre en compte.

[47]           Le défendeur fait valoir que les conclusions de l’agente sont raisonnables, et qu’eu égard à son expertise en matière de pondération de la preuve, la retenue est de mise. Il incombait à la demanderesse d’établir son orientation sexuelle selon la prépondérance des probabilités, et elle ne l’a pas fait.

Analyse

[48]           Je ne suis pas convaincue que l’agente ait tiré des conclusions relatives à la crédibilité en signalant que la demanderesse n’avait pas précisé son orientation sexuelle dans le cadre de l’instance devant la CISR ou de la demande au titre de la CDNRSRC. Quoi qu’il en soit, même s’il est naturel que les demandeurs d’asile originaires de pays dans lesquels leur orientation sexuelle est très désapprouvée ou illégale soient réticents à la divulguer aux autorités dès leur arrivée au Canada, la demanderesse ne précise pas dans son affidavit que c’est pour cette raison qu’elle n’a pas invoqué plus tôt son orientation sexuelle, pas plus qu’elle n’explique cette omission. Son affidavit indique seulement qu’elle était active entre 1998 et 2001 au sein d’associations communautaires nigérianes, mais qu’elle a dû rompre tout lien avec elle [traduction] « […] après que j’ai commencé à m’afficher avec ma partenaire lesbienne ». Dès lors, il est difficile de savoir à quel moment elle a entamé la relation susmentionnée et rompu ses liens avec les associations communautaires nigérianes, et si cela s’est produit avant ou après l’instance devant la CISR ou la demande au titre de la CDNRSRC.

[49]           À cet égard, il incombait à la demanderesse d’établir sa demande par des éléments de preuve qui satisfassent à la charge de présentation et à la charge de persuasion. Elle était représentée par un avocat et devait savoir que l’audience n’est pas la norme en cas d’ERAR, et qu’elle devait avancer ses meilleurs arguments pour établir son orientation sexuelle selon la prépondérance des probabilités (Gao au paragraphe 45).

[50]           Par ailleurs, l’agente n’a pas rejeté les documents émanant du Centre 519 ni la lettre du 17 août 2015 de la Metropolitan Church. Elle a estimé que ces documents révélaient un lien avec la collectivité, mais que cette appartenance ne démontrait pas que la demanderesse était bisexuelle. De plus, la preuve était insuffisante pour établir que l’adhésion ou la participation active aux organisations étaient réservées aux personnes qui se disent LGBTA. Je note que la lettre du 23 juillet 2015 du Centre 519 indiquait simplement que la demanderesse avait fait du bénévolat à la PrideHouse TO durant les Jeux panaméricains et parapanaméricains qui se sont déroulés du 8 au 26 juin 2015. En l’occurrence, elle avait complété son parcours d’orientation et donnait bénévolement 16 heures de son temps. Une lettre datée du 10 août 2015 précise que la demanderesse a suivi une séance d’orientation des nouveaux arrivants en août 2015 et qu’ensuite elle a assisté et participé à des réunions de soutien hebdomadaires et à des ateliers concernant les LGBT. La lettre du 17 août 2015 de la Metropolitan Church indique que la demanderesse s’est présentée au groupe de soutien entre pairs pour être aidée à faire valoir son droit de rester au Canada en raison de son orientation sexuelle, qu’elle a commencé à assister aux services dominicaux début juillet 2015, et qu’elle travaillait aussi bénévolement comme réceptionniste. À mon avis, l’agente a évalué de façon raisonnable les documents du Centre 519 et de la Metropolitan Church. À cet égard, je note aussi que la demanderesse a commencé à participer aux activités de ces deux groupes immédiatement avant de soumettre sa demande d’ERAR le 16 juillet 2015, et que l’agente ne disposait d’aucun élément attestant de contributions antérieures, même si la demanderesse prétend qu’elle a commencé à s’afficher avec sa partenaire homosexuelle quelque part entre 1998 et 2001.

[51]           Il était aussi raisonnablement loisible à l’agente de n’accorder qu’un poids minimal aux affidavits des amis de la demanderesse. Je concède à celle-ci que l’agente ne pouvait rejeter les affidavits simplement parce que ses amis ont un intérêt direct dans l’issue de la demande (Cruz Ugalde c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2011 CF 458 aux paragraphes 23 à 28; Haq c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 380 au paragraphe 11; Tabatadze c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 24 aux paragraphes 4 à 6); cependant, l’agente a également conclu que ces documents sont de nature générale, qu’ils ne précisent pas à quel moment les déposants ont été mis au fait de l’orientation sexuelle de la demanderesse, et qu’ils ne contiennent pas de détails concernant sa relation homosexuelle avec Stacy. À ce sujet, je note que Mme Uchendu déclare qu’elle connaît la demanderesse depuis plus de 15 ans, et qu’elle est tout à fait au courant de sa bisexualité, et pourtant elle ne dit rien de la prétendue union de fait durable avec Stacy ni de quelque autre relation.

[52]           Quant à la conclusion de l’agente selon laquelle son propre affidavit était vague et imprécis, ce à quoi la demanderesse a répliqué que des détails auraient pu être exigés et fournis dans le cadre d’une audience, comme je l’ai noté plus haut, la crédibilité n’était pas en cause, et il n’y avait donc pas lieu de tenir une audience. Par ailleurs, le rôle des agents d’ERAR est d’évaluer et de pondérer la preuve dont ils disposent et de tirer une conclusion raisonnable, et non d’expliquer aux demandeurs quels éléments de preuve ils doivent produire pour s’acquitter de ce fardeau (I.I. c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 892 au paragraphe 22). Il incombait à la demanderesse de s’assurer que tous les éléments de preuve pertinents avaient été soumis à l’agente d’ERAR, et celle-ci n’était tenue d’examiner que ces éléments. Elle n’était pas obligée de l’inviter à soumettre des éléments de preuve additionnels ou de meilleure qualité (Ormankaya c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1089 au paragraphe 31; voir également Ibrahim aux paragraphes 27 et 28; Borbon Marte au paragraphe 39).

[53]           L’agente a raisonnablement conclu que l’affidavit de la demanderesse était vague et avare de détails : elle n’identifie pas Stacy par son nom et ne précise pas quand leur relation a débuté ou a pris fin. Elle n’indique pas non plus quand et où elles ont vécu ensemble, et déclare seulement : [traduction] « […] après m’avoir promis pendant des années de me parrainer comme conjointe de fait, elle m’a laissé tomber […] ». Compte tenu de l’imprécision de son affidavit, il était également raisonnable de la part de l’agente de conclure que la demanderesse n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve pour corroborer cette union de fait, tels que des relevés bancaires conjoints, un contrat de location ou une déclaration de son ancienne partenaire. On pouvait raisonnablement s’attendre à de tels documents dans le contexte d’une relation durable, et la demanderesse n’a pas expliqué dans son affidavit pourquoi ils n’avaient pas été fournis ou ne pouvaient pas l’être. De plus, elle n’a fait aucune mention dans sa demande d’ERAR de son mariage de 13 ans avec M. Ficker, qui semble avoir coïncidé avec sa prétendue union de fait avec Stacy. Encore une fois, c’était là un motif raisonnable d’exiger des documents corroborants, dont l’absence affecte le poids accordé aux déclarations de la demanderesse.

[54]           Au sujet de la conclusion de l’agente selon laquelle elle n’a pas fourni d’information concernant d’autres relations homosexuelles, outre celle qu’elle a eue avec Stacy, la demanderesse affirme qu’il était déraisonnable de conclure qu’elle devait avoir eu d’autres relations homosexuelles pour établir son orientation sexuelle. À mon avis, c’est là une description erronée des motifs de l’agente. Cette dernière a noté que la demanderesse avait vécu au Canada pendant plus de 17 ans, et qu’il était raisonnable de présumer qu’elle aurait pu fournir suffisamment de détails sur sa bisexualité. Par ailleurs, le travailleur social a indiqué dans son rapport que la demanderesse fréquentait exclusivement des femmes, mais cette dernière n’avait fourni aucun détail concernant d’autres relations. L’agente ne demandait pas à ce que celle-ci ait eu plus de relations homosexuelles et n’insinuait pas de stéréotypes. Mais compte tenu de sa déposition selon laquelle elle vivait ouvertement sa bisexualité depuis au moins 2001 et fréquentait exclusivement des femmes, il était raisonnable de s’attendre à ce qu’elle étaye son allégation par quelques renseignements, d’autant qu’elle invoquait son orientation sexuelle comme motif de crainte de retour au Nigeria. Quoi qu’il en soit, la décision de l’agente ne repose pas uniquement ni principalement sur cette conclusion.

[55]           Au chapitre de la preuve de l’identité sexuelle de la demanderesse, l’agente a cité le rapport d’un psychothérapeute (le rapport du psychothérapeute) daté du 24 juillet 2015 et celui d’un travailleur social (le rapport du travailleur social) daté du 13 août 2015. Il est vrai que les motifs de l’agente n’évoquent pas l’opinion clinique du psychothérapeute voulant que la demanderesse présente des symptômes correspondant au trouble de stress post-traumatique (TSPT), au trouble d’anxiété généralisé et au trouble dépressif majeur. Cependant, cette opinion clinique ne porte pas sur la question de l’orientation sexuelle de la demanderesse. Elle se fonde plutôt sur le récit de la demanderesse et accepte à ce titre sa description de sa sexualité. Par conséquent, bien que l’agente ne se soit pas prononcée quant à la valeur probante du rapport du psychothérapeute pour ce qui est d’établir l’orientation sexuelle, cette omission n’est pas fatale dans les circonstances. Par ailleurs, comme nous l’analyserons plus loin, l’arrêt Kanthasamy se distingue du cas présent, car l’agente en l’espèce n’a pas accepté le diagnostic psychologique (Kanthasamy aux paragraphes 47 et 48; Sitnikova c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 464 au paragraphe 36).

[56]           Prise dans son ensemble, la décision de l’agente portant que la demanderesse n’a pas fourni suffisamment d’éléments de preuve pour établir qu’elle était bisexuelle était raisonnable et appartenait aux issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, 2008 CSC 9 au paragraphe 47 [Dunsmuir]).

ii)                  Décision quant à la demande CH

Analyse

[57]           En vertu du paragraphe 25(1) de la LIPR, l’agent d’immigration jouit du pouvoir discrétionnaire de dispenser un étranger des exigences ordinaires de la LIPR, comme celle de présenter une demande de résidence permanente et d’obtenir un visa avant d’entrer au Canada, s’il estime que des motifs d’ordre humanitaire relatifs au ressortissant étranger le justifient, notamment l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché.

[58]           La demanderesse fait valoir que sa bisexualité constituait un tel facteur. À cet égard, elle a réitéré les observations soumises dans le cadre de l’ERAR suivant lesquelles l’agente a déraisonnablement conclu, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle n’avait pas présenté suffisamment d’éléments de preuve pour établir sa bisexualité. Pour les motifs qui précèdent, j’estime que l’agente n’a pas commis d’erreur sur ce point.

[59]           La demanderesse affirme par ailleurs que l’agente a déraisonnablement tenu compte de son établissement au Canada comme d’un facteur d’ordre humanitaire. L’agente a noté que même si la demanderesse prétendait qu’elle travaillait à son propre compte depuis 2006, comme propriétaire d’une entreprise appelée « Trina Fashion and Things Inc. », et qu’elle avait fourni des documents comme l’enregistrement de la société, des déclarations de revenus, des relevés bancaires et autres documents financiers relatifs à cette entreprise, ceux-ci étaient tous au nom de son amie, Mme Uchendu. La demanderesse a expliqué qu’il fallait avoir des papiers canadiens pour enregistrer l’entreprise, mais l’agente a estimé que la preuve fournie à l’appui de cette allégation était insuffisante. Plus important encore, Mme Uchendu n’a pas soumis assez de preuve pour établir que l’entreprise appartenait en fait à la demanderesse, et non à elle, comme l’indiquent les documents.

[60]           La demanderesse soutient qu’elle a expliqué dans son affidavit pourquoi l’entreprise a été enregistrée au nom de son amie, mais que c’était elle qui la dirigeait. C’est exact, mais l’agente a estimé qu’elle n’avait pas fourni assez d’éléments de preuve pour étayer cette explication. Je ne vois rien d’erroné dans cette conclusion puisque le dossier est muet sur ce point.

[61]           La demanderesse prétend en outre que, contrairement à ce qu’affirme l’agente dans sa décision, la lettre de Mme Uchendu confirmait que l’entreprise était bien la sienne. À mon avis, cet argument est sans fondement. Dans sa lettre, Mme Uchendu déclare simplement que [traduction] « la [demanderesse] travaille fort à la boutique Trina Fashion and Things, située au 830, av. Sheppard Ouest à Toronto. Elle est tout à fait passionnée par la mode et la vente de vêtements et d’accessoires. Je sais qu’elle est d’un abord facile ». Mme Uchendu précise qu’elle travaille comme infirmière à l’hôpital. Sa lettre n’indique nulle part qui est propriétaire de Trina Fashion and Things et ne mentionne pas l’entreprise elle-même. Par ailleurs, comme l’a noté le défendeur, d’après un document médical versé au dossier, la demanderesse a déclaré qu’elle travaillait au noir à la boutique de vêtements de son amie. Compte tenu du dossier dont elle disposait, j’estime que l’agente n’a pas commis d’erreur en concluant que la demanderesse n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve concernant la propriété de l’entreprise.

[62]           La demanderesse fait également valoir que l’agente n’a pas raisonnablement évalué son établissement, puisque la Cour a conclu au caractère déraisonnable du rejet de demandes CH dans plusieurs autres affaires où le degré d’établissement des intéressés était bien inférieur à celui dans le cas présent; elle ajoute que l’agente n’a pas suffisamment motivé cette conclusion. À mon avis, il y a lieu de distinguer la présente affaire des décisions citées par la demanderesse, car elles concernent des situations dans lesquelles l’établissement était bien documenté, extraordinaire ou exemplaire.

[63]           Par ailleurs, la jurisprudence plus récente indique que le fait de conserver un emploi et de s’intégrer à la collectivité ne représente pas nécessairement un degré d’établissement exceptionnellement élevé. Dans Persaud c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1133, la Cour a déclaré que :

[64]           44        L’appréciation du degré d’établissement permet de bien déterminer si un demandeur ferait face à des difficultés s’il devait présenter sa demande de résidence permanente à l’extérieur du Canada (voir Raudales c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 385, [2003] ACF no 532, au paragraphe 19). La Cour a déjà annulé des décisions concernant des demandes CH parce que l’examen du degré d’établissement avait été effectué sans analyse adéquate des circonstances particulières du demandeur (voir Singh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1062, [2009] ACF no 1322, au paragraphe 11, et Amer c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 713, [2009] ACF no 878, aux paragraphes 12 et 13).

[65]           45        En l’espèce, l’agente a examiné l’emploi des demandeurs, leur engagement dans la collectivité et l’éducation reçue au Canada. Ces facteurs sont tous pertinents dans l’appréciation du degré d’établissement, comme le précise le guide IP‑5. Il convient toutefois de souligner que le fait d’occuper un emploi et de s’intégrer à la collectivité ne constitue pas nécessairement un degré d’établissement exceptionnellement élevé (voir Ramotar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 362, [2009] ACF no 472, au paragraphe 33).

[66]           Par ailleurs, comme le déclarait la juge Snider dans Dan Shallow c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 749, l’établissement au Canada, sauf s’il est inhabituel et ne procède pas d’un choix, ne représenterait normalement pas un facteur militant en faveur des demandeurs. Dans le meilleur des cas, ce facteur sera habituellement neutre (paragraphe 9).

[67]           En l’espèce, l’agente a reconnu que la demanderesse se trouvait au Canada depuis longtemps, presque 18 ans. Cependant, elle a estimé que le temps passé au Canada ne justifiait pas en soi et à lui seul d’accorder une dispense, et elle a examiné ensuite d’autres facteurs. À cet égard, elle a tenu compte de la preuve à l’appui de l’allégation de la demanderesse d’après laquelle elle travaillait à son compte au Canada depuis 2006. De plus, l’agente a noté que même si elle n’avait pas de famille au Canada, la demanderesse a fourni les lettres de soutien de ses amis, et celles du Centre 519 et de la Metropolitan Church. Bien qu’elle ait estimé que ces documents attestaient des amitiés et des liens avec la collectivité, l’agente n’était pas convaincue qu’ils établissaient que son renvoi lui causerait des difficultés.

[68]           L’agente a examiné les faits et conclu que la preuve était insuffisante pour démontrer que la demanderesse s’était établie à un degré tel qu’il y avait lieu de la dispenser de présenter une demande de résidence permanente de l’extérieur du Canada. Il était raisonnablement loisible à l’agente de tirer une telle conclusion, et je ne pense pas que sa décision manquait de clarté parce qu’elle a simplement énoncé une conclusion.

[69]           Je ne pense pas non plus que la décision de l’agente soit incompatible avec l’arrêt Kanthasamy parce qu’elle a apprécié l’établissement de la demanderesse du seul point de vue des « difficultés », comme cette dernière le fait valoir, au lieu de procéder à un examen plus général fondé sur l’équité. Dans l’arrêt Kanthasamy, la Cour suprême du Canada a déclaré :

[70]           33        L’expression « difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées » a donc vocation descriptive et ne crée pas, pour l’obtention d’une dispense, trois nouveaux seuils en sus de celui des considérations d’ordre humanitaire que prévoit déjà le

[71]           par. 25(1). Par conséquent, ce que l’agent ne doit pas faire, dans un cas précis, c’est voir dans le par. 25(1) trois adjectifs à chacun desquels s’applique un seuil élevé et appliquer la notion de « difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées » d’une manière qui restreint sa faculté d’examiner et de soupeser toutes les considérations d’ordre humanitaire pertinentes. Les trois adjectifs doivent être considérés comme des éléments instructifs, mais non décisifs, qui permettent à la disposition de répondre avec plus de souplesse aux objectifs d’équité qui la sous‑tendent.

[72]           À mon avis, si l’on envisage la décision dans son ensemble, les motifs de l’agente n’indiquent pas que son analyse des difficultés était inadéquate, mais plutôt qu’elle a examiné tous les facteurs d’ordre humanitaire pertinents au regard de la preuve avant de parvenir à sa conclusion. Par ailleurs, la demanderesse n’a pas étayé son observation voulant que l’analyse fondée sur l’équité à présent requise par l’arrêt Kanthasamy signifie que la simple présence au Canada, même sans statut juridique, doit être considérée comme un facteur d’établissement favorable. Quoi qu’il en soit, l’agente n’a pas signalé que la demanderesse était sans statut lorsqu’elle a examiné la durée de son séjour au Canada.

[73]           La demanderesse soutient également que l’agente a écarté ses préoccupations concernant les difficultés économiques et sociales auxquelles elle se heurterait à son retour au Nigeria, ce qui était déraisonnable et faisait fi de la preuve établissant que l’économie du Nigeria est anémique et que le pays est rongé par des problèmes de santé et de sécurité.

[74]           Cependant, l’agente a noté que la demanderesse a déclaré avoir quitté le Nigeria à 19 ans, qu’elle n’avait jamais travaillé dans ce pays et qu’elle n’avait ni famille ni communauté susceptible de l’aider sur place, et ces affirmations lui ont paru hypothétiques et sans fondement. Elle a ajouté que la demanderesse était arrivée au Canada avec très peu de compétences ou d’expérience professionnelle, pas de famille et très peu d’amis, et qu’elle avait réussi à établir un réseau, à trouver du travail et à suivre des cours. L’agente n’était pas convaincue qu’elle ne puisse pas accomplir la même chose au Nigeria, pays où elle a grandi et dont elle connaît bien le milieu, la culture et le tissu social. Elle a également acquis de l’expérience de travail au Canada, ce qui pourra l’aider à se réintégrer, même s’il faut s’attendre à une période d’adaptation, voire à des difficultés. Il était raisonnablement loisible à l’agente de tirer cette conclusion (Pena Gonzalez c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 81 au paragraphe 25; Singh Mooker c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 779 au paragraphe 15; Gonzalo c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 526 au paragraphe 16; Rahman c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 138 aux paragraphes 43 et 44).

[75]           Il convient également de rappeler que l’agente n’a pas estimé que la demanderesse avait établi son orientation sexuelle. Par conséquent, elle n’était pas tenue d’aborder cet élément dans son analyse des facteurs économiques et sociaux. À mon avis, les motifs de l’agente révèlent le fondement raisonnable de sa décision portant que la demanderesse n’a pas fourni suffisamment d’éléments de preuve pour confirmer que les facteurs sociaux et économiques du pays en cause justifiaient d’accorder une dispense. L’agente n’était pas tenue de citer spécifiquement chaque élément de preuve documentaire avant de tirer sa conclusion (Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1425 (CF) au paragraphe 16; Gallai c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 52 au paragraphe 43).

[76]           Quant à l’intérêt supérieur du fils de Mme Uchendu, l’agente a reconnu que la demanderesse le considère comme son fils et qu’elle maintient des contacts réguliers avec lui en le voyant une fois par semaine et en lui parlant tous les jours. Par ailleurs, elle a noté que Mme Uchendu a déclaré dans sa lettre que l’enfant serait dévasté si la demanderesse devait quitter le Canada. L’agente a admis qu’il était important que cet enfant soit entouré d’un réseau de personnes tenant à lui et jouant un rôle actif dans sa vie, mais elle n’était pas convaincue que son intérêt supérieur serait affecté par l’issue de la demande CH. Elle a estimé que la preuve était insuffisante pour établir un degré de dépendance tel entre la demanderesse et ce garçon que l’intérêt supérieur de ce dernier serait affecté ou lésé si elle devait présenter une demande de résidence permanente de l’extérieur du Canada.

[77]           La demanderesse fait valoir que l’agente a commis une erreur en confondant l’intérêt supérieur de l’enfant avec ses besoins essentiels. Je ne suis pas convaincue que l’agente ait analysé la question des besoins essentiels. Je note par ailleurs que la situation présente n’est pas comparable à l’affaire Sebbe c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 813, citée par la demanderesse, dans laquelle la question à trancher était de savoir si un enfant né au Canada devait quitter le pays avec ses parents étrangers qui étaient renvoyés vers un environnement moins avantageux. En l’espèce, il n’est pas question que l’enfant quitte le Canada et sa mère pour aller au Nigeria avec la demanderesse. À mon avis, vu les circonstances de la présente affaire et la preuve limitée dont elle disposait, l’agente a suffisamment tenu compte de l’intérêt supérieur de l’enfant (Kanthasamy aux paragraphes 38 et 39, citant Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817) avant de conclure que la preuve concernant son degré de dépendance vis-à-vis de la demanderesse était insuffisante.

[78]           La demanderesse ajoute que l’agente n’a pas correctement considéré les rapports du psychothérapeute et du travailleur social. Plus précisément, elle a déraisonnablement écarté le préjudice psychologique que la demanderesse subirait en étant privée du counseling et de la thérapie qu’elle suit au Canada en raison de son orientation sexuelle et du traumatisme lié à son agression sexuelle au Nigeria. Par ailleurs, elle ajoute que l’approche de l’agente n’était pas conforme à l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Kanthasamy.

[79]           L’agente a noté que la demanderesse indique dans son affidavit qu’elle suit une psychothérapie qui l’aide encore à se remettre de ses expériences passées et à accepter son orientation sexuelle. Elle affirme qu’il est important qu’elle continue de recevoir ce traitement, ce qu’elle ne pourrait pas faire au Nigeria, car la bisexualité y est taboue et que c’est dans ce pays qu’elle a été agressée. Cependant, comme l’a noté l’agente, la lettre du travailleur social datée du 13 août 2015 indiquait qu’il avait eu trois rendez-vous avec la demanderesse, et bien qu’il ne l’ait pas rencontrée dans le cadre de séances de counseling, il était néanmoins disponible pour lui offrir son aide lorsqu’elle pouvait se présenter aux rendez-vous.

[80]           L’agente a également noté que le rapport du psychothérapeute du 24 juillet 2015 ne mentionnait pas que la demanderesse suivait actuellement une psychothérapie ou quelque autre traitement continu. Elle a conclu que la demanderesse n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve pour établir qu’elle suivait encore une psychothérapie et que son retour au Nigeria compromettrait sa guérison. Par ailleurs, elle a estimé que sa déclaration voulant qu’elle ait encore besoin de thérapie pour accepter son orientation sexuelle contredisait l’affirmation selon laquelle elle vivait ouvertement une relation homosexuelle, alors qu’elle n’a ressenti le besoin de faire une thérapie que durant la dernière année.

[81]           Je note que l’agente a déterminé que la demanderesse n’avait pas établi sa bisexualité. Elle a d’ailleurs signalé que sa demande d’asile [traduction] « reposait sur la crainte d’être victime d’un viol collectif par les autorités qui l’avaient arrêtée pour avoir critiqué le régime. Le tribunal [CISR] a conclu que les événements décrits par la demanderesse ne se sont jamais produits et a rejeté sa demande ». Ainsi, l’affirmation de la demanderesse selon laquelle elle suivait une psychothérapie parce qu’elle en avait besoin pour l’aider à se remettre de ses expériences passées et accepter son identité sexuelle, contredisait les conclusions factuelles antérieures de la CISR et les constations de fait de l’agente. Les rapports ne confirmaient pas non plus qu’elle suivait effectivement la thérapie dont elle prétendait avoir besoin.

[82]           Notons que dans son ERAR, la demanderesse n’a pas produit de nouveaux éléments de preuve pour contester la conclusion de la CISR suivant laquelle la prétendue agression sexuelle alléguée n’a jamais eu lieu. Elle a plutôt réitéré la même allégation qui avait déjà été rejetée par la CISR, déclarant dans son affidavit qu’elle serait traumatisée si elle devait retourner au Nigeria, car elle y avait subi une agression sexuelle violente. Le récit qu’elle a fourni au travailleur social et au psychothérapeute, et sur lequel ils ont fondé leurs conclusions, reposait également sur cette allégation.

[83]           Ainsi, contrairement à l’arrêt Kanthasamy, le fondement factuel des affections psychologiques de la demanderesse n’était pas clairement établi ni incontesté, et l’agente n’a pas accepté le diagnostic psychologique.

[84]           Enfin, la demanderesse soutient que l’agente a déraisonnablement rejeté la preuve d’après laquelle elle ne recevrait pas des soins adéquats pour son anémie au Nigeria. L’agente a estimé que la preuve ne permettait pas de démontrer qu’elle ne pouvait pas bénéficier d’un traitement adéquat dans ce pays, puisque son traitement au Canada consistait à prendre des vitamines et des comprimés de fer et à suivre une alimentation saine. La demanderesse avance qu’elle n’aura pas les moyens de se payer de tels soins. Le défendeur fait remarquer que la demanderesse n’a soumis à l’agente aucun élément de preuve indiquant précisément que les traitements de ce genre ne sont pas disponibles au Nigeria. À mon avis, compte tenu du dossier dont disposait l’agente, il était raisonnable de sa part de conclure que la preuve était insuffisante pour établir que la demanderesse ne pourrait pas traiter son anémie.

[85]           En conclusion, l’agente n’a pas commis d’erreur dans son analyse des facteurs d’ordre humanitaire pertinents et a examiné la situation spécifique de la demanderesse. Sa décision, suivant laquelle la preuve n’établissait pas que les facteurs d’ordre humanitaire justifiaient de dispenser la demanderesse d’avoir à présenter une demande de résidence permanente de l’extérieur du Canada, appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir au paragraphe 47).


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.      Aucuns dépens ne sont adjugés.

3.      Aucune question de portée générale n’a été proposée pour certification, et cette affaire n’en soulève aucune.

4.      Copie des présents jugement et motifs sera versée au dossier IMM-1851-16.

« Cecily Y. Strickland »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1850-16

 

INTITULÉ :

NGOZI PATRICIA IKEJI c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

ET DOSSIER :

IMM-1851-16

 

INTITULÉ :

NGOZI PATRICIA IKEJI c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 10 NOVEMBRE 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE STRICKLAND

 

DATE DES MOTIFS :

LE 3 JANVIER 2017

COMPARUTIONS :

Daniel Kingwell

 

POUR La DEMANDEresse

 

Nicole Rahaman

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mamann, Sandaluk & Kingwell s.r.l.

Avocats en immigration

Toronto (Ontario)

 

POUR La DEMANDEResse

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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