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Date : 20161201


Dossier : T-1197-16

Référence : 2016 CF 1331

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 1er décembre 2016

En présence de monsieur le juge Mosley

ENTRE :

MARCO CALANDRINI

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]               Le demandeur, Marco Calandrini, a déposé une demande de contrôle judiciaire concernant la décision du commissaire adjoint Craig MacMillan de la Gendarmerie royale du Canada [GRC], agissant à titre d’autorité de révision. La présente requête vise à obtenir une ordonnance enjoignant au défendeur de transmettre des documents non expurgés et non révisés qui se trouvent dans le dossier certifié du tribunal [DCT], ainsi que de fournir au demandeur des documents supplémentaires, conformément aux articles 317 et 318 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106.

I.                   CONTEXTE

[2]               Le demandeur est un membre civil de la GRC, qui travaillait auparavant au Collège canadien de police. Entre le 31 août 2012 et le 29 octobre 2013, des allégations d’inconduite sexuelle ont été formulées contre lui pour des gestes impliquant un collègue de travail.

[3]               En décembre 2014, la GRC a ouvert une enquête disciplinaire sur ces allégations, en application du paragraphe 40(1) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. (1985), ch R-10 [Loi sur la GRC]. Le Service de police d’Ottawa a mené lui aussi une enquête criminelle, mais, le 25 février 2015, il a décidé de ne pas porter d’accusations criminelles.

[4]               Le 10 septembre 2015, le surintendant principal Marty Chesser, commandant de la Direction générale de la GRC et autorité disciplinaire au sens du paragraphe 2(3) de la Loi sur la GRC, a rencontré M. Calandrini dans le cadre d’une réunion disciplinaire. Il l’a informé que les trois allégations portées contre lui étaient corroborées. Le 5 octobre 2015, il lui a imposé une mesure disciplinaire, soit 15 jours de privation de solde (5 jours par allégation, 120 heures en tout) en application du paragraphe 42(1) de la Loi sur la GRC, pour les conclusions d’inconduite sexuelle. M. Calandrini s’est acquitté de cette pénalité financière.

[5]               Le 7 janvier 2016, le commissaire adjoint MacMillan, agissant à titre d’autorité de révision en application du paragraphe 9(1) des Consignes du commissaire (déontologie), DORS/2014-291 [CC (déontologie)], a pris connaissance des conclusions d’inconduite ainsi que de la mesure disciplinaire imposée. Le lendemain, il a demandé que cette dernière fasse l’objet d’une révision.

[6]               Entre le 18 janvier et le 17 février 2016, le commissaire adjoint MacMillan s’est absenté du bureau pour des raisons personnelles. Entre le 18 février et le 26 février 2016, CBC News a publié une série d’articles au sujet d’allégations d’irrégularités au Collège canadien de police, et M. Calandrini a été nommé comme l’un des présumés auteurs.

[7]               Le 19 février 2016, le commissaire adjoint MacMillan a décidé de procéder à une révision en vertu du paragraphe 9(2) des CC (déontologie). Cette disposition autorise l’autorité de révision à « réviser une décision pour établir si une conclusion est manifestement déraisonnable ou si les mesures disciplinaires sont vraisemblablement disproportionnées avec la nature et les circonstances de la contravention ».

[8]               Le 1er mars 2016, le commissaire adjoint MacMillan a voulu obtenir une prorogation rétroactive du délai prescrit pour convoquer une audience à l’encontre du demandeur. Le délai de prescription de un an était expiré depuis le 25 novembre 2015. Le 12 mai 2016, le surintendant principal Raj Gill a accordé la prorogation demandée, en application du paragraphe 47.4(1) de la Loi sur la GRC. Cette décision fait-elle aussi l’objet d’une demande de contrôle judiciaire dans le cadre du dossier T-891-16 de la Cour fédérale, et elle sera entendue en même temps que la présente affaire.

[9]               Le 30 mai 2016, le commissaire adjoint MacMillan a conclu que la pénalité imposée au demandeur était « vraisemblablement disproportionnée » par rapport à son comportement. Il a conclu aussi qu’il était dans l’intérêt public d’annuler la mesure disciplinaire en vertu de l’alinéa 9(3)c) des CC (déontologie) et de convoquer une audience conformément au paragraphe 41(1) de la Loi sur la GRC. L’annulation de la mesure disciplinaire et la convocation d’une audience, mesures qui ont été signifiées au demandeur le 27 juin 2016, constituent la décision sous-jacente contestée à laquelle se rapporte la présente requête.

[10]           Dans son avis de demande de contrôle judiciaire, le demandeur sollicite la transmission, en vertu de l’article 317 des Règles, de copies certifiées des documents suivants :
[traduction]

[L]a totalité des documents, des notes et des lettres se rapportant à la décision datée du 30 mai 2016 par laquelle l’autorité de révision, le commissaire adjoint MacMillan, a annulé la mesure disciplinaire antérieurement imposée le 5 octobre 2015 contre le membre civil Marco Calandrini et ordonné la convocation d’une audience le concernant en application du paragraphe 41(1) de la Loi sur la GRC.

[11]           Le 17 août 2016, en réponse à la demande déposée en vertu de l’article 317 des Règles, le défendeur a écrit au membre civil Marco Calandrini, ainsi qu’à l’administrateur de la Cour fédérale qui transmettait le DCT. Dans cette lettre, le défendeur a fait part de son opposition, aux termes du paragraphe 318(2) des Règles des Cours fédérales, à la transmission de six séries de courriels contenus dans le DCT qui avaient été expurgés à l’encre noire, revendiquant, à l’égard de ces documents, le privilège du secret professionnel de l’avocat ainsi que la protection que prévoit le paragraphe 47.1(2) de la Loi sur la GRC. Dans une lettre ultérieure, il a également invoqué le privilège du « secret du délibéré ».

[12]           Le demandeur a contesté les objections du défendeur dans une lettre datée du 23 août 2016. Il lui a fait savoir qu’il ressortait d’un examen du DCT que des documents supplémentaires avaient été – ou auraient dû être – transmis au décideur, et il a demandé qu’on les produise dans le cadre du contrôle judiciaire. Ces documents ont été décrits comme suit :
[traduction]

·      Le « cahier d’information » mentionné dans une lettre transmise par courriel par le commissaire adjoint MacMillan au surintendant principal Michael O’Reilly en date du 19 février 2016, et dont il est fait mention à la page 135 du DCT;

·      La « demande de renseignements du commissaire » mentionnée dans une lettre transmise par courriel par le commissaire adjoint MacMillan au surintendant principal O’Reilly en date du 19 février 2016, et dont il est fait mention à la page 136 du DCT.

[13]           Pour ce qui est de la production de ces documents supplémentaires, le défendeur a exprimé l’avis que ces documents n’étaient pas entre les mains du décideur, le commissaire adjoint MacMillan, lorsque celui-ci a pris la décision d’annuler la mesure disciplinaire et de convoquer une audience.

[14]           Après le dépôt de la présente requête et avant la tenue de l’audience le 19 octobre 2016, le défendeur a fait savoir au demandeur et à la Cour qu’il ne revendiquait plus le privilège fondé sur le paragraphe 47.1(2) de la Loi sur la GRC, le privilège du secret professionnel de l’avocat ou le privilège du secret du délibéré, à l’appui d’une expurgation quelconque dans les documents suivants :

A.                le courriel transmis par Craig MacMillan à Stephen Foster, daté du 22 février 2016 (p. 138 du DCT);

B.                 les courriels échangés entre Craig MacMillan et Gregory Rose (avec copie à Kelly Jobson et à Stephen Foster), datés du 22 février, du 29 février et du 1er mars 2016 (p. 139 à 143 du DCT);

C.                 les courriels échangés entre Stephen Foster, Gregory Rose et Craig MacMillan datés du 7 mars, du 1er avril et du 12 mai 2016 (p. 163 à 165, 185 à 188 et 209 du DCT).

[15]           Ces courriels ont été transmis au demandeur et ils ne sont plus en litige dans la présente requête. Reste toutefois en litige la version expurgée d’un courriel de Josianne Phenix à David Falls, daté du 10 février 2016. Ce document, tel qu’il a été produit dans le DCT, porte la mention suivante :
[traduction]

Document reçu du commandant adjoint MacMillan, expurgé en bloc. Contenu du courriel inconnu.

[16]           À l’audition de la présente requête, il a été précisé que le demandeur ne cherchait pas à obtenir l’ensemble du [traduction] « cahier d’information » mentionné dans le courriel du commandant adjoint MacMillan au surintendant principal O’Reilly, mais plutôt une page manquante qui était liée à sa propre affaire. Le défendeur a produit cette page à la suite de l’audience.

II.                QUESTIONS EN LITIGE

[17]           Comme les documents supplémentaires ont été produits, les seules questions litigieuses qui semblent subsister sont les suivantes :

A.                Est-il nécessaire de produire des documents supplémentaires qui se rapportent à la [traduction] « demande de renseignements du commissaire »?

B.                 Est-il nécessaire de produire une version non expurgée du courriel de Josianne Phenix à David Falls, daté du 10 février 2016?

III.             ANALYSE

A.                Est-il nécessaire de produire des documents supplémentaires qui se rapportent à la [traduction] « demande de renseignements du commissaire »?

[18]           Comme il a été indiqué plus tôt, la mention faite à la [traduction] « demande de renseignements du commissaire » se trouve dans un courriel daté du 19 février 2016 que le commissaire adjoint MacMillan a envoyé au surintendant principal O’Reilly. Le commissaire adjoint MacMillan indique dans ce courriel que, pendant qu’il était en congé du bureau pour raisons personnelles, le 10 février 2016 ou aux alentours de cette date, il a appris que le commissionnaire s’enquérait de l’affaire qui impliquait le demandeur par suite d’un courriel qu’il avait reçu. Il ajoute qu’à son retour au travail, il a assisté brièvement à une réunion sur cette affaire dans le bureau du commissaire et qu’il a expliqué la procédure qu’il suivait. Il dit ne pas avoir lu le courriel transmis au commissaire.

[19]           Il est acquis en matière jurisprudentielle que seuls les renseignements qui se rapportent à la demande de contrôle judiciaire sous-jacente doivent être produits en vertu de l’article 317 des Règles. On détermine la pertinence en se reportant aux motifs de contrôle énoncés dans l’avis de demande introductif d’instance ainsi que dans l’affidavit justificatif que produit le demandeur : Canada (Commission des droits de la personne) c. Pathak, [1995] 2 RCF 455 (CF), 180 NR 152 (CA), au paragraphe 10; demande d’autorisation d’interjeter appel devant la Cour suprême du Canada refusée par (1995), 198 NR 237n [Pathak].

[20]           Le texte des dispositions législatives applicables dont il est question dans les présents motifs est annexé ci-après.

[21]           En l’espèce, le demandeur n’a soulevé dans son avis de demande aucune question concernant la [traduction] « demande de renseignements du commissaire ». Dans cet avis, il a mentionné l’équité procédurale comme motif de contrôle, mais uniquement en lien avec la présumée omission du commandant adjoint MacMillan, agissant à titre d’autorité de révision, de fournir des motifs quelconques ou suffisants à l’appui de sa décision.

[22]            Le demandeur soutient n’avoir pris connaissance de la demande de renseignements qu’au moment de la signification de la lettre que le commissaire adjoint MacMillan a transmise par courriel au surintendant principal O’Reilly en date du 19 février 2016, dans le cadre du DCT. Il ajoute que ce courriel donne à penser qu’il y a peut-être une preuve que le commissaire a entravé le pouvoir discrétionnaire de l’autorité de révision pour annuler les mesures disciplinaires et convoquer une audience. Le demandeur ne s’intéresse pas au courriel qu’un membre du personnel civil a envoyé au commissaire, mais plutôt aux communications qu’il y a eu entre le commissaire et le commissaire adjoint MacMillan.

[23]           À la suite de questions que la Cour a posées à l’audition de la présente requête, l’avocate du défendeur a fourni une déclaration du commissaire adjoint :
[traduction]

Je puis vous informer que, dans la présente affaire, le commissaire ne m’a jamais fait part, de vive voix ou par écrit, d’une directive quelconque au sujet de l’exercice du pouvoir que confère l’article 9.

[24]           Cette déclaration n’a pas été soumise à la Cour sous la forme d’une preuve par affidavit, mais dans une lettre de l’avocate du défendeur, adressée à la Cour et aux avocats de la partie adverse. À cet égard, elle n’a aucune valeur probante. Si le défendeur souhaite produire une preuve sur la question pour la demande de contrôle judiciaire, il sera nécessaire de présenter un affidavit.

[25]           La limite que comporte l’article 317 des Règles a trait au principe qu’un contrôle judiciaire doit être tranché sur le fondement des renseignements que le décideur avait en sa possession au moment où il a rendu la décision : Access to Information Agency Inc. c. Canada (Procureur général), 2007 CAF 224, [2007] ACF no 814, au paragraphe 7 [Access to Information]; voir aussi Canada (Commissaire à l’intégrité du secteur public) c. Canada (Procureur général), 2014 CAF 270, [2014] ACF no 1167, au paragraphe 4 [Commissaire à l’intégrité du secteur public]; Première nation d’Ochapowace c. Canada (Procureur général), 2007 CF 920, [2007] ACF no 1195, au paragraphe 19; conf. par 2009 CAF 124 [Ochapowace].

[26]           Comme l’a signalé le juge Pelletier dans l’arrêt Access to Information, précité, au paragraphe 17, dans une action l’article 317 des Règles ne remplit pas la même fonction que la communication de documents. Comme il l’a expliqué, au paragraphe 21 :

[…] L’objet de [la règle 317] est de limiter la communication de la preuve aux documents qui étaient entre les mains du décideur lors de la prise de décision et qui n’étaient pas en la possession de la personne qui en fait la demande et d’exiger que les documents demandés soient décrits de façon précise. Il n’est pas question, lorsqu’il s’agit de contrôle judiciaire, de demander la transmission de tout document qui pourrait être pertinent dans l’espoir d’en établir la pertinence par la suite. Une telle démarche est tout à fait à l’encontre du caractère sommaire du contrôle judiciaire. Si les circonstances sont telles qu’il s’avère nécessaire d’élargir le cadre de la communication de la preuve, celui qui exige une divulgation plus complète a le fardeau de mettre de l’avant des éléments de preuve qui justifient sa demande. C’est ce dernier élément qui est tout à fait absent en l’instance.

[27]           Il y a des exceptions à ce principe. Des documents non soumis au décideur peuvent être considérés comme pertinents s’il est allégué que celui-ci a manqué à l’équité procédurale ou a commis une erreur de compétence, ou s’il existe une allégation de crainte raisonnable de partialité : Gagliano c. Canada (Commission d’enquête sur le programme de commandites et les activités publicitaires), 2006 CF 720, [2006] ACF no 917, au paragraphe 50 [Gagliano]; Compagnie des chemins de fer Nationaux du Canada c. Louis Dreyfus Commodities Ltd, 2016 CF 101, [2016] ACF no 71, au paragraphe 27 [Compagnie des chemins de fer Nationaux du Canada]; Bernard c. Canada (Agence du revenu), 2015 CAF 263, [2015] ACF no 1396, aux paragraphes 14 à 28 [Bernard].

[28]           Pour pouvoir obtenir avec succès la communication de documents que le décideur n’avait pas en main au moment où il a rendu sa décision, le demandeur doit invoquer un motif de contrôle qui autoriserait la Cour à prendre en considération des éléments de preuve qui n’ont pas été soumis au décideur et, ensuite, démontrer que ce motif de contrôle a un fondement factuel qu’étayent des preuves appropriées : Compagnie des chemins de fer Nationaux du Canada, précité, au paragraphe 27; Commissaire à l’intégrité du secteur public, précité, au paragraphe 4.

[29]           Il est possible d’ordonner la production de documents que le tribunal administratif n’avait pas en main au moment où il a rendu sa décision si l’on conclut que ces documents sont pertinents à l’égard de la demande de contrôle judiciaire : Paul v. Société Radio-Canada (La), 2001 CAF 93, [2001] ACF no 542, aux paragraphes 63 à 67 [Paul]. Dans l’arrêt Paul, la Cour d’appel a conclu qu’il y avait lieu de prendre en considération des documents supplémentaires qui étaient pertinents à l’égard de l’allégation selon laquelle un rapport soumis au Tribunal canadien des droits de la personne était partial et incomplet.

[30]           En l’espèce, il n’existe aucune preuve de l’existence d’une communication quelconque entre le commissaire et l’autorité de révision, hormis la vague allusion qui est faite dans le courriel du commissaire adjoint MacMillan, à savoir qu’il a pris connaissance de la demande de renseignements du commissaire. Cette demande était liée à un courriel d’un membre du personnel civil qui n’a pas été produit en preuve.

[31]           Je conviens avec le défendeur que ce que le demandeur veut maintenant obtenir serait assimilable à une demande de communication applicable à l’ensemble de la GRC et que cela déborde le cadre de l’article 317 des Règles. Il n’existe aucune preuve de l’existence d’une communication écrite ou orale quelconque, hormis celle décrite dans le courriel daté du 19 février 2016.

B.                 Est-il nécessaire de produire une version non expurgée du courriel de Josianne Phenix à David Falls, daté du 10 février 2016?

[32]           Comme il a été indiqué plus tôt, le demandeur soutient dans son avis de demande que la décision du commissaire adjoint MacMillan est déraisonnable pour cause de motifs insuffisants. De prime abord, je n’ai pas su clairement en quoi le courriel de Josianne Phenix pouvait être pertinent pour déterminer le caractère suffisant des motifs de l’autorité de révision alors que la décision n’était pas éclairée par le contenu de ce courriel. La Cour suprême a fixé un seuil pour ce qui est de l’évaluation du caractère suffisant des motifs d’un décideur : Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] ACS no 61, aux paragraphes 16 à 18. Il demeure loisible au demandeur de faire valoir, à l’audition du contrôle judiciaire, que les motifs ne satisfont pas à ce seuil, mais cela, il pourrait le faire sans se reporter à l’avis fourni à l’autorité disciplinaire.

[33]           Le demandeur soutient que ce courriel est pertinent à l’égard du contrôle judiciaire sous-jacent parce qu’il croit que ce document énonce vraisemblablement des précédents, ainsi que les motifs et le raisonnement qui ont amené l’autorité disciplinaire à déterminer que la privation de solde de 15 jours était une pénalité appropriée. Cela serait utile, ajoute-t-il, pour déterminer si les mesures disciplinaires imposées étaient « vraisemblablement disproportionnées avec la nature et les circonstances de la contravention » et s’il aurait fallu les soumettre à l’autorité de révision à titre de décideur. Il veut aussi que l’on fournisse à la Cour, au stade du contrôle judiciaire, une version non expurgée de ce courriel afin d’aider celle-ci à déterminer si l’autorité de révision a motivé suffisamment sa décision. L’avis de décision conclut simplement :
[traduction]

Prenez avis que, conformément à l’alinéa 9(3)c) des CD, je conclus que les mesures sont vraisemblablement disproportionnées avec la nature et les circonstances des contraventions, et qu’il est dans l’intérêt public d’annuler ces mesures et de convoquer une audience, conformément au paragraphe 41(1) de la Loi sur la GRC.

[34]           Le demandeur soutient qu’à cause de la note suivante de Josianne Phenix, dans le courriel, tout privilège que l’on associerait par ailleurs à ce document est explicitement écarté :
[traduction]

Comme vous le savez peut-être, les communications entre les autorités disciplinaires et les représentants des autorités disciplinaires (RAD) sont privilégiées. J’ai demandé et obtenu l’autorisation du CO de communiquer les renseignements qu’il avait reçus du RAD (Denys Morel) dans cette affaire.

[35]           En présumant que le contenu du courriel de Josianne Phenix contient bel et bien les renseignements que le demandeur croit y trouver, l’argument selon lequel ce document peut être pertinent pour l’issue de la demande de contrôle judiciaire a un certain fondement.  Tout renseignement sur les précédents liés à des mesures disciplinaires prises dans d’autres affaires, par exemple, peut être pertinent pour déterminer si la conclusion initiale est « manifestement déraisonnable » ou « vraisemblablement disproportionnée ». Même s’il semble que le commissaire adjoint MacMillan n’a pas lu le courriel, au cours de la révision, il aurait vraisemblablement pris en considération la justification de la mesure disciplinaire qui a été imposée.

[36]           Ce courriel a été rédigé par un représentant des autorités disciplinaires, avocat à la Direction des représentants des autorités disciplinaires (DRAD). Si cet avocat a fait part à l’autorité disciplinaire de conseils sur l’éventail approprié des mesures disciplinaires, ces conseils seraient une communication privilégiée, sous réserve de toute renonciation de privilège. Le contenu du courriel a été partagé avec David Falls, et copié à deux autres personnes, afin de déterminer s’il y avait lieu de recommander une révision en vertu de l’article 9 des CC (déontologie).

[37]           Le défendeur soutient que le privilège législatif que prévoit le paragraphe 47.1(2) de la Loi sur la GRC, ou le privilège du secret professionnel de l’avocat, se rattacherait au contenu expurgé du courriel de Josianne Phenix.

[38]           Le texte du paragraphe 47.1(2) est le suivant :

Lorsqu’un membre ou une autorité disciplinaire se fait représenter ou assister par une autre personne, les communications confidentielles qu’ils échangent relativement au grief, aux procédures ou à l’appel sont, pour l’application de la présente loi, protégées comme si elles étaient des communications confidentielles échangées entre le membre ou l’autorité disciplinaire et son conseiller juridique.

[39]           Le demandeur prétend que le paragraphe 47.1(2) ne s’applique pas au courriel de Josianne Phenix parce que le privilège législatif ne vise que les communications faites en lien avec un grief, des procédures ou un appel. Il ajoute que la décision de l’autorité de révision d’annuler des mesures disciplinaires imposées antérieurement ne se range dans aucune de ces trois catégories et que, de toute façon, même si c’était le cas, il y a eu renonciation expresse à tout privilège rattaché au contenu du courriel quand le surintendant principal Chesser a autorisé qu’on le communique à des tiers.

[40]           La communication expurgée qui est en litige a trait à un grief déposé par le membre civil pour se plaindre du comportement du demandeur. Il y a eu enquête sur les allégations et, en fin de compte, ces dernières ont été confirmées par l’autorité disciplinaire. Il me semble qu’au moins une partie de ce processus aurait été mené en vertu de l’alinéa 47.1(1)a) (c.-à-d., lors de la présentation d’un grief) de la Loi sur la GRC.  Pendant tout ce processus, l’autorité disciplinaire a bénéficié des conseils d’un membre de la DRAD.  Ces conseils, de prime abord et sans décider de la question, seraient protégés en vertu du paragraphe 47.1(2).

[41]           Pour que le privilège du secret professionnel de l’avocat s’applique à une communication, il faut : 1) qu’elle soit faite entre un avocat et un client, 2) qu’elle consiste à demander ou à recevoir des conseils juridiques, et 3) que le client veuille qu’elle demeure confidentielle : Solosky c. La Reine, [1980] 1 RCS 821, à la page 837. Le dossier de la présente requête n’indique pas clairement si le courriel de Josianne Phenix contient des conseils juridiques qui seraient protégés par le privilège du secret professionnel de l’avocat, mais, au vu des faits qui ont été soumis à la Cour, il s’agit là d’une inférence raisonnable.

[42]           L’article 29 des CC (déontologie) définit le terme « représentant des autorités disciplinaires » (RAD) comme suit : « [q]uiconque est autorisé par le directeur de la Direction des représentants des autorités disciplinaires à fournir de l’assistance aux autorités disciplinaires ou à les représenter ». De plus, l’article 29 définit le mot « représentation » en ces termes : « [a]ction de représenter, pour l’application des présentes consignes, un membre visé ou une autorité disciplinaire, notamment en lui offrant des conseils et des services juridiques » [non souligné dans l’original].

[43]           Il y a renonciation expresse à un privilège si son détenteur en connaît l’existence et fait volontairement part d’une intention d’y renoncer : R. v.Youvarajah, 2011 ONCA 654, [2011] OJ no 4610, au paragraphe 146.  Le contenu non expurgé du courriel de Josianne Phenix indique que le surintendant principal Chesser était au courant de l’existence du privilège, car on lui a demandé l’autorisation de partager ce document.  On pourrait dire que, pour autoriser le partage de cette communication avec une tierce partie, le surintendant principal Chesser a renoncé volontairement au privilège.

[44]           L’argument contraire est le suivant : étant donné que le partage de la communication a eu lieu à l’interne, entre les autorités disciplinaires et des conseillers de la GRC, l’exception « fondée sur l’intérêt commun » s’y appliquerait. Cela étant, la communication demeurerait privilégiée par rapport au monde extérieur, même si elle a été transmise à une tierce partie. Pour que cette exception s’applique, il faudrait que les parties (en l’espèce, le CO, le détenteur du privilège et la tierce partie, soit Dave Falls) poursuivent un objectif commun : voir David M. Paciocco et Lee Stuesser, The Law of Evidence, 7e édition (Toronto : Irwin Law, 2015), à la page 239.

[45]           J’ai informé les parties à l’audience que j’étudierais la question de savoir si j’exigerais que l’on soumette à la Cour le contenu du courriel sous sa forme non expurgée et si j’inviterais à présenter d’autres observations sur le caractère privilégié – ou non – de ce contenu. Ayant examiné davantage l’affaire, il me semble que le mieux serait de régler la question du privilège au moment de l’audition de la demande de contrôle judiciaire, en bénéficiant d’arguments complets, étayés d’éléments de preuve et de précédents de la part des parties. Pour cette raison, j’ordonnerai qu’une version non expurgée et non révisée du courriel soit fournie sous scellé à la Cour, et que seul pourra l’ouvrir le juge saisi de la demande, sauf si le défendeur renonce avant l’audience à toute revendication de privilège concernant le contenu de ce document. Il demeurera loisible au défendeur de présenter des éléments de preuve et des arguments à l’appui de toute revendication de privilège qu’il pourrait vouloir invoquer quant au contenu du courriel, et il sera également loisible au demandeur de s’y opposer.

IV.             DÉPENS

[46]           Le demandeur a eu essentiellement gain de cause et il mérite d’obtenir ses dépens. Le dépôt de la requête a donné lieu à la production de documents supplémentaires. Le 14 octobre 2016, soit quatre jours avant l’audition de la requête, le défendeur a transmis la plupart des documents qui étaient en litige dans la requête et il a retiré les revendications de privilège initialement invoquées. J’ai conclu qu’il sera nécessaire de produire un document supplémentaire sous une forme non expurgée mais scellée, sous réserve d’une décision quant à sa recevabilité à l’audition de la demande sous-jacente.

[47]           Le demandeur a tout d’abord sollicité les dépens sur une base d’indemnisation substantielle. À l’audience, les avocats ont reconnu qu’aucun précédent n’étayait l’adjudication de dépens procureur-client en l’absence d’une « conduite répréhensible, scandaleuse ou outrageante » : voir, par exemple, Louis Vuitton Malletier S.A. c. Yang, 2007 CF 1179, [2007] ACF no 1528, aux paragraphes 54 à 60; et Dimplex North America Ltd c. CFM Corporation, 2006 CF 1403, [2006] ACF no 1762, au paragraphe 8. La position par défaut, comme je l’ai indiqué dans la décision Dimplex, est la colonne III du tableau du tarif B. Je crois que dans ce cas-ci, les dépens devraient se situer au milieu de cette colonne.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

1.                  La requête est accueillie en partie.

2.                  Le défendeur n’est pas tenu de produire des documents supplémentaires concernant la « demande de renseignements du commissaire ».

3.                  Conformément aux motifs fournis, si le défendeur décide de maintenir une revendication de privilège concernant le courriel du 10 février 2016 que Josianne Phenix a envoyé à David Falls, il déposera sous scellé, auprès du greffe de la Cour, une version non expurgée et non révisée de ce document, que seul pourra ouvrir le juge saisi de la demande de contrôle judiciaire sous-jacente.

4.                  Sous réserve des conclusions que le juge saisi de la demande pourra tirer quant à la pertinence et à la recevabilité du courriel, et cela inclut toute revendication de privilège, ce document fera partie du dossier certifié du tribunal soumis à la Cour.

5.                  Le demandeur ayant eu essentiellement gain de cause, ses dépens liés à la présente requête seront fixés au milieu de la colonne III du tableau du tarif B.

« Richard G. Mosley »

Juge


ANNEXE

Relevant provisions of the Federal Court Rules / Dispositions pertinentes des Régles des Cours fédérales

Material from tribunal

Matériel en la possession de l’office fédéral

317 (1) A party may request material relevant to an application that is in the possession of a tribunal whose order is the subject of the application and not in the possession of the party by serving on the tribunal and filing a written request, identifying the material requested.

317 (1) Toute partie peut demander la transmission des documents ou des éléments matériels pertinents quant à la demande, qu’elle n’a pas mais qui sont en la possession de l’office fédéral dont l’ordonnance fait l’objet de la demande, en signifiant à l’office une requête à cet effet puis en la déposant. La requête précise les documents ou les éléments matériels demandés.

Request in notice of application

Demande inclue dans l’avis de demande

(2) An applicant may include a request under subsection (1) in its notice of application.

(2) Un demandeur peut inclure sa demande de transmission de documents dans son avis de demande.

Material to be transmitted

Documents à transmettre

318 (1) Within 20 days after service of a request under rule 317, the tribunal shall transmit

318 (1) Dans les 20 jours suivant la signification de la demande de transmission visée à la règle 317, l’office fédéral transmet :

(a) a certified copy of the requested material to the Registry and to the party making the request; or

a) au greffe et à la partie qui en a fait la demande une copie certifiée conforme des documents en cause;

(b) where the material cannot be reproduced, the original material to the Registry.

b) au greffe les documents qui ne se prêtent pas à la reproduction et les éléments matériels en cause.

Objection by tribunal

Opposition de l’office fédéral

(2) Where a tribunal or party objects to a request under rule 317, the tribunal or the party shall inform all parties and the Administrator, in writing, of the reasons for the objection.

(2) Si l’office fédéral ou une partie s’opposent à la demande de transmission, ils informent par écrit toutes les parties et l’administrateur des motifs de leur opposition.

Relevant provisions of the Royal Canadian Mounted Police Act / Dispositions pertinentes de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada

Representation

Représentation

47.1 (1) Subject to any rules made under subsection (3) a member or a conduct authority may be represented or assisted by any person in any

47.1 (1) Sous réserve des règles établies conformément au paragraphe (3), toute personne peut représenter ou assister un membre ou une autorité disciplinaire :

(a) presentation of a grievance under Part III;

a) lors de la présentation d’un grief sous le régime de la partie III;

(b) proceeding before a board; or

b) lors des procédures tenues devant une commission;

(c) appeal under subsection 45.11(1) or (3).

c) lors d’un appel interjeté en vertu des paragraphes 45.11(1) ou (3).

Privilege

Secret professionnel

(2) If a member or conduct authority is represented or assisted by another person, communications passing in confidence between them in relation to the grievance, proceeding or appeal are, for the purposes of this Act, privileged as if they were communications passing in professional confidence between the member or the conduct authority and their legal counsel.

(2) Lorsqu’un membre ou une autorité disciplinaire se fait représenter ou assister par une autre personne, les communications confidentielles qu’ils échangent relativement au grief, aux procédures ou à l’appel sont, pour l’application de la présente loi, protégées comme si elles étaient des communications confidentielles échangées entre le membre ou l’autorité disciplinaire et son conseiller juridique.

Relevant provisions of the Commissioner’s Standing Orders – Conduct / Disposition pertinentes des Consignes du commissaire - Déontologie

Designation of review authority

Désignation d’une autorité de révision

9 (1) The Commissioner may designate a person to be a review authority in respect of decisions made by conduct authorities and as the conduct authority in respect of the subject member for any decision that the review authority decides to review.

9 (1) Le commissaire peut désigner une personne à titre d’autorité de révision à l’égard des décisions rendues par toute autorité disciplinaire. Lorsqu’elle révise une décision, l’autorité de révision est désignée à titre d’autorité disciplinaire du membre visé.

Reason for review

Objet de la révision

(2) A review authority may, on their own initiative, review a decision to determine if a finding is clearly unreasonable or a conduct measure is clearly disproportionate to the nature and circumstances of the contravention.

(2) L’autorité de révision peut, de son propre chef, réviser une décision pour établir si une conclusion est manifestement déraisonnable ou si les mesures disciplinaires sont vraisemblablement disproportionnées avec la nature et les circonstances de la contravention.

Power of review authority

Pouvoir de l’autorité de révision

(3) If the review authority makes the determination that a finding is clearly unreasonable or a conduct measure is clearly disproportionate and if it is in the public interest to do so, the review authority may

(3) Lorsqu’elle établit qu’une conclusion est manifestement déraisonnable ou qu’une mesure disciplinaire est vraisemblablement disproportionnée et qu’il est dans l’intérêt public de le faire, elle peut :

(a) rescind any finding made by the conduct authority that the subject member has not contravened the Code of Conduct, substitute for that finding a finding that the subject member has contravened the Code of Conduct and impose any one or more of the conduct measures referred to in subsection 5(1) that is proportionate to the nature and circumstances of the contravention;

a) annuler la conclusion de l’autorité disciplinaire selon laquelle le membre visé n’a pas contrevenu au code de déontologie, y substituer une conclusion voulant qu’il ait contrevenu au code de déontologie et lui imposer une ou plusieurs des mesures disciplinaires mentionnées au paragraphe 5(1) qui sont proportionnées à la nature et aux circonstances de la contravention;

(b) rescind or amend any conduct measure imposed by the conduct authority, or substitute any one or more of the measures referred to in subsection 5(1) that is proportionate to the nature and circumstances of the contravention; or

b) annuler ou modifier toute mesure disciplinaire imposée par l’autorité disciplinaire, ou y substituer une ou plusieurs des mesures disciplinaires mentionnées au paragraphe 5(1) qui sont proportionnées à la nature et aux circonstances de la contravention;

(c) rescind any conduct measure imposed by the conduct authority and initiate a hearing in accordance with subsection 41(1) of the Act.

c) annuler toute mesure disciplinaire imposée par l’autorité disciplinaire et convoquer une audience conformément au paragraphe 41(1) de la Loi.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1197-16

INTITULÉ :

MARCO CALANDRINI c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 19 octobre 2016

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE MOSLEY

DATE DES MOTIFS :

Le 1er décembre 2016

COMPARUTIONS :

Louise Morel

Ryan Kennedy

Pour le demandeur

Agnieszka Zagorska

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Forget Smith Morel

Avocats

Ottawa (Ontario)

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

Pour le défendeur

 

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