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Date : 20161206


Dossier : IMM-2521-16

Référence : 2016 CF 1344

[TRADUCTION FRANÇAISE]

 

Ottawa (Ontario), le 6 décembre 2016

En présence de monsieur le juge Martineau

ENTRE :

ANDREA AYON DE LA ROCHA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La demanderesse demande à la Cour de contrôler la décision d’un agent d’immigration (l’agent), datée du 25 mai 2016, par laquelle celui-ci a rejeté sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire (la demande CH).

[2]               La demanderesse avait le fardeau d’établir que, en raison de sa situation personnelle, il existait des considérations d’ordre humanitaire justifiant de faciliter le traitement, à l’intérieur du Canada, de sa demande de résidence permanente. Le pouvoir d’accueillir une demande CH est de nature discrétionnaire. La norme applicable au contrôle de la décision contestée est la décision raisonnable (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 59). La question en litige en l’espèce est de savoir si le refus de soustraire la demanderesse, au titre du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), à l’exigence de présenter de l’extérieur du Canada la demande de visa de résidence permanente, appartient aux issues possibles acceptables.

[3]               Il n’y a pas de contestation portant sur les faits pertinents.

[4]               La demanderesse est une citoyenne du Mexique, âgée de 48 ans, qui a quitté son pays en 2006 et qui a vécu aux États‑Unis pendant deux ans. Elle est arrivée au Canada en 2008 et a demandé l’asile, au motif que des membres du crime organisé et un agent de la police fédérale l’avaient menacée. En 2010, la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada – qui ne croyait pas qu’il existait toujours un danger – a rejeté sa demande d’asile et a conclu qu’elle disposait d’une possibilité de refuge intérieur à Monterey ou à Cancun. En 2015, la demanderesse a présenté une demande CH fondée sur son établissement au Canada, sur la discrimination dont elle ferait l’objet dans le marché de l’emploi en raison de son âge et de son sexe ainsi que, finalement, sur l’intérêt supérieur de son petit‑fils.

[5]               En rejetant la demande CH, l’agent a fait remarquer que la demanderesse ne retournerait pas dans un pays qui ne lui est pas familier et dont elle ne connaît pas la langue ni la culture. Elle sera en mesure de s’établir à nouveau, puisqu’elle a déjà déménagé aux États‑Unis et au Canada, et qu’elle a obtenu de l’emploi dans le domaine du nettoyage et de l’entretien ménager. En outre, l’agent n’a pas tenu compte du fait que la demanderesse serait personnellement exposée à de la discrimination, car aucun élément de preuve n’établissait que, avant de partir du Mexique, elle s’était vu refuser des emplois ou qu’elle fut forcée de quitter les emplois qu’elle occupait en raison de son sexe ou de son âge. L’agent a également fait remarquer que la demanderesse avait vécu la majeure partie de sa vie au Mexique, qu’elle y était bien établie et qu’elle y disposait déjà d’un réseau social, lequel était notamment composé de deux filles et de plusieurs membres de sa fratrie. De plus, bien que son fils, sa belle‑fille et son petit‑fils résident au Canada, rien ne prouvait qu’ils dépendent d’elle et que le fait qu’elle quitte le Canada ait des répercussions négatives sur leur relation.

[6]               La demanderesse réaffirme devant la Cour que, si elle est forcée de présenter sa demande de visa de résidence permanente de l’extérieur du Canada, elle sera exposée personnellement à des difficultés excessives, injustifiées et inhabituelles. La demanderesse soutient que l’agent a formulé des énoncés hypothétiques et que rien dans la preuve n’étaye la conclusion selon laquelle les compétences qu’elle a acquises au Canada lui serviraient au Mexique. La demanderesse soutient également qu’en raison de son âge et de son sexe, personne ne l’emploiera au Mexique, ou qu’elle subira par ailleurs de la discrimination. En outre, la demanderesse soutient qu’aucune loi n’exige qu’elle doive démontrer qu’elle a été personnellement victime de discrimination, et qu’elle peut s’appuyer sur la situation générale dans le pays en cause, laquelle montre qu’il y a de la discrimination fondée sur l’âge et le sexe au Mexique. À cet égard, la demanderesse soutient que l’agent n’a pas pris en compte l’ensemble de la preuve documentaire pertinente, que les lois au Mexique, qui interdisent la discrimination, sont rarement suivies et que leurs mécanismes d’application ne sont pas utiles.

[7]               Le défendeur invite la Cour à rejeter la présente demande de contrôle judiciaire, puisque la demanderesse est simplement en désaccord avec le résultat et n’a pas été en mesure de dégager quelque erreur susceptible de contrôle que ce soit dans le raisonnement de l’agent. La savante avocate du défendeur fait remarquer que la demanderesse mentionne ce qui suit dans sa demande CH : [traduction] « [Au Mexique], si je faisais ce que je fais [au Canada], mon salaire serait d’environ 80 $ par semaine. [Au Canada], je gagne environ 1 000 $ par semaine. » Bien que la demanderesse puisse trouver difficile de retourner au Mexique, le défendeur insiste pour dire que le paragraphe 25(1) de la LIPR n’a pas pour objet de compenser les différences de rémunération ou de niveau de vie entre le Canada et d’autres pays. La demanderesse serait beaucoup mieux si elle était autorisée à demeurer au Canada, mais il reste que de nombreuses personnes dans sa situation sont obligées de présenter une demande de visa de résidence permanente de l’extérieur du Canada et doivent attendre longtemps avant d’être acceptées.

[8]               J’adhère aux motifs de rejet invoqués par le défendeur. Je conviens avec le défendeur que la demanderesse invite simplement la Cour à apprécier à nouveau la preuve et à substituer son opinion à celle du décideur administratif. En l’espèce, l’agent n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle. Sa conclusion selon laquelle la demanderesse n’a pas démontré qu’il était justifié, pour des considérations d’ordre humanitaire, de lever tout ou partie des critères applicables n’est pas déraisonnable. Les motifs sont concentrés sur les trois facteurs qui devaient faire l’objet d’une analyse dans le cadre de la demande CH de la demanderesse : son établissement au Canada, la discrimination à laquelle elle serait exposée au Mexique et l’intérêt supérieur de son petit‑fils. L’agent a expliqué pourquoi chacun de ces motifs n’était pas suffisant pour accorder une dispense ou n’était simplement pas prouvé selon la prépondérance des probabilités. Alors qu’un examen rapide des facteurs pertinents relatifs aux considérations d’ordre humanitaire ne sera pas suffisant, une lecture sélective de la preuve contradictoire pertinente ne pouvant non plus être considérée, je suis convaincu que l’agent a examiné avec soin la totalité des observations de la demanderesse et l’ensemble de la preuve qu’elle a déposée au dossier, et qu’il n’était pas persuadé que sa situation particulière justifiait l’octroi d’une dispense fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. La conclusion est appuyée par des motifs intelligibles et un raisonnement articulé qui n’est ni arbitraire ni fantaisiste. Plus particulièrement, la capacité dont a déjà fait preuve la demanderesse de s’établir à nouveau, tant aux États‑Unis qu’au Canada, démontre qu’elle devrait être en mesure de trouver un emploi et de s’établir à nouveau au Mexique, un pays dans lequel elle a vécu la majeure partie de sa vie et où elle dispose déjà d’un réseau. Il n’était pas déraisonnable pour l’agent de conclure que les compétences que la demanderesse a acquises, dans le domaine du nettoyage et de l’entretien ménager aux États‑Unis et au Canada, lui seraient utiles au Mexique et pourraient l’aider à trouver un emploi. En outre, aucun élément de preuve n’a été présenté pour établir que la demanderesse fut, dans le passé, exposée à de la discrimination, et, bien que la situation ne soit pas parfaite, il existe des lois interdisant la discrimination. Le rejet de la demande CH constitue une issue acceptable.

[9]               La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a aucune question de portée générale à certifier en l’espèce.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

« Luc Martineau »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITES AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2521-16

 

INTITULÉ :

ANDREA AYON DE LA ROCHA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (QUÉbec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 30 NOVEMBRE 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

 

LE 6 DÉCEMBRE 2016

 

COMPARUTIONS :

Sandra Palmieri

 

POUR La demanderesse

Zoé Richard

 

POUR Le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sandra Palmieri

Montréal (Québec)

 

POUR La demanderesse

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR Le défendeur

 

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