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Date : 20161124


Dossier : T-1302-15

Référence : 2016 CF 1301

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 24 novembre 2016

En présence de madame la juge McVeigh

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

demandeur

et

TERRENCE FRANCIS MENEZES

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS :

I.                   Introduction

[1]               Le défendeur, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le ministre), conteste une décision rendue par un juge de la citoyenneté, Angelo Perschilli (le juge de la citoyenneté), en date du 6 juillet 2015, qui a accordé à Terrence Francis Menezes (M. Menezes) la citoyenneté canadienne en vertu de l’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29 (la Loi).


[2]               C’est une cause difficile puisque la demande de citoyenneté a été présentée il y a plus de six ans, le 3 août 2010. La période pertinente pour la détermination des dates de résidence remonte à plus de dix ans entre le 3 août 2006 et le 3 août 2010 (période pertinente). La décision est déraisonnable, et par conséquent, j’accueille la demande du ministre et je la renvoie pour qu’elle soit réexaminée par un autre agent de la citoyenneté.

II.                Exposé des faits

[3]               Rappelons brièvement les faits : M. Menezes est citoyen de l’Inde qui est arrivé au Canada le 14 juin 2004, et est devenu un résident permanent le même jour.

[4]               La demande de citoyenneté subséquente de M. Menezes n’indiquait pas clairement s’il avait atteint le nombre minimum de jours requis par la loi; on lui a donc demandé de remplir un questionnaire sur la résidence. Une divergence entre les absences déclarées dans son questionnaire sur la résidence et sa demande de citoyenneté, ainsi que des écarts entre l’emploi et les finances personnelles, ont préoccupé l’agent de la citoyenneté examinant le dossier de M. Menezes. Par conséquent, l’agent de la citoyenneté a renvoyé l’affaire pour audience devant un juge de la citoyenneté.

[5]               Le juge de la citoyenneté a entendu la demande de M. Menezes le 29 juin 2015 (presque cinq ans après la demande initiale de M. Menezes). M. Menezes devait prouver au moins 1 095 jours de résidence au Canada pendant la période pertinente.

[6]               Le juge de la citoyenneté a pris acte des préoccupations de l’agent de la citoyenneté et a demandé à M. Menezes de fournir d’autres documents. M. Menezes a produit les relevés de compte MasterCard d’octobre 2008 jusqu’à la fin de la période pertinente. Il a aussi produit des relevés de la carte de crédit CIBC d’août 2009, et les factures de Rogers pour les services à sa résidence à partir de 2009. M. Menezes a expliqué que ni la CIBC ni Rogers ne pouvaient produire des relevés antérieurs à ceux produits.

[7]               Le juge de la citoyenneté a examiné les timbres dans le passeport de M. Menezes et a conclu que M. Menezes avait commis une erreur dans son questionnaire sur la résidence. M. Menezes a déclaré un total de 357 jours d’absence du Canada au cours de la période pertinente et a en conséquence déclaré 1 103 jours de présence au Canada.

[8]               Le juge de la citoyenneté s’est servi du critère juridique de résidence établi dans la décision Pourghasemi (Re : Pourghasemi, [1993] A.C.F. no 232 [Pourghasemi]) et a conclu que M. Menezes répondait aux exigences prévues à l’alinéa 5(1)c) de la Loi. Le juge de la citoyenneté a approuvé la demande de citoyenneté de M. Menezes.

III.             Question en litige

[9]               La question que je dois trancher est celle de savoir si le juge de la citoyenneté a raisonnablement conclu que M. Meneze répondait aux exigences en matière de résidence pour obtenir la citoyenneté canadienne.

IV.             Norme de contrôle

[10]           La norme de contrôle applicable à la révision judiciaire des déterminations de la citoyenneté est celle de la décision raisonnable. La question de savoir si une personne a satisfait aux conditions de résidence prévues par la Loi est une question mixte de fait et de droit est également susceptible de révision selon la norme de la décision raisonnable (Canada c. Rahal (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1274, au paragraphe 13, citant l’arrêt Saad c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 570, au paragraphe 18).

V.                Analyse

[11]           Le fardeau de la preuve de la résidence incombe au demandeur, en l’espèce, M. Menezes (Falah c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 736, au paragraphe 21).

[12]           Un décideur tel qu’un juge de la citoyenneté est réputé avoir pris en considération tous les éléments de preuve au dossier (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Samaroo, 2016 CF 689, au paragraphe 30).

[13]           Le juge en chef Crampton a déclaré dans l’arrêt Huang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 576, aux paragraphes 21-25, qu’un juge de la citoyenneté peut utiliser l’un des trois critères de citoyenneté établis.

[14]           Les trois critères juridiques à partir desquels le juge de la citoyenneté doit choisir sont décrits par la juge Danièle Tremblay-Lamer dans l’arrêt Mizani c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 698 au paragraphe10 :

[10]      La Cour a interprété le terme « résidence » de trois façons différentes. Premièrement, il peut s’agir de la présence réelle et physique au Canada pendant un total de trois ans, selon un comptage strict des jours (Pourghasemi (Re), [1993] A.C.F. no 232 (QL) (1re inst.)). Selon une interprétation moins rigoureuse, une personne peut résider au Canada même si elle en est temporairement absente, pour autant qu’elle conserve de solides attaches avec le Canada (Antonios E. Papadogiorgakis (Re), [1978] 2 C.F. 208 (1re inst.). Une troisième interprétation, très semblable à la deuxième, définit la résidence comme l’endroit où l’on « vit régulièrement, normalement ou habituellement » ou l’endroit où l’on a « centralisé son mode d’existence » (Koo (Re), 1992 CanLII 2417 (CF), 1992 CanLII 2417 (C.F.), [1993] 1 C.F. 286 (1re inst.) au paragraphe 10).

[15]           Contrairement à l’affaire Pourghasemi, l’affaire Re : Papadogiorgakis, [1978] 2 CF 208 et l’affaire Re : Koo, [1993] 1 CF 286, procèdent à des évaluations qualitatives pour déterminer si le demandeur a « centralisé son mode de vie » au Canada.

[16]           Le ministre soutient que la décision du juge de la citoyenneté est déraisonnable, fondée sur des constatations erronées des faits et un manque de preuve objective pour appuyer la demande de M. Menezes. Pour appuyer cette position, le ministre mentionne les conclusions factuelles contradictoires suivantes dans les motifs du juge de la citoyenneté :

  • M. Menezes a déclaré qu’il était à Bahreïn entre décembre 2009 et janvier 2010. Cependant, les relevés de la carte de crédit soumis au soutien de cette demande indiquent que M. Menezes était à Bahreïn à des dates différentes et que M. Menezes s’était en fait rendu aux États-Unis pendant cette période;
  • Le juge de la citoyenneté a commis une erreur de fait concernant le voyage d’une journée aux États-Unis le 12 décembre 2009, qui n’est étayé par aucun élément de preuve.
  • Le juge de la citoyenneté se contredit lui-même en disant que M. Menezes n’était pas présent au Canada au début de la période pertinente (3 août 2006) et en déclarant aussi que M. Menezes est retourné au Canada le 2 août 2006;
  • Le juge de la citoyenneté a reconnu un permis de séjour à Bahreïn à l’extérieur de la période pertinente et l’a daté par erreur du 29 septembre 2001, alors qui a effectivement été accordé le 29 septembre 2011.
  • M. Menezes n’a aucune explication pour un timbre de rentrée noté dans le rapport du SIED pour son retour des États-Unis le 16 décembre 2009.
  • Le juge de la citoyenneté fait fi de multiples incohérences relativement aux antécédents de travail et aux revenus de M. Menezes déclarés à l’Agence du revenu du Canada.

[17]           Le ministre soutient que le juge de la citoyenneté a omis d’obliger M. Menezes à s’acquitter de son fardeau de la preuve. Par ailleurs, un juge de la citoyenneté doit évaluer son importance de manière rigoureuse. Pour les motifs qui précèdent, le ministre déclare que le juge de la citoyenneté a mal interprété les faits et les éléments de preuve qui lui ont été présentés et n’a pas fourni de motifs suffisants pour l’octroi de la citoyenneté (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Raphaël, 2012 CF 1039, au paragraphe 28).

[18]           M. Menezes soutient que le ministre demande à la Cour de réévaluer les éléments de preuve présentés au juge de la citoyenneté et de substituer sa propre conclusion (ce qui lui est interdit de faire) (Dunsmuir c. New Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47 [Dunsmuir]; Kanthasamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CAF 113, au paragraphe 99).

[19]           En outre, M. Menezes rappelle à la Cour que l’insuffisance des motifs n’est pas un motif d’appel autonome, Canada, (Citoyenneté et Immigration) c. Safi, 2014 CF 947, au paragraphe 17).

[20]           L’avocat de M. Menezes a fourni d’excellentes explications des incohérences dans les éléments de preuve relevés par l’agent de la citoyenneté, mais celles-ci ne se trouvent ni dans les motifs du juge de la citoyenneté ni dans le dossier certifié du tribunal [DCT]. La question que soulève ces faits vise à déterminer si la décision est raisonnable, cela doit apparaître d’emblée à la lecture des motifs, ou des notes du juge de la citoyenneté (que nous n’avons pas dans le DCT) ou dans le DCT lui-même. Il n’y a pas de points à relier dans ce dossier.

[21]           Le critère de Pourghasemi est un critère quantitatif, reposant sur le nombre de jours de résidence auquel il faut ajouter un minimum de 1 095 au cours de la période pertinente. Il n’y a absolument aucune analyse de la façon dont M. Menezes répond au strict critère juridique établi dans la décision Pourghasemi. Il est donc extrêmement difficile de voir comment la décision du juge de la citoyenneté était raisonnable.

[22]           Comme l’a souligné le ministre, à un moment donné le juge de la citoyenneté indique que la période pertinente va du 3 août 2006 au 3 août 2010 et que « la période pertinente de [M. Menezes] commence pendant que le demandeur est à l’extérieur du Canada. » Cependant, plus loin dans sa décision, le juge de la citoyenneté dit « depuis le retour de [M. Menezes] au Canada le 2 août 2006 ». Non seulement ces deux déclarations sont incompatibles, mais cela ne répond pas à la question de savoir si le juge de la citoyenneté a correctement calculé le nombre de jours d’absence. En outre, M. Menezes lui-même indique son lieu de résidence dans sa demande de citoyenneté comme étant situé à Bahreïn entre août 2006 et mai 2007. Il situe l’absence correspondante pour un contrat de travail à Bahreïn entre le 2 août 2006 et le 10 juin 2007. Je ne peux pas dire à la lecture des motifs laquelle, le cas échéant, de ces périodes a été utilisée pour calculer le temps passé par M. Menezes au Canada.

[23]           Un autre problème, comme l’a souligné le ministre, est la description erronée des timbres figurant dans le passeport par le juge de la citoyenneté : [traduction] « un autre timbre de rentrée déclaré le 12 décembre 2009 représente un voyage d’une journée aux États-Unis, comme le confirme le SIED. » Selon le ministre, il n’y a pas de timbre non déclaré ni d’entrée SIED pour M. Menezes le 12 décembre 2009.

[24]           Une erreur typographique aurait normalement peu de conséquences, mais ajoute à la confusion ici : [traduction« Le premier permis de séjour accordé au demandeur des Émirats arabes unis a été délivré le 29 septembre 2001 » alors qu’en réalité la bonne date est le 29 septembre 2011.

[25]           À aucun moment, le juge de la citoyenneté ne tire une conclusion de fait quant au nombre de jours déclarés que M. Menezes a effectivement passés au Canada, et ne dit pas non plus comment la décision Pourghasemi s’applique en l’espèce.

[26]           Je ne comprends pas à la lecture des motifs du juge de la citoyenneté, ni à la lecture du dossier et des motifs ensemble, pourquoi le juge de la citoyenneté a pris cette décision (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, aux paragraphes 16-17).

[27]           Le caractère raisonnable d’une décision tient à sa justification, à sa transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel (Dunsmuir, précité; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12). Pour les motifs susmentionnés, la décision du juge de la citoyenneté manque de transparence et d’intelligibilité et est par conséquent déraisonnable.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie;

2.                  L’affaire est renvoyée afin qu’une nouvelle décision soit rendue;

3.                  Aucuns dépens ne sont accordés.

« Glennys L. McVeigh »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1302-15

INTITULÉ :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION c. TERENCE FRANCIS MENEZES

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 26 septembre 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCVEIGH

DATE DES MOTIFS :

LE 24 novembre 2016

COMPARUTIONS :

Catherine Vasilaros

Pour le demandeur

Wennie Lee

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le demandeur

LEE & COMPANY

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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