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Date : 20161121


Dossier : IMM-4887-15

Référence : 2016 CF 1285

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 21 novembre 2016

En présence de madame la juge Roussel

ENTRE :

MUHAMMAD NAEEM

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Le demandeur, M. Muhammad Naeem, est un réfugié au sens de la Convention. Ses antécédents de démêlés avec les autorités canadiennes de l’immigration et la Cour sont longs et complexes. Le 28 août 2009, M. Naeem a été interdit de territoire au Canada en raison de son appartenance passée à des organisations à l’égard desquelles il existe des motifs raisonnables de croire qu’elles se sont livrées à des activités terroristes. Sa demande de dispense ministérielle en vertu de l’ancien paragraphe 34(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 [LIPR], a été rejetée le 12 octobre 2015 par le défendeur, le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile [le ministre].

[2]               M. Naeem sollicite maintenant un contrôle judiciaire de la décision du ministre et soutient que le ministre a omis de tenir compte de façon adéquate de « l’intérêt national » et de soupeser les facteurs pertinents exposés dans la décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Agraira c. Canada (Sécurité publique et de la Protection civile), 2013 CSC 36 [arrêt Agraira] et conformément aux directives dans la décision Naeem c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 123 [décision Naeem 2007].

[3]               Bien que la preuve dont je suis saisie démontre que M. Naeem a réussi à s’établir au Canada, aucun fondement ne permet à la Cour de modifier la décision du ministre et, par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

I.                   Faits et procédures

[4]               M. Naeem est un citoyen pakistanais et membre du sous-groupe ethnique des Mohajirs. En 1988, alors qu’il étudiait au collège national à Karachi, au Pakistan, M. Naeem est devenu membre de l’organisation de tous les étudiants mohajirs du Pakistan [APMSO], l’aile étudiante du mouvement mohajir quami [MQM]. Il avait alors seize (16) ans.

[5]               De 1988 à 1990, il a été actif au sein de l’APMSO, dont il a été secrétaire associé. Ses tâches consistaient notamment à assister aux réunions avec d’autres dirigeants de l’APMSO et à apporter son aide et son soutien à d’autres étudiants mohajirs.

[6]               Après l’obtention de son diplôme collégial en 1990, M. Naeem a fréquenté l’Université de Karachi jusqu’en 1993 et il allègue qu’il était uniquement un membre ordinaire de l’APMSO. Il assistait aux réunions et accompagnait d’autres membres de l’APMSO à des rassemblements, mais il ne relevait de personne.

[7]               En 1992, le MQM s’est séparé en deux (2) factions – le MQM-Altaf [MQM-A] et le MQM-Haqiqi [MQM-H]. M. Naeem est demeuré affilié au MQM-A.

[8]               Après cette division, le gouvernement du Pakistan a adopté une position ferme contre le MQM-A. Par conséquent, M. Naeem est entré dans la clandestinité de 1993 à 1999. Il allègue ne pas avoir travaillé pour l’APMSO/MQM ou le MQM-A et que son seul objectif était de rester en vie.

[9]               M. Naeem est arrivé au Canada en mars 1999. Il a obtenu le statut de réfugié le 21 février 2001. Il a présenté une demande de résidence permanente immédiatement après.

[10]           En mars 2002, M. Naeem a été interrogé par le Service canadien du renseignement de sécurité. Il a été de nouveau interrogé en février 2005, cette fois par un agent d’immigration de Citoyenneté et Immigration Canada [CIC] qui a conclu qu’il était raisonnable de croire que M. Naeem était interdit de territoire en vertu de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR au motif de son appartenance au MQM/MQM-A.

[11]           Le 4 mars 2005, M. Naeem a demandé une dispense ministérielle à l’égard de cette conclusion d’interdiction de territoire. Sa demande a été rejetée par le ministre le 14 mars 2006. Par conséquent, sa demande de résidence permanente a aussi été rejetée.

[12]           En mai 2006, M. Naeem a déposé une demande de contrôle judiciaire du refus de dispense ministérielle et de sa résidence permanente. En mars 2007, la Cour fédérale a accueilli la demande combinée de contrôle judiciaire et a ordonné le réexamen des deux décisions (décision Naeem 2007).

[13]           En mai 2008, M. Naeem a de nouveau été déclaré interdit de territoire en vertu de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR. M. Naeem a contesté avec succès la conclusion relative à l’interdiction de territoire devant la Cour et, en décembre 2008, sa cause a été renvoyée aux fins de réexamen par un agent différent (décision Naeem c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1375).

[14]           En août 2009, M. Naeem a fait l’objet d’une autre conclusion relative à l’interdiction de territoire en vertu de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR. Bien que l’autorisation d’interjeter appel ait été accordée, sa demande de contrôle judiciaire a été rejetée en novembre 2010 (décision Naeem c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1069).

[15]           Pendant ce temps, M. Naeem a continué de mettre à jour sa demande de dispense ministérielle et sa demande de résidence permanente. En novembre 2011, le ministre a une fois de plus rejeté la demande de dispense ministérielle de M. Naeem. Sa demande de résidence permanente a été rejetée plus tard le même mois. Le mois suivant, M. Naeem a sollicité un contrôle judiciaire des deux décisions.

[16]           En mars 2012, M. Naeem a abandonné sa demande de contrôle judiciaire de la décision rejetant sa demande de résidence permanente en vertu de l’entente selon laquelle sa demande serait rouverte si la Cour accueillait sa demande de contrôle judiciaire concernant le refus de sa demande de dispense ministérielle.

[17]           En décembre 2013, le ministre a consenti à un réexamen de la demande de dispense ministérielle de M. Naeem, prenant en considération l’orientation donnée par la Cour suprême dans l’arrêt Agraira. La demande de contrôle judiciaire a été accueillie par la Cour (décision Naeem v The Minister of Public Safety and Emergency Preparedness (12 décembre 2013), Toronto IMM-9386-11 (CF)) et l’affaire a été renvoyée aux fins de réexamen.

[18]           En février 2015, M. Naeem a reçu copie de la note d’information et des documents à l’appui préparés par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada [ASFC] pour le ministre, recommandant que la dispense ministérielle soit rejetée. M. Naeem a remis des observations additionnelles en réponse à l’ébauche de recommandation.

[19]           En avril 2015, la demande de résidence permanente de M. Naeem fondée sur des considérations humanitaires a été rejetée. Une demande d’autorisation de contrôle judiciaire de la décision a été rejetée par la Cour en juillet 2015.

[20]           Le 12 octobre 2015, le ministre a refusé d’accueillir la demande de dispense ministérielle de M. Naeem. Cette décision sous-tend la présente demande de contrôle judiciaire.

[21]           En septembre 2016, la demande de contrôle judiciaire de M. Naeem d’une décision rejetant sa demande de résidence permanente a été accueillie par la Cour. Un agent d’immigration avait rejeté la demande de résidence permanente de M. Naeem malgré le fait que M. Naeem avait demandé qu’aucune décision relativement à sa demande ne soit prise avant que la présente demande de contrôle judiciaire soit tranchée. La demande a été accueillie au motif que l’agent n’a absolument rien dit au sujet de la demande de M. Naeem visant à retarder l’examen de la demande de résidence permanente (décision Naeem c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1073).

II.                La décision du ministre

[22]           Le ministre a adopté la plus récente recommandation de l’ASFC, à savoir refuser une dispense ministérielle à M. Naeem. Les motifs exposés dans la note d’information de l’ASFC doivent par conséquent être considérés comme les motifs du ministre (arrêt Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Khalil, 2014 CAF 213, au paragraphe 29; décision Puvanenthiram c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CF 587, au paragraphe 11 [décision Puvanenthiram]; décision Siddique c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CF 192, au paragraphe 25 [décision Siddique]).

[23]           La note d’information donne un aperçu des mesures législatives qui permettent la dispense ministérielle et résument le critère juridique à appliquer par le ministre dans la décision d’accorder ou non une dispense. Elle donne ensuite des renseignements d’ordre général sur l’APMSO, le MQM et le MQM-A. Après examen des antécédents de M. Naeem en matière d’immigration, la note d’information aborde les éléments pris en compte dans la formulation de la recommandation, y compris la version des événements de M. Naeem, les comptes rendus divergents qu’il a fournis au fil des années, le rapport de 2005 de l’agent de CIC, les décisions antérieures du ministre et les observations de M. Naeem en 2015 après divulgation. La note d’information offre ensuite une évaluation de la demande de M. Naeem, abordant la pondération des éléments de preuve contre lui ainsi que les facteurs favorables pour lui.

[24]           Globalement, la note d’information conclut que malgré les contributions positives de M. Naeem au Canada, M. Naeem a été [traduction] « un membre consentant, informé et engagé de l’APMSO/MQM et du MQM-A pendant 11 ans ». En outre, il n’a pas réussi à établir qu’il serait contraire à l’intérêt national de l’exempter de l’interdiction de territoire en raison de sa participation à des organisations à l’égard desquelles il existe des motifs raisonnables de croire qu’elles se sont livrées à des activités terroristes au moment de son implication.

III.             Question en litige

[25]           La question déterminante soulevée dans la présente demande de contrôle judiciaire est de savoir si la décision du ministre de refuser une dispense ministérielle est raisonnable.

IV.             Norme de contrôle

[26]           Il est bien établi, et les deux parties sont d’accord, que la décision du ministre de refuser une dispense ministérielle en vertu de l’ancien paragraphe 34(2) de la LIPR est une décision discrétionnaire qui appelle la norme de la décision raisonnable (arrêt Agraira, au paragraphe 50; décision Puvanenthiram, au paragraphe 20; décision Siddique, au paragraphe 40; décision Hameed c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CF 1353, au paragraphe 28 [décision Hameed]).

[27]           Lorsqu’elle contrôle une décision en appliquant la norme de la décision raisonnable, la Cour s’en tient « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel » ainsi qu’« à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47 [arrêt Dunsmuir]).

[28]           En outre, la Cour n’est pas habilitée à réévaluer la preuve dont le ministre a été saisi en raison de la nature discrétionnaire de la décision du ministre. Lorsque le ministre a examiné et évalué tous les facteurs pertinents pour la demande de dispense ministérielle, sa décision devrait être jugée raisonnable (arrêt Agraira, au paragraphe 91; décision Afridi c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CF 1299, au paragraphe 24 [décision Afridi]).

V.                Analyse

[29]           Dans l’arrêt Agraira, la Cour suprême du Canada a établi plusieurs principes juridiques régissant les demandes de dispense ministérielle en vertu de l’ancien paragraphe 34(2) de la LIPR.

[30]           Premièrement, la personne qui demande une dispense a le fardeau de démontrer au ministre que sa présence au Canada ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national (arrêt Agraira, au paragraphe 43).

[31]           Deuxièmement, en déterminant le contenu de l’« intérêt national », le ministre doit être guidé par une grande variété de facteurs, y compris les facteurs énoncés dans le guide de CIC (arrêt Agraira, au paragraphe 87). Les voici :

a)             La présence du demandeur au Canada est‑elle inconvenante pour le public canadien?

b)             Les liens du demandeur avec l’organisation/le régime sont‑ils complètement rompus?

c)             Y a‑t‑il des indications quelconques que le demandeur pourrait bénéficier d’un avoir obtenu lorsqu’il était membre de l’organisation?

d)            Y a‑t‑il des indications quelconques que le demandeur pourrait retirer des bénéfices de son appartenance passée à l’organisation/au régime?

e)             Le demandeur a‑t‑il adopté les valeurs démocratiques de la société canadienne?

[32]           Une interprétation de l’expression « intérêt national » qui a trait principalement à la sécurité nationale et la sécurité publique est considérée comme raisonnable si elle n’écarte pas d’autres considérations importantes, notamment celles énoncées dans le guide opérationnel de CIC ni d’autres considérations analogues (arrêt Agraira, au paragraphe 88).

[33]           Troisièmement, les considérations d’ordre humanitaire sont plus adéquatement prises en considération dans le contexte d’une demande en vertu de l’article 25 de la LIPR. La prise en compte de facteurs personnels peut être pertinente dans le cas d’une demande de dispense ministérielle dans la mesure où les facteurs peuvent avoir une incidence sur l’examen des caractéristiques personnelles du demandeur afin de déterminer s’il peut être considéré comme présentant une menace pour la sécurité du Canada (arrêt Agraira, au paragraphe 84).

[34]           Enfin, la détermination des facteurs pertinents à l’égard de l’analyse dans une situation donnée dépendra des faits particuliers de la demande soumise au ministre (arrêt Agraira, au paragraphe 87).

[35]           Ayant ces principes juridiques à l’esprit, je dois maintenant examiner les observations de M. Naeem.

[36]           M. Naeem soutient que le ministre n’a pas tenu adéquatement compte de l’« intérêt national » et n’a pas soupesé adéquatement les facteurs pertinents comme l’a exigé la Cour dans la décision Naeem 2007, aux paragraphes 60 à 65, et exposés par la Cour suprême dans l’arrêt Agraira. Bien que le ministre ait mentionné quelques facteurs favorables, il les a présentés sous un angle négatif et a déformé la preuve. Le ministre a également complètement fait fi d’autres facteurs favorables.

[37]           Plus particulièrement, M. Naeem soutient que le ministre s’est appuyé sur une prémisse viciée, à savoir qu’il avait appartenu à l’APMSO/MQM-A pendant onze (11) ans, de 1988 à 1999, année où il a quitté le Pakistan. M. Naeem soutient qu’il n’existe aucun élément de preuve qui indique qu’il était actif au sein de l’organisation après 1992, lorsqu’il a été obligé d’entrer dans la clandestinité. Il a assisté à une seule réunion pendant sa période de clandestinité, en 1998, au cours de laquelle la discussion portait sur la façon dont les membres allaient se tenir au courant s’ils étaient arrêtés. La réunion n’avait pas trait aux activités du MQM-A, elle portait sur la question purement pratique de survie en période d’arrestations illégales.

[38]           M. Naeem soutient en outre que le ministre a commis une erreur en affirmant qu’ [traduction] « il était adulte pendant la majorité de ses onze années en tant que membre ». M. Naeem déclare qu’il s’est joint à l’APMSO à l’âge de seize (16) ans pendant ses études collégiales et qu’il a continué son implication à l’université pendant deux (2) autres années, entre les âges de dix-huit (18) et de vingt (20) ans. Il a alors cessé toute participation significative au sein de l’APMSO/MQM et du MQM-A après 1992. M. Naeem considère donc que la conclusion du ministre selon laquelle il était un adulte pendant la majorité de ses onze années en tant que membre est non seulement déraisonnable, mais aussi non étayée par les éléments de preuve.

[39]           M. Naeem soutient également que le ministre a faussement assimilé la persécution dont il a été victime au Pakistan et ses arrestations aux mains des autorités comme étant un reflet de son niveau d’implication au sein du MQM-A. M. Naeem soutient qu’il est évident d’après les rapports sur la situation au Pakistan que la police pakistanaise détient arbitrairement et torture souvent les personnes soupçonnées, ne serait-ce que d’être impliquées fortuitement avec le MQM-A.

[40]           En outre, le ministre a tenu pour acquis de façon erronée que parce que le MQM-A avait commis des actes de violence, M. Naeem était au courant. M. Naeem considère que le ministre a omis de tenir compte du fait que sa participation active au sein de l’organisation a pris fin en 1992, lorsqu’il est entré dans la clandestinité et qu’il n’était pas en mesure de savoir quels actes de violence avaient été perpétrés par les membres du MQM-A ou même d’y avoir participé. Le ministre a aussi écarté de façon déraisonnable le fait que M. Naeem n’a jamais participé personnellement à quelque acte de violence que ce soit et qu’il est contre toute forme de violence. De même, le ministre a écarté de façon déraisonnable le fait que les activités passées de M. Naeem au sein de l’organisation étaient de nature sociale et politique, et n’avaient rien à voir avec la violence.

[41]           M. Naeem fait en outre valoir que le ministre aurait aussi dû tenir compte de la nature actuelle du MQM-A, à savoir qu’il est désormais un parti politique reconnu au Pakistan et qu’il n’est pas inscrit comme entité terroriste par le gouvernement du Canada.

[42]           Enfin, M. Naeem soutient aussi que le ministre a entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire et a omis de tenir compte de facteurs et d’éléments de preuve personnels pertinents, en particulier le fait qu’il s’est établi avec succès et qu’il s’est intégré au Canada, qu’il est un membre à part entière de la société, qu’il n’a pas tiré profit de son appartenance à son organisation, qu’il n’est pas un danger pour le public et qu’il a adopté les valeurs démocratiques du Canada. À l’exception d’une déclaration générale soutenant ce qui précède, le ministre n’a absolument pas analysé ou soupesé ces facteurs, allant à l’encontre de la décision de la Cour suprême dans l’arrêt Agraira et de l’orientation donnée par la Cour fédérale dans la décision Naeem 2007. En outre, le ministre n’a fait aucune mention du fait qu’il n’a jamais participé à des activités violentes ou qu’il n’a jamais toléré d’activités violentes, que sa période de participation active a été brève (de 1988 à 1992), qu’il était mineur lorsqu’il s’est joint à l’organisation et qu’il n’a jamais été impliqué avec le MQM-A au Canada.

[43]           Le défendeur soutient que le ministre a adéquatement exercé son pouvoir discrétionnaire et a raisonnablement conclu que M. Naeem n’avait pas réussi à établir que sa présence au Canada ne serait pas préjudiciable à l’intérêt national.

[44]           Il est évident d’après la décision que le ministre a raisonnablement pris en compte et soupesé les facteurs pertinents pour l’intérêt national et qu’il n’a pas fait fi ou mal interprété des éléments de preuve pertinents.

[45]           Le ministre a tenu compte des facteurs favorables justifiant une dispense à l’encontre de l’interdiction de territoire, y compris le fait que M. Naeem est une personne honnête qui travaille fort et qu’il s’est établi seul avec succès au Canada, qu’il contribue à la prospérité économique du Canada et qu’il a adopté les valeurs démocratiques du Canada. Le ministre a aussi souligné la déclaration de M. Naeem selon laquelle il a cessé d’être membre du MQM-A lorsqu’il est arrivé au Canada, qu’il n’a jamais été arrêté, qu’il ne pose pas une menace à la sécurité du Canada et qu’il faudrait tenir compte du statut légitime actuel du MQM-A au sein du gouvernement du Pakistan. Le ministre a également tenu compte de la déclaration de M. Naeem selon laquelle il n’a jamais participé à une activité violente, qu’il n’a jamais porté d’arme et qu’il n’a jamais toléré la violence. Cependant, le ministre a également conclu que M. Naeem a été un membre [traduction] « consentant, informé et engagé » de l’APMSO/MQM et du MQM-A pendant 11 ans. Après avoir examiné tous les facteurs pertinents dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, le ministre a conclu que les facteurs favorables ne l’emportaient pas sur l’implication volontaire, continue et informée de M. Naeem et de son engagement au sein d’organisations à l’égard desquelles il existe des motifs raisonnables de croire qu’elles ont participé à des activités terroristes au moment de son implication.

[46]           Contrairement aux observations de M. Naeem, la décision du ministre ne se fonde pas sur une hypothèse erronée selon laquelle M. Naeem a été [traduction] « activement » impliqué dans l’APMSO/MQM et le MQM-A pendant 11 ans. Tout au long de la décision, le ministre reconnaît explicitement l’argument de M. Naeem selon lequel il n’a été activement impliqué au sein de l’APMSO/MQM que de 1988 à 1992 et qu’il n’avait que seize (16) ans lorsqu’il s’est joint à l’APMSO/MQM. Cependant, le ministre a décidé que puisque M. Naeem avait assisté à des réunions avec des membres du MQM et qu’il avait vécu avec d’autres membres du MQM pendant sa clandestinité, de 1992-1993 à 1999, il a quand même [traduction] « entretenu des rapports avec le MQM-A et maintenu son appartenance » et, par conséquent, il a considéré [traduction] « que son appartenance a été continue, prenant fin en mars 1999 ». Après examen du dossier certifié du tribunal, et plus particulièrement des notes des entrevues réalisées le 23 janvier 2008, le 15 juillet 2008 et le 2 juin 2009, il était raisonnable pour le ministre de conclure que M. Naeem a été membre du MQM-A jusqu’en 1999, et ce, de façon continue.

[47]           Le ministre a aussi fait valoir que M. Naeem s’était joint volontairement à l’APMSO/MQM et au MQM-A et qu’il avait maintenu son appartenance. À l’appui de sa conclusion, le ministre a souligné la déclaration de M. Naeem selon laquelle il avait sollicité l’adhésion à l’APMSO/MQM, qu’il s’était joint volontairement à l’organisation, au moment de ses études collégiales en 1988, et qu’il avait maintenu son appartenance pendant ses études universitaires. Il a aussi fait observer que M. Naeem avait choisi de rester membre du MQM-A plutôt que du MQM-H, lorsque le MQM s’est séparé en deux (2) factions, et qu’il a continué d’être membre du MQM-A jusqu’à son départ du Pakistan en 1999.

[48]           Le ministre a également conclu que M. Naeem a manifesté un solide engagement auprès de l’APMSO et du MQM-A en maintenant son appartenance pendant onze (11) ans. En tirant cette conclusion, le ministre a fait observer qu’au début de son appartenance à l’APMSO/MQM, M. Naeem a été averti par la police de cesser son implication au sein de l’organisation après avoir été arrêté, détenu et battu en détention. Le ministre a raisonnablement conclu que le fait que M. Naeem soit resté membre du MQM-A, malgré les avertissements de la police, ses arrestations et ses passages à tabac, les nombreux meurtres d’autres membres du MQM-A, le danger sans cesse croissant et la crainte pour sa sécurité personnelle, était révélateur de sa loyauté et de son engagement envers les organisations. Le ministre a également fait remarquer que malgré le fait qu’il a été battu, hospitalisé et obligé de se cacher, M. Naeem n’a pas vu la nécessité d’essayer de convaincre les autorités qu’il n’était plus un membre actif.

[49]           En outre, le ministre n’a pas conclu des nombreuses arrestations de M. Naeem qu’il occupait nécessairement un poste en vue, malgré l’observation de M. Naeem à cet effet. Cependant, le ministre a effectivement conclu que M. Naeem était au courant des actes de violence commis par le MQM et le MQM-A, malgré sa déclaration contraire. Le ministre a conclu que M. Naeem ne pouvait pas ne pas avoir été au courant des activités terroristes et des actes de violence du MQM et du MQM-A, étant donné la durée pendant laquelle il a résidé à Karachi dans les années 1990 où l’on a observé des degrés élevés de violence en raison des combats entre le MQM-A et le MQM-H, la période prolongée pendant laquelle il a été membre et le fait qu’il connaissait le statut du MQM-A comme l’indiquent les détails qu’il a fournis de la réunion ou des réunions auxquelles il a assisté pendant sa clandestinité. Non seulement la conclusion du ministre est raisonnable, mais elle est étayée par la déclaration de M. Naeem lors des observations relatives à la dispense ministérielle de mars 2005, dans lesquelles il a indiqué qu’il [traduction] « condamnait la violence à laquelle le MQM recourait parfois », mais qu’il adhérait aux objectifs de l’organisation. Cette conclusion est aussi étayée par la jurisprudence de la Cour qui a estimé qu’il est raisonnable pour le ministre de conclure qu’un demandeur avait connaissance des actes violents du MQM du fait qu’il vivait dans une grande ville où ces actes de violence étaient courants (décision Siddique, aux paragraphes 59 et 60; décision Afridi, au paragraphe 33).

[50]           De même, le ministre n’a pas écarté le fait que la raison pour laquelle M. Naeem s’est joint à l’organisation était liée à la discrimination dont faisaient l’objet les Mohajirs pour ce qui est des perspectives d’études et d’emploi, et que ses activités passées au sein de l’organisation étaient sociales et politiques, et ne comportaient aucune perpétration d’actes de violence. Même s’il s’agit de facteurs favorables dans l’évaluation globale, le ministre a néanmoins conclu que M. Naeem était un membre du MQM et du MQM-A et que ses actions avaient quand même profité aux organisations dans leur ensemble.

[51]           Je n’accorde pas non plus de fondement à l’argument de M. Naeem selon lequel le ministre a entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en omettant de tenir compte de certains facteurs favorables, notamment :

1)                  qu’il s’est établi avec succès et qu’il s’est intégré au Canada;

2)                  qu’il est un membre à part entière de la société canadienne;

3)                  qu’il n’a pas tiré profit de son appartenance au MQM-A;

4)                  qu’il n’est pas un danger pour le public et qu’il a adopté les valeurs démocratiques du Canada;

5)                  qu’il est un réfugié au sens de la Convention;

6)                  qu’il n’a jamais participé aux activités violentes du MQM-A.

[52]           Après examen de la décision et tel qu’il est illustré ci-dessus, le ministre a clairement tenu compte des facteurs 1, 2, 4, 5 et 6. Le ministre a adéquatement pris note des circonstances et de la situation personnelles de M. Naeem, de ses valeurs démocratiques alléguées, de son établissement, du fait qu’il est un grand travailleur, de l’ampleur et de la durée de ses rapports avec le MQM-A et de l’abandon de son appartenance au MQM-A ainsi que de son interaction avec cette organisation depuis son arrivée au Canada. Le seul facteur en suspens a trait à la question de savoir si le ministre s’est demandé si M. Naeem a tiré profit de son appartenance au MQM-A. Bien que le ministre ne parle pas de cette question, je ne crois pas qu’elle soit déterminante au point de rendre la décision du ministre déraisonnable.

[53]           M. Naeem soutient que lorsqu’il [traduction] « soupèse » les facteurs pertinents, le ministre est tenu d’exposer en détail le poids qu’il a accordé à la sécurité nationale et à la sécurité du public par rapport aux autres facteurs. Cependant, la jurisprudence de la Cour est telle que tant que le ministre cerne les facteurs autres que la sécurité du public et la sécurité nationale dans son analyse, il n’a pas à fournir des motifs précisant pourquoi certains facteurs ont eu plus de poids que d’autres (décision Siddique, au paragraphe 84).

[54]           Essentiellement, M. Naeem soutient que le ministre aurait dû accorder plus de poids à ses activités actuelles au Canada, plutôt qu’à celles au Pakistan. Cependant, la Cour a conclu qu’il est raisonnable pour le ministre d’accorder plus de poids aux actions passées d’un demandeur, tel que cela est expliqué dans le paragraphe 35 de la décision Afridi :

[35]      Enfin, M. Afridi affirme que le ministre s’est concentré de façon déraisonnable sur le rôle qu’il avait joué au sein du MQM et sur la nature de cette organisation plutôt que sur sa situation personnelle actuelle. Le ministre ne commet cependant pas d’erreur en tenant compte des agissements passés du demandeur pour déterminer si le maintien de sa présence au Canada serait préjudiciable à l’intérêt national et constituerait un risque pour l’avenir. D’ailleurs, les facteurs relatifs à la sécurité nationale et à la sécurité publique ne se limitent pas à l’appréciation du risque actuel ou à venir et il convient de rappeler le fait qu’une grande partie de l’analyse de l’arrêt Agraira portait sur les activités passées de M. Agraira en Libye. De plus, ainsi que la note d’information le signale, M. Afridi avait cessé ses activités au sein du MQM au Canada parce que son travail et sa famille l’accaparaient trop et non parce qu’il s’était dissocié de cet organisme et de ses tactiques. Il était donc raisonnable de la part du ministre de tenir compte de ces facteurs pour déterminer s’il était dans l’intérêt national d’accorder une dispense ministérielle à M. Afridi.

[55]           Ayant conclu que le ministre a examiné et pris en compte tous les facteurs pertinents en fonction du dossier dont il était saisi, je suis d’avis qu’il était loisible au ministre de décider quels facteurs guideraient l’exercice de son pouvoir discrétionnaire et quel poids il leur accorderait. En l’espèce, le ministre a conclu qu’il accordait plus de poids à la nature et au niveau d’engagement que M. Naeem a manifestés envers les organisations à l’égard desquelles il existe des motifs raisonnables de croire qu’elles se sont livrées à des activités terroristes et de violence.

[56]           Lors de l’audience, j’ai exprimé l’inquiétude que les motifs relatifs à la conclusion sur l’interdiction de territoire ne devraient pas devenir automatiquement le fondement du rejet de la dispense ministérielle. Comme l’a fait observer le juge Phelan dans la décision Soe c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2007 CF 461, au paragraphe 34, et comme il a été réitéré dans les décisions Hameed et Afridi, considérer que l’appartenance passée à une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle s’est livrée à du terrorisme détermine l’issue de la demande de dispense ministérielle rendrait inutile tout exercice du pouvoir discrétionnaire. Cependant, l’octroi de la dispense ministérielle est en fin de compte un exercice d’équilibre du pouvoir discrétionnaire de la part du ministre. Même si les facteurs opposés auraient pu être soupesés différemment, il n’appartient pas à la Cour d’apprécier de nouveau la preuve dont le ministre était saisi quand elle évalue le caractère raisonnable de l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre en vertu de l’ancien paragraphe 34(2) de la LIPR.

[57]           Par conséquent, je suis d’avis que la décision du ministre était justifiée, transparente et intelligible, et appartenait aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (arrêt Dunsmuir, au paragraphe 47).

[58]           En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Les parties n’ont pas proposé de question à certifier et aucune question n’a été soulevée.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.             la demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.             aucune question n’est certifiée aux fins d’appel.

« Sylvie E. Roussel »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4887-15

INTITULÉ :

MUHAMMAD NAEEM c. LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 19 avril 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ROUSSEL

DATE DES MOTIFS :

LE 21 NOVEMBRE 2016

COMPARUTIONS :

Lorne Waldman

Pour le demandeur

Ian Hicks

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lorne Waldman

Waldman & Associates

Toronto (Ontario)

Pour le demandeur

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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