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Date : 20160714


Dossier : IMM-72-16

Référence : 2016 CF 807

Ottawa (Ontario), le 14 juillet 2016

En présence de monsieur le juge Annis

ENTRE :

ADOUM OUSMANE ISSA

demandeur

et

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Nature de l’affaire

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR] d’une décision datée du 11 décembre 2015 de la Section d’appel des réfugiés [SAR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. La SAR a confirmé la décision de la Section de protection des réfugiés [SPR] indiquant que le demandeur n’avait pas la qualité de réfugié au sens de l’article 96 LIPR, ni celle de personne à protéger au sens de l’article 97 LIPR.

II.                Les faits

[2]               Le demandeur, M. Adoum Ousmane Issa, est citoyen du Tchad.

[3]               Bien que marié à sa cousine, il allègue avoir eu une liaison avec Djamila Oumar Deby, la nièce du chef d’État. Mme Deby était également mariée.

[4]               Le 16 mai 2014, Mme Deby l’aurait averti que sa famille avait appris qu’elle était enceinte, puis l’avait battue, séquestrée et menacée de mort.  Elle l’aurait ensuite dénoncé à sa famille.

[5]               Le demandeur serait allé se réfugier chez un cousin de sa mère et a déménagé à Massaget pour assurer sa sécurité.

[6]               Le même jour, des cousins du mari de Mme Deby se seraient présentés au domicile du demandeur, auraient battu des membres de sa famille et auraient violé sa sœur.

[7]               La famille du demandeur l’aurait par la suite aidé à quitter le pays.

[8]               Le 4 novembre 2014, la SPR a conclu que le demandeur n’était pas crédible et a rejeté sa demande d’asile.

III.             Décision contestée

[9]               La SAR a d’abord statué sur l’admissibilité de nouveaux éléments de preuve qui n’avaient pas été soumis avec le dossier du demandeur lors de l’appel, soit une attestation de Mme Deby, un certificat médical attestant du décès du cousin de la mère du demandeur, un certificat médical attestant des blessures de la sœur du demandeur, ainsi qu’une carte de l’autorité de l’aviation civile de Mahamat Zakaria, qui a aidé le demandeur à fuir le pays.

[10]           Elle a souligné qu’aucune autorisation n’avait été demandée afin d’utiliser ces documents conformément aux règles de la SAR et que, par conséquent, ils ne pouvaient pas être utilisés par le demandeur dans le cadre de son appel. Elle a toutefois procédé à l’analyse des documents.

[11]            La SAR a conclu que la première partie de l’attestation de Mme Deby n’était pas admissible, car elle se rapportait à des faits connus lors de l’audience de la SPR. Quant à la seconde partie, la SAR a jugé qu’elle n’était pas crédible. Mme Deby affirmait que ces parents avaient appris qu’elle était enceinte le 16 mai 2015, alors que le demandeur a affirmé avoir quitté le Tchad en juin 2014. Or, plus de 11 mois séparent ces dates. Mme Deby n’aurait donc pas pu être enceinte du demandeur.

[12]           La SAR a également rejeté les deux certificats médicaux, car ils n’étaient pas dignes de foi. Elle a noté que les renseignements personnels inscrits sur le certificat médical du cousin, soit le nom et la date de naissance,  ne correspondaient pas à ceux de la personne qui avait écrit un témoignage écrit en faveur de la demande d’asile du demandeur.  De plus, l’en-tête de la lettre n’était pas celui d’un véritable hôpital tchadien et avait pu être créé par ordinateur. Quant au certificat médical de la sœur du demandeur, la SAR a noté que l’en-tête ne correspondait pas à celui de l’autre certificat médical, certains mots y étant inversés. De plus, bien qu’écrit en français, le certificat médical ne comportait aucun accent. Le numéro de dossier qui lui avait été attribué était également inférieur à celui attribué au certificat médical du cousin, bien qu’émis quatre mois plus tard. La SAR a aussi rejeté le quatrième document, soit la carte de l’autorité de l’aviation civile, car il ne comportait aucun renseignement pertinent à l’appel ou à la demande d’asile.

[13]           Compte tenu l’inadmissibilité des documents, la SAR a refusé la tenue d’une audience, soulignant que le paragraphe 110(4) LIPR ne lui laissait aucune discrétion dans les circonstances.

[14]           Quant au fondement de la demande d’asile, la SAR a conclu que la SPR n’avait pas commis d’erreur dans l’appréciation de la crédibilité du demandeur. Elle a noté que le défaut du demandeur de demander l’asile à la première opportunité, soit lors de son séjour aux États-Unis, affectait sa crédibilité. Son explication quant au délai n’était pas non plus raisonnable, compte tenu de l’immensité du pays, de la confidentialité des demandeurs d’asile et de la possibilité d’y être protégé par les autorités.

[15]           La SAR a également estimé que la SPR avait été très claire et méticuleuse dans l’évaluation de la crédibilité du demandeur et que le cumul des contradictions et des omissions identifiées par la SPR portaient un coup fatal à sa crédibilité. La SAR a par ailleurs relevé une contradiction additionnelle concernant le lieu de résidence du demandeur en mai et en juin 2014.

[16]           Finalement, la SAR a jugé que la SPR n’avait pas ignoré une lettre de médecin faisant état de la dépression du demandeur, car un rapport d’expert ne pouvait pas à lui seul établir la crédibilité d’un demandeur d’asile.

IV.             Questions en litige

[17]           Il y a deux questions en litige :

1.      La SAR a-t-elle commis une erreur en refusant d’admettre les preuves additionnelles déposées par le demandeur dans son dossier?

2.      La SAR a-t-elle omis de procéder à sa propre évaluation du dossier en s’en remettant uniquement aux conclusions de la SPR sur la crédibilité du demandeur?

V.                Analyse

A.                La SAR a-t-elle commis une erreur en refusant d'admettre les preuves additionnelles déposées par le demandeur dans son dossier?

[18]           Le demandeur soutient que, dès lors que la SAR conclut que les éléments de preuve soumis constituent des faits nouveaux, elle n’a pas d’autres choix que de les admettre en preuve. Au contraire, le défendeur avance que le législateur avait clairement l’intention de restreindre l’utilisation de nouvelles preuves devant la SAR. Seuls les éléments de preuve répondant aux critères énoncés dans Raza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 385 [Raza], soit la nouveauté, la crédibilité, la pertinente et le caractère substantiel, sont admissibles (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Singh, 2016 CAF 96, para 33-38 et 43 [Singh]; Oluwole c Canada (Citoyenneté et Immigration) ,2015 CF 953 para 39).

[19]           La Cour d’appel fédérale dans Singh a été très claire sur la question des critères établis dans Raza :

[43]      En fait, les critères retenus dans l’arrêt Raza sont conformes aux tests généralement retenus par les tribunaux judiciaires et les instances administratives, et ont essentiellement pour objet de préserver l’intégrité du processus judiciaire : voir Public School Boards’ Assn. of Alberta c. Alberta (Procureur général), 2000 CSC 2 (CanLII) au para 10, [2000] 1 R.C.S. 44. Bien qu’ils aient été dégagés par la Cour suprême dans le contexte d’un procès criminel (voir Palmer c. La Reine, 1979 CanLII 8 (CSC), [1980] 1 R.C.S. 759 à la p. 775, 106 D.L.R. (3d) 212 [Palmer]), les critères de nouveauté, de pertinence, de crédibilité et de caractère déterminant ont subséquemment été appliqués en matière civile (J.T.I MacDonald Corp. c. Canada (Procureur général), 2004 CanLII 30110 (QC CA), 2004 CanLII 30110 au para. 3, [2004] J.Q. no 9409 (C.A.Q.), en droit disciplinaire (Morin v. Regional Administration Unit #3 (P.E.I.), 2002 PESCAD 9 (CanLII) au para. 140, 213 D.L.R. (4th) 17 (C.A. I.-P.-E.), en droit autochtone (Première Nation des Chippewas de Nawash c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans), 2002 CAF 22 (CanLII) au para. 20, [2002] A.C.F. no 146) et dans plusieurs autres domaines (voir Donald J.M. Brown, Civil Appeals, Carswell, Toronto, 2015 aux pp. 10-16 à 10-18).

[20]           Il était donc raisonnable pour la SAR d’évaluer la crédibilité et la pertinente des nouvelles preuves soumises en appel et de rejeter ces preuves sur la base de ces critères. Je suis d’avis que les incohérences soulevées par la SAR au sujet de l’affidavit de Mme Deby et des certificats médicaux justifient ses conclusions.

[21]           Il en découle ainsi qu’il était raisonnable pour la SAR de refuser une audience au demandeur. La formulation du paragraphe 110(6) LIPR ne lui laisse aucune discrétion. S’il n’existe pas de nouvel élément de preuve admissible, il n’est pas possible pour la SAR de tenir une audience.

B.                 La SAR a-t-elle omis de procéder à sa propre évaluation du dossier en s'en remettant uniquement aux conclusions de la SPR sur la crédibilité du demandeur?

[22]           Le demandeur soutient que, dans Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93 [Huruglica], la Cour d’appel fédérale a clairement établi que la SAR  doit faire son propre examen indépendant de la demande d’asile, car il ne ressort pas de la LIPR qu’il faille déférer à la SPR pour des conclusions de faits, de droit, ou mixtes. Il n’est pas suffisant pour la SAR de dire qu’elle a fait un examen indépendant; ses motifs doivent également le démontrer. La SAR n’a pas adressé les erreurs soulevées dans la décision de la SPR telle qu’elle devait le faire. Le défendeur soumet plutôt que la décision de la SAR démontre clairement qu’une évaluation indépendante a été effectuée et que le commissaire est sorti des motifs de la SPR et a épluché lui-même les documents pour en venir à ses conclusions.

[23]           Je partage la position du défendeur. Il appert clairement de la décision de la SAR qu’elle a effectué sa propre analyse indépendante du dossier.

[24]           Je note d’abord qu’au paragraphe 62 de la décision, la SAR ajoute aux commentaires de la SPR quant à la crédibilité du demandeur concernant son séjour aux États-Unis et les raisons pour lesquelles il n’y a pas demandé l’asile. De plus, au paragraphe 68, la SAR relève une contradiction additionnelle dans les documents du demandeur :

[68]      J’ajoute que, dans le formulaire IMM 5669, l’appelant a déclaré avoir travaillé comme agent commercial à N’Djamena de décembre 2011 jusqu’en juin 2014. Il a également déclaré avoir résidé de janvier 2010 à juin 2014 au 22 Gouji à N’Djamena. En signant ce document, le 14 juin 2014, l’appelant a déclaré que les renseignements donnés dans ce formulaire étaient véridiques, complets et exacts. Dans le permis de conduire qui a été délivré le 24 mai 2014, il est indiqué qu’il demeure à N’Djamena. Ces renseignements sont en contradiction avec les allégations comprises notamment dans le FDA de l’appelant, voulant qu’à compter du 21 mai 2014, il s’était réfugié dans le jardin d’un cousin de sa mère situé à Massaguet à 82 kilomètres de N’Djamena.

[25]           Par ailleurs, les notes en bas de page contenues dans la décision, particulièrement les notes 56-58 et 70-71, démontrent que la SAR a elle-même épluchée le dossier et consulter attentivement les documents contenus dans le dossier de la SPR. Ces notes contiennent plusieurs références précises à ces documents. Je rappelle qu’il est bien établie en jurisprudence que le caractère raisonnable d’une décision doit s’évaluer à la lumière de l’ensemble du dossier (Newfoundland and Labrador Nurses' Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, para 14).

[26]           Je conclus donc que la SAR a effectué sa propre évaluation du dossier et en est raisonnablement venue à ses conclusions quant à la crédibilité du demandeur.

VI.             Conclusion

[27]           La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée et il n’y a aucune question certifiée.

« Peter Annis »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-72-16

 

INTITULÉ :

ADOUM OUSMANE ISSA c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 30 juin 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ANNIS

 

DATE DES MOTIFS :

LE 14 juillet 2016

 

COMPARUTIONS :

Me Stéphanie Valois

pour le demandeur

 

Me Margarita Tzavelakos

pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Stéphanie Valois

Montréal (Québec)

 

pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général

Montréal (Québec)

 

pour le défendeur

 

 

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