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Date : 20160623


Dossier : IMM-100-16

Référence : 2016 CF 708

Montréal (Québec), le 23 juin 2016

En présence de monsieur le juge Roy

ENTRE :

MARIE JOCEMINE GAUCHIER

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Cette demande de contrôle judiciaire aux termes de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi], concerne une décision de la Section d’appel des réfugiés [la SAR] qui, le 14 décembre 2015, rejetait un appel de la décision de la Section de protection des réfugiés [la SPR] et concluait donc que la demanderesse n’est ni une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger (articles 96 et 97 de la Loi).

I.                   Faits

[2]               La demanderesse appuie sa demande sur trois incidents qui se seraient produits dans son pays d’origine, Haïti. Le 13 mai 2012, elle aurait été attaquée sur la rue par deux personnes. Elle aurait été blessée à une oreille et aurait dû recevoir des soins médicaux. Se disant propriétaire d’un commerce de pièces d’automobile à Cabaret, une ville au nord de Port-au-Prince, elle aurait porté plainte le lendemain et aurait choisi de se réfugier chez sa cousine à Port-au-Prince. Son absence de Cabaret aurait duré quatre mois.

[3]               La demanderesse a visité le Canada à deux reprises en deuxième moitié de 2014; tant en août qu’en décembre 2014, elle a séjourné au Canada pour trois semaines à chaque fois.

[4]               Elle devait retourner à Haïti le 31 décembre 2014. Se rendant à sa place de commerce et y rencontrant sa belle-sœur qui y travaille, elle aurait quitté les lieux en fin d’après-midi le 31 décembre 2014. Environ une heure plus tard, deux individus auraient saccagé le commerce et auraient laissé une note selon laquelle ils recherchaient la demanderesse. Malgré que la demanderesse n’ait pas été présente lors de cet incident allégué, elle dit reconnaître les deux mêmes individus qui l’avaient agressée en 2012 grâce à la description qui lui en a été faite par sa belle-sœur.

[5]               La demanderesse aurait porté plainte à la police de Cabaret, mais les circonstances de cette plainte sont demeurées plutôt incertaines. La demanderesse allègue aussi avoir été agressée le 5 février 2015, à Port-au-Prince. Elle prétend que les deux mêmes individus auraient tenté de la kidnapper en la forçant à monter sur une moto. L’arrivée inopinée de la police les aurait fait lâcher prise et ils se seraient enfuis avec le sac à main que portait la demanderesse. Celle-ci a alors décidé qu’elle devait quitter Haïti et elle s’est procuré un billet d’avion pour venir au Canada. Arrivée au Canada le 11 février 2015, elle réclamait l’asile dès ce jour.

II.                Décision sous étude

[6]               La SPR a rendu sa décision le 13 avril 2015. Il n’est pas nécessaire de passer en revue les motifs de la SPR puisque la décision dont le contrôle judiciaire est demandé est celle de la SAR. Qu’il suffise de noter que la SPR a conclu des contradictions et des explications, qui semblent évoluer au fil des questions, que la demande faite en vertu des articles 96 et 97 de la Loi n’avait pas été établie.

[7]               La décision dont le contrôle judiciaire est demandé est la décision en appel de la SPR qui a été rendue le 14 décembre dernier.

[8]               S’étant questionnée sur sa juridiction à la suite de différentes décisions de cette Cour, la SAR a agi de façon prudente en ne posant pas en tribunal administratif de révision, mais plutôt en tribunal d’appel. D’ailleurs, aucune contestation de la juridiction exercée par la SAR n’a été soulevée en l’espèce.

[9]               La demanderesse se plaint de trois choses. D’abord, y a-t-il eu erreur dans les conclusions qui ont été tirées par la SAR quant à la crédibilité de la demanderesse? De plus, la demanderesse se plaint que la SAR n’a pas tenu d’audience. Finalement, on suggère que la complexité de l’affaire aurait nécessité qu’il y ait délibéré plutôt que de rendre une décision à l’audience. Pour les motifs qui suivent, aucun de ces griefs ne peut être retenu.

III.             Norme de contrôle

[10]           En l’espèce, la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable. La décision de la Cour d’appel fédérale dans Huruglica c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2016 CAF 93, confirme qu’en ces matières, et en particulier la question de la détermination de la crédibilité par la SAR, est une question qui est contrôlée sur la base de la décision raisonnable.

IV.             Analyse

[11]           En fin de compte, lorsque l’on examine les arguments présentés par la demanderesse, on en vient à la conclusion qu’il s’agit d’une simple expression de désaccord avec l’évaluation faite par la SAR. Or, à mon sens, les conclusions de la SAR quant à la crédibilité, qui correspondent d’ailleurs à celle de la SPR, sont parfaitement raisonnables. La séquence des événements mérite une certaine attention. Ainsi, la demanderesse aurait été attaquée en mai 2012. Aucun autre incident ne se produit à son égard avant qu’elle ne revienne de deux séjours de trois semaines chacun au Canada, durant la seconde moitié de 2014. Les circonstances dans lesquelles il y aurait eu deux autres incidents, dont une agression, sont beaucoup plus ténébreuses. Ainsi, il n’est pas clair quand l’incident du 31 décembre s’est effectivement produit, s’il s’est produit. La demanderesse a présenté un procès-verbal provenant des autorités policières de Port-au-Prince qui correspond mal au témoignage de celle-ci. Ce procès-verbal semble indiquer une agression le 1er janvier 2015 ou le 10 janvier 2015, ou même tôt le 31 décembre. Ce qui est davantage troublant est que la demanderesse prétend reconnaître les auteurs du saccage malgré le fait qu’ils aient porté des cagoules et que la seule description qu’elle en ait lui vienne de sa belle-sœur qui aurait été sur les lieux lors de l’incident.

[12]           Pour ce qui est de l’incident du 5 février 2015, les difficultés ne sont pas moins importantes. Ainsi, le document présenté au soutien de l’existence d’une tentative de kidnapping serait un document préparé par la police nationale d’Haïti. Or, ledit document ne parle en aucune façon d’une tentative de kidnapping, ce qui en soi est assez remarquable puisque la tentative aurait été interrompue par l’arrivée inopinée de la police. De plus, ledit document n’est qu’un constat que des documents ont été égarés, ne référant même pas au prétendu vol du sac à main de la demanderesse, mais plutôt que la « bourse » aurait été égarée. Je partage l’avis de la SAR qu’il est improbable que la police nationale n’ait pas voulu colliger les faits relatifs à un enlèvement raté et un vol de sac à main pour plutôt parler de bourse et documents égarés. Sans explication d’un tel comportement, il est certes permis de douter de l’existence de l’incident allégué comme l’a d’ailleurs fait la SAR. La SAR a dit douter des deux incidents de janvier et février 2015. Il est déclaré sans ambages que « [l]’appelante n’est pas crédible en ce qui a trait aux deux incidents depuis lesquels elle craint pour sa vie. La SAR n’y a pas cru » (para 64 de la décision de la SAR).

[13]           La demanderesse n’a pas démontré à cette Cour que la décision de la SAR n’était pas raisonnable. À mon sens, elle est certainement l’une des issues possibles acceptables à laquelle un tribunal administratif pouvait en arriver. Non seulement c’est une issue possible, mais la justification de la décision, sa transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel s’accordent avec son caractère raisonnable.

[14]           La demanderesse s’est aussi plainte qu’une audience aurait dû être tenue devant la SAR. Cet argument, qui par ailleurs n’a pas fait l’objet d’un argument écrit, mais qui est devenu l’argument principal à l’audience, est sans valeur.

[15]           Dans cette affaire, la SAR avait admis en preuve de nouveaux documents qui n’étaient pas devant la SPR. Ils étaient une carte d’immatriculation fiscale de l’entreprise Distinction Auto Parts, un récipicé d’impôts pour l’année d’imposition 2014-2015 et un certificat de patente. Cette admission en preuve était généreuse en ce que la SAR a accepté l’explication selon laquelle ils auraient été perdus par la demanderesse dans une valise qui n’a été retrouvée qu’après l’audience devant la SPR. En effet, la loi prévoit au paragraphe 110(4) que de nouveaux éléments de preuve ne sont admissibles que s’ils remplissent les conditions suivantes :

110(4) Dans le cadre de l’appel, la personne en cause ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet de sa demande ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’elle n’aurait pas normalement présentés, dans les circonstances, au moment du rejet.

110(4) On appeal, the person who is the subject of the appeal may present only evidence that arose after the rejection of their claim or that was not reasonably available, or that the person could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection.

[16]           Ces nouveaux éléments de preuve tendent à démontrer que la demanderesse était impliquée dans un commerce de pièces d’automobile, comme elle le prétendait. Cependant, la SAR s’est déclarée d’avis que cela ne modifie aucunement le constat d’absence de crédibilité fait par la SPR pour ce qui est de ce qui se trouve au cœur de la demande d’asile de la demanderesse.

[17]           Cette nouvelle preuve ne justifiait d’ailleurs en aucune manière la tenue d’une autre audience. Encore ici, la loi prévoit les conditions dans lesquelles une audience peut être tenue à la discrétion de la SAR :

110(6) La section peut tenir une audience si elle estime qu’il existe des éléments de preuve documentaire visés au paragraphe (3) qui, à la fois :

110(6) The Refugee Appeal Division may hold a hearing if, in its opinion, there is documentary evidence referred to in subsection (3)

a) soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité de la personne en cause;

(a) that raises a serious issue with respect to the credibility of the person who is the subject of the appeal;

b) sont essentiels pour la prise de la décision relative à la demande d’asile;

(b) that is central to the decision with respect to the refugee protection claim; and

c) à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que la demande d’asile soit accordée ou refusée, selon le cas.

(c) that, if accepted, would justify allowing or rejecting the refugee protection claim.

[18]           Il n’était pas nécessaire selon la SAR de tenir une telle audience et aucun argument n’a été offert au soutien de la prétention que ce fusse une erreur. Comme on peut le voir, le paragraphe 110(6) requiert qu’il y ait une nouvelle preuve documentaire qui satisfasse les trois conditions énoncées. Aucune telle preuve documentaire n’existe. D’ailleurs, la SAR note au paragraphe 42 de sa décision que « l’appelante a laissé cette question à la discrétion de la SAR. » On voit mal comment la demanderesse pourrait s’en plaindre.

[19]           Finalement, la demanderesse soumet que la décision rendue de vive voix par la SPR a été hâtive. Cette prétention de la demanderesse a été rejetée. On peut comprendre pourquoi lorsqu’on prend connaissance du paragraphe 10(8) des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012-256 qui prévoit :

10 (8) Le commissaire de la Section rend une décision et donne les motifs de la décision de vive voix à l’audience, à moins qu’il ne soit pas possible de le faire.

10 (8) A Division member must render an oral decision and reasons for the decision at the hearing unless it is not practicable to do so.

[20]           Le fait que des motifs soient rendus oralement ne justifie pas une absence ou une insuffisance grossière de motifs. Mais à l’inverse des motifs oraux ne sont pas insuffisants du seul fait qu’ils ont été rendus oralement. La Loi prévoit l’appel de la décision de la SPR sur des questions de droit, de faits ou mixtes (para 110(1)) : des raisons de la part de la SPR justifiant la décision sont évidemment attendues. À mon avis, si les motifs qui sont donnés par la SPR de vive voix sont insuffisants pour expliquer la décision, il pourrait y avoir matière à ce que la SAR accorde l’appel (para 111(4)) de l’appelant. Mais tel n’est pas le cas ici. L’allégation de décision hâtive, sans rien de plus, ne donne pas ouverture à remède. Il n’y a, à mon sens, aucun autre argument à tirer à ce stade de ce qui s’est passé en l’espèce. La décision de la SPR pouvait être traitée par la SAR, qui l’a d’ailleurs fait.

[21]           En conséquence, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Il n’y a pas de question à certifier.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a pas de question à certifier.

« Yvan Roy »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-100-16

 

INTITULÉ :

MARIE JOCEMINE GAUCHIER c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 22 juin 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ROY

 

DATE DES MOTIFS :

LE 23 JUIN 2016

 

COMPARUTIONS :

Labib Issa

Pour la demanderesse

Caroline Doyon

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Labib Issa

Montréal (Québec)

Pour la demanderesse

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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