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Date : 20160527


Dossier : IMM-4702-15

Référence : 2016 CF 574

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 27 mai 2016

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

MACMILLAN NUYEBGA GABILA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Nature de l’affaire

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), à l’encontre d’une décision de la Section d’appel des réfugiés (la SAR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié confirmant la décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de rejeter la demande d’asile du demandeur. La décision de la SPR (la décision) est datée du 30 septembre 2015.

II.                Contexte

[2]               Le demandeur est un citoyen du Cameroun âgé de 31 ans, qui dit craindre d’être persécuté en raison de son homosexualité. L’homosexualité est un crime au Cameroun et, selon le demandeur, son orientation sexuelle sera rendue publique s’il retourne dans son pays.

[3]               Le demandeur dit avoir entretenu une relation secrète avec un homme du nom de Ndipnu Edwin, de 2004 à 2008. Cette relation a pris fin lorsque Ndipnu s’est fiancé pour ensuite épouser une femme.

[4]               Le demandeur subissait des pressions croissantes de la part de sa famille qui voulait qu’il se trouve une épouse. Il soutient que des rumeurs selon lesquelles il était homosexuel ont commencé à circuler. Ndipnu, inquiet pour sa propre réputation, aurait alors suggéré au demandeur de se marier ou de quitter le Cameroun. Le 2 septembre 2014, le demandeur dit avoir été convoqué à une réunion de famille à ce sujet; il a fini par admettre à sa sœur qu’il était homosexuel. Sa sœur en a ensuite informé son oncle qui a menacé de le tuer et qui a promis de le dénoncer aux autorités locales.

[5]               Le demandeur se serait alors enfui vers une autre ville où il aurait demandé l’aide de Ndipnu. Le demandeur allègue en outre que, bien qu’il n’en fut pas informé à l’époque, Ndipnu avait engagé un agent pour préparer son départ du pays, et ce, bien avant l’incident survenu avec sa sœur. La preuve documentaire semble indiquer qu’une demande d’inscription au Centennial College de Toronto a été présentée en mai 2014, soit quatre mois plus tôt.

[6]               Le demandeur, par l’entremise de Ndipnu, s’est procuré un passeport et un visa d’étudiant auprès de l’agent. Le demandeur allègue que ce n’est que lorsqu’il a eu le visa entre les mains qu’il a su de quel type de visa il s’agissait, et pour quelle destination. Le visa a été délivré le 3 octobre 2014. Le demandeur soutient toutefois que l’agent a refusé de lui remettre son passeport tant qu’il ne lui aurait pas cédé, en guise de paiement, la terre que son père lui avait léguée en héritage. Le demandeur a finalement accepté de lui céder la terre et il a obtenu son passeport, son visa d’étudiant et un billet d’avion; il a pu quitter le Cameroun le 3 novembre 2014.

[7]               Le demandeur est arrivé au Canada à l’Aéroport international Pearson de Toronto, le 5 novembre 2014. Le demandeur a d’abord tenté d’entrer au Canada en utilisant son visa d’étudiant. Cependant, lorsque l’agent de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) a manifesté du scepticisme en traitant sa demande d’entrée à titre d’étudiant, le demandeur a admis que la demande de visa d’étudiant n’était qu’un [traduction] « tissu de mensonges », et il a alors revendiqué le statut de réfugié (dossier certifié du tribunal [DCT], p. 50). Durant l’interrogatoire au point d’entrée, le demandeur n’a pas mentionné son orientation sexuelle, déclarant plutôt qu’il craignait son oncle. Les questions suivantes ont été posées à ce sujet durant l’interrogatoire au point d’entrée :

[traduction] Q : Pourquoi vous est-il impossible de retourner au Cameroun?

R : Mon oncle me tuera.

Q : Pourquoi votre oncle veut-il vous tuer?

R : Parce que j’ai vendu la maison et la terre de mon père.

Q : Comment savez-vous que votre oncle veut vous tuer?

R : Je le sais; il le fera, en utilisant la sorcellerie.

(Dossier certifié du tribunal, p. 50)

[8]               Cependant, sur son formulaire Fondement de la demande d’asile (FDA) présenté près d’un mois plus tard, le demandeur a indiqué qu’il demandait l’asile afin d’être protégé contre des membres de sa famille, non pas parce qu’il avait vendu la propriété de son père, mais à cause de son homosexualité (Dossier certifié du tribunal, p. 61).

[9]               Le 8 avril 2015, après une audience au cours de laquelle le ministre est intervenu, la SPR a rejeté la demande, concluant que le demandeur n’était pas un témoin crédible et qu’il n’avait pas établi son identité en tant qu’homosexuel. Le demandeur a interjeté appel de la décision auprès de la Section d’appel des réfugiés (SAR) le 12 mai 2015.

III.             Décision

[10]           La SAR a d’abord indiqué, conformément à la décision rendue aux paragraphes 54 et 55 dans Huruglica c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 799 [Huruglica CF], qu’elle mènerait une évaluation indépendante pour déterminer si le demandeur était un réfugié au sens de la Convention ou une personne à protéger, et qu’elle ne ferait preuve de retenue à l’égard des conclusions de la SPR que lorsque celle-ci jouissait d’un avantage pour tirer ses conclusions.

[11]           La SAR a mentionné que le demandeur avait présenté de nouveaux éléments de preuve, notamment des relevés de notes, une carte d’étudiant de Ndipnu et une lettre du centre communautaire 519 Church Street Community Centre. La SAR a accepté tous ces éléments de preuve en vertu du paragraphe 110(4) de la Loi, bien qu’elle ait également conclu que ces éléments de preuve n’étaient pas à ce point importants pour justifier la tenue d’une audience en application du paragraphe 110(6).

[12]           La SAR a ensuite examiné chacun des éléments sur lesquels la SPR s’était fondée pour conclure que le demandeur manquait de crédibilité.

A.                Défaut de déclarer son orientation sexuelle au point d’entrée

[13]           La SPR avait tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité du demandeur, du fait que ce dernier avait omis de mentionner qu’il craignait d’être persécuté en raison de son homosexualité, durant son interrogatoire au point d’entrée. Le demandeur a allégué que, ce faisant, la SPR avait commis une erreur. La SAR a rejeté cet argument, pour les motifs suivants :

a.       Durant l’audience devant la SPR, le demandeur a d’abord déclaré que c’était parce qu’il avait des craintes au sujet de sa vie privée et qu’il était mal à l’aise qu’il n’avait pas mentionné son orientation sexuelle à l’agent de l’ASFC, durant son interrogatoire au point d’entrée. Ultérieurement, toutefois, le demandeur s’est contredit en déclarant qu’il n’avait pas mentionné son orientation sexuelle parce que l’agent de l’ASFC lui avait dit qu’il pourrait être renvoyé au Cameroun.

b.      On a offert au demandeur d’être représenté par un avocat durant son interrogatoire au point d’entrée, mais il a refusé. Si le demandeur avait véritablement été préoccupé par des questions liées à la protection de sa vie privée, il aurait demandé la présence d’un avocat.

c.       Le demandeur a également signé une déclaration dans laquelle il attestait de la véracité de la demande d’asile présentée au point d’entrée et a reconnu, durant l’interrogatoire, qu’il avait l’obligation de donner des réponses sincères.

d.      Or, non seulement le demandeur a-t-il omis certains renseignements durant l’interrogatoire au point d’entrée, mais il a également induit délibérément en erreur l’agent de l’ASFC. Il a en effet indiqué sur sa demande d’asile qu’il craignait d’être persécuté à cause de son homosexualité, mais il a allégué durant son interrogatoire au point d’entrée qu’il craignait d’être victime d’acte de violence parce qu’il avait vendu la propriété de son père – une revendication n’ayant aucun lien avec la première.

e.       De plus, le demandeur n’a fait aucune référence à sa fausse déclaration initiale sur son deuxième formulaire FDA, bien qu’il ait utilisé ce formulaire pour répondre à d’autres préoccupations potentielles découlant de son interrogatoire au point d’entrée.

B.                 Défaut de fournir une preuve corroborante

[14]           La SPR a estimé que les éléments de preuve étaient insuffisants pour établir l’authenticité de la lettre de Ndipnu fournie par le demandeur. Le demandeur a allégué que, ce faisant, la SPR avait commis une erreur. La SAR s’est toutefois rangée à l’avis de la SPR et a conclu que, puisque la relation du demandeur était au cœur de sa demande d’asile, il fallait plus qu’une simple lettre non notariée pour corroborer ce fait. En ce qui a trait aux nouveaux éléments de preuve fournis par le demandeur, la SAR a également conclu qu’aucun n’établissait que Ndipnu et le demandeur avaient véritablement entretenu une relation.

C.                 Préoccupations concernant la demande de visa et le moment choisi pour la présentation des demandes

[15]           La SPR a conclu que la demande de visa d’étudiant du demandeur, et sa demande d’inscription au Centennial College, avaient précédé ses problèmes au Cameroun (c.-à-d. ont été présentées avant les présumés incidents du 2 septembre 2014); elles indiquaient donc que le demandeur avait fabriqué son témoignage pour renforcer sa demande d’asile. Le demandeur a allégué que cette conclusion comportait de nombreuses erreurs. Il a notamment fait valoir que Ndipnu lui avait conseillé de quitter le Cameroun depuis novembre 2013; il était donc raisonnable de présumer que Ndipnu ou l’agent ait pu présenter les demandes sans que le demandeur en soit informé. La SAR a toutefois conclu que le témoignage du demandeur sur ce point était purement conjectural, sans preuve corroborante à l’appui, et qu’il n’était donc ni vraisemblable, ni crédible. La SAR a notamment souligné le fait que Ndipnu n’avait nullement fait mention de ce plan dans sa lettre et que, en déclarant lors de l’interrogatoire au point d’entrée que la demande de visa d’étudiant n’était qu’un « tissu de mensonges », le demandeur avait essentiellement reconnu avoir été informé de son contenu.

[16]           La SAR a également tiré une conclusion défavorable en raison de l’intervalle d’un mois qui s’était écoulé entre la délivrance du visa d’étudiant du demandeur et son départ du Cameroun, ainsi que du fait que le demandeur n’a pu expliquer pourquoi son départ avait initialement été prévu pour le 31 octobre 2014, soit deux jours avant le jour où il aurait prétendument cédé et transféré sa propriété à l’agent.

D.                Activités au Canada

[17]           La SAR a conclu qu’aucun des éléments de preuve attestant des activités du demandeur au Canada ne prouvait son homosexualité, et elle a accordé peu de poids à ces éléments de preuve compte tenu de ses autres conclusions quant à la crédibilité du demandeur.

[18]           La SAR a finalement conclu que le demandeur avait prévu quitter le Cameroun avant le 2 septembre 2014 (date à laquelle il aurait été menacé de violence), qu’il connaissait parfaitement le contenu des demandes de visa et d’inscription au collège, et qu’il n’avait pas établi son identité en tant qu’homosexuel.

IV.             Questions en litige et analyse

[19]           À titre de question préliminaire, la Cour d’appel fédérale a récemment clarifié que la norme de contrôle que la SAR devrait appliquer lors de l’examen des décisions de la SPR est la norme de la décision correcte, en effectuant « sa propre analyse du dossier afin de décider si la SPR a bel et bien commis l’erreur alléguée par l’appelant » (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Huruglica, 2016 CAF 93, au paragraphe 103 [Huruglica CAF]). Le choix d’une norme de contrôle par la SAR doit ensuite être examiné par la Cour en fonction de la norme du caractère raisonnable (Huruglica CAF, au paragraphe 35).

[20]           Dans la décision en litige, la SAR a choisi et appliqué la norme définie dans Huruglica CF au paragraphe 54, une norme qui a depuis été remplacée par l’approche proposée dans Huruglica CAF. Le fait de choisir la norme présentée dans Huruglica CF ne signifie toutefois pas que la SAR a commis une erreur susceptible de révision : tant que la SAR a effectué, en substance, un examen approfondi, complet et indépendant du type approuvé dans Huruglica CAF, la norme de contrôle choisie par la SAR était raisonnable (Ketchen c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 388, au paragraphe 29). Je suis d’accord avec les parties que la SAR n’a pas commis d’erreur sur ce point : elle a été saisie du dossier intégral, y compris d’un compte rendu de l’audience devant la SPR, et a mené une évaluation indépendante exhaustive.

[21]           Quant à l’évaluation des éléments de preuve par la SAR, ceux-ci commandent l’application de la norme de la décision raisonnable (Vushaj c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 255, au paragraphe 10; Cortes c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1325, au paragraphe 13). Si la décision de la SAR sur ces points est une solution acceptable, rationnelle, justifiable, transparente et intelligible, elle ne devrait pas être modifiée (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47 [Dunsmuir]).

[22]           Le demandeur soutient que la SAR a commis une erreur a) en tirant une conclusion défavorable du fait qu’il avait omis de déclarer son homosexualité à son arrivée et b) en déclarant invraisemblable la raison qu’il a fournie pour expliquer la date à laquelle la demande de visa d’étudiant avait été présentée. Le demandeur invoque également un certain nombre d’autres erreurs découlant des deux premières et il fait valoir que si, les deux premières conclusions sont réfutées, les autres ne peuvent pas tenir non plus.

A.                Inférence négative découlant du défaut du demandeur de divulguer son orientation sexuelle

[23]           Le demandeur soutient que la jurisprudence de la Cour fédérale est claire sur ce point : les demandeurs d’asile ont souvent de bons motifs pour ne divulguer qu’une partie de leur histoire au point d’entrée et cela ne devrait pas être un motif permettant d’attaquer automatiquement leur crédibilité. Aussi ne devrait-on pas se fier indûment aux déclarations qui sont faites au point d’entrée (Lubana c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 116, aux paragraphes 11 à 13 [Lubana]; Hamdar c. Canada (Citoyenneté et. Immigration), 2011 CF 382, aux paragraphes 46 à 50 [Hamdar]). Cela vaut particulièrement pour les demandeurs homosexuels qui fuient un pays où l’homosexualité est aussi criminalisée et stigmatisée qu’elle ne l’est au Cameroun.

[24]           Selon le demandeur, la SAR a reconnu ce principe général mais a néanmoins tiré des conclusions déraisonnables pour les trois motifs suivants :

[25]           Premièrement, la SAR a établi une distinction entre une personne qui omet son orientation sexuelle et une autre qui remplace cette omission par une histoire fausse. Le demandeur soutient que cette distinction est inintelligible. Le demandeur doit faire une déclaration quelconque pour appuyer sa demande au point d’entrée; si le demandeur omet de mentionner son orientation sexuelle sans invoquer d’autre motif de persécution, il n’a alors aucun motif de persécution. Qui plus est, l’histoire du demandeur n’a pas été inventée de toutes pièces; on ne peut donc pas dire que le demandeur a « délibérément induit en erreur » l’agent de l’ASFC. Le demandeur a bel et bien vendu sa terre pour payer l’agent et il a été menacé par son oncle. Dans son témoignage initial, le demandeur a donc correctement identifié la source de persécution; il a simplement omis de fournir une description complète des motifs. Par conséquent, l’agent a commis une erreur en établissant une telle distinction et en faisant abstraction de cet élément.

[26]           Deuxièmement, le demandeur rejette la conclusion voulant que son témoignage devant la SPR pour expliquer la non-divulgation de son homosexualité ait été contradictoire. Les préoccupations qu’il a exprimées au sujet de la non-divulgation de cette information découlent toutes d’une crainte fondamentale et raisonnable à propos de sa sécurité et de sa vie privée. Toute conclusion défavorable découlant de cette incohérence inexistante est donc une erreur.

[27]           Troisièmement, le demandeur soutient que la SAR a commis une erreur en tirant une conclusion défavorable du fait qu’il n’a pas, sur son deuxième formulaire FDA, expliqué pourquoi il avait omis de mentionner son orientation sexuelle durant l’interrogatoire au point d’entrée. Le demandeur estime que cela constitue une erreur, car aucune exigence juridique n’oblige le demandeur à divulguer pareille information et que le formulaire FDA ne contient aucune question invitant le demandeur à expliquer et à corriger quelque omission au point d’entrée.

[28]           Je suis d’accord avec le demandeur sur tous ces points.

[29]           En ce qui a trait au premier point soulevé par le demandeur, l’essentiel de la décision de la SAR se lit comme suit :

[traduction] La SAR juge qu’il est raisonnable de s’attendre à ce qu’un motif justifie le voyage du demandeur au Canada. Le demandeur soutient qu’il était bien conscient de la menace à laquelle il faisait face au Cameroun à cause de son orientation sexuelle; il était donc raisonnable de s’attendre à ce qu’il ne se rende pas dans un pays où il serait exposé à la même menace. Même s’il est vrai qu’un demandeur peut initialement hésiter à divulguer son orientation sexuelle au moment de présenter une demande d’asile, la SAR estime que cela ne l’excuse pas de faire de fausses allégations de persécution aux autorités de l’immigration. (Dossier certifié du tribunal, p. 9)

[30]           Cependant, comme le souligne le demandeur, cette analyse de la SAR le place dans une situation sans issue favorable : d’une part, il n’a pas à divulguer son orientation sexuelle. D’autre part, rien ne peut justifier une fausse allégation de persécution. Sur quoi, alors, peut-il fonder sa demande d’asile?

[31]           En d’autres mots, il est illogique de prétendre que l’on peut à la fois reconnaître qu’un demandeur d’asile peut être réticent à divulguer son orientation sexuelle au moment de présenter sa demande initiale et tirer une conclusion défavorable au sujet d’un témoignage partiellement faux formulé à la place. Si l’on reconnaît qu’un demandeur peut avoir des motifs légitimes de retenir certains renseignements au point d’entrée, on devrait également pouvoir excuser, dans les limites de la raison, le besoin du demandeur d’appuyer sa demande sur une forme quelconque de crainte.

[32]           En ce qui a trait au deuxième point, le demandeur a expliqué durant l’audience devant la SPR qu’il était anxieux et préoccupé par les questions de confidentialité, car il venait d’un pays où l’homosexualité est un crime. Le demandeur a bien compris que les agents de l’ASFC étaient des personnes en autorité. Il n’est donc pas étonnant qu’il ait ressenti de la crainte et de l’angoisse, étant donné le milieu d’où il venait. Il n’y a rien d’incompatible entre une préoccupation générale pour le respect de la vie privée et une crainte précise que l’ASFC communique le statut du demandeur aux autorités camerounaises.

[33]           Quant au troisième point, je conviens avec la SAR qu’il aurait été idéal que le demandeur explique ses omissions au point d’entrée sur son formulaire Fondement de la demande d’asile (FDA). Je ne suis toutefois d’avis que le demandeur soit tenu d’y expliquer toute divergence relevée dans ses déclarations au point d’entrée, car ce formulaire sert à énoncer les éléments essentiels de la demande. L’audience est l’occasion pour la Commission d’interroger le demandeur sur toute incohérence, y compris sur toute incompatibilité entre le formulaire FDA et l’interrogatoire au point d’entrée.

[34]           La jurisprudence établit clairement qu’il faut faire preuve de sensibilité au moment d’évaluer les déclarations faites par les demandeurs d’asile au point d’entrée (Lubana, Hamdar). Ce principe ressort également d’ouvrages universitaires et de droit international (voir par exemple James Hathaway et Michelle Foster, The Law of Refugee Status, 2e éd. (Cambridge: Cambridge University Press, 2014), p. 145; Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, Principes directeurs sur la protection internationale no 9 : Demandes de statut de réfugié fondées sur l’orientation sexuelle et/ou l’identité de genre dans le contexte de l’article 1A(2) de la Convention de 1951 et/ou de son Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés, HCR/GIP/12/09, 23 octobre 2012, au paragraphe 14). L’analyse de la SAR en l’espèce n’est pas conforme à la jurisprudence et aux principes directeurs connexes, et est donc déraisonnable.

B.                 Conclusion d’invraisemblance fondée sur la date de présentation des demandes d’études

[35]           Le demandeur conteste la conclusion de la SAR selon laquelle il n’était [traduction] « ni vraisemblable, ni crédible » que Ndipnu commence la demande d’inscription au collège et la demande de visa d’étudiant du demandeur unilatéralement, sans que ce dernier en soit informé. Le demandeur soutient au contraire qu’il n’y a rien d’intrinsèquement invraisemblable dans la version des événements qu’il a présentée. Ndipnu, l’ancien amant du demandeur, craignait que son homosexualité ne soit rendue publique, ce qui aurait mis en péril à la fois sa vie familiale et sa brillante carrière dans le secteur bancaire. Ndipnu avait imploré le demandeur de s’éloigner, à une époque où des rumeurs circulaient à leur propos, mais le demandeur a refusé d’agir. En bref, Ndipnu avait à la fois les motifs et les moyens financiers d’engager un agent pour obtenir un visa d’étudiant pour le demandeur.

[36]           S’appuyant sur la décision rendue dans l’affaire Cortes c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 598 [Cortes], le demandeur allègue qu’on ne peut parvenir à une conclusion d’invraisemblance à la légère :

[19] Quand la SPR conclut à un manque de crédibilité en se fondant sur des inférences, notamment des inférences à l’égard de la vraisemblance de la preuve, la preuve doit appuyer les inférences (Abdul c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 260, [2003] ACF no  352, au paragraphe 15 (1re inst.)). Les conclusions d’invraisemblance ne doivent être tirées que dans les cas les plus évidents, c’est‑à‑dire seulement si les faits articulés débordent le cadre de ce à quoi on peut logiquement s’attendre ou si la preuve documentaire démontre que les événements ne pouvaient pas se produire comme le revendicateur le prétend (Valtchev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 776, aux paragraphes 7 et 17), et ces conclusions doivent reposer sur un raisonnement clair (Saeedi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 146, au paragraphe 30).

[37]           Cela est particulièrement vrai en l’espèce, car le seul élément appuyant la conclusion d’invraisemblance de la SAR est le fait que la lettre de Ndipnu n’a fait aucune mention de sa participation à la présentation de la demande de visa d’étudiant du demandeur. Le demandeur fait valoir que cela viole un principe bien établi selon lequel les éléments de preuve ne peuvent être utilisés pour tirer une « conclusion défavorable fondée sur l’absence de confirmation » (Arslan c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 252, au paragraphe 88 [Arslan]; voir aussi Durrani c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 167, au paragraphe 7 [Durrani]).

[38]           Je conviens qu’il était déraisonnable de conclure que les événements en question n’auraient pas pu se produire de la manière décrite par le demandeur. Il est vrai que le calendrier des événements décrits par le demandeur est inhabituel, et il était certainement loisible pour la SAR de conclure que cela était improbable ou que la preuve corroborante était insuffisante, mais c’est tout autre chose de conclure que cela n’aurait pas pu se produire. La conclusion d’invraisemblance sur ce point était donc déraisonnable.

[39]           Je conviens également, conformément aux décisions rendues dans Arslan et Durrani, qu’il est injuste d’attaquer la crédibilité de la lettre de Ndipnu pour ce qu’elle ne contient pas. Ce n’est pas Ndipnu qui est contre-interrogé par la Commission pour savoir pourquoi il a, ou n’a pas, mentionné cet élément du récit. Dans le contexte d’une demande d’asile, l’absence de preuve ne devrait pas automatiquement être considérée comme une preuve d’absence : le seul fait que Ndipnu n’ait pas mentionné dans sa lettre sa participation à la fuite du demandeur ne signifie pas nécessairement qu’il n’y a pas participé.

[40]           De plus, concernant ces faits, des motifs raisonnables pouvaient expliquer pourquoi Ndipnu n’a pas admis, dans sa lettre au gouvernement canadien, avoir falsifié la demande de visa d’étudiant : ce faisant, il aurait reconnu sa participation à une activité criminelle. Il n’est pas invraisemblable de penser que Ndipnu serait réticent à divulguer un tel fait; la non-divulgation ne peut donc pas être considérée comme un motif raisonnable pour conclure à l’invraisemblance.

[41]           Ainsi qu’il a été mentionné précédemment, le demandeur a soulevé d’autres erreurs et allégué que les conclusions initiales de la SAR concernant la vraisemblance et la crédibilité avaient altéré l’analyse ultérieure de la SAR. Les arguments du demandeur à cet égard m’ont convaincu. À ce titre, la décision en soi ne peut être maintenue.

V.                Conclusion

[42]           À la lumière de ce qui précède, la présente demande de contrôle judiciaire est autorisée. Aucune question n’est formulée pour être certifiée, et aucuns dépens ne sont accordés.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.      La présente demande de contrôle judiciaire est autorisée.

2.      Aucune question n’est soumise pour être certifiée.

3.      Il n’y a aucune adjudication de dépens.

« Alan S. Diner »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4702-15

 

INTITULÉ :

MACMILLAN NUYEBGA GABILA c. LE MINISTRE DE LA  CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 5 mai 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE DINER

 

DATE DES MOTIFS :

Le 27 mai 2016

 

COMPARUTIONS :

Anthony Navaneelan

 

Pour le demandeur

Suzanne M. Bruce

 

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bureau du droit des réfugiés

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

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