Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20160415


Dossier : T-1716-15

Référence : 2016 CF 420

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Halifax (Nouvelle-Écosse), le 15 avril 2016

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

demandeur

et

JIAN DU

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS 

[1]               Il s’agit d’un appel du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le demandeur) d’une décision d’une juge de la citoyenneté du 17 juillet 2015 établissant que la défenderesse, Jian Du Caines, satisfait aux critères de citoyenneté établis à l’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté, LRC 1985 ch. C-29 (la Loi).

Contexte

[2]               Les faits établis dans la décision de la juge de la citoyenneté sont majoritairement non contestés. La défenderesse est une citoyenne chinoise arrivée au Canada en 2002 pour poursuivre des études doctorales en physique atmosphérique à l’Université du Nouveau-Brunswick (UNB). Elle obtient le statut de résident permanent du Canada en septembre 2006. En septembre 2002, elle rencontre son futur mari, qui est citoyen canadien. Le 17 juillet 2007, ils se marient en Nouvelle-Écosse, où réside la famille du mari. De janvier 2008 à juin 2008, la défenderesse travaille en recherche à l’Université du Nouveau-Brunswick. Elle y obtient son doctorat en mai 2008 puis  déménage au Royaume-Uni suite à l’obtention d’une bourse de recherche postdoctorale de trois ans à l’Université de Cambridge au Royaume-Uni commençant le 27 juin 2008. Son mari l’a rejoint en octobre 2008. Elle donne naissance à son fils, au Royaume-Uni, le 26 août 2009. À la fin de sa bourse postdoctorale en mai 2011, la défenderesse et sa famille reviennent au Canada, où  elle dépose sa demande de citoyenneté le 26 juillet 2011.

[3]               La défenderesse fait valoir que ses recherches d’emploi au Canada ont été un échec en 2011, en raison de la diminution du financement de la Fondation canadienne pour les sciences du climat et de l’atmosphère. Entre le mois d’octobre 2010 et le mois de décembre 2012, elle postule pour dix emplois dans le domaine universitaire, sans succès. En conséquence, elle accepte un poste d’enseignement à l’University of Louisville au Kentucky, aux États-Unis, commençant en août 2011. Son mari et son fils demeurent pendant ce temps à Windsor, en Ontario et la défenderesse voyage entre Louisville et Windsor pour les voir tous les dix jours environ et pendant les jours fériés. Elle retourne vivre à Windsor en avril 2012 mais, encore une fois confrontée à l’impossibilité de se trouver un emploi au Canada, elle accepte d’enseigner pour une deuxième année à l’University of Louisville. En août 2012, elle déménage de nouveau au Kentucky, amenant cette fois sa famille avec elle. Elle reçoit un visa de travail temporaire de trois ans des États-Unis, alors que son mari obtient un visa de personne à charge sans droit de travail.

[4]               En septembre 2014, la défenderesse réussit ses examens de citoyenneté. Elle comparaît le 17 juillet 2015 devant une juge de la citoyenneté à qui elle fournit des renseignements supplémentaires pour établir sa résidence canadienne. Le 15 septembre 2015, la juge de la citoyenneté autorise la demande de citoyenneté de la défenderesse.

Décision faisant l’objet du contrôle

[5]               La juge de la citoyenneté souligne que la défenderesse ayant fait sa demande de citoyenneté le 26 juillet 2011, la période visée pour le calcul de la durée de sa résidence au Canada en vertu de l’alinéa 5(1)c) de la Loi est du 26 juillet 2008 au 26 juillet 2011 (la « période visée »). Pendant cette période, la défenderesse a déclaré 1 460 jours de présence et 1 066 jours d’absence, pour un total de 394 jours de présence physique au Canada, cumulant donc un déficit de 701 jours. La juge de la citoyenneté a ensuite examiné les observations de la défenderesse concernant ses absences ainsi que les préoccupations soulevées par un agent de l’immigration dans le modèle pour la préparation et l’analyse des dossiers.

[6]               Pour évaluer la demande de la défenderesse, la juge de la citoyenneté a appliqué les critères élaborés dans l’arrêt Koo (Re), (1992) 59 FTR 27 [Koo] et a développé son analyse autour des six questions devant servir de guide à la décision. Ayant procédé à cette analyse, la juge conclut que les faits et la preuve concordent avec les critères établis dans Koo, que la défenderesse a satisfait à son fardeau de la preuve et qu’en dépit de son absence temporaire pour étudier à l’Université de Cambridge et du déficit de 701 jours, le mode de vie de cette dernière est centré au Canada; elle satisfait donc aux exigences de résidence prévues à la Loi sur la citoyenneté.

Dispositions législatives pertinentes

Loi sur la citoyenneté

Attribution de la citoyenneté

Grant of citizenship

5 (1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois :

5 (1) The Minister shall grant citizenship to any person who

a) en fait la demande;

(a) makes application for citizenship;

c) est un résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout, la durée de sa résidence étant calculée de la manière suivante:

(c) is a permanent resident within the meaning of subsection 2(1) of the Immigration and Refugee Protection Act, and has, within the four years immediately preceding the date of his or her application, accumulated at least three years of residence in Canada calculated in the following manner:

(i) un demi-jour pour chaque jour de résidence au Canada avant son admission à titre de résident permanent,

(i) for every day during which the person was resident in Canada before his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one-half of a day of residence, and

(ii) un jour pour chaque jour de résidence au Canada après son admission à titre de résident permanent;

(ii) for every day during which the person was resident in Canada after his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one day of residence;

...

Question en litige et norme de contrôle

[7]               La seule question en litige soulevée par le demandeur est à savoir si la juge de la citoyenneté a commis une erreur dans son application des critères de Koo pour l’établissement de la résidence.

[8]               Il est bien établi que la norme du caractère raisonnable s’applique à la décision d’un juge de la citoyenneté quant à l’obligation de résidence en vertu de l’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Safi, 2014 CF 947, aux paragraphes 15 et 16; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Jeizan, 2010 CF 323, au paragraphe 12; Farag c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 783, aux paragraphes 24 à 26; Zhou c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 313, au paragraphe 10). La question en litige est donc à savoir si la décision de la juge de la citoyenneté était raisonnable.

Analyse

[9]               Le demandeur fait valoir que la détermination de la résidence aux termes de l’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté doit se faire par une évaluation en deux temps. La première étape consiste à déterminer si la défenderesse a établi sa résidence au Canada avant la période visée ou au tout début de celle-ci (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Ojo, 2015 CF 757, au paragraphe 25 [Ojo]). Ce n’est qu’après avoir répondu à cette question préalable qu’un juge de la citoyenneté devrait évaluer si la résidence de la défenderesse satisfait au nombre de jours exigés par l’un des trois critères. Le demandeur faisait initialement valoir que la juge de la citoyenneté n’a pas pris cette première question en considération et qu’il s’agissait d’une erreur susceptible de contrôle judiciaire (Hao c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 46, au paragraphe 24 [Hao]), mais elle n’a toutefois pas poursuivi cet argument lors de l’audience.

[10]           À mon avis, le demandeur a raison de dire que la jurisprudence a établi une approche en deux étapes pour l’évaluation de la résidence d’un demandeur en vertu de l’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté (voir Ojo et Hao). Toutefois, la jurisprudence a également établi que la première partie de cette approche, soit l’analyse visant à déterminer si les critères de résidence ont été satisfaits, peut être comprise de façon implicite aux motifs du juge de la citoyenneté (Ojo au paragraphe 28; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khan, 2015 CF 1102, au paragraphe 18; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Lee, 2016 CF 67, aux paragraphes 21 à 23 [Lee]).

[11]           En l’espèce, tout comme dans Lee, il n’est pas nécessaire de présumer que la juge de la citoyenneté a répondu à la question préalable tout simplement parce qu’elle s’est penchée sur la seconde question (Boland c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 376, au paragraphe 22), puisque cette réponse se retrouve implicitement dans sa décision. Elle souligne entre autres que la défenderesse est arrivée au Canada en 2002 pour entreprendre un doctorat, qu’elle est devenue résidente permanente le 20 septembre 2006, qu’elle s’est mariée à un citoyen canadien en 2007, qu’elle vivait au Canada pendant cette période malgré quelques interruptions, que son questionnaire sur la résidence fait état de seulement 112 jours d’absences avant août 2006 et que le modèle pour la préparation et l’analyse des dossiers indique qu’elle a passé 2 051 jours au Canada avant la période visée. La juge de la citoyenneté a spécifiquement conclu que la défenderesse [traduction] « a été présente au Canada pour une longue période avant de s’absenter à Cambridge pour ses études ». À mon avis, cette analyse et cette conclusion constituent une conclusion implicite selon laquelle la résidence a été établie avant ou au commencement de la période visée, satisfaisant ainsi à la première partie de l’évaluation.

[12]           Pour ce qui est de la seconde partie concernant l’application de l’un des trois critères afin de déterminer si la défenderesse a satisfait au nombre de jours minimal de résidence requis, le demandeur ne conteste pas l’application des critères établis dans Koo mais fait plutôt valoir que la juge de la citoyenneté a commis une erreur dans l’application de quatre des six conditions y étant décrites.

[13]           Ces conditions sont les suivantes :

1.      La personne était-elle réellement présente au Canada pendant une longue période avant ses absences récentes qui se sont produites immédiatement avant la présentation de la demande de citoyenneté?

2.      Où résident les personnes à charge et les membres de la famille immédiate (et la famille élargie) de la demanderesse?

3.      Les présences réelles de la demanderesse au Canada semblent-elles indiquer qu’elle rentre chez elle ou qu’elle revient au pays simplement en visite?

4.      Quelle est la durée des absences réelles – s’il ne manque que quelques jours à la demanderesse pour atteindre le total de 1 095 jours, il est plus facile de conclure à une résidence présumée que si ces absences étaient prolongées;

5.      L’absence réelle est-elle attribuable à une situation de toute évidence temporaire, comme avoir un emploi de missionnaire à l’étranger, y suivre un cours dans un établissement d’enseignement, accepter un emploi temporaire à l’étranger, accompagner un conjoint qui a accepté un emploi temporaire à l’étranger?

6.      De quelle qualité sont les rapports de la demanderesse avec le Canada : sont-ils plus solides que ceux qu’elle entretient avec un autre pays?

[14]           Le demandeur soutient que la juge de la citoyenneté a commis une erreur dans son évaluation des conditions deux, trois, quatre et six en arrivant à des conclusions n’étant pas soutenues par la preuve.

[15]           En résumé, le demandeur fait valoir que la seconde condition ne peut être en faveur de la défenderesse. Cette condition pose comme hypothèse qu’il peut être démontré que la demanderesse possède un lien avec le pays si sa famille immédiate demeure au Canada, ce qui ne peut ici être le cas puisque pendant la majorité de la période pertinente, le mari et le fils de la défenderesse résidaient avec elle à l’étranger. La juge de la citoyenneté aurait de plus commis une erreur en prenant en considération une période temporaire suivant la période visée. Selon le demandeur, la juge de la citoyenneté a commis une erreur en axant l’évaluation de la troisième condition sur la résidence de la défenderesse avant et après la période visée tout en faisant fi de la preuve selon laquelle la défenderesse n’est pas retournée au Canada pendant la plus grande partie de la période visée. Enfin, pour ce qui est de la quatrième condition, le demandeur fait valoir que la juge de la citoyenneté a fait défaut de considérer les 701 jours d’absence physique de la défenderesse et qu’elle a pris en considération des éléments non pertinents pour mitiger l’importance de cette absence. La jurisprudence a reconnu que mettre l’accent sur les raisons de l’absence pour justifier cette dernière est une erreur (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Olafimihan, 2013 CF 603, au paragraphe 23 [Olafimihan]).

[16]           Enfin, le demandeur soutient que la juge de la citoyenneté a commis une erreur dans son évaluation de la sixième condition. Bien que la juge ait conclu que la défenderesse avait des liens scolaires, de travail et familiaux avec le Canada, le demandeur soutient que ces liens avec le Canada ne sont pas plus important que ceux qu’elle entretient avec d’autres pays. Bien qu’elle ait étudié au Canada, la défenderesse a également une relation semblable avec la Chine et le Royaume-Uni. La majeure partie de ses liens d’emploi pour la période visée étaient au Royaume-Uni, où elle était chercheure boursière postdoctorale. La famille immédiate de la défenderesse a principalement résidé avec eux et, bien que ses beaux-parents résident au Canada, c’est insuffisant pour conclure à un lien d’importance. Le demandeur soutient que la juge s’est principalement concentrée sur les raisons justifiant son absence plutôt que d’analyser la preuve, qui n’était pas favorable à la défenderesse.

[17]           Je soulignerais d’abord que la question principale soulevée par Koo est de savoir si la personne requérante «  vit régulièrement, normalement ou habituellement » au Canada ou si « il [ou elle] avait centralisé son mode d’existence » au Canada (Koo, Ojo, aux paragraphes 14 et 34) et que le but ultime de ce critère est d’évaluer si une personne a des liens suffisamment forts au Canada pour justifier de lui octroyer la citoyenneté et non pour évaluer si une personne a quitté pour des motifs valables (Ojo, au paragraphe 34). Les six conclusions établies dans Koo ne sont pas des critères immuables, mais sont « des questions que l’on peut poser pour rendre une telle décision » (Koo). Bref, le juge de la citoyenneté doit peser les éléments positifs et négatifs en fonction des conditions élaborées dans Koo pour déterminer où le demandeur vit généralement ou a centralisé son existence (Ojo, au paragraphe 32).

[18]           Ceci dit, dans la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Nandre, 2003 CFPI 650, la Cour a conclu que le critère qualitatif est difficile à satisfaire et qu’un lien avec le Canada doit être bien fort pour que les absences comptent comme une période de résidence au Canada. Je veux toutefois souligner le commentaire de la Cour dans Hsu, Re, (1994) 82 FTR 203 relativement à l’application du critère qualitatif : [traduction]

[traduction]... La règle de la résidence a été interprétée de façon flexible afin de fournir une certaine marge de manœuvre par rapport au critère exigeant de la présence physique au Canada. Il me semble que cela respecte également les besoins d’une personne de minimiser ses pertes financières, d’assurer sa survie financière ou d’améliorer ses possibilités de carrière, tous des facteurs faisant partie de l’existence et des aspirations humaines, qui sont certainement en harmonie avec les valeurs canadiennes et qui sont reconnus et approuvés par la Loi sur la citoyenneté par l’entremise des dispositions prévues à l’article 5.

[19]           Il existe certaines ressemblances entre cette affaire et les faits de Olafimihan et d’Ojo sur lesquels la défenderesse se base. Chacune de ces affaires impliquait un déficit important : 590 jours dans le cas d’Ojo, 473 jours dans celui d’Olafimihan et 701 jours en l’espèce. Il existe par ailleurs des différences importantes entre ces affaires. Par exemple, dans la décision Olafimihan, le juge Roy conclut que le juge de la citoyenneté a déterminé de façon implicite que le défendeur méritait la citoyenneté, ce qui constitue une forme d’évaluation rejetée par Koo (voir Koo aux paragraphes 18 et 19). À mon avis, on ne trouve pas une telle conclusion implicite en l’espèce. De plus, le juge Roy conclut que « les défendeurs étaient loin de satisfaire au premier facteur » demandant d’être présent au Canada avant les absences récentes. En l’espèce, les 2 051 jours de présence au Canada de la défenderesse, non contestés par le demandeur, distinguent ses circonstances personnelles de celles retrouvées dans Olafimihan. Dans cette dernière décision, le juge Roy fait également observer que les absences ont été engendrées par des démarches commerciales à l’étranger et étalées sur de nombreux voyages aller-retour. Ce commentaire du juge Roy est à prendre en considération : « On ne devrait vraisemblablement pas être pénalisé parce qu’on a étudié à l’étranger ou qu’on a accepté un emploi temporaire au cours des quatre années précédant sa demande ». En l’espèce, la juge de la citoyenneté a observé que l’absence de la défenderesse, qui s’est déroulée en un seul voyage de 2008 à 2011, avait pour but d’étudier à l’étranger à l’Université de Cambridge.

[20]           Il faut également distinguer Ojo des faits de l’espèce. Dans cette décision, le juge de la citoyenneté a conclu que le défendeur a été présent sur le territoire avant la période visée pendant un an et quatre mois. Toutefois, le juge Mosley a conclu qu’il s’agissait d’une erreur factuelle qui avait probablement modifié l’opinion du juge de la citoyenneté (Ojo au paragraphe 28) et que le critère de la question préalable n’avait pas été satisfait. Pour ce qui est de la seconde étape, le juge Mosley souligne que l’argument soutenu par le ministre selon lequel les éléments positifs de chacun des critères de Koo étaient déraisonnables semble suggérer que le dossier empêchait l’octroi de la citoyenneté. Par contre, étant donné la déférence dont la Cour doit faire preuve dans les cas de conclusions de fait et de droit d’une décision rendue par un juge de la citoyenneté, le juge Mosley a préféré ne pas se pencher sur cette question puisque les erreurs de droit précédemment identifiées étaient suffisantes pour casser la décision.

[21]           En l’espèce, tout comme dans Ojo, le demandeur a passé au crible l’analyse qu’a fait la juge de la citoyenneté des quatre conditions contestées de Koo. La question demeure néanmoins d’établir si la preuve soutenait la conclusion de la juge de la citoyenneté ou s’il y a eu erreur susceptible de contrôle judiciaire.

[22]           Je tiens d’abord à souligner que les motifs de la juge de la citoyenneté sont détaillés et analysent, à la lumière des critères établis par Koo, de nombreux éléments démontrant le lien qu’entretient la défenderesse avec le Canada, dont le fait que son fils et son mari sont canadiens, qu’elle considère que son mari et son fils sont sa famille immédiate, qu’ils ont gardé contact avec la famille de son mari qui est au Canada, qu’elle n’est pas retournée en Chine depuis plus de dix ans, qu’elle n’a pas de famille aux États-Unis, que toute la famille est retournée au Canada dès que la défenderesse a terminé son postdoctorat au Royaume-Uni et qu’elle percevait ce travail à l’Université de Cambridge comme un ajout important à son curriculum, que depuis son arrivée au Canada en 2002 elle a fait très peu de voyages à l’extérieur du pays jusqu’en 2008 où elle est partie étudier à l’étranger; qu’avant la période visée, elle a passé 2 051 jours au Canada, qu’elle a conservé des contacts et affiliations professionnels au Canada pendant son absence, que son travail aux États-Unis a commencé après la période visée et que la juge de la citoyenneté n’était pas d’avis qu’il s’agissait d’un élément déterminant à prendre en considération pour sa résidence; la défenderesse a conservé une adresse postale au Canada alors qu’elle travaillait aux États-Unis, elle n’a pas démontré d’habitudes de voyage dans d’autres pays pendant la période visée; son absence de 1 066 jours s’est déroulée en un seul bloc et avait comme unique objectif d’entreprendre et de terminer des études postdoctorales pour lesquelles elle avait obtenu une bourse, ce qui constitue un cheminement temporaire d’étude à l’étranger pour un étudiant de cycle supérieur.

[23]           La juge de la citoyenneté conclut que bien que cette absence semble longue lorsqu’on la compare à la période visée, elle était raisonnable dans les circonstances. Elle déclare également que le témoignage de la défenderesse était direct et candide et qu’elle a démontré qu’elle entretenait avec le Canada une relation scolaire, familiale et de travail et que ces liens sont plus significatifs avec le Canada qu’avec tout autre pays.

[24]           Le demandeur soutient que la juge de la citoyenneté s’est principalement concentrée sur les justifications de l’absence de la défenderesse. À mon avis, il est évident que la juge de la citoyenneté a pris en considération ces explications. Toutefois, elle a fondé sa décision sur la crédibilité de la défenderesse et sur l’ensemble de la preuve relative à ses liens avec le Canada. Contrairement à ce que soutient le demandeur, la juge de la citoyenneté a pris en considération l’importance des 701 jours d’absence, mais a conclu que cette absence, comparée aux autres éléments, était raisonnable dans les circonstances.

[25]           J’ai analysé les arguments fondés du demandeur, mais je ne suis pas convaincu que la juge de la citoyenneté a commis une erreur dans son application des critères de Koo, ni qu’elle a mal considéré la preuve ou fait fi de la preuve. En somme, le demandeur demande à la Cour d’évaluer de nouveau la preuve ou de refaire la pondération entreprise par la juge de la citoyenneté, ce qui n’est pas son rôle (Ojo au paragraphe 23; McLean c. Colombie-Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67, aux paragraphes 19 à 33).

[26]           Lorsque la Cour effectue le contrôle de la décision selon le caractère raisonnable, son analyse tiendra « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c. New Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 62 [Dunsmuir], au paragraphe 47; Khosa c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CSC 12, au paragraphe 59.)  Il est possible qu’il existe plus d’un résultat raisonnable. Autrement dit, la Cour ne devrait intervenir que si la décision contestée est déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, au paragraphe 47).

[27]           Bien qu’il soit possible en l’espèce que la preuve ait également pu soutenir une autre décision ou qu’un autre juge aurait pondéré les éléments différemment, la Cour se doit d’avoir une déférence importante envers les décisions des juges de la citoyenneté (Ojo, au paragraphe 23; Lee, au paragraphe 28; Idahosa c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 739, au paragraphe 20). À mon avis, la juge de la citoyenneté a expliqué de façon claire son application des critères de Koo, sa décision est justifiable, transparente et intelligible et sa conclusion est l’une des conclusions possibles et acceptables en fonction des circonstances uniques de l’affaire.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.      La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.      Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Cecily Y. Strickland »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1716-15

 

INTITULÉ :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION c. JIAN DU

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Halifax (Nouvelle-Écosse)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 13 avril 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE STRICKLAND

 

DATE DES MOTIFS :

Le 15 avril 2016

 

COMPARUTIONS :

Melissa Chan

 

Pour le demandeur

 

Jian Du

 

POUR SON PROPRE COMPTE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Halifax (Nouvelle-Écosse)

 

Pour le demandeur

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.