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Date : 20160222


Dossier : IMM-2827-15

Référence : 2016 CF 232

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 22 février 2016

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

AKRAM MUSLIH ANTEER

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section de l’immigration (« la SI ») de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié datée du 28 mai 2015 qui a conclu que le demandeur était interdit de territoire en vertu de l’alinéa 34(1)f) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (« la LIPR »).

Contexte

[2]               Le demandeur possède la nationalité palestinienne telle que décernée par l’Autorité palestinienne (« l’AP »), et est un résident permanent de la Suède.

[3]               Il est arrivé au Canada le 18 avril 2013 et a demandé l’asile. Lorsqu’il a été interrogé par les agents des douanes de l’Agence des services frontaliers du Canada (« l’ASFC ») au point d’entrée au Canada, il a nié être un citoyen ou résident d’un autre pays, a déclaré qu’il avait résidé en Israël et en Jordanie de 2002 à 2012, que le dernier pays où il avait été résident permanent était la Jordanie, et a reconnu qu’il était membre du Fatah. Le demandeur a été détenu par l’ASFC.

[4]               Le 29 mai 2013, et le 22 janvier 2014, le demandeur a été interrogé par un agent d’exécution de la loi dans les bureaux intérieurs de l’ASFC (« agent d’exécution »). Au cours de ces interrogatoires, le demandeur a exhibé aux agents d’exécution sa carte de membre du Mouvement national de Libération de la Palestine, aussi connu comme le Fatah, portant la date d’expiration du 17 août 2012. Il a initialement déclaré qu’il avait joint le Fatah à l’âge de 10 ans et a plus tard déclaré qu’il l’avait joint « lorsqu’Oslo a eu lieu », ce que l’agent d’exécution a interprété comme étant la signature des accords d’Oslo par Israël et l’Organisation de libération de la Palestine (« l’OLP ») en 1993. Le demandeur a déclaré qu’il avait atteint le niveau de cadre dans l’organisation. Il a aussi décrit son rôle au Fatah, notamment l’identification et l’interception d’opposants au Fatah, et son travail avec des représentants de haut rang du Fatah, et a déclaré qu’il relevait du dirigeant du Fatah du district de Jénine, Ata Abu Rumeila (« Rumeila »). L’agent d’exécution a aussi noté, en se fondant sur des rapports au dossier, que Rumeila était connu comme étant le dirigeant de la Brigade des martyrs d’Al­Aqsa (BMAA) à Jénine. Le demandeur a aussi déclaré qu’il était au quartier général de Yasser Arafat (« Arafat ») lorsque les Israéliens l’ont assiégé en 2002, qu’il y a été blessé, et qu’il a ensuite été détenu par les forces de sécurité israéliennes à un centre de détention israélien jusqu’à sa libération en 2005. Il a ensuite été arrêté et détenu par les forces de sécurité israéliennes en 2005 et relâché en 2006; il a été arrêté de nouveau en 2008 et, en 2009, le demandeur a été expulsé d’Israël et s’est retrouvé en Jordanie.

[5]               Après ces interrogatoires, l’agent d’exécution a émis un rapport d’interdiction de territoire à l’égard du demandeur en vertu du paragraphe 44(1) de la LIPR. L’agent d’exécution était d’avis que le demandeur devait être interdit de territoire pour raison de sécurité fondée sur son appartenance au Fatah et qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que le Fatah est une organisation qui se livre, s’est livrée ou se livrera à des actes de terrorisme conformément à l’alinéa 34(1)(f). Un délégué du ministre a renvoyé le demandeur à la SI pour une audience sur l’interdiction de territoire, en vertu du paragraphe 44(2) de la LIPR.

[6]               Bien que la SI ait noté l’omission du demandeur d’informer les autorités d’immigration canadienne d’avoir résidé en Suède et d’y avoir obtenu la résidence permanente, sa décision touchait seulement l’interdiction de territoire et son enquête n’avait pour seul but que de déterminer l’admissibilité du demandeur en se fondant sur l’alinéa 34(1)(f) de la LIPR. La SI a conclu que le demandeur était membre du Fatah, et qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que c’est une organisation terroriste qui s’était livrée à des activités terroristes conformément à l’alinéa 34(1)(f) de la LIPR. Par conséquent, le demandeur était interdit de territoire et, en vertu du paragraphe 45(d) de la LIPR, la SI a pris une mesure de renvoi contre lui, laquelle a été exécutée le 8 juin 2015, le renvoyant en Suède.

Décision faisant l’objet du contrôle

[7]               La SI a fait remarquer que le demandeur ne conteste pas qu’il était un membre de l’organisation du Fatah. Il a cependant contesté la caractérisation du Fatah comme une organisation terroriste et a nié avoir participé à des actes de terrorisme ou les avoir encouragés au nom du Fatah.

[8]               Malgré l’admission du demandeur concernant son appartenance au Fatah, la SI a examiné la jurisprudence, et a conclu qu’il y avait des preuves suffisantes de considérer qu’il était un membre du Fatah. Cette conclusion n’est pas contestée par le demandeur dans le cadre du contrôle judiciaire et n’est donc pas abordée dans les présents motifs.

[9]               La SI a ensuite conclu, en se fondant sur la preuve et les arguments, qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que le Fatah est une organisation qui se livre, s’est livrée ou se livrera à des actes de terrorisme conformément à l’alinéa 34(1)(f).

[10]           Dans sa décision, la SI a cité Mugesera v. Canada c. Canada (Citoyenneté et Immigration) 2005 CSC 40 [Mugesera] pour définir des motifs raisonnables de croire comme étant des situations où, « un fondement objectif reposant sur des renseignements concluants et dignes de foi ». Notant que la LIPRA ne définit pas « organisation », la SI a cité Sittampalam c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CAF 326 [Sittampalam] pour étayer l’affirmation que l’expression doit recevoir une interprétation libérale et non restrictive, et que des facteurs tels que l’identité, le leadership, la hiérarchie, la structure ou le territoire sont utiles, mais pas essentiels, à cet égard. Une approche souple doit être prise pour déterminer les attributs d’un groupe.

[11]           La SI a noté que la preuve documentaire a révélé la longue histoire de l’organisation du Fatah, qu’elle a brièvement résumé. La SI a constaté que le Fatah est une organisation très structurée qui possède sa propre constitution. L’Autorité palestinienne est, essentiellement, le Fatah. On y compte 20 membres à son comité exécutif, y compris le président. Les 120 membres du conseil révolutionnaire relèvent de ce comité. Le Fatah est divisé en secteurs géographiques et subdivisé en cellules. Il dispose de ses propres appareils de sécurité, d’unités militaires et de renseignement. La SI a, par conséquent, conclu qu’il répond aux exigences de Sittampalam en tant qu’organisation.

[12]           La SI a également noté que la LIPR ne définit pas « terrorisme ». Elle a cité la décision de la Cour suprême du Canada dans le jugement Suresh c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2002 CSC 1, [Suresh] qui a accepté la définition énoncée dans la Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme, étant :

...un acte destiné à tuer ou blesser grièvement un civil, ou toute autre personne qui ne participe pas directement aux hostilités dans une situation de conflit armé, lorsque, par sa nature ou son contexte, cet acte vise à intimider une population ou à contraindre un gouvernement ou une organisation internationale à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte quelconque.

[13]           La SI a reconnu que ni le Fatah ni l’OLP ne sont sur la liste des entités ou des personnes liées à des activités terroristes dont la liste est établie par le gouverneur en Conseil en vertu du Code criminel du Canada, L.R.C., 1985, ch. C­46 [le Code criminel], alinéas 83.01 à 83.33 et du Règlement établissant une liste d’entités, DORS/2002­284 (« la liste des entités »). La SI a toutefois noté que la BMAA et le Hamas sont inscrits sur la liste des entités.

[14]           Pour déterminer si le Fatah est une organisation terroriste, la SI a examiné les principes établis par la jurisprudence, notamment que l’organisation terroriste doit être identifiée avec précision; les activités auxquelles se livre l’organisation doivent être précisées; le lien entre les actes et la définition de terrorisme doit être expliqué; il doit être établi que l’organisation sanctionne des actes terroristes; et, lorsque l’organisation a plusieurs factions se rapportant à un seul chef, les activités et les intentions d’une faction peuvent être attribuées à l’organisation dans son ensemble.

[15]           La SI a ensuite examiné les éléments de preuve documentaire sur l’histoire d’activités terroristes violentes du Fatah avant sa renonciation au terrorisme en 1988 et a fait référence à l’affiliation du Fatah à la formation de la BMAA en 2000. La SI a conclu que la preuve a établi que le Fatah est une organisation terroriste. Bien qu’il assume des fonctions civiles en tant qu’instance dirigeante de l’AP, le Fatah « reste une organisation monolithique avec un chef suprême et une chaîne de commandement de haut en bas ». En outre, bien que le Fatah ait assumé un rôle politique reconnu dans l’AP et se soit publiquement distancié de son passé terroriste, il n’existe aucune composante temporelle de l’analyse requise par l’alinéa 34(1)(f) (Yamani c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2006 CF 1457 [Yamani]).

[16]           La SI a conclu, en tout état de cause, qu’il avait été établi qu’il est probable que le Fatah ne se soit pas entièrement désolidarisé des actes de terrorisme contre l’État d’Israël, même après avoir renoncé à la lutte armée, et que la faction de plus triste notoriété au sein du Fatah, la BMAA, n’existait pas séparément du Fatah dans son ensemble.

[17]           La SI a cité le verdict d’un tribunal de première instance de New York en février 2015 selon lequel l’AP et l’OLP étaient responsables de sciemment soutenir des attentats en 2002 et 2004. Elle a également noté que la Charte du Fatah continue de faire référence à la libération de la Palestine au moyen de la lutte armée, si nécessaire.

[18]           La SI a conclu que le demandeur avait une relation engagée avec le Fatah, le joignant à l’âge de 16 ans et y ayant atteint le niveau de cadre. Il a participé aux opérations de sécurité du Fatah et au recrutement de nouveaux membres. Il était présent au quartier général d’Arafat pendant le siège de 2002 par les Forces de défense israéliennes (« IDF »). Il a résidé à Jénine où la BMAA était très active et relevait directement du chef reconnu de la BMAA, Rumeila. Étant donné sa participation et son engagement actifs au Fatah, il est inconcevable que le demandeur n’ait pas été au courant des activités du Fatah et de la BMAA et du lien entre les deux.

[19]           La SI a fait remarquer que le demandeur a fait valoir qu’il s’est dissocié du Fatah en 2010. Toutefois, sa grève de la faim de sympathie à l’appui du terroriste condamné Samer al­Issawi en 2013 constituait un indicateur probable de son soutien au Fatah et que ses objectifs n’avaient pas changé même après avoir cessé d’être un membre actif. En tout état de cause, l’interdiction de territoire en vertu de l’alinéa 34(1)(f) de la LIPR n’exige pas que le demandeur soit membre actuel, qu’il ait été membre lorsque Fatah s’est livré à des actes de terrorisme, ou, que le Fatah soit inscrit sur la liste des entités. Il n’y avait non plus aucune exigence que le demandeur ait encouragé des actes terroristes, y ait participé ou en ait été complice pour qu’une décision d’interdiction de territoire soit rendue en vertu de l’alinéa 34(1)(f).

[20]           Et, peu importe la décision dans Yamani selon laquelle il n’y a aucune exigence temporelle à l’analyse de l’alinéa 34(1)(f), la SI a conclu que le demandeur était membre du Fatah pendant une période où il s’est livré à des actes de terrorisme par l’intermédiaire de son aile militaire, la BMAA, et que la BMAA n’était pas une entité distincte du Fatah.

[21]           La SI était convaincue qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que le demandeur était membre du Fatah et que le Fatah est une organisation qui se livre, s’est livrée ou se livrera à des actes de terrorisme. La SI a donc conclu que le demandeur était interdit de territoire pour raison de sécurité.

Dispositions législatives pertinentes

LIPR :

Interprétation

Rules of interpretation

33. Les faits ­ actes ou omissions ­ mentionnés aux articles 34 à 37 sont, sauf disposition contraire, appréciés sur la base de motifs raisonnables de croire qu’ils sont survenus, surviennent ou peuvent survenir.

33. The facts that constitute inadmissibility under sections 34 to 37 include facts arising from omissions and, unless otherwise provided, include facts for which there are reasonable grounds to believe that they have occurred, are occurring or may occur.

34. (1) Emportent interdiction de territoire pour raison de sécurité les faits suivants :

34. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on security grounds for

c) se livrer au terrorisme;

(c) engaging in terrorism;

f) être membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle est, a été ou sera l’auteur d’un acte visé aux alinéas a), b), b.1) ou c).

(f) being a member of an organization that there are reasonable grounds to believe engages, has engaged or will engage in acts referred to in paragraph (a), (b), (b.1) or (c).

Exception ­ demande au ministre

Exception ­ application to Minister

42.1 (1) Le ministre peut, sur demande d’un étranger, déclarer que les faits visés à l’article 34, aux alinéas 35(1)b) ou c) ou au paragraphe 37(1) n’emportent pas interdiction de territoire à l’égard de l’étranger si celui­ci le convainc que cela ne serait pas contraire à l’intérêt national.

42.1 (1) The Minister may, on application by a foreign national, declare that the matters referred to in section 34, paragraphs 35(1)(b) and (c) and subsection 37(1) do not constitute inadmissibility in respect of the foreign national if they satisfy the Minister that it is not contrary to the national interest.

Questions en litige

[22]           Le demandeur évoque six questions, cependant, à mon avis, celles­ci peuvent être ramenées à une seule question étant : est­ce que la décision de la SI d’interdire de territoire le demandeur était raisonnable en vertu de l’alinéa 34(1)(f) de la LIPR?

Norme de contrôle

[23]           Les parties conviennent, et j’accepte, que la norme de contrôle applicable à la question de savoir s’il y a des motifs raisonnables de croire qu’une organisation qui se livre, s’est livrée ou se livrera à des actes de terrorisme, comme stipulé à l’alinéa 34(1)(f), est déraisonnable (Pizarro Gutierrez c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 623 au paragraphe 21; Najafi c. Canada (sécurité publique et protection civile), 2013 CF 876 au paragraphe 82; Nassereddine c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 85 au paragraphe 20 [Nassereddine]; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. USA, 2014 CF 416 au paragraphe 13). Ainsi, cette Cour doit n’intervenir que si la décision n’entre pas dans les « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. » (Dunsmuir c. Nouveau­Brunswick, 2008 CSC 9 au paragraphe 47 [Dunsmuir]).

Thèses des parties

Position du demandeur

[24]           Le demandeur admet qu’il était un membre du Fatah qui, pour une période de temps dans le passé, a encouragé la lutte violente pour atteindre ses objectifs. Il maintient cependant que, sous la gouverne d’Arafat, le Fatah s’est converti en un parti politique nationaliste laïque, même s’il a été en proie à des querelles intestines et à des divisions internes.

[25]           Le demandeur soutient que la SI a par conséquent erré en concluant que le Fatah a une structure commune unifiée. Ses factions et ses ailes sont fonctionnellement distinctes et les actes allégués de son aile militaire, la BMAA, ne devraient pas être imputés au Fatah. En outre, parce que le Fatah ne figure pas sur la liste des organisations terroristes interdites de nombreux pays, y compris du Canada, mais que la BMAA est inscrite, cela démontre que le Fatah est perçu différemment de la BMAA. C’est donc une erreur de conclure que l’appartenance du demandeur au Fatah constituait une adhésion à la BMAA. L’importance d’une conclusion d’interdiction de territoire du demandeur requiert une « approche restrictive et prudente » (Kanagendren c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CAF 86 [Kanagendren]) qui tient compte de la similitude d’exclusion en vertu de l’article 1(f)(a) de la Convention sur les réfugiés.

[26]           En outre, en 1999, après la signature des Accords d’Oslo qui ont établi l’autorité palestinienne, Arafat a été invité à Ottawa par le premier ministre Chrétien, malgré sa participation préalable à la lutte violente comme leader du Fatah. Le fait qu’Arafat ne soit pas reconnu comme étant une menace pour la sécurité, constitue une reconnaissance implicite par le gouvernement du Canada qu’il existe une composante temporelle à une analyse de style de l’alinéa 34(1)(f). De même, l’ancien premier ministre Harper a maintenu des relations diplomatiques avec l’AP et l’a soutenue financièrement comme dirigée par le président Abbas qui a succédé à Arafat. Ainsi, une conclusion raisonnable peut être tirée du fait que le Canada ait reconnu que le Fatah a abandonné ses méthodes terroristes du passé et est devenu actif dans le processus démocratique et que cela explique pourquoi le Fatah n’est pas une organisation terroriste inscrite.

[27]           Le demandeur soutient également que la décision de la SI est inconciliable avec la politique canadienne relative à la désignation des organisations terroristes. L’alinéa 34(1)(f) doit refléter et être conforme aux politiques du gouvernement canadien, y compris les directives législatives et les énoncés de politique émis par le ministre de la Sécurité publique et Protection civile Canada. Puisque la liste des entités publiée par Sécurité publique Canada ne comprenait pas le Fatah, la décision de la SI est inconciliable et incompatible avec les politiques du gouvernement et est donc déraisonnable.

[28]           Le demandeur soutient que la SI n’a pas considéré que le moment de l’appartenance du demandeur peut être un facteur pertinent. À cet égard, Chwah c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1036 [Chwah] et Karakachian c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 948 [Karakachian] s’appliquent directement à la cause du demandeur parce que le Fatah a renoncé expressément au terrorisme avant que le demandeur ne le rejoigne en tant que membre. Ces décisions n’ont toutefois pas reçu une attention suffisante de la part de la SI qui a plutôt favorisé la décision antérieure de cette Cour dans Yamani, concluant qu’il n’y a aucune composante temporelle dans l’analyse de l’alinéa 34(1)(f). La SI a également omis d’examiner correctement les réserves imposées sur Yamani comme énoncé dans Chwah et dans Karakachian. Parce que dans ces cas les organisations en cause avaient renoncé au terrorisme avant que les intéressés en deviennent membres, cela a servi à transformer l’organisation, coupant le lien qui aurait autrement pu être établi entre l’appartenance actuelle ou passée d’un demandeur et les dernières activités de l’organisation qui n’est plus assujettie à l’alinéa 34(1)(f).

[29]           En outre, le demandeur soutient que l’alinéa 34(1)(f) met l’accent sur l’appartenance à une organisation terroriste, il ne requiert pas de participation ou de complicité réelles de la part du demandeur dans des actes terroristes. Le demandeur était associé et était fidèle à « l’aile politique non violente et pro paix » du Fatah, et la connaissance d’actes terroristes présumés ne devrait pas lui être imputée. Il n’y avait en outre aucune preuve qu’il était toujours membre du Fatah ou qu’il était membre de la BMAA. En outre, il n’y a pas de lien crédible entre le demandeur et des actes terroristes présumés et cela devrait avoir un effet d’atténuation sur son interdiction de territoire en vertu de l’alinéa 34(1)(f) de la LIPR. Le demandeur soutient que, dans l’ensemble, la preuve soumise à la SI était insuffisante pour satisfaire au seuil inférieur des « motifs raisonnables de croire » qu’il est membre d’une organisation qui assujettie à l’alinéa 34(1)(f).

[30]           Le demandeur soutient également que la SI a erré en s’appuyant sur un article de journal traitant d’une décision de la Cour de New York qui avait conclu que l’AP et l’OLP étaient coupables d’avoir appuyé des attaques terroristes entre 2002 et 2004. Puisque la décision réelle de la Cour n’a jamais été déposée à la SI, elle n’a pu en vérifier la véracité et, par conséquent, a commis une erreur en s’appuyant sur cette décision (Almrei (Re), 2009 CF 1263).

[31]           Enfin, le demandeur fait valoir que la SI n’a pas abordé ni appliqué la définition du terrorisme énoncée dans la décision Suresh de la Cour suprême du Canada.

Position du défendeur

[32]           Le défendeur soutient que la norme des « motifs raisonnables de croire » est applicable en vertu de l’alinéa 34(1)(f) de la LIPR et qu’elle est moins élevée que la norme civile de la « prépondérance des probabilités » (Kanagendren; demande de pourvoi à la CSC refusée : 2015 CanLII 75966 (SCC); Mugesera, au paragraphe 114; Ugbazghi c. Canada (Citoyenneté et ‘Immigration), 2008 CF 694, au paragraphe 47 [Ugbazghi]). Il s’agit d’un bas niveau probant qui s’applique à un très large éventail de comportements qui donne naissance à l’interdiction de territoire. Cependant, cela est contrebalancé par le paragraphe 42.1(1) de la LIPR qui confère également au ministre le pouvoir discrétionnaire de lever cette mesure d’interdiction de territoire (Ugbazghi, aux paragraphes 47 et 48).

[33]           Le défendeur soutient que le demandeur a admis avoir été membre du Fatah de 1993 à 2010. Par ailleurs, en se fondant sur la preuve, la SI a conclu qu’il était un membre engagé et ces conclusions n’ont pas été gravement mises en doute.

[34]           Le fait que le demandeur ne soit plus un membre du Fatah n’est pas pertinent, car la LIPR et la jurisprudence confirment qu’il n’y a aucune exigence temporelle (Pedro c. Canada, 2009 CF 1260 au paragraphe 36 [Pedro]; Yamani, au paragraphe 37; Mirmahaleh c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1085, au paragraphe 21 [Mirmahaleh])). La Cour d’appel fédérale a jugé que « ce n’est pas requis pour pouvoir conclure à l’interdiction de territoire conformément à l’article 34(1)f) de la LIPR que les dates de l’adhésion d’un individu dans l’organisation correspondent aux dates auxquelles cette organisation a commis des actes de terrorisme ou d’un renversement par la force » (Gebreab c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2010 CAF 274 [Gebreab]; voir aussi Haqi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1167 aux paragraphes 33­37; voir aussi Najafi c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2014 CAF 262 au paragraphe 101; autorisation de pourvoi rejetée : 23 avril 2015, no 36241). La prétention du demandeur selon laquelle il a joint le Fatah qu’après qu’il eût renoncé à la violence n’est pas pertinente pour l’analyse de l’alinéa 34(1)f), mais pourrait être considérée dans une demande d’exception ministérielle présentée au titre du paragraphe 42.1 de la LIPR (Saleh c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 303 [Saleh]).

[35]           Le défendeur soutient que la conclusion de la SI selon laquelle le Fatah est une organisation terroriste en vertu de l’article 34 de la LIPR est raisonnable, car elle conclut que le Fatah a continué à endosser la lutte violente par l’intermédiaire de son aile militaire, la BMAA, qui n’était pas une entité distincte du Fatah dans son ensemble. Bien que le demandeur ait affirmé que le Fatah n’a pas une structure commune unifiée, il n’a pas étayé cela par des références précises à la preuve documentaire. En outre, les conclusions de la SI sur la nature du Fatah sont amplement appuyées par le dossier certifié du tribunal (« le DCT ») qui comprenait des éléments de preuve d’une grande variété de sources.

[36]           Le défendeur soutient que le demandeur n’a pas cité de jurisprudence à l’appui de ses arguments concernant les politiques du gouvernement et le fait que les entités non inscrites ne peuvent être des organisations terroristes aux termes de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR. Jalil c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 568 [Jalil] établit une analyse en deux étapes pour l’alinéa 34(1)f) de la LIPR. Tout d’abord, une décision doit être prise quant à savoir s’il existe des motifs raisonnables de croire que l’organisation en question a commis les actes de violence qui lui sont attribués. Ensuite, une décision doit être prise quant à savoir si ces actes constituent des actes terroristes. La SI a correctement évalué les deux étapes pour déterminer que Fatah a commis les actes qui lui sont attribués et qu’il s’agissait d’actes de terrorisme. Sa conclusion est également compatible avec des arrêts antérieurs de notre Cour qui ont confirmé les conclusions que le Fatah est une organisation terroriste (Khalil c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2011 CF 1332 paragraphes 19 à 23 [Khalil]; Saleh). En outre, il n’y a pas d’exigence en vertu de la LIPR qu’une organisation terroriste soit une entité inscrite, ou qu’il existe une preuve qu’une personne est sur une liste de surveillance pour l’interdire de territoire au Canada (Mirmahaleh).

[37]           Le défendeur soutient que le demandeur n’a cité aucune preuve documentaire objective afin de démontrer que la décision de la SI est déraisonnable ni pour démontrer que la SI a ignoré la preuve favorable à la cause du demandeur. En outre, que les prétentions du demandeur concernant la visite d’Arafat en 1999 sont fondées sur la spéculation et ne sont aucunement pertinentes à l’alinéa 34(1)f) ou à la jurisprudence applicable. L’article du New York Times cité par la SI ne constituait qu’un élément de preuve, dans un volumineux dossier qui reliait le Fatah à des attaques terroristes pendant la période de 2002 à 2004 et, en tout état de cause, le demandeur n’a pas établi que l’article est erroné.

Analyse

[38]           Dans Jalil, citant Mugesera, cette Cour a conclu que l’évaluation de la question à savoir s’il y a des motifs raisonnables de croire qu’une organisation s’est livrée à des actes de terrorisme est une analyse en deux étapes. Tout d’abord, une décision doit être prise quant à savoir s’il existe des motifs raisonnables de croire que l’organisation en question a commis les actes de violence qui lui sont attribués. Il s’agit d’une conclusion de fait. La deuxième étape consiste à déterminer si ces actes constituent des actes de terrorisme.

[39]           Dans le cas présent, la SI a noté que l’histoire et les activités de l’organisation du Fatah ont été retrouvées dans la preuve documentaire, en particulier dans les pièces 2 à 7, 12, 13 et 19. La SI a trouvé que le Fatah a formé une aile armée en 1964 et a commencé une campagne d’activités terroristes contre des cibles israéliennes en 1965. Faisant référence à la pièce 2, un article du Centre Jane sur le terrorisme et l’insurrection (le « rapport Jane »), la SI a déclaré que le terrorisme comprend le meurtre de civils par l’explosion d’autobus scolaires, l’enlèvement et le meurtre d’athlètes israéliens aux Jeux olympiques de 1972, ainsi que le détournement d’avions et d’autobus. Des politiciens ont été également ciblés et tués. Faisant de nouveau référence à la pièce 2, le rapport Jane, la SI a déclaré qu’en 2000, l’organisation de la BMAA liée au Fatah a été formée et a commencé une campagne d’attentats­suicides ciblant des civils, des militaires et la police israélienne. La SI a conclu que la preuve avait établi que le Fatah est une organisation terroriste.

[40]           En guise de contexte, je tiens à souligner que la preuve documentaire indique qu’al­Tahrir al­Wataniyya­Filastiniyya, le Mouvement national de libération de la Palestine, ou Fatah, a été fondé en 1959 par Arafat comme un groupe politique et de guérilla nationaliste revendiquant la libération du territoire palestinien du contrôle israélien et la création d’un État palestinien indépendant et souverain. Sous la direction d’Arafat, le Fatah est devenu la force dominante dans l’OLP. L’OLP avait été créée comme un moyen de coordonner les efforts contre l’État d’Israël dans le but explicite de libérer la Palestine par la lutte armée. Arafat est devenu président du Comité exécutif de l’OLP en 1969. Le Fatah a formé en 1964 une aile armée, al­Asifa, et a lancé des opérations de guérilla en territoire israélien au cours des années 1970 et 1980, et des opérations armées par différents groupes, notamment la Force 17 et le Tanzim, jusqu’à ce qu’Arafat renonce au terrorisme lors d’une session extraordinaire des Nations Unies en 1988.

[41]           En 1993 les Accords d’Oslo ont été signés entre l’OLP et Israël, ce qui a conduit à la création de l’Autorité nationale palestinienne, ou AP. Toutefois, après le début de la seconde intifada en septembre 2000, une nouvelle organisation militante affiliée au Fatah a été créée, la Brigade des martyrs d’Al­Aqsa. En 2001 la BMAA a revendiqué un attentat­suicide contre un autobus israélien, tuant trois personnes et en blessant neuf autres; en janvier 2002 une femme membre de la BMAA a commis un attentat­suicide à Jérusalem, tuant une personne et en blessant 100 autres; en février, la BMAA a tué un policier et mené une autre attaque­suicide, blessant trois personnes; en mars 2002, la BMAA a commis cinq attentats­suicides visant des civils israéliens, en tuant un grand nombre et en blessant plusieurs. Des attaques similaires se sont poursuivies tout au long de la période de 2002 à 2007. En juin 2007 le président Abbas, successeur d’Arafat, a banni toutes les milices armées, y compris la BMAA.

[42]           Le dossier soumis à la SI contenait également une quantité importante de documents probants, d’une variété de sources, qui a appuyé sa conclusion qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que le Fatah s’était livré à du terrorisme. Autrement dit, étant donné qu’il y avait une raison objective de croire fondée sur une information crédible et convaincante, des motifs raisonnables de croire ont été établis (Mugesera, aux paragraphes 114­116; Khalil, au paragraphe 12). En outre, la SI a cité la définition du terrorisme dans Suresh et les actes qui faisaient partie de cette définition, car la plupart étaient destinés à faire du tort à des civils comme moyen d’atteindre les objectifs du Fatah (Naeem c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1069 aux paragraphes 57­59).

[43]           Le demandeur soutient que, puisque le gouvernement canadien n’a pas inscrit le Fatah sur sa liste des organisations terroristes, cela indique que le gouvernement considère le Fatah comme une organisation distincte de la BMAA. À cet égard, je tiens à souligner tout d’abord que le demandeur n’a avancé aucun élément de preuve établissant que le législateur voulait lier des « organisations », comme décrit à l’alinéa 34(1)f) de la LIPR, à la liste des entités en vertu du Code criminel, ou que d’être sur la liste des entités est un prérequis à une décision d’interdiction de territoire au titre de l’alinéa 34(1)f). À cet égard, dans Karakachian, le juge De Montigny a déclaré :

[40]      Je note au passage que l’ARF n’est pas sur la liste des organisations terroristes établie par le gouvernement en vertu de la Loi antiterroriste (L.C. 2001, ch. 41. Le défendeur a raison de soutenir que cette exigence n’apparaît nulle part dans le texte du paragraphe 34(1) de la Loi. L’absence d’une organisation sur cette liste peut néanmoins être considérée comme un indice parmi d’autres qu’il ne s’agit pas d’une organisation terroriste, du moins aux yeux du gouvernement canadien.

[44]           Par la suite, dans NK c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CF 1377 au paragraphe 80 [NK], le juge Russell a conclu que l’enjeu de l’inscription sur la liste n’était pas la question, puisque la Section d’appel de l’immigration (SAI) avait précédemment jugé que le MQM, l’organisation en cause dans cette affaire, est une organisation terroriste qui n’avait pas fait l’objet d’une décision au cours du contrôle judiciaire [traduction], « de plus, cette Cour a confirmé que la liste n’est pas nécessaire pour décréter une interdiction de territoire en vertu de l’alinéa 34(1)(f). Voir Karakachian, précité, au paragraphe 40 ».

[45]           Le demandeur soutient que la conclusion dans Karakachian était une opinion incidente et que, par conséquent, le juge Russell conclu à tort que la jurisprudence démontrait clairement qu’il n’y a aucune exigence que son organisation soit inscrite aux fins de la détermination de l’admissibilité. À mon avis, ce qui peut être repris dans Karakachian est précisément ce qu’a déclaré le juge De Montigny, soit que l’inscription n’est pas obligatoire en vertu de l’alinéa 34(1)(f), mais que le fait que le Parlement n’a pas inscrit le Fatah est une indication que le Parlement ne considère pas cette entité comme une organisation terroriste (voir également Mirmahelah, au paragraphe 21).

[46]           Je tiens également à souligner, toutefois, que le paragraphe 83.01(1) du Code criminel définit un groupe terroriste comme étant :

a)      soit une entité dont l’un des objets ou l’une des activités est de se livrer à des activités terroristes ou de les faciliter;

b)      soit une entité inscrite.

[47]           Une entité inscrite signifie une entité inscrite sur la liste établie par le gouverneur en Conseil. En conséquence, le simple fait qu’une entité ne soit pas inscrite en vertu du Code criminel et sur la liste des entités ne signifie pas nécessairement qu’elle n’est pas un groupe terroriste ou que le Parlement ne la considère pas comme tel. Comme énoncé dans Figueroa c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2014 CF 836 au paragraphe 13 « cette inscription permet au ministère public, en cas de poursuite pour infraction de terrorisme, de faire valoir que l’entité est un « groupe terroriste ». La liste toutefois n’est pas exhaustive. Les groupes terroristes ne sont pas forcément des « entités inscrites ».

[48]           En outre, cette Cour a également précédemment confirmé une décision de la SI en se fondant sur les éléments de preuve dont elle disposait, décision selon laquelle il y avait des motifs raisonnables de croire que le Fatah est une organisation terroriste (Khalil, aux paragraphes 53­54; Saleh, aux paragraphes 9, 19 et 20). Et, le niveau peu élevé de la norme de preuve applicable en vertu de l’alinéa 34(1)(f), « motifs raisonnables de croire », peut supposer que le législateur entendait donner à la SI une grande latitude pour rendre des conclusions de fait concernant les activités d’une organisation (Mirmahaleh, au paragraphe 16; et voir Yamani, aux paragraphes 13 et 14; Tjiueza, aux paragraphes 38 et 39, faisant référence au paragraphe 34(2), maintenant le paragraphe 42.1 de la LIPR).

[49]           Quant à la prétention du demandeur selon laquelle, parce qu’en 1999, un gouvernement précédent a invité Arafat à Ottawa, et parce qu’un gouvernement successeur aurait entretenu des relations diplomatiques avec l’AP et l’aurait soutenu financièrement, cela conduit à une conclusion que le Canada reconnaît que le Fatah a abandonné son passé terroriste et que c’est la raison pour laquelle le Fatah n’est pas inscrit comme étant une organisation terroriste; le demandeur ne fournit aucune preuve pour soutenir cela, autre que son propre lien spéculatif. Je n’accepte pas non plus la prétention du demandeur selon laquelle la visite d’Arafat constitue une reconnaissance implicite par le gouvernement canadien qu’il n’y a « aucune composante temporelle » à l’analyse de l’alinéa 34(1)(f), ce par quoi le demandeur semble signifier que les derniers actes de terrorisme du Fatah ne sont pas une considération lors de l’interprétation et de l’application de l’alinéa 34(1)(f), ce qui signifierait, en fait, qu’il y a une composante temporelle. Et, même si j’acceptais, ce ne serait pas utile au demandeur pour les raisons exposées ci­après.

[50]           En ce qui concerne la composante temporelle de l’analyse, le demandeur soutient également que la SI n’a pas accordé une attention suffisante à Chwah et à Karakachian ainsi qu’aux réserves que ces cas ont imposées sur la décision Yamani, dont la SI s’est en fait prévalu.

[51]           Dans Yamani la juge Snider a été très claire en affirmant qu’il n’y a aucune composante temporelle à une analyse de l’alinéa 34(1)(f) :

[11]      Simplement dit et contrairement à ce que prétend M. Al Yamani, le facteur temps n’est pas à prendre en compte dans le cadre d’une analyse en application de l’alinéa 34(1)(f). S’il y a des motifs raisonnables de croire qu’une organisation se livre actuellement à des actes de terrorisme, s’est livrée à de tels actes dans le passé ou s’y livrera à l’avenir, cette organisation satisfait alors au critère énoncé à l’alinéa 34(1)(f). Ainsi, la Commission n’a pas à examiner si l’organisation en cause a mis un terme à ses activités terroristes, ou encore ne s’était pas livrée à de telles activités pendant une certaine période de temps.

[12]      Le fait pour l’intéressé d’être membre de l’organisation échappe de même aux restrictions quant au temps. La question est de savoir si l’intéressé est ou a été membre de l’organisation. Aucune correspondance n’est nécessaire entre la participation active comme membre de l’intéressé et la période pendant laquelle l’organisation se livrait à des actes terroristes.

[13]      Le résultat peut sembler sévère. Une organisation peut modifier ses buts et ses méthodes, et l’intéressé peut décider de quitter l’organisation, de façon temporaire ou permanente. Or, la disposition ne semble pas laisser la porte ouverte à un changement de situation, tant en ce qui concerne l’organisation que l’intéressé. En insérant le paragraphe 34(2) de la LIPR, toutefois, le législateur a heureusement prévu le moyen de faire exception à une conclusion d’interdiction de territoire en application du paragraphe 34(1). Cette disposition prévoit en effet qu’un résident permanent ou un étranger peut présenter une demande en vue de convaincre le ministre que « sa présence au Canada ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national ». Le législateur fournit ainsi l’occasion aux personnes qui, par ailleurs, seraient interdites de territoire aux termes du paragraphe 34(1), de convaincre le ministre que leur présence au Canada ne serait pas préjudiciable à l’intérêt national. Dans ce cadre, des facteurs tels que le moment de l’appartenance à l’organisation ou la caractérisation actuelle de celle­ci peuvent être pris en compte.

[52]           Par la suite, dans Chwah, l’intéressé a admis être un membre des forces libanaises qui avaient, dans le passé, utilisé des armes pour tenter d’atteindre leurs objectifs et se sont livrées au terrorisme pour atteindre leurs objectifs. Le juge Boivin a conclu que la décision de l’agent était laconique et ne faisait référence à aucun élément de preuve montrant que l’organisation avait pris part ou participé à des actes de terrorisme depuis que la milice avait été démantelée en 1990 ou depuis que le demandeur l’a rejointe en 1992. Depuis 1990, l’organisation s’était transformée en parti politique avant d’être interdite en 1994. L’agent avait erré en omettant d’évaluer le rôle de l’organisation avant 1990 et après 1990. L’intéressé avait joint l’organisation en 1992, après sa transformation, et il n’y avait aucune preuve que l’organisation ait commis des actes terroristes depuis le moment où il l’a jointe ou par la suite.

[53]           Dans Karakachian, le juge De Montigny a convenu avec la juge Snider lorsqu’elle écrivit dans Yamani que le moment n’est pas un facteur qui doit être pris en considération, car l’alinéa 34(1)(f) fait clairement référence à l’appartenance à des organisations l’égard desquelles il existe des motifs raisonnables de croire qu’elles se sont livrées à des actes de terrorisme dans le passé. Et il a ajouté :

[48]      Cela étant dit, il me semble qu’une nuance s’impose. On peut aisément concevoir que l’écoulement du temps ne soit pas pertinent lorsqu’une organisation a été inactive pendant un certain temps, mais n’a pas formellement renoncé à la violence. En revanche, la situation me semble tout autre lorsqu’une organisation violente s’est transformée en parti politique légitime et a explicitement renoncé à toute forme de violence. Il est difficile de croire que le législateur ait pu avoir l’intention de rendre inadmissible toute personne appartenant à un parti politique légitime du seul fait que ce parti ait pu être considéré comme une organisation terroriste préalablement à ce que cette personne en devienne membre.

[54]           Dans Gebreab c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2009 CF 1213, la juge Snider a conclu que :

[23]      Selon cette analyse, « le facteur temps n’est pas à prendre en compte » dans la décision relative à une organisation ou dans celle conclusion d’appartenance d’un individu à une organisation (Al Yamani, précité, aux paragraphes 11 et 12). La Commission n’a pas à examiner la question de savoir si l’organisation a mis fin à ses actes de terrorisme et elle n’a pas à vérifier s’il existe une « correspondance […] entre la participation active comme membre de l’intéressé et la période pendant laquelle l’organisation se livrait à des actes terroristes ». (Al Yamani, précité, au paragraphe 12). Au surplus, pour l’application de l’alinéa 34(1)f), la question de savoir si une organisation se livre, s’est livrée ou se livrera à des actes de terrorisme est indépendante de l’appartenance de l’intéressé.

[55]           Elle a certifié la question suivante :

L’interdiction de territoire peut­elle être prononcée à l’encontre d’un étranger, en vertu de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR, lorsqu’il existe des éléments de preuve clairs et convaincants que l’organisation a renié les actes visant à renverser un gouvernement ou les actes de terrorisme visés aux alinéas 34(1)b) et c), et a cessé de se livrer à de tels actes, avant l’appartenance de l’étranger à l’organisation?

[56]           La Cour d’appel fédérale a rejeté l’appel et a fourni la réponse suivante :

Ce n’est pas requis pour pouvoir conclure à l’interdiction de territoire conformément à l’alinéa 34(1)f) de la LIPR que les dates de l’adhésion d’un individu dans l’organisation correspondent aux dates auxquelles cette organisation a commis des actes de terrorisme ou un renversement par la force.

[57]           À mon avis, la Cour d’appel fédérale a effectivement résolu cette question.

[58]           En tout état de cause, à la fois dans Chwah et dans Karakachian, l’intéressé avait joint l’organisation après sa transformation. Dans le cas présent, le demandeur a joint le Fatah en 1993 ce qui, il est vrai, se situait après l’abandon de la violence en 1988, et c’est cette même année que les Accords d’Oslo ont été signés. Toutefois, la preuve documentaire démontre clairement que le Fatah s’est livré à des actes de violence et de terrorisme avant sa dénonciation du terrorisme en 1989 et, par l’intermédiaire de la BMAA, au cours de la seconde intifada de 2000 à 2007 au moins. En mars 2002, le demandeur se trouvait au quartier général d’Arafat lorsque l’armée israélienne l’a assiégé en réponse aux actions de la BMAA pendant la deuxième intifada. Il est resté membre du Fatah au moins jusqu’en 2012. Ainsi, même s’il fallait un lien temporel entre l’appartenance du demandeur et les actes terroristes du Fatah, et, vu la décision de la Cour d’appel fédérale dans Gebreab, je ne suis pas d’accord avec le fait qu’il y ait une telle exigence; ce lien existe dans l’espèce en se fondant sur le fait que la SI ait conclu que la BMAA est une aile du Fatah.

[59]           À cet égard, la SI a constaté que la BMAA n’était pas une entité distincte du Fatah dans son ensemble, et que le demandeur était membre du Fatah à un moment où il s’est livré à des actes de terrorisme par l’intermédiaire de son aile militaire, la BMAA. Bien que la preuve documentaire concernant les liens entre le Fatah et la BMAA constitue une preuve mixte, à mon avis, lorsqu’elle est considérée dans son ensemble, la preuve documentaire fournit un fondement objectif qui soutient les conclusions de la SI.

[60]           Le DCT est volumineux, comprenant sept volumes de documentation. La SI fait référence aux pièces 2, 4, 5 et 12 pour décrire l’historique et l’organisation du Fatah et les pièces 2­7, 12, 13 et 19 pour décrire ses activités. Alors qu’il ne détecte qu’un seul élément de preuve (pièce 4, p. 75) à l’appui de son affirmation selon laquelle la faction de plus triste notoriété au sein du Fatah, la BMAA, n’existait pas séparément du Fatah, cette conclusion est étayée par ailleurs par la preuve documentaire. Par exemple :

-          Jonathan Schanzer, Hamas vs Fatah: the Struggle for Palestine, (New York : Palgrave Macmillan, 2008) indique que peu après l’éclosion de violence en 2000, le Fatah a créé la BMAA. Alors que le Fatah a également utilisé la violence contre les Israéliens par l’intermédiaire d’autres milices, qui comprenaient la Force 17, la Garde présidentielle et autres petites factions, la BMAA [traduction] « a été le seul canon du Fatah pouvant rivaliser avec le Hamas pour ce qui est des attentats terroristes spectaculaires et sanglants... Jusqu’en 2002, la Brigade des martyrs d’Al­Aqsa a revendiqué des dizaines d’attentats dans lesquels des civils israéliens ont été tués » :

Jusqu’en 2003, les membres de la Brigade des martyrs d’Al­Aqsa ont reconnu ouvertement leur appartenance à la faction du Fatah de Yasser Arafat. Malik Jallad, un commandant des Brigades à Tulkarem, a reconnu, « Nous appartenons au Fatah ». Un fantassin de la Brigade a déclaré à USA Today, « notre commandant est Yasir Arafat lui­même ». Même le porte­parole d’Arafat, Mahammed Odwan a confirmé que les Brigades des martyrs étaient « fidèles au président Arafat ». Les documents saisis par la suite par l’armée israélienne dans les bureaux de l’AP ont également démontré des liens financiers. Dans un exemple documenté, Arafat a payé 20 000 $ au groupe. D’autres fichiers découverts ont révélé que le Fatah finançait des explosifs, des armes à feu et de l’essence (p. 76).

-          Différentes sources confirment que les sections locales de la BMAA ont été financées par la direction politique centrale du Fatah (Jane’s Intelligence Review, « The rise and fall of the Al­Alqsa Martyrs Brigades », 14 mai 2002; Matthew Levitt et Seth Wikas, « Defensive Shield Counterterrorism Accomplishments », le Washington Institute for Near East Policy, 17 avril 2002; ministère israélien des Affaires étrangères, « Documents saisis au cours de l’Opération bouclier de protection reliant Arafat au terrorisme », 15 avril 2002; ministère israélien des Affaires étrangères, « Les Services de sécurité de l’Autorité palestinienne ont fourni conseils, armes et fonds aux Brigades des Martyrs d’Al­Aqsa afin de perpétrer des attaques terroristes », le 1er mai 2002; Israel News Agency, « Yasser Arafat’s ‘Moukata’ Compound in Ramallah: A Center for Controlling and Supporting Terrorism »; Matthew Kalman, « Terrorist says orders come from Arafat », USA Today, 14 mars 2002);

-          « Le terrorisme suicidaire palestinien dans la deuxième intifada : motivations et aspects organisationnels » affirme :

[traduction]

La troisième organisation palestinienne à avoir employé des attentats­suicide au cours de la seconde intifada est le Fatah, la faction dominante de l’Organisation de libération de Palestine (OLP), qui est dirigée par Yasser Arafat. …le Fatah est responsable de près d’un tiers de tous les attentats­suicides depuis le début de la seconde intifada... Plus important... le Fatah est devenu l’organisation la plus active en ce qui concerne le nombre d’attaques contre des Israéliens. En 2002, il a perpétré des attentats­suicides plus que tous les autres groupes combinés... À la suite des attaques du Fatah et d’organisations affiliées telles que Tanzim et les Martyrs d’Al­Aqsa, 42 Israéliens ont été tués et 629, blessés entre septembre 2000 et juin 2002...

L’article se poursuit pour indiquer que les liens entre la BMAA et les dirigeants de l’AP semblent être étroits, et cela, selon une source du FBI, l’infrastructure, le financement, le leadership et les responsables des opérations qui composent la BMAA et appuient les groupes stimulent la force de frappe du Fatah, ses dirigeants sont des salariés membres de l’Autorité palestinienne et de ses forces de sécurité, et selon l’aveu même du Fatah, c’est l’organisation­sœur de la BMAA et de qui elle relève;

-          Aaron D. Pina, « CRS Report for Congress: Palestinian Factions » 8 juin 2005, Congressional Research Service, The Library of Congress, note qu’un site Web de l’OLP affirme que le Fatah soutient l’engagement dans un règlement politique avec Israël, mais que le Fatah comprend également plusieurs ailes qui n’excluent pas le recours à la lutte armée pour atteindre les objectifs politiques du parti; il s’agit de la Force 17, Tanzim et la BMAA. L’article précise que la BMAA n’a pas une structure de direction bien définie et, des factions décrites, elle semble être la plus autonome de l’OLP. Mais « Le 18 décembre 2003, le Fatah a demandé aux dirigeants de la Brigade des martyrs d’Al­Aqsa de joindre le Conseil du Fata, la reconnaissant officiellement comme faisant partie de l’organisation du Fatah »;

-          Matthew Levitt, « Designating the al­Aqsa Martyrs Brigades », The Washington Institute for Near East Policy, 25 mars 2002, faisait remarquer que le département d’État américain avait annoncé le déclenchement du processus de désignation de la BMAA comme une organisation terroriste étrangère, avant même le Congrès, et terminé le processus officiel menant à cette désignation. L’article fait référence à la relation étroite entre la BMAA et le Fatah, la faction dominante au sein de l’OLP, de l’AP et des diverses forces de sécurité palestiniennes, et affirme que l’infrastructure, les fonds, le leadership et les responsables des opérations du Fatah que comprenait la BMAA facilitaient ses activités de guérilla et que, selon son propre aveu, le Fatah est l’organisation mère de la BMAA et la contrôle;

-          Le ministère israélien des Affaires étrangères, « Infrastructure terroriste de Jénine », 2 avril 2002, décrit les mouvements du Fatah et en particulier son aile militaire, la BMAA comme étant très active dans le secteur de Jénine, ayant effectué de nombreux tirs et bombardements, notamment contre les villages de la région, ainsi que des attaques contre un grand nombre de cibles civiles israéliennes;

-          L’article de Matthew Kalman, « Terrorist says orders come from Arafat », USA Today, 14 mars 2002, rapportait que le chef de la BMAA aurait déclaré qu’il était partie intégrante du Fatah et que « en vérité, nous sommes le Fatah lui­même, mais nous n’opérons pas sous le nom de Fatah. Nous sommes le bras armé de l’organisation, nous recevons nos instructions du Fatah. Notre commandant est Yasser Arafat lui­même »;

-          L’article de Matthew Kalman, « Arafat alleged to raise Libyan money: Sources say he uses funds to finance Al Aqsa Brigades », Chronicle Foreign Service, SFGate, 23 juin 2002, soutient que la BMAA continue d’embarrasser Abbas, même si lui et eux appartiennent au mouvement Fatah et décrit le meurtre d’une fillette de 7 ans;

-          L’article de BBC News, « Palestinian Authority funds go to militants », 7 novembre 2002, cite un responsable du Fatah à Jénine qui aurait déclaré « le Fatah a deux sections : une aile militaire dirigée par les militaires et une aile politique dirigée par des politiciens. Mais il n’y a aucune différence entre le Fatah et les Brigades des martyrs d’Al Aqsa »;

-          L’article de BBC News, « Profile: Fatah Palestinian Movement », 4 août 2009, indique que la deuxième intifada a vu un certain nombre de groupes armés liés au Fatah et à Tanzim émerger, de façon plus notable la BMAA, et que « les brigades ne sont ni reconnues officiellement ni ouvertement soutenues par le Fatah, bien que souvent les membres appartiennent à la faction politique »;

-          L’article de Khaled Aby Toameh, « Fatah Committed to Aksa Martyres » 20 juin 2004, eufunding.org – soutient que l’Autorité palestinienne n’a pas l’intention de démanteler la Brigade des martyrs d’Al Aqsa, la branche armée du Fatah, citant le premier ministre Ahmed Qurei qui a également reconnu que le groupe fait partie du Fatah et que ses hommes armés sont entraînés pour jouer un rôle dans l’avenir « Nous avons clairement déclaré que la Brigades des martyrs d’Al Aqsa fait partie du Fatah »... « nous nous engageons envers eux et le Fatah est pleinement responsable du groupe »;

-          L’article de Michael Rubin, « In Bad Company: Yasser Arafat and Saddam Hussein », le Washington Institute for Near East Policy, 2 mai 2002, décrit la BMAA et le Tanzim comme des unités militaires formellement attachées au mouvement Fatah de Yasser Arafat.

[61]           Le défendeur souligne que le demandeur ne cite aucune preuve documentaire à l’appui de sa position selon laquelle la BMAA est séparée et distincte du Fatah. En réponse et devant moi, l’avocat du défendeur a fait référence au rapport Jane à l’appui de sa position et a fait valoir que le rapport Jane n’était pas mentionné dans la décision de la SI et qu’il s’agissait d’éléments de preuve contradictoires qui n’avaient pas été pris en ligne de compte. Tel qu’il est noté ci­dessus, le rapport Jane se trouve dans la pièce 2 de la documentation et a été cité par la SI à propos de l’identification des actes de terrorisme du Fatah.

[62]           Le rapport Jane note également que le début de la deuxième intifada à la fin de l’année 2000 a vu une recrudescence de la violence par les « factions militantes affiliées au Fatah », dont la BMAA de plus triste notoriété, qui a mené de nombreux attentats­suicides sur des cibles civiles israéliennes. En outre, que la BMAA a été formée en réponse aux ailes armées de groupes islamistes militants, mais qu’elle « ne constitue pas formellement l’aile armée du Fatah – comme le prétend Israël – mais est plutôt politiquement affiliée ». Et, à la suite de l’arrestation de plusieurs hauts responsables de la BMAA en 2002, que l’organisation est devenue très décentralisée et organisée le long des lignes locales sans dirigeant unique discernable. Toutefois, le rapport Jane fait aussi référence à la BMAA en tant que « faction affiliée au Fatah » indiquant :

... le début de la seconde intifada en septembre 2000 a vu un changement considérable des tactiques utilisées par le Fatah et ses factions armées affiliées. Un changement particulièrement notable fut le recours à des attentats­suicide par des membres de la Brigade des Martyrs d’Al­Aqsa nouvellement formée... La Brigade des Martyrs d’Al­Aqsa et d’autres factions armées affiliées au Fatah ont également participé à des attaques contre des cibles palestiniennes, y compris des adversaires de Yasser Arafat, des journalistes...

[63]           Le rapport Jane indique également que, après 2007, et à la suite de la conclusion d’un accord d’amnistie entre la BMAA et Israël, la BMAA a cessé d’exister en Cisjordanie. Depuis lors, elle s’est transformée en un « mouvement amorphe décentralisé et composé de cellules lâchement liées principalement situées dans la bande de Gaza et à une plus petite échelle, en Cisjordanie ».

[64]           Je note également que dans « Erased in a Moment: Suicide Bombing Attacks Against Israeli Civilians », un article préparé par Human Rights Watch (« HRW ») de 2002, on conclut que le défaut de la part d’Arafat et de l’Autorité palestinienne de prendre des mesures de dissuasion à l’égard des attentats­suicide visant les civils implique un degré élevé de responsabilité pour ce qui s’est produit. On note que les membres individuels de la BMAA ont même été parmi les bénéficiaires de paiements approuvés personnellement par Arafat à un moment où il savait ou aurait dû savoir qu’on soupçonnait que ces personnes aient été impliquées dans la planification d’attaques contre des civils ou en aient menés. HRW décrit également les liens entre le Fatah et la BMAA comme étant « complexes, encore mal définis ». HRW affirme que les dirigeants et militants de la BMAA se sont eux­mêmes régulièrement identifiés comme faisant partie du Fatah, et que le papier à en­tête de la BMAA porte l’emblème du Fatah, à l’instar de son site Web, qui comporte également un lien vers les documents et communiqués du Fatah. Bien que les dirigeants du Fatah aient fréquemment affirmé que l’organisation n’a jamais pris la décision d’établir la BMAA ou de reconnaître l’allégation de celle­ci d’être « l’aile militaire » de l’organisation, aucun des dirigeants du Fatah ni le Conseil de direction du Fatah n’ont contesté cette allégation ni n’ont publiquement dissocié le Fatah de la BMAA. Au niveau local, plusieurs dirigeants du Fatah ont maintenu une relation ambiguë avec la BMAA. Tout en ne la reniant pas, ils ont fait valoir qu’il n’y avait pas de relation de superviseur à subalterne entre le Fatah et la BMAA et qu’ils n’ont jamais exercé un contrôle effectif sur la BMAA, même si au moins un cadre de rang de la BMAA avait affirmé un lien direct entre les milices et les dirigeants du Fatah.

[65]           À mon avis, ce qui peut être retenu de la preuve au dossier, c’est que, après 2007, la BMAA peut s’être « transformée en un mouvement plus autonome composé d’un certain nombre de factions armées d’appellations différentes, qui s’associent individuellement, à des déclarations écrites et verbales au Fatah », et qui ne sont pas reconnues comme ayant conservé une « structure formelle importante liée au Fatah ». Cependant, selon la preuve documentaire, y compris le rapport Jane, il est clair qu’entre 2000 et 2007, la BMAA était une faction armée qui était clairement, si ce n’est pas formellement, liée ou affiliée au Fatah. En outre, le fait que les activités terroristes de la BMAA aient diminué en 2007 lorsque le président Abbas a renoncé à l’usage de la violence et a ordonné la dissolution de la BMAA à l’issue de la deuxième intifada suggère également un certain niveau de contrôle du Fatah à l’égard de la BMAA.

[66]           En conséquence, il y avait une preuve suffisante pour asseoir la conclusion de la SI selon laquelle le Fatah était une organisation terroriste, et, que la BMAA n’existait pas séparément du Fatah et que les deux entités constituaient une seule organisation, à tout le moins pendant une certaine période de temps. Par conséquent, les conclusions de la SI se situaient dans le cadre des issues possibles acceptables et étaient raisonnables.

[67]           Il est vrai que l’analyse de la preuve de la SI et la relation entre le Fatah et la BMAA auraient pu être plus détaillées. Toutefois, la SI n’est pas tenue de consulter chaque document du DCT (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c.Terre­Neuve­et­Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16 [Newfoundland Nurses]; Mirmahaleh, au paragraphe 25; Patrice c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1166 au paragraphe 33; Florea c. Canada (Emploi et Immigration), [1993] A.C.F. no 598 (C.A.) (QL)) et a bien fait référence à la pièce 2, qui contient le rapport Jane, dans le contexte de l’historique et des activités du Fatah. En fait, rapport Jane établit une chronologie qui documente les principaux événements liés au Fatah de 1959 à 2011, y compris de nombreux attentats­suicide et autres attaques par le Fatah et ses entités apparentées, y compris la BMAA, entre septembre 2000 et le 22 juin 2007, et de 2008 à 2010. La SI n’a pas non plus fait abstraction de la preuve qui allait à l’encontre de sa conclusion parce que, au mieux, le rapport Jane et l’article du HRW servent à confirmer que, par sa conception, il n’y avait pas d’affiliation formelle entre le Fatah et la BMAA, mais qu’il y avait un lien clair. À mon avis, les motifs exposés par la SI sont étayés par le dossier. Et, comme il est énoncé dans Newfoundland Nurses, « les motifs répondent aux critères établis dans Dunsmuir s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables ». Par conséquent, la décision s’inscrit dans l’éventail des résultats défendables (Dunsmuir, au paragraphe 47).

[68]           En ce qui concerne la référence de la SI à un article de journal du New York Times rapportant que la cour d’un district américain avait conclu que l’OLP et l’AP étaient responsables d’avoir soutenu le terrorisme entre 2002 et 2004, bien que le demandeur fasse valoir que la SI ait commis une erreur en s’appuyant sur l’article plutôt que sur le jugement lui­même, à mon avis, cette question ne prête pas à conséquence. La SI mentionne l’article, en indiquant que la conclusion de la cour de district américaine appuie la prétention du ministre selon laquelle le Fatah a probablement continué de soutenir des actes de terrorisme malgré qu’il ait publiquement renié ces militants. Cependant, rien ne suggère une dépendance exagérée de la part de la SI à l’égard de l’article, et en tout état de cause, dans le contexte des sept volumes de preuve documentaire, dont une partie est précitée, cet article ne constituait qu’une pièce probante de plus soutenant la conclusion de la SI selon laquelle le Fatah est une organisation qui s’est livrée au terrorisme. Le fait de citer à l’article de presse ne constituait pas une erreur sujette à révision, et le demandeur n’a que suggéré que l’article ne rapportait pas correctement cette décision.

[69]           Le demandeur a également suggéré que la SI devrait considérer la « très similaire applicabilité de la clause d’exclusion – Article (F)(a) de la Convention des Nations Unies [sic] ». À la lumière de Nassereddine, je crois que les considérations au sens de l’article 1F(a) de la Convention relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, 189 NURT 137 (la Convention sur les réfugiés) ne peuvent pas être importées dans l’alinéa 34(1)(f), notamment l’exigence de complicité ou d’une contribution substantielle à l’activité en question. La même conclusion a été dégagée par la Cour d’appel fédérale dans Kanagendren (autorisation de pourvoi à la CSC refusée, 36508, 19 novembre 2015).

[70]           Pour tous ces motifs, j’arrive à la conclusion que la décision de la SI était raisonnable et, par conséquent, que la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

Question certifiée

[71]           Le demandeur soumet la question suivante pour certification au titre du paragraphe 74(d) de la LIPR :

[traduction] Est un ressortissant étranger interdit de territoire au Canada en raison de son ancienne appartenance à une organisation, en vertu de l’alinéa 34(1)(f) de la LIPR, tel que déterminé par la Section de l’Immigration du C.I.S.R., peu importe que :

a)    le ministère de la Sécurité publique et de la Protection civile du Canada n’a pas inscrit telle organisation sur sa liste d’entités terroristes?

b)    le gouvernement du Canada a des relations diplomatiques bilatérales et soutient financièrement cette organisation?

(L’accent et le souligné dans l’avis du demandeur).

[72]           Le défendeur s’oppose à la demande de certifier une question et fait valoir que la question ne respecte pas le critère établi dans Varela c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 145 [Varela].

[73]           Pour satisfaire au critère de la certification, il s’agit de déterminer s’il existe une question ayant des conséquences importantes et de vaste portée qui serait déterminante quant à l’issue de l’appel et qui transcende les intérêts des parties au litige (Zhang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CAF 168, paragraphe 9; Varela, aux paragraphes 28 à 30; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Zazai, 2004 CAF 89, paragraphe 11).

[74]           Tel que noté ci­dessus, l’inscription d’une entité n’est pas exhaustive, car, même si elle n’est pas inscrite, elle peut quand même satisfaire à la définition d’un groupe terroriste au sens de l’article 83.01(1) du Code criminel. En outre, la LIPR ne relie pas les organisations sujettes à l’alinéa 34(1)(f) qui se livrent, se sont livrées ou se livreront au terrorisme à la définition du Code criminel d’un groupe terroriste inscrit. Et, les décisions de cette Cour ont conclu que la liste n’est qu’un indice qu’une organisation se livre, s’est livrée ou se livrera à des activités terroristes (Karakachian, au paragraphe 40; NK aux paragraphes 80 et 102; Mirmahaleh, au paragraphe 21). En fin de compte, le caractère raisonnable d’une décision d’interdiction de territoire est largement tributaire de la preuve documentaire au dossier. Par conséquent, à mon avis, la question posée par le demandeur n’est pas déterminante.

[75]           En outre, la décision d’entretenir des relations diplomatiques avec une organisation gouvernementale, de lui fournir du financement ou d’inviter son dirigeant au Canada diffère grandement du type de processus décisionnel administratif requis de la SI aux termes de la LIPR. En comparant les deux types de décisions et en tentant d’en réfuter un en se fondant sur le résultat de l’autre est inutile et n’amène pas de question à certifier. Autrement dit, les relations diplomatiques passées du gouvernement du Canada avec Arafat et l’OLP ne sont pas pertinentes à l’interprétation de l’alinéa 34(1)(f) de la LIPR dans ces circonstances.

[76]           Pour ces motifs, je refuse de certifier la question proposée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.      Aucuns dépens ne sont adjugés.

3.      La question proposée par le demandeur n’est pas certifiée.

« Cecily Y. Strickland »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2827-15

 

INTITULÉ :

AKRAM MUSLIH ANTEER c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 25 janvier 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE STRICKLAND

 

DATE DU JUGEMENT :

Le 22 février 2016

 

COMPARUTIONS :

Marc J. Herman

 

Pour le demandeur

 

Kareena Wilding

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Herman & Herman

Avocats­procureurs

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous­procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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