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Date : 20160211


Dossier : T-1892-13

Référence : 2016 CF 185

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 11 février 2016

En présence de monsieur le juge Brown

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

demandeur

 

et

KAMRAN MODARESI

(ALIAS KAMRAN LADBON)

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS :

I.                   La nature et l’historique procédural de l’affaire

[1]               Il s’agit de requêtes de procès sommaire d’une poursuite en vertu de la règle 216 des Règles des cours fédérales, DORS/98­106 [les Règles], présentées par le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration [le demandeur ou le ministre] et Kamran Modaresi [l’intimé ou le défendeur]. Le ministre sollicite une ordonnance en vertu de l’alinéa 18(1)(b) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C­29, comme abrogée [Loi sur la citoyenneté], que le défendeur a obtenu sa citoyenneté canadienne par fraude ou fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels. Le ministre présente sa requête dans le cadre d’une poursuite en vertu de l’article 18 de la Loi sur la citoyenneté et de la règle 169(a) des Règles des cours fédérales, DORS/2004­283. Le ministre plaide et invoque les articles 10, 18 (abrogé) et 22 de la Loi sur la citoyenneté. L’intimé, qui s’est représenté lui­même, présente une requête de jugement sommaire pour que les accusations du ministre « soient rejetées ».

[2]               Le 13 avril 2012 ou aux environs de cette date, le ministre a signifié un avis au défendeur selon lequel il avait l’intention de faire rapport au gouverneur en Conseil au sens de l’article 10 de la Loi sur la citoyenneté, recommandant que la citoyenneté canadienne du défendeur soit révoquée au motif qu’il a obtenu la citoyenneté canadienne par fraude ou fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels.

[3]               Le 3 mai 2012 ou aux environs de cette date, le défendeur a demandé, en vertu de l’alinéa 18(1)(b) de la Loi sur la citoyenneté, que son affaire soit déférée devant cette Cour. En conséquence, cette poursuite a été entreprise par le ministre demandeur le 15 novembre 2013.

Note de procédure

[4]               Au début de l’audience, j’ai soulevé avec les parties la question à savoir si la lettre de mandat du nouveau Premier ministre au nouveau ministre de l’Immigration, des réfugiés et de la Citoyenneté rendrait la présente instance théorique. La requête présentée par le ministre et la présente poursuite constituent les étapes d’un processus par lequel le gouvernement peut déchoir de sa citoyenneté canadienne une personne ayant une double nationalité. La lettre de mandat du Premier ministre de novembre 2015 indiquait qu’il s’attendait à ce que le nouveau ministre [traduction] « travaille avec le ministre de la Justice et le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile pour abroger les dispositions de la Loi sur la citoyenneté qui donnent au gouvernement le droit de déchoir de sa citoyenneté une personne ayant une double nationalité ». Sur ce fondement, le défendeur a présenté ce que j’ai cru être une requête en ajournement. Cependant, après avoir entendu les arguments, j’ai procédé avec les requêtes de procès sommaire, mais encouragé l’avocat du ministre à solliciter des instructions et des conseils. Ce qu’il a fait par lettre datée du 11 décembre 2015, qui indiquait que le procureur général du Canada ne disposait d’aucune information ou attente voulant que toute proposition de modification législative touchant la Loi sur la citoyenneté mentionnée dans la lettre de mandat s’applique au défendeur ou à la présente instance, et que toute modification s’applique aux personnes reconnues coupables d’infractions relatives à la sécurité nationale ou de s’être engagées dans un conflit armé avec le Canada tel qu’édicté dans le projet de loi C­24. Sur ce fondement, il ne semble pas que cette affaire soit théorique et par conséquent, la Cour doit décider s’il convient d’y donner suite.

Résumé de l’affaire et de la procédure

[5]               Le défendeur est né en Iran. Il est originalement arrivé au Canada de la Suisse en mai 1988 sous le nom de Kamran Ladbon, un faux nom. Son vrai nom est Kamran Modaresi, comme il est indiqué dans l’intitulé de la cause. Il a revendiqué le statut de réfugié en 1988. Sa demande a été rejetée le 10 juin 1994 au motif qu’il n’était pas crédible, en partie à cause des contradictions sur son nom. Au cours du processus de demande de reconnaissance du statut de réfugié, on a découvert que son vrai nom est Kamran Modaresi. Non seulement ses deux noms sont différents, mais encore les dates de naissance associées à ces noms diffèrent de cinq ans. Au cours de ses nombreux rapports avec les représentants canadiens, tant fédéraux que provinciaux, le défendeur a utilisé plusieurs autres noms étant des variantes proches ou des combinaisons de ses faux et vrais noms.

[6]               Le défendeur bénéficie d’une pension d’invalidité complète et est âgé de 55 ans. Il a un fils né de sa seconde épouse, et une fille qui est adolescente née de sa troisième femme.

[7]               Le défendeur reconnaît essentiellement avoir fait de nombreuses fausses déclarations. En effet, après que sa double identité eut été découverte, il a plaidé coupable à des accusations en vertu de l’alinéa 94(1)(b) de l’ancienne Loi sur l’Immigration, L.R.C. 1985, ch. I­2 [Loi sur l’Immigration], pour avoir sciemment fait des déclarations fausses ou trompeuses dans le cadre de sa demande de résidence permanente et à son retour au Canada. Les déclarations qu’il a faites sur son formulaire de demande de résidence permanente constituent l’un des deux fondements pertinents de cette poursuite en vertu du paragraphe 10(2) de la Loi sur la citoyenneté. Les déclarations que le défendeur a faites dans sa demande de citoyenneté canadienne constituent l’autre fondement de cette poursuite.

[8]               Le défendeur nie les allégations de fausse déclaration ou fraude ou de dissimulation intentionnelle dans le cadre de ses demandes de résidence permanente et de citoyenneté canadienne. Pour les motifs qui suivent, je rejette les divers arguments qu’il invoque en défenses pour démontrer que ce qu’il dit est vrai ou faux, parce que ses arguments sont illogiques et spécieux.

[9]               Je rejette également sa demande de suspension d’instance fondée sur l’abus de procédure, parce qu’il n’y avait ni retard excessif causé par l’État ni préjudice important subi par le défendeur; en d’autres termes, il n’a pas établi le fondement juridique d’une suspension fondée sur l’abus de procédure.

[10]           Je décris en détail ci­dessous dans mon analyse le long historique de son immigration et de ses antécédents criminels. Qu’il suffise de dire que j’ai conclu que le défendeur a obtenu sa résidence permanente et la citoyenneté canadienne par la fraude ou par de fausses déclarations, ou par la dissimulation intentionnelle de faits essentiels. Par conséquent, le demandeur se voit accorder un jugement sommaire et la réparation et la déclaration demandées. La requête du demandeur pour jugement sommaire est accordée, mais sa demande sur le fond est rejetée.

[11]           Je me propose d’exposer les principes juridiques applicables et ensuite de les appliquer aux faits de l’espèce pour arriver à une décision.

Aucune véritable question nécessitant l’instruction d’une poursuite : les deux propositions de jugement sommaire sont accordées

[12]           À mon avis, il n’y a pas de véritable question litigieuse justifiant un procès visant à trancher sur les faits ou le droit à l’égard des positions du ministre ou du défendeur. Les faits pertinents sont essentiellement admis par le défendeur. L’affaire doit presque entièrement être déterminée sur le fondement de la preuve documentaire, notamment les affidavits et les pièces déposées par les parties. Les règles de droit applicables ne sont pas contestées, bien que leur application aux faits soit évidemment contestée. Par conséquent, les requêtes présentées par les deux parties pour jugement sommaire sont accordées.

II.                Principes juridiques concernant le paragraphe 10(1) de la Loi sur la citoyenneté

[13]           Cette poursuite est intentée en vertu de l’article 10 de la Loi sur la citoyenneté dont la partie pertinente se lit comme suit :

10 (1) Sous réserve du seul article 18, le gouverneur en conseil peut, lorsqu’il est convaincu, sur rapport du ministre, que l’acquisition, la conservation ou la répudiation de la citoyenneté, ou la réintégration dans celle­ci, est intervenue sous le régime de la présente loi par fraude ou au moyen d’une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels, prendre un décret aux termes duquel l’intéressé, à compter de la date qui y est fixée:

10(1) Subject to section 18 but notwithstanding any other section of this Act, where the Governor in Council, on a report from the Minister, is satisfied that any person has obtained, retained, renounced or resumed citizenship under this Act by false representation or fraud or by knowingly concealing material circumstances, …

a) soit perd sa citoyenneté;

….

10(2) Est réputée avoir acquis la citoyenneté par fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels la personne qui l’a acquise à raison d’une admission légale au Canada à titre de résident permanent obtenue par l’un de ces trois moyens.

(a) the person ceases to be a citizen, …

as of such date as may be fixed by order of the Governor in Council with respect thereto.

10(2) A person shall be deemed to have obtained citizenship by false representation or fraud or by knowingly concealing material circumstances if the person was lawfully admitted to Canada for permanent residence by false representation or fraud or by knowingly concealing material circumstances and, because of that admission, the person subsequently obtained citizenship.

[14]           Pour avoir droit à la réparation qu’il sollicite, le ministre doit établir, selon la prépondérance des probabilités, que le défendeur a obtenu sa citoyenneté canadienne au moyen de fausses déclarations ou de fraude ou de la dissimulation intentionnelle dans sa demande de résidence permanente (paragraphe 10(2)) et/ou sur sa demande de citoyenneté (paragraphe 10(1)): Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Laroche, 2008 CF 528, au paragraphe 20; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Schneeberger, 2003 CF 970 [Schneeberger], aux paragraphes 20 à 26; et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Houchaine, 2014 CF 342, aux paragraphes 17 et 18. Dans la mesure où le paragraphe 10 (2) est concerné, le ministre doit prouver selon la prépondérance des probabilités, que le défendeur a obtenu sa citoyenneté canadienne parce que le défendeur a été légalement admis comme résident permanent par la fraude ou de fausses déclarations ou par la dissimulation intentionnelle de faits essentiels. La norme de prépondérance des probabilités est respectée si la preuve établit qu’il est plus probable qu’improbable que quelque chose se soit produit. En d’autres mots, la Cour doit être convaincue qu’un événement ou un fait en litige n’est pas seulement possible, mais probable : Rogan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1007 [Rogan], aux paragraphes 27 à 29 : « Cela dit, à cause de la gravité des allégations et des conséquences graves que peut entraîner l’annulation de la citoyenneté pour M. Rogan, la preuve doit être examinée avec le plus grand soin : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Schneeberger, 2003 CF 970, [2004] 1 R.C.F. 280, au paragraphe 25; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Coomar, 1998 CF 949, 159 F.T.R. 37, [1998] A.C.F. no 1679, au paragraphe 10 (C.F. 1re inst.); Skomatchuk, précité, au paragraphe 24 ».

[15]           La Cour suprême a confirmé qu’une représentation inexacte d’un fait essentiel englobe une déclaration contraire à la vérité, la dissimulation d’un renseignement véridique, ou une réponse trompeuse qui a pour effet d’exclure ou d’écarter d’autres enquêtes : Canada (Ministre de la main­d’œuvre et de l’Immigration) c. Brooks, [1974] R.C.S. 850 [Brooks], à la page 873 :

Afin d’éliminer tout doute à ce sujet résultant des motifs de la Commission, je rejetterais la prétention selon laquelle, pour qu’il y ait caractère important sous le régime du sous­al. (viii) de l’al. e) du par. (1) de l’art. 19, la déclaration contraire à la vérité ou le renseignement trompeur donnés dans une réponse doivent être de nature à avoir caché un motif indépendant d’expulsion. La déclaration contraire à la vérité ou le renseignement trompeur peuvent ne pas avoir semblable effet et, cependant, avoir été des facteurs qui ont déterminé l’admission. La preuve faite en l’espèce, selon laquelle certaines réponses inexactes n’auraient eu aucun effet sur l’admission d’une personne, est évidemment pertinente quant à la question du caractère important. Mais est aussi pertinente la question de savoir si les déclarations contraires à la vérité ou les réponses trompeuses ont eu pour effet d’exclure ou d’écarter d’autres enquêtes, même si aucun motif indépendant d’expulsion n’eut été découvert par suite de ces enquêtes.

[16]           L’information qui a été dissimulée doit être de caractère essentiel, ce qui est une question qui dépend de leur contexte : Brooks au paragraphe 52, Rogan aux paragraphes 31, 34, 35; généralement les fausses déclarations que l’on dit « innocentes » n’autorisent pas le ministre à se voir accorder la déclaration qu’il ou elle pourrait solliciter en vertu de l’article 10 de la Loi sur la citoyenneté: voir Schneeberger au paragraphe 26:

Il faut établir davantage qu’une transgression technique de la Loi. Une fausse déclaration faite innocemment ne doit pas entraîner la révocation de la citoyenneté. : Canada (Ministre du Multiculturalisme et de la Citoyenneté) c. Minhas (1993), 66 F.T.R. 155 (C.F. 1re inst.).

[17]           Malgré tout, les fausses déclarations que l’on dit « innocentes » doivent être examinées attentivement. L’« aveuglement délibéré », lorsque pratiqué par un demandeur de citoyenneté canadienne dans le contexte de sa demande, ne doit pas être toléré : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Phan, 2003 CF 1194, au paragraphe 33 :

Je partage la préoccupation précédemment énoncée à l’égard de l’application de la décision Minhas. Je suis préoccupé par le fait que le principe tiré de cette décision par la juge Dawson selon laquelle « une fausse déclaration faite innocemment ne doit pas entraîner la révocation de la citoyenneté » est trop large. Je suis convaincu qu’une fausse déclaration qu’on estime avoir été faite « innocemment » doit être examinée attentivement. L’» aveuglement délibéré », lorsque pratiqué par un demandeur de citoyenneté canadienne dans le contexte de sa demande, ne doit pas être toléré. Le demandeur de citoyenneté tente d’obtenir un privilège important. Dans ce cas, le demandeur de citoyenneté, lorsqu’il est dans une situation de doute, devrait invariablement, au risque de se tromper, tout divulguer au juge de la citoyenneté ou au fonctionnaire de la citoyenneté.

[18]           Une omission innocente de fournir des renseignements importants peut mener à une conclusion d’interdiction de territoire : Baro c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1299 [Baro], au paragraphe 15 sur l’obligation de franchise :

… Même une omission innocente de fournir des renseignements importants peut mener à une conclusion d’interdiction de territoire; par exemple, la demanderesse qui omet d’inclure la totalité de ses enfants dans sa demande peut être interdite de territoire : Bickin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. No 1495 (C.F. 1re inst.) (QL). Il y a toutefois une exception si les demandeurs peuvent montrer qu’ils croyaient honnêtement et raisonnablement ne pas dissimuler des renseignements importants : Medel c. Canada (Ministre de l’emploi et de l’Immigration), [1990] 2 C.F. 345, [1990] A.C.F. No 318 (C.A.F.) (QL).

[19]           Il est bien établi qu’un étranger cherchant à entrer au Canada a une « obligation de franchise » qui exige la divulgation de faits essentiels. Cette obligation est déterminée par les circonstances. Cette obligation impose au défendeur de répondre honnêtement et complètement à chaque question qui lui est posée dans ses demandes de Citoyenneté et de résidence permanente. Cette obligation est renforcée par voie législative par le paragraphe 9(3) de l’ancienne Loi sur l’Immigration qui stipule que « Toute personne doit répondre franchement aux questions de l’agent des visas et produire toutes les pièces qu’exige celui­ci pour établir que son admission ne contreviendrait pas à la présente loi ni à ses règlements ». Voir Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Savic, 2014 CF 523 au paragraphe 51) :

Cette disposition a pour but de veiller à ce que l’omission de fournir des renseignements essentiels ou le fait de fournir de faux renseignements ne facilite pas pour le demandeur l’obtention du statut de résident permanent et la citoyenneté. Le décideur se fonde sur les renseignements fournis. Les demandeurs sont tenus de fournir les renseignements demandés, d’être honnêtes et devraient savoir que ces renseignements seront utilisés et risquent d’empêcher d’autres enquêtes.

Et voir la Loi sur l’Immigration, paragraphe 9(3) (voir aussi le paragraphe 12(4) au sujet de l’obligation de répondre aux questions dans les demandes d’établissement); Bodine c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 848, aux paragraphes 41 et 42; et Baro au paragraphe 15.

[20]           Je note que rien n’empêche le gouverneur en Conseil de considérer la situation actuelle du défendeur, y compris les considérations d’ordre humanitaires qui peuvent être utiles à l’exercice du pouvoir discrétionnaire du Conseil pour déterminer s’il faut révoquer sa citoyenneté. Cependant, ces facteurs ne touchent pas l’analyse requise par cette Cour en vertu de l’article 10 de la Loi sur la citoyenneté. Cette Cour a affirmé dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Dinaburgsky, 2006 CF 1161 [Dinaburgsky], au paragraphe 58 que ces décisions ne relèvent que du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et du gouverneur en Conseil :

Le Canada ne permet pas aux personnes qui ont été déclarées coupables d’actes criminels graves d’obtenir le statut de résident permanent. Il n’appartient pas à la Cour d’accepter les personnes qui ont caché ou dissimulé des faits essentiels concernant des crimes graves perpétrés par le passé. Cette décision n’appartient qu’au ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et au gouverneur en conseil.

Et voir Savic aux paragraphes 7 à 9 :

[7]        Le défendeur en l’espèce soutient que le gouverneur en Conseil accepte invariablement les conclusions de la Cour, et que celles­ci entraîneront la révocation de la citoyenneté; le défendeur aura toutefois la possibilité de présenter des observations au gouverneur en conseil. Il n’est pas interdit au gouverneur en Conseil de prendre en considération la situation actuelle du défendeur, laquelle pour être un élément pertinent dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré pour décider s’il doit révoquer la citoyenneté, mais qui ne modifie pas les faits établis par le demandeur relativement à l’article 10 de la Loi.

[8]        Le juge Kelen a fait les remarques suivantes dans le jugement Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Dinaburgsky, 2006 CF 1161, [2006] FCJ no 1460 :

58        Le Canada ne permet pas aux personnes qui ont été déclarées coupables d’actes criminels graves d’obtenir le statut de résident permanent. Il n’appartient pas à la Cour d’accepter les personnes qui ont caché ou dissimulé des faits essentiels concernant des crimes graves perpétrés par le passé ou de leur accorder un pardon. Cette décision n’appartient qu’au ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et au gouverneur en conseil Il n’appartient pas non plus à la Cour de déterminer si, sur le plan des principes, il est opportun de rendre apatrides des citoyens canadiens qui choisissent de ne pas divulguer les condamnations criminelles prononcées contre eux avant leur admission au Canada. Il s’agit d’une décision qui appartient au Parlement agissant par l’entremise du gouverneur en conseil.

[9]        Les remarques du juge Kelen s’appliquent également à la présente affaire; il n’appartient pas à la Cour de décider si le défendeur, une personne maintenant âgée dont la santé est fragile, doit subir les conséquences de la perte de sa citoyenneté. C’est un rôle qui incombe au gouverneur en conseil. Le rôle de la Cour porte uniquement sur la question de savoir si, aux termes de l’article 10 de la Loi, il y a lieu de rendre un jugement déclaratoire.

III.             Aperçu des faits

[21]           Ce qui suit, en ordre chronologique, constitue les faits et mes conclusions en ce qui concerne les fausses déclarations et la dissimulation consciente et la fraude, tel qu’interprété ci­dessus, en vertu de l’article 10 de la Loi sur la citoyenneté.

[22]           Le défendeur admet que son véritable nom légal est Kamran Modaresi. Il a quitté l’Iran en 1986 ou vers 1986 et est arrivé en Suisse, où il a déposé une demande d’asile. Il a quitté la Suisse pour le Canada avant que sa revendication du statut de réfugié ait été examinée.

[23]           Le défendeur est entré au Canada à l’aéroport international de Vancouver en mai 1988. Il a donné comme nom « Kamran Ladbon » (un faux nom) et a dit que sa date de naissance était le 9 octobre 1965 (également faux). Citoyenneté et Immigration Canada [CIC] a ouvert un dossier en ligne dans son Système de soutien des opérations des bureaux locaux (SSOBL) au nom de « Kamran Ladbon » et en utilisant la date de naissance de 1965 sous le numéro d’identification SSOBL (SSOBL no ID) 2426­4719. Le défendeur a reconnu dans la présente instance que tant ce nom que cette date de naissance sont faux, et je conclus de même.

[24]           Le défendeur a ensuite déposé une demande de statut de réfugié au sens de la Convention en 1988. Bien qu’il ait déposé deux formulaires de renseignements personnels [FRP] en utilisant le nom « Kamran Ladbon » (son faux nom), auprès de la Section de la protection des réfugiés [SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, il a déclaré que son vrai nom était « Kamran Modaressi ». La SPR a rejeté sa demande en citant de nombreuses questions de crédibilité, notamment le fait qu’il utilisait deux noms : « Kamran Ladbon » (faux) et « Kamran Modaressi » (un faux nom bien qu’une variante de son vrai nom de famille qui est Modaresi) et deux dates de naissance différentes, 1965 et 1960. La Commission le cite dans ses motifs alors qu’il admet avoir menti sur son identité et présente des excuses pour avoir menti lorsqu’il est arrivé au Canada et a déposé sa demande auprès de la SPR.

[25]           Le défendeur, utilisant le faux nom de « Kamran Ladbon », a épousé une ressortissante iranienne, Vida Dara, le 6 août 1989, à Vancouver, en Colombie­Britannique. Il divorce de Mme Dara le 20 août 1989.

[26]           En 1992, et en attendant l’audition de sa demande d’asile, le défendeur a déposé la première de ses trois demandes de résidence permanente, sous le faux nom « Kamran Ladbon » en utilisant la date de naissance du 9 octobre 1965, également fausse.

[27]           En décembre 1992, le défendeur, sous le faux nom « Kamran Ladbon » a été accusé dans l’État de Washington, aux États­Unis, de possession de marijuana et d’avoir omis de comparaître devant le Tribunal, après avoir été libéré sous caution personnelle. Ces accusations restent en suspens. Le défendeur a plus tard nié l’existence d’accusations en suspens (voir les paragraphes 41F et 47F).

[28]           En décembre 1992, dans un incident distinct au Canada, le défendeur utilisant le faux nom de « Kamran Ladbon » a été reconnu coupable de possession d’un stupéfiant (marijuana), en contravention du paragraphe 3(1) de l’ancienne Loi sur les stupéfiants, la RS 1985, ch. N­1 et a donc été déclaré interdit de territoire au Canada en vertu de l’alinéa 19(2)(a) de l’ancienne Loi sur l’Immigration. Cela s’avère pertinent parce que le défendeur a plus tard nié avoir été reconnu coupable (voir paragraphe 41F). Je constate que le défendeur a utilisé le faux nom de « Ladbon » auprès de la police et du tribunal.

[29]           En mai 1993, le défendeur, sous le faux nom « Kamran Ladbon­Modaresi » a épousé Mary­Ann Morley à Vancouver, en Colombie­Britannique. Le défendeur et Mme Morley ont eu un fils né à Vancouver en octobre 1994. Le fait que le défendeur est marié et a un enfant est pertinent parce que le défendeur a plus tard nié être marié et avoir des enfants (voir paragraphes 41D et 41E).

[30]           Tel que noté ci­dessus, la SPR a rejeté la demande d’asile du défendeur le 10 juin 1994.

[31]           Le 16 juin 1994, une mesure d’interdiction de séjour conditionnelle a été prise contre le défendeur sous le faux nom « Kamran Ladbon » en vertu de l’alinéa 32.1(5) de l’ancienne Loi sur l’Immigration. La mesure d’interdiction de séjour conditionnelle est devenue une mesure d’interdiction de séjour exécutoire en vertu de l’alinéa 32.1(6)(c) de cette Loi lorsque le défendeur a été avisé de la décision de la SPR selon laquelle il n’était pas un réfugié au sens de la Convention. La mesure d’interdiction de séjour est par la suite devenue une mesure d’expulsion en vertu de l’alinéa 32.02(1) de l’ancienne Loi sur l’Immigration. Cela est pertinent parce que le demandeur a plus tard nié être visé par une mesure d’expulsion (voir le paragraphe 41I).

[32]           En novembre 1994, le défendeur a déposé une demande (la première de trois) de visa de résidence permanente fondée sur des circonstances d’ordre humanitaire [CH]. Dans sa demande, le défendeur a déclaré que :

A.                Son nom était « Kamran Modaresi », et que sa date de naissance était le 9 octobre 1960;

B.                 Il vivait au Canada depuis le 2 mai 1988;

C.                 Il était marié à Mary­Ann Morley;

D.                Il avait été reconnu coupable d’un crime au Canada pour lequel il n’avait reçu un pardon;

E.                 Il avait été accusé d’un crime ou d’un délit au Canada;

F.                  Il avait été interdit de territoire au Canada, ou dans tout autre pays, ou enjoint de quitter le Canada, ou tout autre pays.

[33]           La demande a été refusée le 21 avril 1995, en raison des fausses déclarations du défendeur et de son manque de crédibilité à l’audience. Cela s’avère pertinent parce que le défendeur a plus tard nié avoir présenté une demande (paragraphe 41G) de visa ou s’être vu refuser un visa (voir le paragraphe 41H).

[34]           Le 1er juillet 1995, le défendeur, sous le faux nom de « Kamran Ladbon », a été accusé d’avoir agressé sa seconde épouse, Mary­Ann Morley. Le 22 septembre 1995, il a été trouvé non coupable d’agression, mais reconnu coupable d’avoir omis de se conformer à une condition d’une promesse remise à un juge de paix ou un juge ou à son engagement contracté devant lui, en violation du paragraphe 145(3) du Code criminel, RS, 1985 ch. C­46 et condamné à une probation d’un an, avec des conditions. Cela s’avère pertinent parce que le demandeur a par la suite nié avoir été accusé ou reconnu coupable (voir le paragraphe 41F); je note qu’il a utilisé son faux nom auprès des autorités, y compris la police et le tribunal.

[35]           Le 30 novembre 1995, le défendeur, à nouveau sous le nom « Kamran Ladbon », a été déclaré coupable de :

                    harcèlement criminel de Mme Morley en vertu de l’article 264 du Code criminel;

                    défaut de se conformer aux conditions d’une ordonnance de probation, conformément au paragraphe 740(1) du Code pénal;

                    possession d’un stupéfiant, conformément au paragraphe 3(1) de la Loi sur les stupéfiants.

[36]           Je note l’utilisation de son faux nom auprès de la police et des tribunaux. Le 15 mars 1996, le défendeur a reçu une sentence de trois (3) mois de prison et de trois (3) ans de probation pour ces condamnations. Cela s’avère pertinent parce que le demandeur a par la suite nié avoir été inculpé, condamné ou sous probation (voir les paragraphes 41F et 47E).

[37]           Deux mois plus tard, le 6 mai 1996 ou aux environs de cette date, le défendeur, en utilisant le faux nom de « Kamran Modaressi Ladbon » (combinaison de faux et vrai noms – deux « s » plutôt qu’un seul) a déposé une demande d’autorisation de contrôle judiciaire devant cette Cour à l’encontre de la mesure d’interdiction de séjour émise le 16 juin 1994, alors exécutoire le 16 mai 1996. Simultanément, le défendeur a déposé un avis de requête pour obtenir la suspension de l’exécution de sa mesure de renvoi du Canada. Dans l’affidavit à l’appui de cette requête, le défendeur a entre autres juré que :

A.                Il est arrivé au Canada en août 1988.

B.                 Il a présenté une demande d’asile en Suisse avant d’arriver au Canada.

C.                 Au Canada, il avait été reconnu coupable de possession de marijuana.

D.                Il était marié à Mary­Ann Morley et avait un fils.

E.                 Il a été accusé de manquement à une ordonnance de probation lui interdisant tout contact avec Mme Morley.

F.                  Il a été condamné pour harcèlement criminel de Mme Morley en vertu de l’article 264 du Code criminel.

[38]           Le juge McKeown, un juge de cette Cour, a rejeté la requête du défendeur pour obtenir une ordonnance de sursis datée du 23 mai 1996. Toutefois, la Cour a ordonné à CIC de faire une nouvelle détermination de demandeur non reconnu du statut de réfugié au Canada [DNRSRC] et de ne pas prendre de nouvelles mesures de renvoi à l’égard du défendeur en attendant l’achèvement du processus de DNRSRC. CIC a déterminé que le défendeur ne faisait pas partie de la catégorie des DNRSRC le ou vers le 18 décembre 1996.

[39]           Le défendeur a volontairement quitté le Canada pour la Suisse en décembre 1996 ou en janvier 1997. En avril 1997, CIC a lancé un mandat d’arrestation à l’égard du défendeur, sous le nom « Kamran Modaressi­Ladbon », en vertu du paragraphe 103(1) de l’ancienne Loi sur l’Immigration. Le défendeur affirme qu’il n’avait pas été informé de cela. Son avocat a informé les agents d’immigration que le défendeur avait quitté le Canada.

[40]           Vers juillet 1997 ou aux environ de cette date, le défendeur, sous son vrai nom « Kamran Modaresi », épouse Mhenowah Meyhar, une citoyenne canadienne, en Turquie. Deux ans plus tard, le 20 juillet 1999, le défendeur épouse Mme Meyhar à nouveau, cette fois au Canada, mais en utilisant le faux nom de « Kamran Ladbon ». Cela s’avère pertinent parce qu’il a continué à utiliser un faux nom en plus de son vrai nom; un faux nom au Canada, son vrai nom en Turquie.

[41]           Le 17 novembre 1997 ou aux environs de cette date, le défendeur, sous son vrai nom « Kamran Modaresi », a déposé une autre (sa deuxième) demande de résidence permanente. Il dit qu’il a fait cette demande à l’ambassade du Canada en Iran, bien que le ministre soutienne que c’était à Damas, en Syrie. Sa demande était parrainée par son épouse, Mhenowah Meyhar. Dans sa demande, datée du 9 novembre 1997, le défendeur a fait valoir les faits suivants. Il a plus tard plaidé coupable à des accusations d’avoir sciemment fait des déclarations fausses ou trompeuses dans cette demande :

A.                Son nom était « Kamran Modaresi », et sa date de naissance était le 9 octobre 1960; c’était la vérité.

B.                 Il n’avait utilisé aucun autre nom; il s’agit, à mon avis, d’une fausse déclaration importante et cela constitue également une dissimulation de faits essentiels parce que les enquêtes sur l’histoire et les dossiers de « Kamran Ladbon » ont été évités du fait qu’il a nié avoir utilisé ce nom. Il avait utilisé plusieurs autres noms dont principalement « Kamran Ladbon ».

C.                 Il avait été barbier en Iran pendant les dix années précédentes; il s’agissait aussi d’une fausse déclaration importante et je considère également que cela constituait une dissimulation de faits essentiels parce que des enquêtes sur qui il était vraiment et ce qu’il avait fait au Canada entre 1988 et 1996 ont ainsi été évitées.

D.                Il n’avait pas d’enfants; il s’agissait d’une fausse déclaration importante et constituait aussi une dissimulation de faits essentiels du fait que des enquêtes sur son précédent mariage avec Mary­Ann Morley, avec qui il a eu un fils, ont été évitées (voir le paragraphe 29). Pour ce mariage, il a utilisé le faux nom de « Kamran Ladbon­Modaresi ».

E.                 Il n’avait pas été marié avant son mariage avec Mme Meyhar; en fait, il avait été marié deux fois auparavant, une fois à Mme Dara (voir le paragraphe 25) puis à Mary­Ann Morley (voir le paragraphe 29): au premier mariage, il a utilisé le faux nom « Kamran Ladbon », et au second mariage, il a utilisé le faux nom de « Kamran Ladbon­Modaresi ». Il s’agissait d’une fausse déclaration importante et cela constituait aussi une dissimulation de faits essentiels parce que des enquêtes ont été évitées touchant ses dossiers et ses activités en tant que « Kamran Ladbon », c’est­à­dire, sa vie et son dossier sous le faux nom « Ladbon ».

F.                  Il n’avait jamais été déclaré coupable de crime ou de délit ni n’était à ce moment accusé de quoi que ce soit; il s’agissait d’une déclaration grossièrement fausse. À cette époque, il avait été inculpé de six crimes ou délits et reconnu coupable de cinq d’entre eux, tous sous le faux nom de « Kamran Ladbon » (voir paragraphes les 27, 28, 34, 35 et 36). Cette déclaration constituait une fausse déclaration parce que des enquêtes sur les activités et les dossiers de « Kamran Ladbon » ont été évitées.

G.                Il n’avait jamais auparavant fait de demande de visa d’immigrant ou de visiteur au Canada ni dans aucun autre pays; il s’agissait d’une fausse déclaration puisqu’il avait fait une demande de visa d’immigrant au Canada en novembre 1994 (voir le paragraphe 32). Les deux demandes de résidence permanente ont été faites sous le vrai nom de « Modaresi ».

H.                Il ne s’était jamais vu refuser un visa d’immigrant ou de visiteur au Canada ni dans aucun autre pays; c’était une autre fausse déclaration et, à mon avis, importante parce que sa demande de 1994 (voir le paragraphe 33) a été rejetée en raison de ses fausses déclarations et de son manque de crédibilité. À mon avis, cela constituait une dissimulation de faits essentiels importante puisqu’il a ainsi tenté d’éviter des enquêtes sur le rejet de sa demande précédente et ses causes.

I.                   Il n’avait jamais été interdit de territoire au Canada ni dans aucun autre pays, ou enjoint de quitter le Canada ni aucun autre pays. Il savait qu’une mesure d’interdiction de séjour conditionnelle avait été prise contre lui (voir le paragraphe 31), c’est pourquoi il a quitté le Canada. Il s’agissait d’une fausse déclaration importante et cela constituait aussi une dissimulation de faits essentiels parce que des enquêtes ont été évitées entourant les circonstances ayant mené à une mesure d’interdiction de séjour conditionnelle contre lui sous son faux nom de « Kamran Ladbon ». Par une telle dissimulation de faits essentiels, des enquêtes ont été évitées dans les dossiers et les activités du défendeur sous le faux nom de « Ladbon ».

[42]           Dans sa demande de résidence permanente, le défendeur a déclaré ce qui suit :

Je déclare que les renseignements que j’ai donnés dans la présente demande sont véridiques, complets et exacts.

Je reconnais que toute fausse déclaration de ma part ou dissimulation d’un fait important pourra entraîner mon exclusion du Canada et constituer des motifs à des poursuites contre moi ou à mon renvoi.

...

J’ai compris toutes les déclarations précédentes, ayant, au besoin, demandé et obtenu une explication de chacun des points que je ne comprenais pas bien.

[43]           À mon avis, cette déclaration de résidence permanente constituait une fausse déclaration et une dissimulation d’un fait dans la mesure où elle attestait la véracité des fausses déclarations et de la dissimulation des faits décrites dans les paragraphes précédents des présents motifs.

[44]           Fondée sur ces faussetés, la demande de résidence permanente du défendeur a été approuvée le 25 mars 1998 et CIC a ouvert un dossier au nom de « Kamran Modaresi », né le 9 octobre 1960, demande portant le numéro d’identification SSOBL 3466­4468.

[45]           Par la suite, le défendeur est arrivé à l’aéroport international de Vancouver le 2 mai 1998 et a obtenu son statut de résident permanent. À son arrivée, le défendeur a répondu « non » à la question « avez­vous déjà été reconnu coupable d’un crime ou d’un délit, été interdit de territoire au Canada, tenu de quitter le Canada? » Cela s’avère pertinent parce que sa réponse était fausse; à cette époque, il avait accumulé six accusations et cinq condamnations (voir paragraphes les 27, 28, 34, 35 et 36). Il s’agissait d’une fausse déclaration importante et cela constituait aussi une dissimulation de faits essentiels parce que des enquêtes ont été évitées touchant les dossiers et activités de « Kamran Ladbon », au nom duquel ces accusations et condamnations ont été répertoriées. En outre, cela a évité des enquêtes sur le fait que le défendeur, sous le nom « Kamran Ladbon », a fait l’objet d’une mesure d’interdiction de séjour conditionnelle émise en 1994 (voir le paragraphe 31). Cette dissimulation de faits essentiels a permis d’éviter des enquêtes dans les dossiers et les activités du défendeur sous le faux nom de « Ladbon ». Le défendeur a plus tard également plaidé coupable à des accusations d’avoir sciemment fait des déclarations fausses ou trompeuses à cette occasion.

[46]           En 1999, le défendeur, sous son faux nom « Kamran Ladbon », a été arrêté et inculpé à Hope, en Colombie­Britannique, à la suite d’accusations de possession et de production de drogue. Il a également été arrêté et détenu pendant un certain temps en vertu d’un mandat d’arrestation non exécuté contre lui sous le nom de « Kamran Modaressi­Ladbon ». Le 9 juin 1999 ou aux environs de cette date, le défendeur, sous le nom « Kamran Ladbon », a été reconnu coupable de l’acte criminel de production de marijuana en vertu du paragraphe 7(1) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, L.C. 1996, ch. 19 [LRDS], et condamné à un 1 jour de prison. En tant que « Kamran Ladbon », et sous le numéro d’identification SSOBL 2426­4719, il a été libéré sous certaines conditions, dont celle de communiquer régulièrement avec le CIC. Je note que la production de marijuana est un acte criminel pur, non pas une infraction mixte. Je constate que, encore une fois, le défendeur a utilisé le faux nom de « Ladbon » auprès de la police et du tribunal. Il s’agissait de sa sixième condamnation au Canada.

[47]           Le défendeur, sous le vrai nom « Kamran Modaresi », et sous le numéro d’identification SSOBL 3466­4468, a ensuite présenté une demande de citoyenneté canadienne le 8 mai 2001 ou aux environs de cette date. Dans sa demande de citoyenneté, le défendeur a déclaré ce qui suit, et mes conclusions suivent chacune de ses déclarations :

A.                Il n’avait pas utilisé d’autres noms ou pseudonymes; il s’agissait d’un mensonge flagrant. Il avait utilisé au moins trois autres noms. Cette déclaration constituait une fausse déclaration et constituait aussi une dissimulation de faits essentiels du fait que des enquêtes sur les activités et les dossiers de « Kamran Ladbon » ont été évitées.

B.                 Il est originalement arrivé au Canada en 1998; c’est tout aussi faux; il est plutôt arrivé au Canada dix ans plus tôt, en 1988 et l’a fait sous le faux nom de « Kamran Ladbon » (voir le paragraphe 23). Cette déclaration constituait une fausse déclaration importante et constituait aussi une dissimulation de faits essentiels du fait que des enquêtes sur les activités et les dossiers de « Kamran Ladbon » ont été évitées par l’utilisation du faux nom « Labdon ».

C.                 Il a vécu à Téhéran, en Iran, de mai 1965 à mai 1998; ce n’était pas vrai, parce qu’il a vécu au Canada pendant huit ans entre 1988 et 1996. Cette déclaration constituait une fausse déclaration et constituait aussi une dissimulation de faits essentiels du fait que des enquêtes sur les activités et les dossiers de « Kamran Ladbon » entre 1988 et 1996 ont été évitées.

D.                Il n’avait pas été déclaré coupable d’un acte criminel au cours des trois dernières années; ce n’était pas vrai. Le défendeur avait été déclaré coupable d’un acte criminel moins de deux ans auparavant, à savoir la production de marijuana, en vertu du paragraphe 7(1) de la LRDS, un acte criminel (voir le paragraphe 46). Il s’agissait d’une fausse déclaration importante et cela constituait aussi une dissimulation de faits essentiels parce que des enquêtes ont été évitées touchant les dossiers et activités liés à sa fausse identité de « Kamran Ladbon », au nom duquel ces accusations et condamnations ont été répertoriées.

E.                 Il n’avait pas été sous probation dans les quatre dernières années; ce n’était pas vrai. La probation reliée à ses condamnations de 1996, à laquelle il est fait référence au paragraphe 36, a duré trois ans et s’est terminée le 15 mars 1999, c’est­à­dire dans les quatre ans précédant le 8 mars 2001, date à laquelle il a fait cette fausse déclaration sur sa demande de citoyenneté. Cette déclaration constituait une fausse déclaration et constituait aussi une dissimulation de faits essentiels du fait que des enquêtes sur les activités et les dossiers de « Kamran Ladbon » ont été évitées.

F.                  Il n’y avait pas d’accusations criminelles en suspens contre lui; ce n’était pas vrai à cause des accusations de l’État de Washington (voir le paragraphe 27), ce à quoi, et étant donné que cela se situe à la limite, j’accorde cependant le bénéfice du doute au défendeur en ce qui concerne le fait que cela constitue une fausse déclaration importante ou une dissimulation de faits essentiels.

G.                Il ne faisait pas l’objet ni ne l’avait jamais fait, d’une ordonnance de renvoi du Canada; ce n’était pas vrai. Il savait qu’une mesure d’interdiction de séjour conditionnelle avait été prise contre lui (voir le paragraphe 31), c’est pourquoi il a quitté le Canada. Il s’agissait d’une fausse déclaration importante et cela constituait aussi une dissimulation de faits essentiels parce que des enquêtes ont été évitées touchant les dossiers et activités de « Kamran Ladbon », au nom duquel et contre lequel une mesure d’interdiction de séjour conditionnelle avait été prise.

[48]           Dans sa demande de citoyenneté, le défendeur a déclaré ce qui suit :

J’accepte d’aviser Citoyenneté et Immigration Canada si des renseignements sur ce formulaire changent avant que je prête le serment de citoyenneté. Je comprends le contenu de ce formulaire. Je déclare que les renseignements sont véridiques et exacts, et que les photos jointes sont effectivement des photos de moi. Je comprends que si je fais une fausse déclaration, ma citoyenneté pourrait être révoquée et je pourrais faire face à des accusations en vertu de la Loi sur la citoyenneté.

[49]           À mon avis, cette déclaration constituait une fausse déclaration et une dissimulation de faits essentiels dans la mesure où elle atteste la véracité des fausses déclarations et de la dissimulation de faits essentiels décrites dans le paragraphe précédent des présents motifs.

[50]           Le 15 novembre 2001 ou aux environs de cette date, la demande de citoyenneté canadienne du défendeur a été approuvée, et le 19 décembre 2001 ou aux environs de cette date, il a prêté le serment de citoyenneté et est devenu citoyen canadien.

[51]           En résumé, entre les années 1988 et 2010, le défendeur a maintenu deux identités d’immigration au Canada. En tant que « Kamran Modaresi », numéro d’identification SSOBL 3466­4468, il est devenu citoyen canadien en 2001, a obtenu un passeport canadien et a joui et continue de jouir des privilèges de la citoyenneté canadienne. En tant que « Kamran Ladbon », numéro d’identification SSOBL 2426­4719, il est un ressortissant iranien sans statut au Canada, qui a fait l’objet d’une mesure d’expulsion, et qui devait rendre compte régulièrement à CIC et à l’ASFC, ce qu’il a omis de faire.

[52]           Le 9 décembre 2009, le défendeur, sous le vrai nom « Kamran Modaresi », est entré au Canada à l’aéroport international de Vancouver. Les agents de l’ASFC ont trouvé et saisi, entre autres choses, des documents et des articles contenant son faux nom « Kamran Ladbon » ou étiquetés à ce faux nom. Le défendeur a nié que ces articles lui appartenaient. Toutefois, l’enquête que l’ASFC a subséquemment menée, dont une analyse des empreintes digitales, a établi que « Kamran Modaresi » et « Kamran Ladbon » étaient la même personne. Les deux numéros d’identification SSOBL ont été reliés dans les bases de données de CIC et de l’ASFC.

[53]           Après avoir terminé leur enquête, les autorités de l’immigration ont porté des accusations d’avoir sciemment fait des déclarations fausses ou trompeuses aux autorités d’immigration. Le 9 mars 2012, le défendeur a plaidé coupable à deux chefs d’accusation et a été déclaré coupable en vertu du paragraphe 91(1)(h) de l’ancienne Loi sur l’Immigration d’avoir sciemment fait des déclarations fausses ou trompeuses au cours du processus entourant sa demande de résidence permanente dans la période du 10 septembre 1997 au 26 mars 1998 (voir un aperçu de ces déclarations fausses ou trompeuses au paragraphe 41) et le 2 mai 1998 ou aux environs de cette date (voir le paragraphe 45). Le défendeur a reçu une condamnation avec sursis de neuf (9) mois à purger à son domicile. Je tiens à souligner que le défendeur a admis avoir « sciemment » fait ces déclarations fausses et trompeuses parce que cela s’avère pertinent dans ma conclusion de fraude. Il s’agissait de ses septième et huitième condamnations au Canada.

IV.             Position du défendeur

[54]           Tel que mentionné, les faits de l’espèce en ce qui concerne l’article 10 de la Loi sur la citoyenneté ne sont pas en litige. Comme mentionné précédemment, le défendeur a fait de nombreuses fausses déclarations et a sciemment dissimulé des faits essentiels dans ses rapports avec les autorités canadiennes. Nonobstant, il avoue que ses déclarations n’étaient pas vraies et a plaidé coupable à des accusations à l’égard de certaines d’entre elles, et si je comprends bien, il offre les arguments de défense suivants. Je les regroupe en deux types : les arguments de défense en vertu de l’article 10 de la Loi sur la citoyenneté et, et les arguments de défense concernant l’abus de procédure.

Arguments de défense en vertu de la Loi sur la citoyenneté

[55]           Premièrement, le défendeur prétend avoir deux noms, à savoir Kamran Ladbon (son faux nom) et Kamran Modaresi (son vrai nom). Cet argument est sans fondement, car il admet que son nom légal est Kamran Modaresi.

[56]           Deuxièmement, il soutient que bien qu’il ait dit et écrit des choses qui n’étaient pas vraies, il n’a pas fait de propos mensongers parce que le gouvernement du Canada savait qu’il avait deux identités dès 1992. À plusieurs reprises, il demande comment il pourrait avoir fait de fausses déclarations lorsque les responsables canadiens savaient qu’elles étaient fausses. Cet argument est spécieux. Ses nombreuses fausses déclarations et dissimulations de faits restent des fausses déclarations et des dissimulations de faits essentiels, peu importe ce que les autorités canadiennes savaient ou ne savaient pas sur ses vraies et fausses identités. La conduite des autorités canadiennes est traitée au titre de l’abus de procédure plus loin dans ces motifs.

[57]           Troisièmement, bien qu’il admette avoir raconté des mensonges dans les bureaux canadiens à l’étranger en 1997 (voir le paragraphe 41), il a affirmé à l’audience l’avoir fait par peur pour sa vie parce qu’il craignait que des espions iraniens le retrouvent, ce qui aurait pu lui valoir d’être puni ou tué. Il a allégué que son statut de réfugié passé constituait une information privilégiée et ne pouvait pas être divulgué à l’Iran. En se fondant sur ce qui précède, il soutient que ses fausses déclarations n’étaient pas fausses. Son argument s’effondre quand on apprécie la portée et la persistance de ses fausses déclarations et dissimulations de faits essentiels, ainsi que le fait que la plupart ont été faites à des responsables canadiens dans les deux pays, soit en Iran (ou en Turquie) et au Canada. Il n’a offert aucune apparence de vraisemblance fondée sur des preuves pour étayer sa prétendue crainte des espions iraniens dans les bureaux canadiens au Canada, me conduisant à conclure que cet aspect de sa défense est sans fondement. En tout état de cause, ses déclarations étaient fausses, comme il l’a admis.

Conclusions sur les paragraphes 10(1) et 10(2) de la Loi sur la citoyenneté

[58]           En accord avec mes conclusions ci­dessus et en me fondant sur la preuve, je suis convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que le défendeur a obtenu sa citoyenneté canadienne au moyen de fausses déclarations ou en dissimulant intentionnellement des faits essentiels dans sa demande de citoyenneté. Étant donné les faussetés flagrantes et répétées et les dissimulations de faits essentiels de la part du demandeur, tel que décrit aux paragraphes 47 à 49 des présents motifs, je suis également convaincu, selon la prépondérance des probabilités, qu’il a frauduleusement acquis sa citoyenneté canadienne. Les allégations du ministre au titre du paragraphe 10(1) de la Loi sur la citoyenneté sont donc établies selon la prépondérance des probabilités. J’ajoute que, pour les raisons énoncées dans le paragraphe suivant et sur le fondement des faits de l’espèce, le défendeur est également réputé avoir obtenu sa citoyenneté par fraude ou au moyen de fausses déclarations ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels, en vertu du paragraphe 10(2) de la Loi sur la citoyenneté.

[59]           En vertu du paragraphe 10(2) de la Loi sur la citoyenneté, je suis également convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que le ministre a le droit au redressement demandé en vertu de ce paragraphe. Je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que le défendeur a obtenu son admission légale au Canada à titre de résident permanent par fausse déclaration ou fraude et dissimulation de faits essentiels pour les raisons énoncées dans les paragraphes 41 à 45 des présents motifs. Je conclus en outre que la résidence permanente du défendeur a été obtenue frauduleusement étant donné l’importance des fausses déclarations et de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels auxquelles il est fait référence aux paragraphes 41 à 44 des présents motifs. En outre, je suis convaincu selon la prépondérance des probabilités que, en raison de l’admission du défendeur au Canada comme résident permanent, le défendeur a subséquemment obtenu sa citoyenneté canadienne. Le défendeur a utilisé son statut de résident permanent mal acquis, mais apparemment légal, comme fondement de sa demande de citoyenneté, et je conclus également, selon la prépondérance des probabilités, que les autorités canadiennes responsables de la citoyenneté ont fondé l’octroi de la citoyenneté au défendeur sur le fait qu’il avait légalement acquis ce statut de résidence permanente. Je n’ai aucune raison de douter, et toutes les raisons d’accepter, selon la prépondérance des probabilités, que le fait qu’il ait le statut de résident permanent a conduit directement à l’obtention de sa citoyenneté canadienne.

[60]           Par conséquent, le ministre a droit à la déclaration demandée sous réserve des arguments de recours abusif à la procédure du défendeur, qui sont considérés ci­dessous.

Recours abusif à la procédure

[61]            Le défendeur présente une deuxième défense, à savoir l’abus de procédure. Sur le plan procédural, il n’a pas soulevé ce point dans ses conclusions écrites ou dans son argumentation de vive voix. Il a toutefois déposé un arrêt de notre Cour traitant de la révocation de la citoyenneté dans son dossier de requête, décision qui a entraîné une suspension d’instance fondée sur l’abus de procédure. En conséquence, j’ai soulevé la question d’abus de procédure avec l’avocat à l’audience. Alors que j’étais enclin au départ à ne pas entendre l’argument du ministre sur ce point parce que la décision faisait partie des documents, quoique le défendeur n’ait pas présenté d’argumentation sur ce point, j’ai invité, par souci d’équité, les deux parties à soumettre leurs observations pour que cette question soit traitée de façon exhaustive.

[62]           Le droit qui s’applique à une suspension de la procédure de révocation fondée sur l’abus de procédure est exposé dans deux décisions de cette Cour que j’appliquerai. Dans Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Parekh, 2010 CF 692 [Parekh] cette Cour a déclaré :

[26]      Pour qu’un délai soit considéré comme constituant un abus de procédure, « ce délai doit être déraisonnable ou excessif » (Blencoe, précité, au paragraphe 121). Le délai ne doit pas seulement être plus long que d’habitude, mais il doit avoir causé au défendeur un préjudice substantiel. Autrement dit, il doit être « inacceptable au point d’être oppressif et de vicier les procédures en cause ». (Ibid.)

Et dans Beltran c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 516 [Beltran], cette Cour a déclaré :

RECOURS ABUSIF À LA PROCÉDURE

[35]      Le jugement de principe sur l’abus de procédure est l’arrêt Blencoe, ci­dessus. Alors qu’il était ministre au sein du gouvernement de la Colombie­Britannique, M. Blencoe a été accusé de harcèlement sexuel par l’une de ses adjointes. En juillet et en août 1995, d’autres plaintes de conduite discriminatoire sous forme de harcèlement sexuel ont été déposées devant la British Columbia Human Rights Commission par deux autres femmes. Les divers épisodes de harcèlement sexuel seraient survenus entre mars 1993 et mars 1995. Les audiences ont été fixées au mois de mars 1998, soit plus de 30 mois après le dépôt des plaintes initiales. M. Blencoe a été exclu du Cabinet, l’attention médiatique a été intense, il n’a pas sollicité un nouveau mandat et a souffert d’une dépression. Il a demandé un arrêt des procédures relatives aux plaintes et fait valoir que la Commission avait perdu compétence en raison d’un délai déraisonnable qui avait causé à sa famille et à lui­même un préjudice grave équivalant à un abus de procédure et à un déni de justice naturelle.

[36]      Sur les faits de l’espèce, la Cour suprême a estimé que la Charte n’était pas en cause, et qu’il n’avait pas droit à une réparation fondée sur les principes du droit administratif. Le délai ne justifie pas, à lui seul, un arrêt des procédures comme l’abus de procédure en common law. Il faut prouver qu’un préjudice important a été causé.

[63]           Sur le point de l’abus de procédure, la Cour suprême du Canada a énoncé le critère applicable comme suit : le délai écoulé doit avoir causé un préjudice réel d’une telle ampleur qu’il heurte le sens de la justice et de la décence du public, Blencoe c. Colombie­Britannique (Human Rights Commission), 2000 CSC 44, au paragraphe 33. Elle a également adopté la position selon laquelle le critère applicable doit satisfaire à la question de savoir si le délai « est susceptible de heurter le sens de l’équité de la collectivité », Blencoe, aux paragraphes 121 et 122.

[64]           Par conséquent, j’examinerai la question du délai et ensuite la question du préjudice.

(1)               Délai

[65]           Ce qui suit est un résumé de ce délai, issu en grande partie des observations du défendeur consécutives à l’audience. J’ajoute la position du demandeur et mon analyse à la suite de chacune :

                    Le 12 décembre 1991, le frère du défendeur a informé les agents d’immigration que « Kamran Modaresi » et « Kamran Ladbon » étaient une seule et même personne. Commentaire : Le défendeur n’a pas admis ces faits aux agents d’immigration canadiens. Le dossier ne révèle pas si quelque mesure que ce soit a été prise à cet égard. Le délai ne pourrait pas avoir commencé à ce moment parce qu’à mon avis, le délai ne commence que lorsque les autorités sont pleinement conscientes de la fraude et des faits. Le défendeur à l’époque utilisait deux identités. Le défendeur n’avait pas la citoyenneté canadienne, il n’y avait donc pas de citoyenneté canadienne à révoquer;

                    En 1992, les autorités de l’immigration ont demandé à la GRC de faire une vérification des empreintes digitales, parce qu’ils détenaient des renseignements selon lesquels il avait déposé une demande d’asile en Suisse sous le nom de Modaresi. Commentaire : Alors que cela confirmait que Ladbon et Modaresi étaient une seule et même personne, il n’y avait aucune preuve que sa supercherie avait été pleinement appréciée. Le défendeur lui­même n’avait pas encore divulgué sa double identité aux fonctionnaires canadiens. Il n’y a pas non plus de preuve que les autorités étaient pleinement conscientes de sa fraude. Encore une fois, à ce stade, il n’y avait pas de citoyenneté canadienne de révoquer;

                    La SPR a rejeté sa demande d’asile le 10 juin 1994, en partie pour des raisons de crédibilité, notant son utilisation de ces deux noms. Commentaire : Je note que la SPR a fait preuve d’une certaine indépendance à l’égard des fonctionnaires du ministère. Les autorités de l’immigration canadienne n’auraient pas pu amorcer la procédure de révocation parce qu’il n’y avait aucun statut de citoyen à révoquer;

                    En novembre 1994, le défendeur a utilisé le nom de « Kamran (Modaresi) Ladbon » dans sa demande CH. Commentaire : Cependant, ni lui ni son avocat à l’époque n’ont explicitement soulevé le fait qu’il a utilisé deux noms auprès des autorités canadiennes. Il n’y a aucun fondement à la suggestion que cela prouve que le gouvernement connaissait sa double identité encore non divulguée. Cette suggestion est loin d’établir la pleine connaissance des faits juridiques justifiant que les autorités amorcent une procédure de révocation;

                    Dans les observations du défendeur consécutives à l’audience, ce dernier soutient que les autorités canadiennes d’immigration ont « choisi » de lui accorder le statut de résident permanent en 1997, acceptant prétendument ainsi pleinement la véracité du contenu de sa demande. Commentaire : Bien qu’il admette maintenant qu’il n’a pas présenté sa demande sous son vrai nom, mais plutôt utilisé sa fausse identité de Ladbon, cela ne répond pas au critère énoncé. Cela illustre plutôt l’incapacité du défendeur d’assumer ses mensonges flagrants et illustre son approche erronée l’amenant à « blâmer les autorités canadiennes » pour son propre tissu de mensonges;

                    Dans les mêmes observations du défendeur consécutives à l’audience, il place la charge de la preuve de ses propres fausses déclarations sur les autorités canadiennes lorsqu’ils lui ont donné la citoyenneté canadienne, soutenant : « que CIC a choisi de m’attribuer la citoyenneté en 2001 sachant que j’étais également connu sous le nom de Kamran Ladbon ». Commentaire : En réalité, le défendeur omet une fois de plus de signaler que c’est sa demande qui reposait sur les fausses déclarations et les omissions trompeuses précitées;

                    Le 21 juin 2007, les autorités d’immigration ont exprimé des soupçons dans un courriel interne voulant que le défendeur fût en fait visé par une mesure de renvoi sous une autre date de naissance (ce qui était le cas). Le défendeur affirme que c’est « au pire » le moment auquel les autorités pourraient avoir initié la procédure de révocation. Commentaire : Je ne puis souscrire à cette affirmation parce qu’il n’y a aucune preuve suffisante de pleine connaissance de la part des autorités à ce point dans le temps;

                    Les agents d’immigration ont initié des procédures contre le défendeur quand les autorités ont trouvé ses deux identités à la suite de la fouille de ses sacs lors de son entrée au Canada le 9 décembre 2009. Le 15 décembre 2009, un courriel démontre que les autorités d’immigration ont commencé leur enquête visant la révocation de la citoyenneté canadienne du défendeur. Commentaire : À mon avis, cette date – le 15 décembre 2009 – constitue le moment où les autorités canadiennes d’immigration ont acquis la pleine connaissance des faits justifiant une éventuelle procédure de révocation.

[66]           Le délai court donc du 15 décembre 2009 au 13 avril 2012, moment où le défendeur a été informé des intentions du ministre, et au 15 novembre 2013, lorsque cette poursuite a été initiée.

(2)               Aucun délai déraisonnable

[67]           Le fardeau d’établir que le délai était déraisonnable incombe au défendeur. À mon avis, le délai n’était pas déraisonnable. À mon humble avis, c’est le défendeur lui­même qui a causé le délai par ses nombreuses fausses déclarations et omissions de faits essentiels mentionnées ci­dessus.

[68]           En outre, une fois la procédure de révocation initiée en décembre 2009, elle s’est déroulée avec une célérité raisonnable. Les autorités ont réuni les éléments de preuve nécessaires (remontant à 21 ans, fait à noter), notamment le dépôt d’accusations, l’obtention des plaidoyers de culpabilité et les condamnations subséquentes, de façon à être prêtes à amorcer cette procédure de révocation, le tout en environ 28 mois, c’est­à­dire, du 15 décembre 2009 au 12 avril 2012, date à laquelle un avis d’intention de demande de révocation de citoyenneté canadienne a été émis contre le défendeur.

[69]           À cet égard, deux processus importants ont été entrepris après que les autorités d’immigration eurent découvert ses deux identités. Tout d’abord, les autorités ont procédé à des investigations et étoffé la preuve contre le défendeur, et jeté avec succès les fondements servant d’appui à des accusations en vertu de la Loi sur l’Immigration. Cela exigeait, à mon avis, une somme très importante de travail, notamment la recherche d’archives remontant à 1988, l’examen de données et d’information sur microfiches et leur présentation aux procureurs fédéraux dans un format approprié pour les produire devant une cour criminelle, où une déclaration de culpabilité exige une preuve hors de tout doute raisonnable. Le fait que le défendeur ait plaidé coupable à des accusations en vertu de la Loi sur l’Immigration ne diminue pas les efforts qui sous­tendent cette poursuite réussie; son plaidoyer de culpabilité justifie plutôt cet effort. Les condamnations ont été obtenues le 9 mars 2012.

[70]           Par la suite, des ressources ont été affectées à rassembler les faits pour lesquels un avis a été signifié un mois après les condamnations, et ultérieurement amorcer cette poursuite en justice.

[71]           En résumé, il ne s’agit pas d’une affaire de délai déraisonnable imputable à la Couronne; il s’agit d’un cas de retard provoqué par des demandes de résidence permanente et de citoyenneté fausses et trompeuses. Il est banal d’observer que la défenderesse ne pourra peut­être pas tirer profit d’un délai qu’il a lui­même causé. À mon avis, le sens de l’équité de la collectivité ne serait pas heurté par le délai en l’espèce, particulièrement du fait que pour une grande part, sinon la totalité, ce délai découle de la mauvaise conduite du défendeur consistant à maintenir deux identités. En fait, le défendeur ne peut pas se plaindre de retard dans une procédure de citoyenneté pendant la période où il s’investissait dans des activités de dissimulation de son identité aux agents d’immigration et aux responsables de l’application de la loi.

(3)               Préjudice grave

[72]           En tout état de cause, le fait d’établir qu’il y a eu un délai déraisonnable ne suffit pas pour que le défendeur prouve un abus de procédure; il lui incombe aussi d’établir qu’il a subi un préjudice grave.

[73]           Techniquement, il n’est pas nécessaire d’examiner la question de préjudice parce que l’échec du défendeur à établir qu’il y a eu un délai lui empêche l’accès à un redressement de l’abus de procédure. Le préjudice est cependant considéré par souci d’exhaustivité. Le préjudice que le défendeur allègue avoir subi est décrit dans ses observations consécutives à l’audience :

                    Il s’est construit une nouvelle vie au Canada entre 2001 et 2012, et a eu une fille en 2001;

                    Sa fille a vécu toute sa vie au Canada; elle avait cinq ans en 2007 et est maintenant âgée de 15 ans et ne peut pas être déportée dans une république islamique;

                    Il soutient que « si CIC n’avait pas commis un abus de procédure, ils ne m’auraient jamais donné la citoyenneté, ou ils l’auraient révoquée il y a longtemps. J’aurais pu avoir la possibilité de déplacer ma famille dans un autre pays, ou j’aurais pu faire d’autres demandes pour normaliser mon statut au Canada »;

                    Il « aurait pu faire une demande de rétablissement de son statut légal au Canada, peut­être au moyen d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Cette demande aurait probablement déjà été traitée, maintenant, je vais devoir attendre encore 1 an ou 2 ans ».

[74]           D’après ces faits, et à mon avis, le défendeur n’a pas été lésé gravement par le retard, même si ce retard était imputable à l’État, ce qui n’est pas le cas de l’espèce selon mes conclusions. En fait, le défendeur a été en mesure de mener une vie au Canada depuis qu’il y est initialement arrivé il y a quelque 28 ans. Sauf en ce qui concerne ses trop nombreux démêlés avec la justice – huit condamnations, y compris l’emprisonnement – il a eu une bonne vie au Canada. Je ne vois pas quel délai a subi le défendeur pour accéder à des privilèges et des ressources auxquels il n’aurait autrement pas eu accès. Il est venu ici quand il avait 28 ans; il est maintenant âgé de 55 ans. Il bénéficie d’une pension d’invalidité. Il a une femme et une fille adolescente au Canada (et un fils, bien que peu soit dit le concernant dans le dossier). Le défendeur ne mentionne pas qu’il aurait pu à tout moment admettre ses nombreuses fausses déclarations et omissions de faits essentiels et ainsi entreprendre un processus de normalisation de son statut au Canada, mais il a choisi de ne pas le faire. Il ne peut pas jeter le blâme sur les fonctionnaires canadiens pour son inconduite et son inaction subséquente. La preuve démontre plutôt qu’il a activement cherché à tromper les agents d’immigration et d’exécution de la loi pendant de nombreuses années.

[75]           J’en conclus que le défendeur n’a pas subi un préjudice du type qui a été établi dans Parekh, où les défendeurs ont été privés des droits associés à la citoyenneté, tels que la délivrance de passeports et la capacité de parrainer leur fille, pendant de nombreuses années, en raison de ce que cette Cour a jugé être de l’« indolence administrative ». Je ne vois pas de preuve de cette indolence administrative en l’espèce, et je ne constate pas non plus le degré de préjudice qui a été causé dans Parekh. Le cas présent n’est pas non plus analogue à Beltran, où le délai a entraîné pour le demandeur d’être privé d’un droit fondamental à l’équité procédurale en l’empêchant à toutes fins utiles de trouver des témoins adéquats pour se défendre d’une accusation datant de vingt ans.

[76]           Quant à sa fille, elle est citoyenne canadienne et est libre de rester avec sa mère au Canada. Le défendeur n’a déposé aucune preuve selon laquelle il aurait la garde exclusive de sa fille. Rien ne démontre que sa fille retournerait avec lui en Iran s’il est renvoyé du Canada. En fait, la lettre de sa fille dans le dossier de requête du défendeur dit qu’elle serait séparée du défendeur s’il était renvoyé du Canada.

[77]           En tout état de cause, et bien que ces facteurs humanitaires ne concourent pas à établir un préjudice grave à l’appui de l’argument d’abus de procédure, ils pourraient constituer des facteurs que le ministre et le gouverneur en Conseil peuvent prendre en considération au titre de l’article 10 de la Loi sur la citoyenneté, comme cette Cour l’a noté dans Dinaburgsky.

[78]           Je conclus que le défendeur n’a ni satisfait au critère du délai déraisonnable, ni au critère de préjudice grave. Par conséquent, je suis incapable de trouver quelque fondement que ce soit à ses allégations d’abus de procédure.

V.                Conclusions

[79]           Le ministre a droit au redressement demandé. Je ne vois aucune raison de déroger à la règle voulant que les dépens suivent le sort de la cause; par conséquent, le ministre a droit à ses dépens dans la présente action.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.                  Les requêtes de jugement sommaire présentées par le demandeur et par le défendeur sont accordées.

2.                  Il est déclaré que le défendeur a obtenu la citoyenneté canadienne par de fausses déclarations, la fraude ou par la dissimulation intentionnelle de faits essentiels, notamment dans les circonstances énoncées au paragraphe 10(2) de la Loi sur la citoyenneté.

3.                  Le défendeur est condamné à payer au ministre les frais et dépens du ministre de la présente procédure.

« Henry S. Brown »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1892-13

 

INTITULÉ :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION c.

KAMRAN MODARESI (ALIAS (ALIAS KAMRAN LADBON)

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie­Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 30 novembre 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

Le juge Brown

 

DATE DES MOTIFS :

LE 11 FÉVRIER 2016

 

COMPARUTIONS :

Mark E. W. East

 

Pour le DEMANDEUR

 

KAMRAN MODARESI

 

POUR SON PROPRE COMPTE

Pour le DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous­procureur général du Canada

Vancouver (Colombie­Britannique)

 

Pour le DEMANDEUR

 

 

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