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Date : 20160215

Dossier : IMM-2429-15

Référence : 2016 CF 193

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 15 février 2016

En présence de monsieur le juge Manson

ENTRE :

SURINDER KAUR GILL

JASKARAN SINGH GILL

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue par un agent d’immigration du Haut­commissariat du Canada à New Delhi, en Inde, datée du 12 juin 2015, selon laquelle le demandeur n’est pas un « enfant à charge » de la demanderesse principale aux termes de la définition de l’article 2 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés DORS/2002­227 [le Règlement], et que, par conséquent, le demandeur ne fait pas partie du regroupement familial.

II.                Contexte

[2]               Surinder Kaur Gill [la demanderesse principale] et son fils adopté, Jaskaran, le deuxième demandeur nommé dans le présent contrôle judiciaire (collectivement, les « demandeurs »), sont des citoyens de l’Inde. La demanderesse principale, et son défunt mari, Nirmal, ont quatre filles qui habitent actuellement au Royaume­Uni, au Canada, en Inde et aux États­Unis.

[3]               Jaskaran est né le 15 septembre 1993, et aurait été adopté par la famille Gill aux alentours de 20 octobre 1995. Jaskaran est le fils de la sœur de la demanderesse principale, Manjeet, décédée en 1995 peu de temps après la naissance de son deuxième fils. Avant son décès, Manjeet et son mari, Nishan, ont convenu de donner Jaskaran en adoption à la demanderesse principale et à son mari, puisque ces derniers n’avaient pas de fils.

[4]               La demanderesse principale affirme que Jaskaran avait deux ans au moment de son adoption et qu’il a grandi avec la demanderesse principale et son mari comme parents.

[5]               L’affidavit de la demanderesse principale établit qu’une petite cérémonie d’adoption a eu lieu dans le village où Manjeet et Nishan vivaient en 1995, peu de temps après le décès de Manjeet. À ce moment­là, la demanderesse principale et son mari n’avaient pas officialisé l’adoption légalement au moyen d’un acte d’adoption, puisque, selon la demanderesse, ils ne voyaient pas la nécessité de le faire. Malgré l’absence de documents d’adoption officiels, Jaskaran a été traité comme un fils et comme un frère des quatre filles de la demanderesse principale : il faisait partie de la famille Gill, son nom figurait sur la carte de rationnement de la famille, il était reconnu comme leur fils par leur entourage et il a allumé le bûcher funéraire lors des funérailles de son père adoptif.

[6]               En novembre 2004, la demanderesse principale et son mari ont obtenu un acte d’adoption, après avoir appris de la part des aînés du village que Jaskaran ne pourrait hériter de la propriété de son père adoptif sans un acte officiel. Le changement de nom de Jaskaran pour Jaskaran Singh Gill avait aussi été publié dans un journal local à l’époque.

[7]               Avant l’exécution de l’acte d’adoption en 2004, les noms des parents biologiques de Jaskaran figuraient dans ses documents scolaires, ce qui, selon la demanderesse principale, est simplement attribuable au fait que ce sont les noms qui figurent dans le certificat de naissance de Jaskaran. Après 2004, la demanderesse principale et son mari étaient désignés comme étant les parents de Jaskaran.

[8]               En mai 2008, la fille de la demanderesse principale a présenté une demande de parrainage de la demanderesse principale, de son mari et de Jaskaran pour l’obtention d’une résidence permanente au Canada en tant que membres du regroupement familial.

[9]               Dans une lettre datée du 6 janvier 2015, les demandeurs ont été convoqués à une entrevue le 24 février 2015, au Haut­commissariat du Canada à New Delhi, en Inde. Dans cette lettre, on indiquait à la demanderesse principale d’apporter certains documents, dont une preuve établissant la relation avec ses personnes à charge et une procuration ou des documents de tutelle pour les enfants adoptés. La demanderesse principale a apporté l’original de l’acte d’adoption, la carte de rationnement, les documents scolaires de Jaskaran, l’article de journal indiquant le changement de nom de Jaskaran et de nombreuses photos de la famille Gill au fil des ans, dans lesquelles figure Jaskaran. Selon la demanderesse principale, l’agent n’a examiné aucun de ces documents à l’appui durant l’entrevue.

[10]           Toujours durant l’entrevue, on a demandé à la demanderesse principale à trois reprises si la « cérémonie de don et de prise en adoption », comme il est exigé à l’article 11 de la Hindu Adoptions and Maintenance Act, 1956 [HAMA], avait eu lieu, question à laquelle elle a répondu [traduction] « il n’y a pas eu de cérémonie... non, nous n’avons jamais tenu de cérémonie de don et de prise en adoption », puisqu’il ne s’agissait pas d’une tradition. La demanderesse principale soutient qu’elle ne comprenait pas les obligations juridiques de l’adoption en Inde et, par conséquent, ce à quoi l’agent faisait référence. Dans l’acte d’adoption, il est mentionné qu’une petite cérémonie a eu lieu au moment de l’adoption, et la demanderesse principale affirme que tous les membres de sa famille et de son entourage savaient que Jaskaran vivait avec eux en tant que fils depuis 1995. Elle ne se souvient pas des détails de la cérémonie.

[11]           L’agent a aussi interviewé Jaskaran individuellement le 24 février 2015. Bien que la demanderesse principale ait affirmé que Jaskaran avait été adopté et vivait avec elle depuis 1995, Jaskaran a mentionné à l’agent qu’il ne vivait avec la famille de la demanderesse principale que depuis 2004.

[12]           Une lettre de décision de l’agent, datée du 25 avril 2015, et les notes du Système mondial de gestion des cas (SMGC) prises en lien avec l’entrevue des demandeurs constituent les motifs de la décision de l’agent.

A.                Lettre de décision

[13]           Dans la lettre de décision, l’agent a commencé par établir la définition d’« enfant à charge » aux termes de l’article 2 du Règlement. L’agent a indiqué que la HAMA régit les adoptions hindoues en Inde et que cette loi s’appliquait à l’adoption de Jaskaran en vertu de l’alinéa 2(1)b), qui englobe les sikhs. Selon le paragraphe 5(2), les adoptions non conformes à la HAMA ne sont pas valides et n’établissent pas de droits dans la famille adoptive.

[14]           L’article 11 de la HAMA établit les conditions d’une adoption valide, stipulant que dans chaque adoption [traduction] « l’enfant devant être adopté doit en fait être donné et pris en adoption par les parents [...] avec l’intention de transférer l’enfant de la famille biologique [...] à la famille d’adoption » [alinéa 11(iv)].

[15]           L’agent a noté que l’acte d’adoption, exécuté le 22 novembre 2004, indique que le don et la prise en adoption « physiques » de Jaskaran se sont déroulés le 20 octobre 1995, ce qui ne correspond pas aux déclarations de la demanderesse principale durant l’entrevue, où elle a mentionné qu’aucune cérémonie de la sorte n’avait eu lieu, et ce qui ne correspond pas également à la déclaration de Jaskaran durant son entrevue.

[16]           L’agent a aussi fait référence à la décision de la Cour suprême de l’Inde dans la décision Lakshman Singh c. Rup Kanwar (AIR 1961 SC 1378) [Lakshman Singh], dans laquelle il a été déterminé qu’une adoption n’est pas valide sans cérémonie de don et de prise en adoption. Bien qu’il soit essentiel de tenir une cérémonie officielle, aucune forme particulière n’est prescrite, et la nature de la cérémonie peut varier selon les circonstances de chaque cas.

[17]           L’agent n’était pas convaincu qu’une cérémonie de don et de prise en adoption physique de Jaskaran avait eu lieu, comme l’exige la HAMA, et a ainsi déterminé que l’adoption n’était pas valide. De plus, l’exécution de l’acte d’adoption n’a pas, en soi, validé l’adoption. Par conséquent, l’agent a conclu que Jaskaran n’est pas un enfant à charge aux termes du Règlement.

[18]           L’agent a aussi tenu compte de l’application et des circonstances aux termes du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 [la Loi], déterminant que des considérations d’ordre humanitaire ne peuvent servir de justification pour accorder une résidence permanente ou une exemption aux critères prévus par la Loi.

B.                 Notes du SMGC

[19]           Dans les notes du SMGC de l’agent sont énoncées les questions d’entrevue et les réponses des demandeurs. Les réponses de la demanderesse principale aux questions suivantes sont particulièrement importantes :

[traduction]

Q : Avez­vous des photos de la cérémonie de don et de prise en adoption? Nous n’avons pas tenu de cérémonie de la sorte. Q : Pourquoi? Il ne s’agit pas pour nous d’une tradition.

Q : Pour quelles raisons les parents de Jaskaran vous ont­ils donné leur fils en adoption? Ils nous l’ont donné parce que nous n’avions pas de fils. Ma sœur est décédée peu de temps après voir donné naissance à son deuxième fils. Ils nous ont donné Jaskaran en adoption après la naissance de Gurkeert. Ma sœur avait dit que si elle avait un autre garçon, elle nous donnerait Jaskaran en adoption.

[20]           Dans l’entrevue individuelle avec Jaskaran, l’agent a noté que Jaskaran avait mentionné qu’il habitait avec la demanderesse principale depuis 2004. Jaskaran n’a pas rompu les liens avec ses frères et sœurs biologiques, bien qu’il ne les voie pas souvent.

[21]           L’agent a noté ses préoccupations comme suit :

L’adoption aurait eu lieu alors que Jaskaran Singh avait un ou deux ans, mais l’acte d’adoption a été créé en 2004, alors qu’il avait environ 11 ans. La marraine [l’une des filles de la demanderesse principale] a immigré au Canada en 2005. Il s’agit d’une très grande coïncidence que l’acte d’adoption ait été créé en 2004, peu de temps avant l’arrivée de la marraine au Canada. – Aucune cérémonie de don et de prise en adoption officielle n’aurait eu lieu. Ce fait semble très inhabituel et contraire aux traditions et aux normes établies. – Il y a très peu de preuves confirmant que [la demanderesse principale] a pris Jaskaran Singh en adoption à l’âge d’un ou de deux ans. Je suis convaincu que l’adoption de Jaskaran Singh Gill n’est pas valide.

[22]           En ce qui a trait aux considérations d’ordre humanitaire, l’agent a indiqué que Jaskaran avait maintenant 21 ans et qu’il était activement aux études. Il semble avoir de bonnes conditions de vie en Inde, et rien n’indique que la situation pourrait changer. Sa famille biologique habite près de lui, et ils entretiennent certains liens. En outre, l’agent a fait remarquer que Jaskaran n’a pas indiqué que sa vie était d’une quelconque façon en danger.

III.             Questions en litige

[23]           Les questions en litige sont les suivantes :

A.    Y a­t­il eu un manquement à l’équité procédurale?

B.     La décision de l’agent était­elle raisonnable?

IV.             Norme de contrôle

[24]           Les parties ont convenu que la norme de la décision raisonnable gouverne les décisions discrétionnaires et les questions mixtes de fait et de droit, y compris la détermination de l’agent de savoir si une personne est un « enfant à charge » conformément au Règlement ainsi que l’évaluation d’un agent de la validité d’une adoption à l’étranger conformément à la loi étrangère (Boachie c. ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2010 CF 672 au paragraphe 21; Singh Dhadda c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 206 au paragraphe 4).

[25]           Les questions de la justice naturelle et de l’équité procédurale sont sujettes à un contrôle selon la norme de la décision correcte (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12 au paragraphe 43).

V.                Analyse

A.                Y a­t­il eu un manquement à l’équité procédurale?

[26]           Les demandeurs soutiennent que l’agent a manqué à l’obligation d’équité procédurale en omettant de bien les informer que l’entrevue du 24 février 2015 portait exclusivement sur l’adoption de Jaskaran. La lettre de convocation à l’entrevue était une lettre type dans laquelle on leur demandait d’apporter divers documents, certains n’ayant aucun lien avec leur dossier. Il n’était en aucun cas question de la nature de l’entrevue ou des préoccupations de l’agent à l’égard de leur demande.

[27]           En outre, les demandeurs n’ont pas eu l’occasion de répondre aux préoccupations de l’agent comme quoi il n’y avait pas assez de preuves démontrant que Jaskaran avait été adopté à l’âge de deux ans, comme il est indiqué dans la lettre de décision. Les demandeurs admettent, dans leur mémoire en réplique, que l’agent les a avisés de ses préoccupations durant l’entrevue, mais soutiennent que l’absence de préavis constitue un manque d’équité procédurale, car elle a empêché les demandeurs de bien se préparer et, une fois au courant des préoccupations de l’agent, de répondre ou de fournir de plus amples documents, puisque la décision était définitive.

[28]           Les demandeurs s’appuient sur la décision du juge Richard Mosley dans l’arrêt Rukmangathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 284, pour énoncer le principe selon lequel les agents des visas doivent aviser les demandeurs de leurs préoccupations particulières concernant les demandes [traduction] « de sorte qu’un demandeur puisse avoir l’occasion de “libérer” un agent de telles préoccupations, même lorsque celles­ci émanent de preuves soumises par le demandeur » afin de se conformer à l’obligation d’équité (paragraphe 22).

[29]           Par ailleurs, les demandeurs soutiennent que l’agent a manqué à son obligation d’équité en concluant qu’ils avaient fourni des « preuves limitées » que Jaskaran vivait avec ses parents adoptifs depuis l’âge de deux ans. L’agent n’a examiné aucun des documents originaux qu’on avait demandé à la demanderesse principale d’apporter à l’entrevue, dont la carte de rationnement de la famille Gill indiquant que Jaskaran était un fils de la famille, et de nombreuses photos de famille montrant que la relation parent­enfant remontait à de nombreuses années.

[30]           L’agent a plutôt simplement déterminé que l’adoption de Jaskaran n’était pas conforme à la HAMA, qu’il y avait un manque de preuves comme quoi il avait été adopté au moment indiqué et que, par conséquent, il n’était pas un « enfant à charge ».

[31]           Je suis d’avis que le fait que la lettre de convocation à l’entrevue n’indiquait pas explicitement que l’adoption de Jaskaran serait le principal objet ne constitue pas un manquement à l’obligation d’équité procédurale.

[32]           Bien que je ne sois pas d’accord avec le défendeur concernant le fait que la question de l’adoption était clairement litigieuse, puisque le simple fait de demander dans une lettre type d’apporter divers documents et d’être accompagné de l’enfant adopté ne laisse pas entendre que l’agent doute de la validité de l’adoption, la présumée absence de préavis ne constituait pas un manquement à l’équité procédurale. Les demandeurs ont effectivement eu l’occasion de se préparer adéquatement : on leur a demandé d’apporter à l’entrevue des renseignements pertinents, dont des documents liés à l’adoption, ce qu’ils ont fait.

[33]           Je n’arrive pas non plus à trouver quelque fondement que ce soit dans les arguments des demandeurs selon lesquels l’agent ne les a pas informés de ses préoccupations, puisque les notes du SMGC indiquent clairement que l’agent avait effectivement exprimé ses doutes quant à l’adoption, du moins à la demanderesse principale, durant l’entrevue.

[34]           Il est par ailleurs difficile de déterminer si l’agent a tenu compte des documents que les demandeurs ont apportés à l’entrevue. La demanderesse principale affirme, dans son affidavit, qu’en aucun temps durant l’entrevue l’agent avait examiné les documents qu’on lui avait demandé d’apporter, lesquels montrent que la relation parent­enfant des demandeurs remonte à avant 2004. Toutefois, dans les notes du SMGC, il est indiqué que l’agent était au moins au courant que la demanderesse principale n’avait pas fourni de photos d’une cérémonie de don et de prise en adoption, ce qu’il n’aurait pas pu savoir s’il n’avait pas examiné les documents.

[35]           Un examen des preuves démontre qu’il y a plusieurs photos de Jaskaran âgé de moins de 11 ans en compagnie de la demanderesse principale et de son mari. Bien qu’elles montrent l’existence d’une relation entre les demandeurs, ces photos ne confirment pas que l’adoption a eu lieu lorsque Jaskaran avait un ou deux ans, comme l’a affirmé l’agent. Je ne suis pas d’avis que la conclusion de l’agent démontre qu’il n’a pas examiné les documents, ou qu’il y a eu un manquement à la justice naturelle.

B.                 La décision de l’agent était­elle raisonnable?

(1)               Décision de l’agent concernant la validité de l’adoption

[36]           Les demandeurs conviennent du fait que la HAMA régit les adoptions en Inde, mais citent l’article 16 (non cité dans la lettre de référence), qui stipule que s’il y a des documents légaux officiels liés à l’adoption, celle­ci est alors jugée conforme à la HAMA, jusqu’à ce qu’elle soit invalidée, le cas échéant.

[37]           En l’espèce, l’acte d’adoption indique qu’il y a eu une cérémonie de don et de prise en adoption de Jaskaran en 1995. L’agent n’a pas tenu compte de ce fait, car il contredit les déclarations de la demanderesse principale, qui a mentionné, durant son entrevue, qu’il n’y avait pas eu de cérémonie de la sorte. Toutefois, les demandeurs font remarquer que la HAMA n’établit pas d’exigences concernant le don et la prise en adoption, et qu’elle n’exige pas la tenue d’une cérémonie officielle. Il est plutôt simplement exigé, à l’alinéa 11(iv), que [traduction] « l’enfant à adopter soit donné et pris en adoption par les parents ou les tuteurs concernés ». Les demandeurs soutiennent qu’il y a des preuves comme quoi ils ont répondu à cette exigence; la demanderesse principale a précisément mentionné durant l’entrevue que sa sœur lui [traduction] « avait donné Jaskaran parce qu’ils n’avaient pas de fils [...] Ils nous ont donné Jaskaran après la naissance de Gurkeert ».

[38]           Les demandeurs soutiennent que l’acte d’adoption se veut une preuve prima facie présomptive de la validité de l’adoption, et que l’agent a agi déraisonnablement en accordant peu de poids à la preuve. Bien que l’exécution d’un acte ne puisse remplacer la loi, les demandeurs soutiennent que l’article 16 de la HAMA laisse présumer que l’adoption était conforme, ce qui n’a pas été réfuté. La demanderesse principale soutient que sa déclaration durant l’entrevue selon laquelle aucune cérémonie de la sorte n’a eu lieu ne suffit pas à réfuter cette présomption, plus particulièrement si l’on tient compte du fait que l’affidavit de la demanderesse principale indique que cette dernière ne comprenait pas à quoi l’agent faisait référence à ce moment.

[39]           Les demandeurs soutiennent que la preuve présentée à l’agent établissait que le père biologique de Jaskaran l’avait donné en adoption à la demanderesse principale et à son mari après le décès de la sœur de la demanderesse principale en 1995. Ce fait est confirmé dans l’acte d’adoption et a été confirmé par la demanderesse principale durant son entrevue. La loi de l’Inde ne prescrit pas le type de cérémonie devant avoir lieu, mais précise simplement que l’enfant doit être donné et pris en adoption, ce qui s’est précisément produit en l’espèce. Ainsi, l’adoption était conforme à la HAMA, et il n’était pas raisonnable de la part de l’agent d’exiger une cérémonie officielle.

[40]           Le défendeur cite l’arrêt Singh c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1302, à l’appui de son argument comme quoi il était raisonnable pour l’agent de conclure que la présumée adoption n’était pas valide. Aux paragraphes 11 et 12 de la décision, le juge Russell Zinn déclare :

11     Je conviens en outre avec le défendeur que les faits en l’espèce correspondent davantage, et sont en fait pratiquement identiques, à ceux qui étaient en cause dans la décision Singh Dhadda c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 206, dans laquelle la juge Mactavish a déclaré qu’il était raisonnable de la part de l’agente de conclure qu’il n’y avait pas eu de cérémonie de « don et prise en adoption » même si l’acte d’adoption indiquait le contraire et que, par ailleurs, l’acte d’adoption ne constituait pas une ordonnance d’un tribunal et qu’il était contredit par le témoignage du père adoptif.

12     L’acte d’adoption est un contrat rédigé par des avocats à l’intention des parties et signé ces dernières. Rien ne démontre qu’une cour de justice se soit penchée sur la question de savoir si les exigences légales afin que l’adoption soit jugée valide avaient été satisfaites. L’acte d’adoption a ensuite été présenté à une cour à des fins d’enregistrement, mais rien n’indique que le processus d’enregistrement ait impliqué une prise de décision indépendante. Il semble s’agir simplement d’un processus administratif pour lequel la cour exige des frais nominaux.

[41]           D’autres cas soumis à la présente Cour ont confirmé qu’une adoption n’était pas valide conformément à des lois de l’Inde en l’absence d’une « cérémonie de don et de prise en adoption » (Sahota c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 756 aux paragraphes 56 à 60 [Sahota]; Dhindsa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1362 aux paragraphes 21 et 34; Rai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 77 au paragraphe 20).

[42]           Bien que je ne sois pas d’accord avec le poids accordé à la preuve par l’agent, je suis d’accord avec le défendeur quant au fait que la décision de l’agent était raisonnable.

[43]           L’agent a accordé plus d’importance aux réponses des demandeurs durant l’entrevue qu’à l’acte d’adoption, ce qu’il était en droit de faire, tant que cette décision était raisonnable.

[44]           L’agent était au courant de la jurisprudence de la Cour suprême de l’Inde ayant trait à la validité des adoptions. Il est du ressort de l’agent, et non de la Cour au moment du contrôle judiciaire, d’évaluer et de pondérer les preuves. La Cour ne doit pas intervenir, sauf si la décision de l’agent ne fait pas partie de l’éventail d’issues acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Il y a des preuves à l’appui de la conclusion de l’agent, et les motifs énoncés dans la lettre de refus et les notes du SMGC sont intelligibles, justifiés et transparents.

[45]           Bien que j’éprouve de la sympathie pour les demandeurs, puisqu’il semble qu’un point de droit écarté par mégarde (le don et la prise en adoption et la preuve de cette cérémonie) empêche d’inclure Jaskaran dans la demande de parrainage, l’adoption n’a pas été jugée juridiquement valide par l’agent au moment où elle aurait commencé (1995), et n’a pas été effectuée correctement au moment de la rendre officielle sur le plan juridique par l’acte d’adoption (aucune cérémonie de don et de prise en adoption en 2004). En tenant compte de la norme de contrôle déférente, et en présence de preuves conflictuelles, il appert que la décision de l’agent est raisonnable et qu’elle lui revient à la lumière des faits et des preuves.

(2)               Évaluation des preuves pertinentes par l’agent

[46]           Le Règlement définit que l’« adoption » établit une relation parent­enfant au sens de la loi et rompt la relation parent­enfant antérieure.

[47]           Les demandeurs soutiennent que l’agent a erré en ignorant des preuves pertinentes démontrant l’authenticité de la relation entre les demandeurs, y compris l’acte d’adoption et les dossiers scolaires de Jaskaran, dans lesquels la demanderesse principale et son mari sont nommés à titre de parents. Les documents scolaires de Jaskaran antérieurs à l’acte d’adoption (avant novembre 2004) comportent le nom des parents biologiques de Jaskaran simplement parce que l’adoption n’avait pas été officialisée sur le plan juridique.

[48]           Les demandeurs soutiennent que l’agent a erré en omettant d’analyser rigoureusement l’authenticité de leur relation. Les demandeurs soutiennent aussi que l’agent, dans son évaluation de l’authenticité de l’adoption, aurait dû tenir compte des facteurs non exhaustifs établis par la Section d’appel de l’immigration dans l’arrêt Guzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] I.A.D.D. nº 1248, pour éclairer son évaluation de la relation parent­enfant.

[49]           Les demandeurs s’appuient également sur l’affaire Jeerh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] ACF nº 741 [Jeerh], dans laquelle la Cour a confirmé qu’il faut tenir compte de la totalité de la preuve lorsqu’il s’agit de déterminer la relation entre le parent qui adopte et l’enfant adopté. En l’espèce, la juge Karen Sharlow avait alors déterminé, concernant la conclusion d’un agent selon laquelle il n’y avait pas de relation parent­enfant, qu’il était « difficile de concilier la validité juridique non contestée de l’adoption ».

[50]           Les demandeurs citent également l’affaire Sinniah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 822 [Sinniah], dans laquelle la juge Eleanor Dawson avait alors déclaré :

15     La question de l’authenticité d’une adoption est une question de fait. La Section d’appel de l’immigration a déclaré qu’il faut examiner un certain nombre de facteurs pour déterminer l’authenticité d’une adoption, notamment le motif de l’adoption, la mesure dans laquelle les parents adoptifs ont donné des soins et exercé un contrôle sur l’enfant depuis l’adoption, la connaissance et la compréhension que les parents adoptifs ont de l’enfant adopté et vice­versa, ainsi que les plans établis pour l’avenir de l’enfant.

[51]           Les demandeurs soutiennent que l’agent n’a pas analysé rigoureusement l’authenticité de leur relation parent­enfant, et a erré en s’attardant uniquement à la question de la légalité de l’adoption au sens de la HAMA.

[52]           Bien qu’il soit vrai, dans la détermination de la présence d’une relation parent­enfant véritable, qu’un agent doit examiner rigoureusement les preuves et tenir compte de divers facteurs, l’adoption doit aussi être valide dans le pays où elle s’est déroulée. L’agent en l’espèce a déterminé que l’adoption de Jaskaran n’était pas conforme aux lois de l’Inde régissant les adoptions et, par conséquent, il n’était pas tenu de déterminer s’il y avait une véritable relation parent­enfant. Comme aucune relation parent­enfant n’a été établie au sens de la loi, l’agent n’a pas pris de décision déraisonnable et n’a pas fait d’erreur à cet égard.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.                  La demande est rejetée.

2.                  Aucune question n’est soumise pour être certifiée.

« Michael D. Manson »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM­2429­15

 

INTITULÉ :

SURINDER KAUR GILL ET AL c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 9 février 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MANSON

 

DATE DES MOTIFS :

Le 15 février 2016

 

COMPARUTIONS :

Clarissa Waldman

Pour les demandeurs

Nimanthika Kaneira

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Waldman & Associates

Toronto, Ontario

Pour les demandeurs

William F. Pentney

Sous­procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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