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Date : 20160211


Dossier : T-1442-14

Référence : 2016 CF 187

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 11 février 2016

En présence de madame la juge Roussel

ENTRE :

TIMOTHY MITCHEL NOME

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et
LE COMMISSAIRE AUX SERVICES CORRECTIONNELS

intimés

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Le demandeur, Timothy Mitchel Nome, est actuellement incarcéré à l’Établissement de Millhaven, un établissement à sécurité maximale situé en Ontario, où il est en isolement depuis le 15 juillet 2015. Le 18 juin 2014, il a déposé la présente demande de contrôle judiciaire en vue d’obtenir un redressement en ce qui concerne un prétendu refus par le Service correctionnel du Canada (SCC) de lui donner accès à divers traitements et services de santé.

[2]               Dans une requête distincte déposée devant la Cour le 15 septembre 2015, le demandeur a également demandé une réparation en vertu de la règle 373 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, enjoignant aux intimés de le transférer hors de la région de l’Ontario en attendant qu’une décision soit rendue quant à cette demande de contrôle judiciaire.

[3]               Pour les motifs établis ci-dessous, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Par conséquent, il n’est pas nécessaire que la Cour dispose de la requête visant un redressement interlocutoire.

I.                   Contexte

[4]               Le 27 janvier 2011, alors qu’il était incarcéré à l’Unité spéciale de détention du Centre régional de réception de Sainte-Anne-des-Plaines, au Québec, le demandeur a été blessé dans une altercation avec des agents du SCC. Le demandeur affirme qu’au cours de cet incident, il a subi une fracture du nez et une fracture d’un doigt et s’est retrouvé avec deux (2) dents ébréchées.

[5]               Depuis l’incident de 2011, le demandeur a été transféré à quatre (4) différentes institutions, soit : l’Établissement de Kent (Colombie-Britannique) en mars 2012; l’Établissement de Mountain (Colombie-Britannique) en août 2012; l’Établissement de l’Atlantique (Nouveau-Brunswick) en janvier 2013; et son emplacement actuel, l’Établissement de Millhaven (Ontario), en octobre 2013.

[6]               Tout au long de son incarcération, le demandeur a demandé que le SCC lui fournisse un traitement et des services de santé pour les blessures susmentionnées, y compris une rhinoplastie pour reconfigurer son nez, le remplacement des deux (2) dents par des implants dentaires, une chirurgie pour son cinquième doigt de la main gauche et une nouvelle paire de lunettes.

[7]               Le 12 juillet 2013, le demandeur a déposé une plainte de délinquant pour s’être vu refuser un accès raisonnable et rapide à des soins de santé (no V20R00005982). Affirmant avoir pris rendez-vous pour une chirurgie en mars 2012, avant son transfèrement à l’Établissement de Kent, le demandeur a demandé un rendez-vous pour une intervention chirurgicale visant à réparer son cinquième doigt de la main gauche et une rhinoplastie pour son nez.

[8]               Dans une réponse datée du 8 août 2013, la plainte du demandeur a été confirmée en partie par le chef par intérim des services de santé de l’Établissement de l’Atlantique. Le chef par intérim a constaté qu’il y avait effectivement un retard sur le plan de l’obtention des services, mais il a noté que les besoins médicaux du demandeur avaient été examinés : le nez de ce dernier et le cinquième doigt de sa main gauche avaient été radiographiés le 31 juillet 2013. La réponse a également indiqué qu’une fois que les résultats de ces radiographies auraient été reçus, le demandeur serait dirigé, le cas échéant, vers des spécialistes.

[9]               Le 22 août 2013, le demandeur a contesté cette décision au premier palier de la procédure de règlement des griefs, soutenant qu’il était encore privé de soins et de services de santé. Il a indiqué qu’il était possible qu’il soit transféré en Ontario, et a demandé si le SCC lui ferait prendre l’avion pour retourner dans la région de l’Atlantique afin que les interventions chirurgicales puissent être pratiquées en temps opportun.

[10]           Dans une réponse datée du 1er novembre 2013, le grief de premier palier a été accueilli en partie, à nouveau sur la foi qu’il y avait eu à l’origine un retard pour prendre des radiographies. En ce qui concerne la demande du demandeur afin qu’il soit ramené dans la région de l’Atlantique pour le traitement, la réponse indiquait que cette demande dépassait le pouvoir des services de santé du SCC.

[11]           Le 18 juin 2014, le demandeur a déposé sa demande de contrôle judiciaire.

[12]           Le 6 septembre 2015, le demandeur a présenté un grief au dernier palier en ce qui concerne les retards sur le plan de l’obtention des soins et des services de santé qu’il avait demandés, à savoir, la rhinoplastie, la chirurgie pour son cinquième doigt de la main gauche, les implants dentaires et des lunettes bien ajustées. Une décision de règlement des griefs au dernier palier reste en suspens.

[13]           Le 15 septembre 2015, un avis de recommandation de transfèrement imposé a été émis, afin que le demandeur soit transféré à l’Établissement de Stony Mountain, au Manitoba. Le demandeur a été informé que le transfèrement avait été recommandé afin d’alléger son état d’isolement et de lui fournir un environnement sûr dans lequel il pourrait résider, compte tenu du fait que des tentatives en vue d’intégrer le demandeur dans la population carcérale avaient échoué.

[14]           La décision définitive de transférer le demandeur de l’Établissement de Millhaven à l’Établissement de Stony Mountain a été prise le 16 octobre 2015 et communiquée au demandeur le 28 octobre 2015.

II.                Questions à déterminer

[15]           Après avoir examiné les observations des parties, les questions suivantes se posent dans le cas de cette demande de contrôle judiciaire :

A.    Le demandeur a-t-il épuisé ses autres recours et, sinon, y a-t-il des circonstances impérieuses telles que la Cour devrait entendre la demande de contrôle judiciaire?

B.     La demande de contrôle judiciaire est-elle sans objet?

C.     Le SCC a-t-il traité raisonnablement les demandes du demandeur concernant les soins et les services de santé? Sinon, quel est le recours approprié?

III.             Discussion

A.                Question préliminaire

[16]           Avant d’aborder les questions susmentionnées, une question préliminaire se pose quant à savoir ce en quoi la question sous-jacente consiste et quel redressement est demandé par le demandeur. Dans son avis de requête déposé le 18 juin 2014, le demandeur indique qu’il sollicite le contrôle judiciaire de la « [TRADUCTION] décision du [SSC] datant du 10 juin 2014 environ selon laquelle on continue de lui refuser l’accès aux soins de santé nécessaires qu’ils avaient entrepris et qui auraient dû être fournis il y a plusieurs mois ». Plus précisément, il demande ce qui suit :

A.    une ordonnance de nature certiorari annulant la décision du commissaire intimé de refuser sans cesse de fournir au demandeur les évaluations et les traitements qui lui sont nécessaires;

B.     une ordonnance déclarant que les intimés ont agi contrairement à l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, à la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, et à l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, ch. 11 [Charte];

C.     une ordonnance déclarant que les intimés ont manqué à leurs obligations en vertu de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992, ch. 20 [LSCMLC] et, notamment, ses obligations en matière de services de santé en vertu des articles 85 à 87 de cette loi, ainsi que son obligation de fournir une garde saine et sans danger en vertu de l’article 70 de cette loi;

D.    une ordonnance enjoignant aux intimés de fournir au demandeur des évaluations en matière de services de santé et des traitements immédiatement.

[17]           Étant donné qu’il est censé être transféré au Manitoba, le demandeur a inclus dans son mémoire des faits et du droit, déposé le 27 novembre 2015, une demande de redressement qui est sensiblement différente de celle de la réparation demandée dans l’avis de requête. Le demandeur demande maintenant ce qui suit dans son mémoire des faits et du droit :

A.    une ordonnance annulant la décision du directeur de prison, datant du 15 octobre 2015, d’effectuer le transfèrement imposé du demandeur à l’Établissement de Stony Mountain;

B.     une ordonnance déclarant que cette décision violait les droits du demandeur en vertu de l’article 86 et de l’alinéa 87a) de la LSCMLC;

C.     une ordonnance déclarant que la décision violait les droits du demandeur en vertu de l’article 7 de la Charte;

D.    une ordonnance enjoignant aux intimés de ne pas procéder à un transfèrement à l’extérieur de la région de Kingston jusqu’à ce que le demandeur ait accédé aux services de santé et aux soins qu’il demande actuellement.

[18]           Même si le transfèrement à venir du demandeur à l’Établissement de Stony Mountain peut être un facteur pertinent à prendre en compte dans cette affaire, le demandeur n’a pas contesté cette décision par les voies appropriées. À la date de l’audience, l’avocat du demandeur a informé la Cour que le demandeur n’avait pas contesté la décision relative au transfèrement. Le recours approprié pour le demandeur est de contester son transfèrement à venir dans le cadre du processus de règlement des griefs prévu par la LSCMLC et, en cas d’insatisfaction, de demander un contrôle judiciaire de la décision définitive à la Cour. Si la Cour devait accorder le redressement demandé dans le mémoire des faits et du droit du demandeur, cela permettrait au demandeur de contourner son obligation d’épuiser ses recours législatifs avant de porter cette affaire devant la Cour. En outre, la décision de transférer le demandeur de la province pour l’envoyer à l’Établissement de Stony Mountain est fondée sur des considérations factuelles et juridiques qui dépassent le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire. Pour ces raisons, le redressement demandé et les questions à trancher demeureront tels que définis dans l’avis de requête.

B.                 Le demandeur a-t-il épuisé ses autres recours et, sinon, y a-t-il des circonstances impérieuses telles que la Cour devrait entendre la demande de contrôle judiciaire?

[19]           Il est bien établi en droit que la Cour a le pouvoir discrétionnaire de refuser d’exercer sa compétence pour entendre une demande de contrôle judiciaire où une autre voie adéquate de recours subsidiaire reste possible pour le demandeur (C.B. Powell Ltd. c. Canada (Agence des services frontaliers), 2010 CAF 61, aux paragraphes 31 et 32, [2011] 2 RCF 332; Froom c. Canada (Ministre de la Justice), 2004 CAF 352, au paragraphe 12, [2005] 2 RCF 195).

[20]           En vertu des articles 90 et 91 de la LSCMLC, les délinquants ont droit à un règlement juste et expéditif de leurs griefs. La procédure de règlement des griefs est exposée dans les articles 74 à 82 du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92-620 [RSCMLC].

[21]           Dans l’affaire Giesbrecht c. Canada, 148 FTR 81, [1998] ACF no 621 (QL), le juge Rothstein a conclu que la procédure de règlement des griefs figurant dans la LSCMLC et le RSCMLC offre une solution de rechange adéquate par rapport au contrôle judiciaire :

[10] À première vue, le régime législatif régissant les griefs constitue un autre voie de recours appropriée par rapport au contrôle judiciaire. Les griefs doivent être traités rapidement et les directives du commissaire fixent des délais. Rien ne laisse croire que ce processus est coûteux. Il est probablement même moins coûteux et plus simple qu’une procédure de contrôle judiciaire. Un détenu peut interjeter appel d’une décision sur le fond au moyen de la procédure de grief et un tribunal d’appel peut substituer sa décision à celle du tribunal dont la décision est contestée. Le contrôle judiciaire ne vise pas le fond de la décision et une issue favorable au détenu aurait simplement pour conséquence de renvoyer l’affaire pour que le tribunal dont la décision a été contestée en rende une nouvelle.

[22]           La Cour a toujours reconnu le processus de règlement des griefs du SCC comme étant un autre recours approprié et que le contrôle judiciaire ne sera généralement approprié qu’après qu’une décision définitive est rendue dans le cadre du processus de règlement des griefs (Robertson c. Canada (Procureur général), 2015 CF 303 au paragraphe 33; MacInnes c. Établissement de Mountain , 2014 CF 212 au paragraphe 17; Leach c. Directeur de l’établissement de Fenbrook, 2004 CF 1570, au paragraphe 10; Ewert c. Canada (procureur général), 2009 CF 971, aux paragraphes 31 et 32).

[23]           Les raisons de principe pour refuser d’entendre un contrôle judiciaire lorsqu’un autre recours adéquat existe ont été examinées par le juge Pelletier dans l’affaire Marachelian c. Procureur général du Canada, [2001] 1 RCF 17, au paragraphe 10 :

Les considérations de principe justifiant que l’on exige des demandeurs qu’ils épuisent leurs recours internes sont déterminantes. Conclure autrement signifierait miner la légitimité de ces autres recours en leur attribuant un rôle secondaire alors qu’il existe de nombreuses raisons pour lesquelles ils doivent jouer un rôle de premier plan dans le règlement des litiges. Dans le contexte des établissements de détention, on peut mentionner la rapidité, la connaissance d’un environnement unique, les mesures adéquates de protection procédurale et l’économie comme motifs pour lesquels les recours internes devraient être épuisés avant qu’une demande ne soit faite devant la Cour.

[24]           En outre, le fait d’épuiser un recours interne peut éliminer la nécessité d’un contrôle judiciaire par la résolution de la question de fond en faveur du plaignant. Sinon, quand la question passe finalement à un contrôle judiciaire, une décision rendue par un décideur final offrira à la Cour l’avantage de l’expertise du décideur en la matière, ainsi qu’un dossier complet.

[25]           Cela ne veut pas dire qu’il peut y avoir des circonstances où un juge pourrait être amené à exercer sa compétence discrétionnaire pour entendre la demande de contrôle judiciaire malgré la possibilité d’un autre recours. Dans l’affaire Gates c. Canada (Procureur général), 2007 CF 1058, le juge Phelan a accueilli une demande de contrôle judiciaire lorsque la température dans une unité de détention tombait à plusieurs reprises entre 0 ˚C et -12 ˚C, mettant ainsi en péril la santé des demandeurs. Il a constaté que la question était donc immédiate et urgente, et les demandeurs n’étaient pas tenus d’épuiser leurs recours dans le cadre du processus de règlement des griefs. Tout en exprimant de l’hésitation sur le plan de l’interférence avec le processus de règlement des griefs prévu par la LSCMLC, il a fourni des conseils sur le moment où l’intervention de la Cour est justifiée :

[26]      À mon avis, la Cour ne devrait pas intervenir à la légère dans la procédure de plainte. Il existe des raisons solides, de principe et légales, pour exiger des détenus qu’ils emploient cette procédure. Seules des circonstances contraignantes, par exemple un préjudice physique ou mental réel ou une nette insuffisance de la procédure, peuvent justifier qu’on mette de côté la procédure de plainte (il ne s’agit pas d’une liste exhaustive des circonstances justifiant l’abandon de la procédure habituelle).

[26]           Ainsi, la question à trancher est de savoir s’il existe des circonstances contraignantes dans ce cas qui justifieraient une dérogation au principe général pour que la Cour refuse d’entendre une demande de contrôle judiciaire à moins que toutes les autres voies de recours adéquates aient été épuisées.

[27]           Lorsque le demandeur a entamé cette procédure en juin 2014, il n’a pas poursuivi son grief au-delà du premier palier. Le demandeur soutient qu’il n’a été mis au courant de la décision de règlement des griefs au premier palier qu’en septembre 2015, quand il a finalement été autorisé à accéder à ses documents qui avaient été rangés après son transfèrement de l’Établissement de l’Atlantique.

[28]           Dans un affidavit daté du 21 août 2015, l’agent de libération conditionnelle du demandeur à l’Établissement de Millhaven affirme que le demandeur a reçu une réponse à son grief au premier palier le 21 novembre 2013. Cependant, il n’y a aucune indication dans le dossier selon laquelle la décision a été communiquée au demandeur en novembre 2013. Étant donné que le demandeur a été transféré de l’Établissement de l’Atlantique le 22 octobre 2013, il est raisonnable de conclure que la décision peut ne pas lui avoir été communiquée, car il avait déjà été transféré à l’Établissement de Millhaven lorsque la décision a été rendue par l’Établissement de l’Atlantique en novembre 2013.

[29]           Bien que je reconnaisse que le demandeur peut ne pas avoir obtenu une copie de la décision de règlement des griefs au premier palier quand elle a été émise la première fois, je ne suis pas convaincue que cela constitue des circonstances contraignantes. À mon avis, le demandeur est en partie responsable du retard subi avant que le grief au dernier palier ait été déposé, car il a omis d’assurer le suivi auprès des autorités du SCC pour obtenir une réponse. Il ressort des documents déposés devant la Cour que le demandeur n’est pas étranger au processus de règlement des griefs au SCC. En plus d’avoir déposé plusieurs griefs sur une variété de questions, le demandeur n’a manifesté aucune hésitation à présenter d’innombrables demandes aux responsables du SCC et à exprimer son mécontentement à l’égard de leurs réponses.

[30]           En outre, pour déterminer s’il existe des circonstances contraignantes dans ce cas qui justifieraient une dérogation au principe général, il est important de tenir compte de la nature des soins et des services demandés par le demandeur, que je vais maintenant examiner.

(1)               Rhinoplastie

[31]           Le demandeur a demandé une rhinoplastie pour corriger la forme de son nez. Cette question a été incluse dans ses griefs au premier palier et au dernier palier.

[32]           Le 5 mars 2015, le demandeur a subi une septoplastie qu’il avait demandée pour corriger une déviation de la cloison nasale. La chirurgie ne comportait pas de rhinoplastie. Dans les rapports du 4 décembre 2014 et du 5 mars 2015, Dr Qureshy, le chirurgien qui a pratiqué l’opération, a indiqué qu’il avait expliqué au demandeur que la rhinoplastie n’aurait probablement pour effet que de permettre aux lunettes du demandeur que de se fixer plus uniformément sur son nez. Il a estimé que ce n’était pas une bonne raison pour avoir une rhinoplastie. Il a, en outre, indiqué que le nez du demandeur n’avait été dévié que très légèrement, et que la rhinoplastie ne répondrait peut-être même pas à sa principale préoccupation quant à la façon dont ses lunettes ne se fixent pas uniformément sur son nez. Dr Qureshy a écrit qu’il estimait qu’il serait préférable d’adapter les lunettes au nez du demandeur que d’adapter le nez du demandeur aux lunettes. Le jour de la septoplastie du demandeur, Dr Qureshy a réitéré à ce dernier que la rhinoplastie n’était pas la solution, mais a offert de demander un autre avis à l’un de ses collègues.

[33]           Le 26 octobre 2015, le demandeur a été vu par un autre spécialiste, Dr Hollins, qui a informé le demandeur que son problème était essentiellement d’ordre cosmétique. Il a, en outre, indiqué que toute correction chirurgicale était susceptible d’avoir une chance de succès assez limitée, et qu’il était douteux qu’une rhinoplastie soit bénéfique. Il a déclaré qu’il ne fait pas de chirurgie esthétique, mais a fait remarquer qu’il y avait un ou deux chirurgiens à Ottawa qui pourraient être pris en considération pour la procédure. Il a également ajouté que si la rhinoplastie esthétique n’était pas couverte par le régime du SCC, le demandeur devrait payer pour la procédure. En ce qui concerne la difficulté du demandeur de porter des lunettes, il a suggéré que le demandeur obtienne des lunettes dont les plaquettes nasales ont un positionnement réglable.

[34]           Conformément au Cadre national relatif aux soins de santé essentiels du SCC en date du 23 juillet 2015, les interventions chirurgicales fondées uniquement sur des raisons esthétiques, y compris la déviation nasale externe (acquise ou congénitale), ne sont pas couvertes.

[35]           Le demandeur continue à demander ce traitement, et il est prêt à payer pour cela.

(2)               Implants dentaires

[36]           Le demandeur demande que deux de ses dents, qui sont ébréchées, soient entièrement remplacées par des implants. Cette demande n’a pas été incluse dans le grief d’août 2013. Elle a ensuite été incluse dans le grief au dernier palier de septembre 2015.

[37]           Un examen du dossier indique que le demandeur a fait des demandes pour consulter un dentiste au sujet de ses dents ébréchées le 22 mars 2011, le 12 juin 2011, le 19 septembre 2011 et le 26 septembre 2011, lorsqu’il se trouvait à l’Unité spéciale de détention du Centre régional de réception de Sainte-Anne-des-Plaines, au Québec. Il semble également avoir demandé, le 2 octobre 2013, une rencontre avec le chef des services de soins de santé de l’Établissement de l’Atlantique pour discuter de plusieurs questions, notamment la consultation du dentiste.

[38]           Selon l’agent de libération conditionnelle du demandeur, celui-ci n’a pas demandé à consulter un dentiste depuis son transfèrement à l’Établissement de Millhaven (affidavit daté du 5 octobre 2015, paragraphe 4). Sa demande n’a été présentée qu’après le dépôt de la demande de contrôle judiciaire. Le 10 juillet 2014, le demandeur s’est renseigné sur le coût du remplacement des deux dents par des implants. Le 21 juillet 2014, il a été informé que le coût atteindrait entre 3 000 $ et 6 000 $, que la procédure ne pouvait pas être entreprise dans un établissement pénitentiaire et qu’elle devrait être engagée une fois le demandeur libéré.

[39]           Le 24 août 2015, le dentiste de l’établissement, Dr Erwin, a informé le demandeur que les implants dentaires, les procédures liées aux implants dentaires et l’orthodontie ne relevaient pas du Cadre national relatif aux soins de santé essentiels. Tous les coûts liés aux consultations et au traitement, y compris les frais d’escorte de sécurité et les heures supplémentaires, doivent être pris en charge par le détenu. Dr Erwin a recommandé que la première consultation du demandeur soit faite auprès de Dre Nguyen, car elle coordonnerait la procédure d’implantation. Le demandeur a, en outre, été informé que s’il souhaitait continuer, Dr Erwin devrait produire le rapport de consultation nécessaire et communiquer avec le bureau de Dre Nguyen pour obtenir un devis de la consultation. Dès réception, le demandeur serait avisé de ces frais et pourrait alors remplir et soumettre un formulaire aux services de soins de santé en vue de couvrir les frais.

[40]           Le 26 octobre 2015, Dr Erwin présenté une recommandation pour la consultation et le rapport à Dre Nguyen, lui demandant un rendez-vous pour l’évaluation initiale ainsi que le coût de la consultation, y compris toute radiographie, avant de fixer le rendez-vous. Une note au dossier dentaire du demandeur, datée du 26 octobre 2015, indique que la procédure n’est pas nécessaire sur le plan médical.

[41]           En dépit de sa demande d’implants, le demandeur a déjà obtenu un pont dentaire.

[42]           Selon les conditions du Cadre national relatif aux soins de santé essentiels du SCC daté du 23 juillet 2015, les implants dentaires ne sont pas couverts.

[43]           Le demandeur est prêt à payer pour les implants dentaires demandés, bien qu’il attende d’être indemnisé parce que, selon lui, les blessures ont été causées par le personnel du SCC.

(3)               Chirurgie du doigt

[44]           Selon le demandeur, il a été blessé à la main gauche lors de l’incident survenu le 27 janvier 2011, au cours duquel le recours à la force a été employé. Il demande une intervention chirurgicale pour réparer les tendons de son cinquième doigt de la main gauche. Cette question a été incluse dans les griefs aux premier et dernier paliers. Je note, lors de l’examen du dossier dont la Cour a été saisie, que le 9 août 2010, le demandeur a fait une demande de soins de santé pour un [TRADUCTION] « auriculaire gauche FRACTURÉ au niveau de l’articulation ».

[45]           Nonobstant comment et quand la blessure est survenue, le demandeur a eu plusieurs radiographies de la main gauche. Selon le dossier, les radiographies de la main gauche du demandeur ont été interprétées le 27 janvier 2011, le 9 mai 2011 et le 17 avril 2012, et aucune d’entre elles n’a révélé de fracture. Une radiographie de la main gauche du demandeur a également été demandée le 21 juillet 2013; cependant, les résultats ne font pas partie du dossier.

[46]           Néanmoins, le 11 septembre 2015, le demandeur a de nouveau reçu une recommandation médicale pour sa main gauche. Le 14 septembre 2015, le personnel du SCC de l’Établissement de Millhaven a reporté l’aiguillage, car la blessure n’était pas considérée comme urgente ou constituant un danger de mort et un suivi pouvait être effectué dans l’établissement d’accueil du demandeur.

(4)               Lunettes

[47]           Le demandeur a demandé une nouvelle paire de lunettes convenant bien à son nez. Cette question n’a été incluse que dans son grief au dernier palier. Le demandeur est prêt à payer pour une nouvelle paire, encore une fois dans l’espoir qu’il sera indemnisé à une date ultérieure.

[48]           Le SCC soutient que le demandeur doit porter des lunettes achetées auprès des fournisseurs du SCC. Le 16 juillet 2014, le demandeur a obtenu des lunettes « CORCAN » auprès du Dr Kogan, optométriste. Le demandeur a demandé des lunettes qui correspondent mieux à son visage, mais il a été informé qu’il devait réduire ses effets personnels afin de pouvoir acheter une autre paire, car les lunettes feraient dépasser sa limite de 1 500 $ pour les effets personnels.

[49]           Comme il a été mentionné précédemment, le spécialiste qui a été consulté par rapport à la valeur de l’exécution d’une rhinoplastie a indiqué que le demandeur devrait obtenir des lunettes dont les plaquettes nasales ont un positionnement réglable pour remédier à sa difficulté à porter des lunettes. Le 28 octobre 2015, le demandeur avait rendez-vous avec Dr Kogan pour obtenir des lunettes correspondant mieux à son nez. Le SCC a également permis au demandeur de payer pour d’autres mises à jour, conformément aux lignes directrices du SCC.

[50]           Bien que le demandeur ait présenté un argument convaincant selon lequel les soins et les services de santé qu’il a demandés au fil des ans n’ont pas été fournis parce qu’il a été transféré à quatre établissements différents depuis l’incident du 27 janvier 2011 et se retrouve donc à la fin des listes d’attente, ce qui cause d’autres retards et inconvénients, les intimés ont également démontré que plusieurs des demandes du demandeur ont été honorées au cours de la dernière année, sous une forme ou une autre.

[51]           La Cour est confrontée à la difficile décision de déterminer si le processus de règlement des griefs au dernier palier devrait suivre son cours, sachant que le demandeur est confronté à un transfèrement imminent à l’extérieur de la province. Si le demandeur avait déposé un grief pour contester son transfèrement au Manitoba, il aurait peut-être réussi à empêcher ou à retarder son transfèrement assez longtemps pour être en mesure d’accéder à un traitement ultérieur.

[52]           La preuve au dossier fait également défaut à l’égard de la nature « essentielle » des évaluations et des traitements demandés par le demandeur. Même si l’article 86 de la LSCMLC prescrit que chaque détenu doit obtenir les soins de santé essentiels qui doivent satisfaire aux normes professionnelles reconnues, la détermination du service nécessaire pour un détenu doit reposer sur le jugement des professionnels de la santé. Bien que le demandeur soit en désaccord avec le diagnostic fourni par les professionnels qu’il a consultés à ce jour, la Cour n’a obtenu aucune preuve pour rejeter leurs évaluations ou le traitement recommandé. La Cour n’a pas non plus obtenu des éléments de preuve concernant les normes professionnelles reconnues dans la collectivité en général ou toute preuve selon laquelle le demandeur subira un préjudice, et encore moins un préjudice irréparable, s’il est obligé d’attendre de nouvelles consultations.

[53]           L’agent de libération conditionnelle du demandeur a indiqué que, lorsque le demandeur sera transféré de l’Établissement de Millhaven à celui de Stony Mountain, l’Établissement de Millhaven enverra d’abord un « sommaire de transfèrement » à l’établissement d’accueil au sujet de la santé du demandeur. Ce sommaire a pour but de fournir à l’établissement d’accueil un préavis relatif aux problèmes de santé d’un détenu. Si la demande du demandeur est accueillie relativement à l’une des questions de son grief, je m’attends à ce que la décision soit communiquée à l’établissement d’accueil qui, à son tour, sera tenu de statuer sur les questions déterminées.

[54]           Lorsque la décision relative au grief au dernier palier sera rendue, le demandeur sera en mesure de déterminer s’il y a des questions en suspens qu’il conteste. S’il décide de poursuivre l’affaire, sa demande de contrôle judiciaire sera probablement plus ciblée sur le plan factuel et juridique, et la Cour sera alors en meilleure position pour juger si on lui a refusé l’accès à des services de santé essentiels et si ses droits ont été violés aux termes de la Charte.

[55]           Compte tenu de ma conclusion selon laquelle la demande de contrôle judiciaire est prématurée puisque les autres voies de recours n’ont pas été épuisées, il n’est pas nécessaire pour moi de décider si la demande de contrôle judiciaire est sans objet ou si le SCC a raisonnablement répondu aux demandes du demandeur relativement à des soins et des services de santé.

[56]           En outre, après avoir rejeté et réglé la demande de contrôle judiciaire, il n’est pas nécessaire pour moi de me prononcer sur la requête du demandeur visant une injonction interlocutoire.

IV.             Dépens

[57]           Tant le demandeur que les intimés demandent l’octroi des dépens. Étant donné que la septoplastie du demandeur et les recommandations ultérieures ont toutes été effectuées après que le demandeur eut déposé sa demande de contrôle judiciaire, et compte tenu du manque de clarté entourant la communication de la décision de règlement du grief au premier palier, j’ai décidé, dans l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire, qu’il n’y aura pas de dépens.


LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée et chaque partie prendra en charge ses propres dépens.

« Sylvie E. Roussel »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1442-14

INTITULÉ :

TIMOTHY MITCHEL NOME c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET LE COMMISSAIRE AUX SERVICES CORRECTIONNELS

LIEU DE L’AUDIENCE :

OTTAWA (ONTARIO)

DATE DES AUDIENCES :

LES 9 et 21 DÉCEMBRE 2015

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA juge ROUSSEL

DATE DU JUGEMENT :

LE 11 FÉVRIER 2016

COMPARUTIONS :

J. Todd Sloan

Pour le demandeur

Patrick Bendin

Pour les intimés

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

J. Todd Sloan

Avocat-procureur

Ottawa (Ontario)

 

Pour le demandeur

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

Pour les intimés

 

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