Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20160217


Dossier : IMM-3334-15

Référence : 2016 CF 215

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 17 février 2016

En présence de monsieur le juge Phelan

ENTRE :

SANDRA MILENA BUILES

MELISSA ASUAD BUILES

demanderesses

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               Il s’agit du contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) dans laquelle elle a conclu que les demanderesses (Sandra – épouse; et Melissa – fille) n’étaient pas des réfugiées ni des personnes à protéger. La SPR a conclu que Juan (mari) avait la qualité de réfugié.

Pour les motifs mentionnés, la Cour a conclu que la décision était déraisonnable et le contrôle judiciaire sera accordé.

II.                Contexte

[2]               Juan Alejandro Asuad, Sandra Builes et Melissa Builes sont des citoyens de la Colombie.

[3]               M. Asuad était un avocat plaidant indépendant qui pratiquait le droit civil et le droit criminel. Il était ce que les Canadiens pourraient appeler un avocat spécialisé en droits civils – un domaine dans lequel il s’est impliqué depuis l’époque de ses études. Il se spécialisait également dans la revendication des terres familiales volées à l’aide de documents frauduleux. De plus, il cherchait à obtenir une indemnisation pour la mort de son père et de son frère. Son père avait été kidnappé et tué.

[4]               La femme de M. Asuad, Sandra, était une psychologue en milieu universitaire œuvrant dans les centres de développement de l’enfance dans des régions sous l’influence de bandes armées.

Melissa est leur fille d’âge mineur – 12 ans au moment en question.

[5]               Le 27 février 2015, deux hommes ont menacé M. Asuad. Ils lui ont dit qu’ils savaient où il vivait et qu’il avait une fille, et ils l’ont averti de cesser d’être un mouchard et un perturbateur. M. Asuad ne savait pas qui étaient ces gens ni en quel nom les menaces étaient proférées.

[6]               Immédiatement après les menaces, M. Asuad a signalé l’incidence au Bureau du procureur. La semaine suivante, il a signalé l’incident à l’ombudsman, au Personeria, au palais de justice ainsi qu’au ministère de l’Administration pour l’attention et la réparation aux victimes.

Aucune mesure n’a été prise et les institutions ont informé M. Asuad qu’elles ne disposaient pas de l’infrastructure nécessaire pour assurer la sécurité.

[7]               Par la suite, M. Asuad et les demanderesses se sont rendus au Canada et ont déposé leurs demandes d’asile.

[8]               La SPR a conclu que M. Asuad était un témoin crédible et digne de foi. La SPR a accepté les faits énoncés dans son formulaire Fondement de la demande d’asile et dans sa déposition orale.

[9]               La SPR a examiné la nature de sa pratique dans l’exécution de l’administration de la justice. La SPR a conclu que les documents du pays établissent que les avocats qui font un travail semblable (droits de la personne, corruption de l’État, trafic de drogues et terres en litige) avaient également reçu des menaces semblables.

[10]           Elle a également conclu que la preuve documentaire établissait que la protection de l’État n’était pas susceptible d’être efficace pour les avocats œuvrant dans le domaine des droits de la personne, de la restitution des terres et certaines causes criminelles. La SPR a conclu à une crainte fondée et a accordé l’asile à M. Asuad.

[11]           Pour ce qui est de Sandra et de Melissa, la SPR a conclu qu’étant donné que la menace était à l’encontre de M. Asuad pour l’obliger à cesser de travailler et étant donné qu’il était maintenant au Canada ­ « les assaillants n’ont plus aucune bonne raison de poursuivre l’affaire ». Sur ce fondement, la SPR a statué que Sandra et Melissa pouvaient être renvoyées en Colombie sans risque.

III.             Analyse

[12]           La seule question en litige est celle de la décision raisonnable de la conclusion de la SPR selon laquelle les demanderesses ne courraient aucun risque si elles retournaient en Colombie.

La norme de contrôle est celle de la décision raisonnable.

[13]           La décision de la SPR est totalement déraisonnable, fondée sur la spéculation et non conforme aux éléments de preuve.

[14]           La requête des demanderesses est en grande partie une demande par filiation parce que le risque vient de leur association avec M. Asuad.

[15]           La SPR savait que les agents de persécution n’étaient pas connus et pourtant elle a spéculé qu’étant donné que M. Asuad était au Canada, sa famille ne courrait aucun risque. Rien n’indique que ces personnes inconnues se satisferaient du refuge de M. Asuad au Canada.

Il est également plausible qu’étant donné que ces agents souhaitaient seulement que M. Asuad cesse ses activités (une hypothèse non fondée), menacer sa famille constituerait la méthode la plus certaine de le tenir tranquille, même à distance.

[16]           Comme on indique dans l’affaire Londono Soto c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 354, 166 ACWS (3d) 343, les décisions quant à la vraisemblance de qui sera attaqué et à quel moment doivent être prises avec prudence en raison de la difficulté de prévoir qui sera ciblé et pour quel niveau d’implication.

[17]           La SPR a spéculé, sans fondement, quant aux motifs, moyens et intentions futures des agents de persécution. Elle a supposé que si elle avait raison quant au motif (faire cesser le travail relatif aux droits de la personne), ils se comporteraient de façon sensible et rationnelle envers les demanderesses. Cette supposition n’est étayée par aucune preuve.

[18]           Les éléments de preuve indiquent que les membres de la famille des avocats qui œuvrent dans le domaine des droits civils ont été la cible de persécutions Les éléments de preuve indiquent que, du moins pour ces personnes, il n’existe aucune protection efficace de l’État.

[19]           Avant que la SPR ne renvoie quiconque dans la zone de risque (la conséquence naturelle de sa décision défavorable), elle doit avoir un solide fondement de son analyse prospective du risque pour la personne rapatriée. C’est le moins qu’elle puisse faire pour l’épouse et l’enfant d’un mari/père qui avait des motifs légitimes de craindre dans un endroit où il n’existe aucune protection efficace de l’État pour eux.

[20]           La décision fait une référence voilée à la possibilité que les demanderesses soient parrainées par M. Asuad. Bien que cela puisse être une possibilité raisonnable (peut­être destinée à adoucir la rigueur de la décision), cette considération n’est pas pertinente.

[21]           La décision de la SPR est déraisonnable dans toutes les circonstances.

IV.             Conclusion

[22]           Le contrôle judiciaire sera accordé, la décision sera annulée et l’affaire sera renvoyée à un autre commissaire pour une nouvelle décision.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la requête de contrôle judiciaire est accordée, la décision est annulée et l’affaire doit être renvoyée à un autre commissaire pour une nouvelle décision.

« Michael L. Phelan »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3334-15

 

INTITULÉ :

SANDRA MILENA BUILES, MELISSA ASUAD BUILES c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 27 JANVIER 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

Le juge PHELAN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 17 février 2016

 

ONT COMPARU :

Amedeo Clivio

 

Pour les demanderesses

 

Christopher Ezrin

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Davis & Grice

Avocats­procureurs

Toronto (Ontario)

 

Pour les demanderesses

 

William F. Pentney

Sous­procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.