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Date : 20160209


Dossier : IMM-1967-15

Référence : 2016 CF 167

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 9 février 2016

En présence de monsieur le juge Bell

ENTRE :

ARNAULD CHRISS NGANJI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

(Prononcés oralement à l’audience à Toronto (Ontario), le 7 décembre 2015)

APRÈS avoir entendu la requête de contrôle judiciaire à Toronto (Ontario), le 7 décembre 2015;

APRÈS avoir examiné les documents déposés devant la Cour et après avoir entendu les avocats au nom des parties;

ET APRÈS avoir fait les observations suivantes :

[1]               Arnauld Chriss Nganji sollicite une requête de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, Section de la protection des réfugiés (SPR), datée du 31 mars 2015, par laquelle la SPR a rejeté sa demande d’asile aux termes de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch. 27 [la Loi] et sa demande du statut de personne à protéger aux termes de l’article 97 de la Loi.

[2]               M. Nganji est né au Burundi le 27 janvier 1993 et il appartient au groupe ethnique des Tutsis. En 1993, sa mère et trois de ses frères sont tués par des rebelles hutus pendant le génocide. Le Conseil national pour la défense de la démocratie – Force nationale pour la défense de la démocratie [CNDD­FDD] forme le parti au pouvoir au Burundi. Hussein Radjabu [M. Radjabu], un dirigeant important et un politicien de haut rang au sein du CNDD­FDD, a exigé que la sœur de M. Nganji, Mme Kwizera, devienne sa fiancée. Étant donné que Mme Kwizera ne voulait pas se marier à M. Radjabu, elle a fui au Canada en septembre 2006 et a obtenu le statut de réfugiée en 2007. M. Nganji affirme que les forces gouvernementales cherchent à obtenir des renseignements au sujet de M. Radjabu par son entremise (M. Nganji) parce qu’il est le frère de Mme Kwizera.

[3]               En 2007, M. Radjabu est arrêté. En 2009, il est condamné à 13 années d’emprisonnement. Selon des documents publics, il a toujours des partisans au Burundi. Les tensions entre le gouvernement actuel et le CNDD­FDD ont refait surface depuis son arrestation. Depuis le départ de Mme Kwizera, M. Nganji allègue que les policiers se sont rendus chez lui à plusieurs reprises, qu’ils ont violé deux de ses sœurs (août 2007) et battu son père (en 2008). Une de ses sœurs a réussi à quitter le Burundi en décembre 2007. À l’instar de sa sœur, elle s’est rendue au Canada et a obtenu le statut de réfugiée. Le 27 décembre 2013, M. Nganji allègue que des policiers l’ont enlevé et détenu. M. Nganji allègue que les policiers l’ont reconnu comme étant le frère de Mme Kwizera et ont menacé de l’enrôler de force au sein des Imbonerakure, milice composée de jeunes fidèles au président du Burundi. M. Nganji allègue qu’il s’est évadé de la salle de détention improvisée le 30 décembre 2013, qu’il s’est caché chez des amis jusqu’à ce qu’il puisse obtenir un passeport et un visa américains en 2014. Il est arrivé à Seattle, dans l’État de Washington, le 7 août 2014 et il est entré au Canada le même jour. Il a réclamé aussitôt l’asile.

[4]               Devant la SPR, M. Nganji a soutenu qu’il craignait des persécutions extrajudiciaires aux mains des policiers et des Imbonerakure s’il retournait au Burundi. Au moment de l’audience, le membre de la Commission a demandé à M. Nganji quels étaient les motifs de l’arrestation de M. Radjabu en 2007. M. Nganji a répondu que M. Radjabu a été arrêté et accusé pour détournement de fonds. Cette réponse, selon la SPR, contredit les documents publics qui soutiennent que M. Radjabu a été accusé de menace à la sécurité nationale. En conséquence, la SPR a conclu que le témoignage de M. Nganji n’était pas considéré crédible ou digne de foi. Se fondant en partie sur la conclusion défavorable relativement à la crédibilité de M. Nganji, la SPR a conclu qu’il était peu probable que la police ait arrêté, détenu et maltraité M. Nganji pour des motifs reliés à M. Radjabu étant donné que son procès (celui de M. Radjabu) avait pris fin en 2009.

[5]               Bien que M. Nganji invoque plusieurs motifs de contrôle judiciaire, j’accueillerais la requête en me fondant sur l’approche adoptée par la SPR pour évaluer sa crédibilité. Je suis conscient que les questions de crédibilité doivent être évaluées en regard de la norme de contrôle de la décision raisonnable (Zhou c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 619, [2013] ACF no 687 au paragraphe 26; Wu c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 929, [2009] ACF no 1143 au paragraphe 17; Aguebor c. Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 732, 160 NR 315) et qu’il faut s’en remettre aux conclusions de la SPR relativement à la crédibilité. Je suis également au fait des exigences de l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau­Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir] voulant que pour être raisonnable, une décision doit appartenir « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » et avoir trait « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel » (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47). Je conclus que la décision de la SPR ne respectait pas la norme du caractère raisonnable à plusieurs égards.

[6]               En l’occurrence, la SPR a rendu une décision défavorable relativement à la crédibilité en se fondant sur la réponse apparemment « incorrecte » de M. Nganji quant aux motifs de l’arrestation de M. Radjabu. M. Nganji avait quatorze ans au moment de l’arrestation de M. Radjabu. Même si M. Nganji a témoigné en tant qu’adulte, il a droit à ce que son témoignage soit considéré comme étant celui d’un témoin enfant. Le dossier n’indique pas si la SPR a suivi cette approche. La juge McLachlin, son titre d’alors, a expliqué dans l’affaire R c. W (R), [1992] 2 RCS 122, aux paragraphes 133 et 134, que la preuve relative à un événement survenu lorsqu’un témoin adulte était un enfant devait être considérée dans le contexte de l’âge du témoin au moment de l’événement. Elle a dit ce qui suit :

D’autre part, l’attitude du droit envers les témoignages d’enfants a récemment changé en ce qu’on estime maintenant qu’il est peut­être erroné de leur appliquer les mêmes critères qu’à ceux des adultes en matière de crédibilité. On porte maintenant plus attention aux perspectives particulières aux enfants. Ces derniers peuvent voir le monde différemment des adultes; il n’est donc guère surprenant qu’ils puissent oublier des détails qui, comme le moment et l’endroit, sont importants aux yeux de l’adulte.

[7]               Bien que je considère que la décision en matière de crédibilité ne soit pas raisonnable étant donné que l’on n’a pas appliqué la loi en ce qui concerne le témoignage d’enfants, j’ajouterais deux autres observations qui, à mon avis, donnent lieu à une décision déraisonnable. Premièrement, on ne sait pas si la SPR a considéré que la demande s’appuyait sur la détention de quatre jours et l’apparente menace d’enrôlement forcé dans une milice, ou sur l’affirmation de M. Nganji selon laquelle il était sous l’effet de menaces de policiers à la recherche de renseignements sur M. Radjabu. Deuxièmement, la SPR n’a pas indiqué si elle croyait à la preuve d’une arrestation et aux plans d’un enrôlement forcé dans la milice. Je conclus que le manque de clarté à l’égard de ces deux dernières questions rend la décision ni transparente, ni intelligible.

[8]               M. Nganji a demandé à la Cour de rendre une ordonnance portant sur la rapidité avec laquelle la SPR doit réexaminer cette affaire. Je décline respectueusement l’invitation de rendre une telle ordonnance.

LA COUR STATUE que :

1.                  La requête de contrôle judiciaire est accueillie.

2.                  L’affaire est renvoyée à un autre commissaire de la SPR pour réexamen.

3.                  Il n’y aura aucune adjudication de dépens.

4.                  Aucune question n’est certifiée.

« B. Richard Bell »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1967-15

 

INTITULÉ :

ARNAULD CHRISS NGANJI c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 7 décembre 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BELL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 9 février 2016

 

COMPARUTIONS :

Raoul Boulakia

 

pour le demandeur

Leila Jawando

 

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Raoul Boulakia

Avocat­procureur

Toronto (Ontario)

 

pour le demandeur

William F. Pentney

Sous­procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

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