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Date : 20160111


Dossier : T-1107-15

Référence : 2016 CF 23

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 11 janvier 2016

En présence de monsieur le juge Fothergill

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

demandeur

et

HOMAYOUN SHAHNAVAZ

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration [le ministre] a présenté une demande de contrôle judiciaire conformément au paragraphe 22.1(1) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C­29 [la Loi]. Le ministre cherche à annuler la décision d’un juge de la citoyenneté [le juge] d’approuver la demande de citoyenneté canadienne de Homayoun Shahnavaz. Le juge a conclu que M. Shahnavaz avait démontré qu’il était un résident du Canada pendant au moins trois des quatre années précédant sa demande, comme le prescrit l’alinéa 5(1)c) de la Loi.

[2]               Par les motifs qui suivent, j’ai conclu qu’il y avait suffisamment d’éléments de preuve sur lesquels le juge pouvait s’appuyer pour conclure raisonnablement que M. Shahnavaz répondait à l’obligation de résidence aux termes de la Loi. La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.

II.                Contexte

[3]               M. Shahnavaz, âgé de 78 ans, est un citoyen de la République islamique d’Iran. Il est arrivé au Canada avec sa femme et ses enfants le 13 septembre 2004, date à laquelle il est également devenu résident permanent.

[4]               M. Shahnavaz a demandé la citoyenneté canadienne le 4 avril 2010. Afin de répondre à l’obligation de résidence aux termes de l’alinéa 5(1)c) de la Loi, le demandeur doit avoir accumulé au moins trois ans de résidence au Canada, soit 1 095 jours au total, dans les quatre années précédant immédiatement la demande de citoyenneté. Il n’est pas controversé entre les parties que la période pertinente pour déterminer si M. Shahnavaz a répondu à l’obligation de résidence aux termes de la Loi est du 4 avril 2006 au 4 avril 2010 [la période pertinente].

[5]               Dans sa demande de citoyenneté, M. Shahnavaz a déclaré trois voyages distincts en Iran, ce qui équivaut à une absence de 206 jours du Canada.

[6]               Le 8 juin 2008, M. Shahnavaz s’est présenté devant un agent de Citoyenneté et Immigration Canada [CIC]. L’agent s’est dit préoccupé par le fait que M. Shahnavaz n’avait pas fourni un passeport pour démontrer sa sortie du Canada et son entrée au Canada durant la majeure partie de la période pertinente. L’agent lui a demandé de remplir un questionnaire sur la résidence et de fournir des photocopies de tous les passeports expirés et en vigueur qu’il a utilisés pour entrer au Canada, de renseignements fiscaux supplémentaires, d’une preuve de domicile (p. ex. ententes de location ou paiement d’hypothèque) et de cartes d’embarquements ou d’itinéraires liés à ses absences du Canada.

[7]               Le 6 juillet 2011, M. Shahnavaz a fourni les documents suivants à CIC : (i) une copie de son passeport valide; (ii) une explication par écrit des raisons pour lesquelles son passeport pour la majeure partie de la période pertinente (qui a été délivré en 1999 et est demeuré valide jusqu’au 13 décembre 2009) n’était pas disponible et des raisons pour lesquelles il n’avait pas conservé ses itinéraires de vol et ses cartes d’embarquement; (iii) des lettres du Conseil canadien des arts et d’Imagika Productions confirmant sa participation à des activités sociales et culturelles au Canada; (iv) une lettre du Hamsaz Cultural Centre confirmant qu’il faisait du bénévolat depuis 2005; (v) des relevés d’impôt de 2005 à 2009; (vi) divers documents décrivant ses antécédents médicaux de 2006 à 2011, y compris une lettre de son oncologue datée du 29 juin 2011 déclarant qu’il était son patient depuis avril 2006, a reçu des traitements contre le cancer du côlon et a dû recevoir des traitements continus au cours des trois années suivantes; et (vii) des lettres de déclaration sous serment rédigées par sa sœur et son beau­frère pour attester qu’il vivait avec eux depuis 2007.

[8]               Le 18 août 2011, après avoir examiné la demande de M. Shahnavaz, un agent de la citoyenneté [l’agent] a conclu qu’il était difficile de déterminer s’il répondait à l’obligation de résidence aux termes de la Loi en raison de l’absence de son passeport délivré en 1999. L’agent a demandé à M. Shahnavaz de fournir plus de documents, y compris des états financiers, des factures pour soutenir son domicile au Canada et des dossiers médicaux.

[9]               Par lettre datée du 4 octobre 2011, CIC a demandé à M. Shahnavaz de fournir des renseignements supplémentaires pour établir sa résidence au Canada durant la période pertinente et de remplir un deuxième questionnaire sur la résidence. M. Shahnavaz a répondu qu’il travaillait à un projet de film en Iran et a fourni une lettre de son employeur iranien. Il a également expliqué qu’il ne pouvait pas fournir son passeport délivré en 1999, car les autorités iraniennes l’avaient détruit. Il a soutenu que tous les documents pertinents se trouvaient dans sa demande initiale présentée le 6 juillet 2011.

[10]           Le 4 mai 2015, M. Shahnavaz a comparu devant le juge. Il était accompagné de sa nièce, qui a confirmé sa présence physique au Canada pendant la période pertinente. Après l’audience, le juge a demandé à M. Shahnavaz de fournir plus de documents, y compris des relevés d’emploi, des avis de cotisation, des relevés de cartes bancaires et de cartes de crédit, des billets d’avion et d’autres renseignements liés à ses absences du Canada.

[11]           Par lettre datée du 13 mai 2015, M. Shahnavaz a envoyé à CIC un troisième questionnaire sur la résidence et a fourni les documents suivants : (i) une lettre expliquant que la perte de son passeport délivré en 1999 découlait de certaines erreurs de calcul dans sa demande de citoyenneté initiale; (ii) une lettre expliquant qu’il était retourné en Iran en vue de recueillir des fonds pour une production cinématographique canadienne; (iii) trois lettres de professionnels de la santé, qui étaient tous mentionnés dans sa demande initiale; (iv) une photocopie d’une citation à comparaître de l’Iran; (v) des photocopies des passeports canadiens des membres de sa famille; (vi) des photocopies de sa carte de résidence permanente et de sa carte d’identité de services de la Colombie­Britannique; (vii) des lettres confirmant sa contribution à l’industrie cinématographique à Vancouver depuis 2008; (viii) un affidavit déclarant qu’il avait peut­être égaré son passeport délivré en 1999 il y a six ans; (ix) des photocopies de cartes de crédit délivrées par Sears, la Compagnie de la Baie d’Hudson et Wal­Mart, dont aucune ne contenait des renseignements financiers; et (x) une confirmation de la Banque Royale du Canada qu’il était un client depuis décembre 2005, qu’il avait ouvert un compte conjoint avec son fils et qu’il avait également ouvert, le 21 avril 2006, un compte Visa qui a été désactivé le 18 décembre 2007.

III.             La décision du juge

[12]           Dans sa décision datée du 2 juin 2015, le juge a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que M. Shahnavaz s’était acquitté du fardeau de prouver qu’il répondait à l’obligation de résidence aux termes de l’alinéa 5(1)c) de la Loi. Le juge a révélé qu’il appliquait le critère quantitatif établi dans l’arrêt Re Pourghasemi, [1993] A.C.F. no 232, 62 F.T.R. 122, qui exige le comptage strict des jours où un demandeur se trouvait physiquement au Canada.

[13]           Selon le juge, il était difficile de déterminer si M. Shahnavaz répondait à l’obligation de résidence aux termes de Loi en raison de l’absence de son passeport délivré en 1999. Le juge a reconnu que le passeport valide de M. Shahnavaz ne confirmait son entrée au Canada et sa sortie du Canada que pour les neuf derniers mois de la période pertinente. Toutefois, le juge a déclaré qu’il était « convaincu que le demandeur n’avait pas le passeport pendant le processus de demande » et que « les faits présentés par le demandeur ont été cohérents au cours des huit dernières années ».

[14]           Le juge a conclu que M. Shahnavaz était crédible et franc lorsqu’il a répondu aux questions. De plus, il a accepté les déclarations de la nièce de M. Shahnavaz, qui, selon lui, avait « établi que le demandeur vivait au Canada comme il est décrit ». Il a observé que les trois absences du Canada déclarées par M. Shahnavaz étaient confirmées par un rapport du Système intégré d’exécution des douanes [SIED] de l’Agence des services frontaliers du Canada. Par ailleurs, le juge a observé que les dossiers bancaires de M. Shahnavaz n’indiquaient aucune activité pendant les périodes d’absence déclarées, mais que son compte était autrement « très actif ». Le juge a reconnu qu’il ne disposait d’aucun dossier dont la date était antérieure au 30 avril 2008. En fonction des éléments de preuve, le juge a conclu qu’il y avait une période d’incertitude à partir du 4 avril 2006 jusqu’au 30 avril 2008 [la période d’incertitude].

[15]           Le juge a décidé qu’il y avait suffisamment d’éléments de preuve objectifs pour conclure que M. Shahnavaz se trouvait physiquement au Canada pendant la période d’incertitude. Il a décidé qu’il était très improbable que M. Shahnavaz soit en mesure de voyager pendant cette période, étant donné qu’il devait recevoir des traitements continus après son diagnostic du cancer du côlon en 2006, y compris la chimiothérapie. À la lumière des antécédents médicaux du défendeur, le juge décide que le passeport manquant n’était pas susceptible de révéler des absences du Canada avant avril 2008. Le juge a donc approuvé la demande de citoyenneté de M. Shahnavaz, en indiquant que les renseignements que ce dernier avait fournis étaient cohérents tout au long du processus de demande.

IV.             Question en litige

[16]           La seule question de la présente demande de contrôle judiciaire est de savoir si le juge a raisonnablement conclu que M. Shahnavaz avait satisfait à l’obligation de résidence aux termes de la Loi.

V.                Analyse

[17]           La détermination d’un juge de la citoyenneté quant à savoir si l’obligation de résidence aux termes de la Loi a été respectée est une question de fait et de droit, de même qu’elle est susceptible de révision par la Cour par rapport à la norme de la décision raisonnable (Kohestani c. Canada [Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration], 2012 CF 373 au paragraphe 12; Idahosa c. Canada [Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration], 2013 CF 739 au paragraphe 9).

[18]           Les éléments de preuve de M. Shahnavaz présentaient des incohérences en ce qui a trait aux raisons de l’absence de son passeport délivré en 1999. Lors de son entrevue initiale avec un agent de la citoyenneté le 8 juin 2011, M. Shahnavaz n’a pas fourni de passeport pour la période pertinente, car il a « oublié d’emporter ses anciens passeports ». Dans une lettre datée du 5 juillet 2011, M. Shahnavaz a informé CIC qu’il ne pouvait pas fournir son ancien passeport ou ses cartes d’embarquement et ses itinéraires de vol « parce qu’il n’était pas au courant qu’il devait les conserver ». Après plusieurs demandes de CIC, M. Shahnavaz a expliqué dans une lettre datée du 24 octobre 2011 que son ancien passeport avait été détruit par les autorités iraniennes. Finalement, dans un affidavit daté du 4 mai 2015, il a dit qu’il avait « peut­être égaré le passeport » il y a six ans.

[19]           Le juge a reconnu que l’absence du passeport délivré en 1999 était particulièrement préoccupante. Toutefois, il n’est pas clair s’il s’est penché sur les incohérences des éléments de preuve de M. Shahnavaz. Au paragraphe 15 de sa décision, le juge a seulement déclaré qu’il était convaincu que M. Shahnavaz « n’avait pas le passeport durant le processus de demande » et que « les faits présentés avaient été cohérents au fil des ans ».

[20]           La Cour a soutenu qu’« il serait extrêmement inhabituel, et probablement téméraire », de se fier au témoignage d’un intéressé pour établir sa résidence, sans aucun document à l’appui (Canada [Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration] c. El Bousserghini, 2012 CF 88, au paragraphe 19). Néanmoins, l’évaluation faite par le juge de la crédibilité de M. Shahnavaz commande une retenue élevée (Martinez­Caro c. Canada [Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2011 CF 640, au paragraphe 46).

[21]           En l’espèce, la question fondamentale est de savoir si les éléments de preuve invoqués par le juge étaient suffisants pour surmonter les préoccupations relatives à l’absence du passeport délivré en 1999 de M. Shahnavaz. Les autres éléments de preuve sont les suivants : (i) les périodes d’absence déclarées par M. Shahnavaz dans sa demande de citoyenneté étaient conformes aux renseignements contenus dans le SIED; (ii) le compte bancaire conjoint n’indiquait aucune activité durant les périodes d’absence, mais était autrement très actif; et (iii) M. Shahnavaz a reçu un diagnostic de cancer en 2006, a dû recevoir des traitements continus pendant trois ans, puis a reçu un traitement contre une infection urinaire en février 2007.

[22]           Le ministre affirme que les autres éléments de preuve n’étaient pas suffisants pour que le juge conclue que M. Shahnavaz s’était acquitté du lourd fardeau d’établir qu’il était physiquement au Canada pour le nombre de jours requis aux termes de la Loi. Le ministre indique que les renseignements bancaires provenaient d’une période se terminant en 2008 et que l’un des comptes était détenu conjointement avec le fils de M. Shahnavaz. Qui plus est, même si les périodes d’inactivité concordaient avec les absences de M. Shahnavaz, certaines périodes d’inactivité se situaient en dehors de l’absence déclarée. D’après le ministre, il était raisonnable pour le juge de s’appuyer sur les antécédents médicaux de M. Shahnavaz afin de conclure qu’il était probablement au Canada pendant la période d’incertitude. Le ministre révèle qu’il y avait de longs écarts entre les rendez­vous médicaux de M. Shahnavaz, qu’aucun médecin n’a indiqué qu’il ne pouvait pas voyager et qu’il avait effectivement voyagé pendant de longues périodes en 2010 et en 2011.

[23]           À mon avis, la décision du juge démontre qu’il a examiné tous les éléments de preuve et a conclu qu’il était suffisant de corroborer l’allégation de M. Shahnavaz, selon lequel il était demeuré au Canada durant la période d’incertitude. Le juge ne semble pas avoir tenu compte de l’incohérence des explications de M. Shahnavaz en ce qui concerne l’absence de son passeport. Néanmoins, le juge a reconnu qu’il était difficile d’établir la résidence de M. Shahnavaz en raison de l’absence du passeport et s’est donc clairement penché sur la question.

[24]           Les éléments de preuve fournis au juge comprenaient non seulement les antécédents médicaux et les relevés bancaires de M. Shahnavaz, mais également des lettres de déclaration sous serment rédigées par sa sœur et son beau­frère pour affirmer qu’il vivait avec eux depuis 2007. Le juge a également accordé un poids important aux déclarations faites par la nièce de M. Shahnavaz lors de l’entrevue, qui, selon lui, confirmaient qu’il « vivait au Canada comme il est décrit ». Il n’existe pas de motif valable de douter de la véracité des déclarations de la nièce, ou de ceux de la sœur et du beau­frère.

[25]           Compte tenu de la déférence exigée par la Cour à l’égard des conclusions du juge sur la crédibilité, je ne suis pas en mesure de dire que la conclusion du juge n’entre pas dans la gamme des issues possibles acceptables qui se justifient au regard des faits et du droit (Nouveau­Brunswick [Conseil de gestion] c. Dunsmuir, 2008 CSC 9 [Dunsmuir]). Bien que je ne sois pas parvenu à la même conclusion que le juge, le rôle de la Cour n’est pas de réévaluer les éléments de preuve (Canada [Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration] c. Anderson, 2010 CF 748, au paragraphe 26, citant Dunsmuir, au paragraphe 47). La décision du juge d’approuver la demande de citoyenneté canadienne de M. Shahnavaz était donc raisonnable.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.             La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.             Aucune question n’est certifiée aux fins d’appel.

« Simon Fothergill »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1107-15

 

INTITULÉ :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION c. HOMAYOUN SHAHNAVAZ

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie­Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 17 décembre 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FOTHERGILL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 11 janvier 2016

 

COMPARUTIONS :

Mark East

 

Pour le demandeur

 

Judith Boer

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous­procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Edelmann & Co. Law Corporation

Avocats­procureurs

Vancouver (Colombie­Britannique)

Pour le défendeur

 

 

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