Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20160128


Dossier : 15‑T‑51

Référence : 2016 CF 105

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Vancouver (Colombie‑Britannique), le 28 janvier 2016

En présence de monsieur le juge Mosley

JOYCE WAI YEE TAM

demanderesse

et

LE MINISTRE DES TRANSPORTS

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]               La Cour est saisie d’une requête écrite présentée conformément à l’article 369 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, afin d’obtenir une ordonnance fondée sur l’article 8 des Règles prorogeant le délai de présentation d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision du ministre des Transports prescrit au paragraphe 18.1 (2) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC, 1985, c F‑7. Le ministre conteste la requête.

[2]               La demanderesse travaille à l’aéroport international de Vancouver pour Air Transat depuis le 30 avril 2012. Son autorisation de sécurité lui permettait de détenir une carte d’identité de zone réglementée. Le 22 décembre 2014, la demanderesse a reçu une lettre du chef des Programmes de filtrage de sécurité de Transports Canada. La lettre l’informait que son autorisation de sécurité faisait l’objet d’un examen en raison de la réception de renseignements défavorables soulevant des préoccupations sur son aptitude à détenir une habilitation de sécurité. La lettre contenait des renseignements sur des contacts que la demanderesse aurait eus à cinq reprises, entre le 17 octobre 2005 et le 3 février 2012, avec des personnes décrites comme étant associées à des activités de gangs liées au crime organisé.

[3]               Toujours dans cette lettre, la demanderesse était invitée à fournir des renseignements supplémentaires décrivant les circonstances entourant les liens et incidents décrits ainsi que toute autre information ou explication, y compris les circonstances atténuantes, dans les vingt jours suivant la réception de la lettre. La demanderesse a répondu le 12 janvier 2015 en donnant des explications sur les cinq incidents et ses relations concernant les tierces personnes mentionnées dans la lettre du 22 décembre 2014.

[4]               Dans une lettre datée du 14 août 2015, reçue de la directrice générale de la sûreté aérienne, la demanderesse a été informée que le ministre des Transports avait annulé son habilitation de sécurité. La décision était fondée sur l’examen des renseignements détaillés dans la lettre du 22 décembre 2014, des observations fournies par la demanderesse et la recommandation de l’Organisme consultatif d’examen d’habilitation de sécurité en matière de transport. En conclusion, il était souligné dans la lettre que la demanderesse avait le droit de présenter une demande de révision de la décision à la Cour fédérale dans les trente jours.

[5]               Dans son affidavit à l’appui de la requête, la demanderesse reconnaît avoir pris connaissance de la mention faite dans la lettre du délai prescrit, mais elle déclare ne pas en avoir compris l’importance. Le 21 août 2015, elle a communiqué avec un avocat qui n’avait aucune expérience pertinente. Elle a communiqué avec deux autres avocats le 24 août 2015, mais elle n’a pas retenu leurs services parce que les honoraires proposés étaient trop élevés. Quelque temps après, la demanderesse a remarqué dans un article de journal en ligne le nom de l’avocat actuellement inscrit au dossier et elle a retenu ses services le 21 décembre 2015. La présente requête en prorogation de délai a été produite le 23 décembre 2015.

[6]               La question en litige dans la présente requête est celle de savoir si la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire de prolonger la période de trente jours de façon à permettre à la demanderesse de présenter sa demande tardive de contrôle judiciaire.

[7]               La demanderesse soutient que sa preuve par affidavit répond au critère établi par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada c Hennelly (1999), 244 NR 399, notamment en ce qu’elle a démontré :

(i)             une intention constante de poursuivre sa demande;

(ii)           que la demande est bien fondée;

(iii)         que le défendeur ne subit pas de préjudice en raison du délai; et

(iv)         qu’il existe une explication raisonnable justifiant le délai.

[8]               En ce qui a trait à son intention de poursuivre la demande, la demanderesse soutient qu’elle n’avait pas les ressources pour engager un avocat avant l’expiration du délai de prescription de trente jours. Elle affirme qu’elle n’a pas reçu de conseil éclairé sur la nécessité de présenter sa demande avant l’expiration du délai prescrit, ni de l’avocat consulté ni des représentants de son syndicat. À l’automne 2015, elle a également dû composer avec une grave maladie affectant un membre de sa famille immédiate. Le retard à présenter sa demande résulte de son incompréhension du processus ainsi que de son incapacité à retenir les services d’un avocat.

[9]               La demanderesse fait valoir que sa demande est bien fondée, car le raisonnement de la de la directrice générale de la sûreté aérienne contient plusieurs lacunes, dont celles d’omettre de prendre en compte des éléments de preuve, d’interpréter la preuve de façon erronée et de tirer une conclusion non étayée par la preuve. La demanderesse soutient que le défendeur ne subirait aucun préjudice en raison du retard parce que [traduction« le contrôle porte essentiellement sur l’analyse de documents et ne soulève aucune inquiétude quant à la capacité de chacune des parties de faire valoir efficacement leurs positions […] ».

[10]           Le défendeur soutient que la demanderesse n’a pas fourni à la Cour des motifs suffisants justifiant l’exercice de son pouvoir discrétionnaire d’accorder une prorogation de délai. Le défendeur fait valoir que, selon sa propre preuve par affidavit, la demanderesse n’a pas démontré qu’elle a manifesté une intention constante de poursuivre avec diligence sa demande. L’octroi de la prorogation demandée serait contraire à l’intérêt public en l’occurrence quant à la finalité, à la certitude et à la sécurité nécessaires à la gestion du programme de transport aérien. La demanderesse n’a offert aucune explication raisonnable pour le temps qui s’est écoulé entre le mois d’août et le mois de décembre et, selon le défendeur, la demande est dénuée de toute chance raisonnable de succès.

[11]           L’importance des délais applicables a été soulignée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Larkman, 2012 CAF 204, au paragraphe 87, où il est déclaré que :

La date limite de trente jours se justifie par le principe du caractère définitif des décisions. Lorsque le délai de trente jours expire et qu’aucune demande de contrôle judiciaire n’a été introduite pour contester la décision ou l’ordonnance en question, les parties devraient pouvoir agir en partant du principe que la décision ou l’ordonnance qui a été rendue s’appliquera. Il faut tenir compte du principe du caractère définitif des décisions lorsqu’on cherche à déterminer en quoi consiste l’intérêt de la justice dans un cas déterminé.

[12]           Le critère exposé dans l’arrêt Hennelly, souvent reformulé sous forme de questions, oriente la Cour et l’aide à déterminer si l’octroi d’une prorogation de délai est dans l’intérêt de la justice : Grewal c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] 2 C.F. 263 (C.A.). Comme l’a souligné la Cour dans l’arrêt Larkman, précité, au paragraphe 62, l’importance de chacun de ces facteurs dépend des circonstances de l’espèce. De plus, il n’est pas nécessaire de répondre aux quatre questions en faveur du requérant. Par exemple, une explication parfaitement convaincante justifiant le retard peut entraîner une réponse positive même si les arguments appuyant la contestation du jugement paraissent faibles et, de la même façon, une très bonne cause peut contrebalancer une justification du retard moins convaincante. La considération primordiale est celle de savoir si l’octroi d’une prorogation de délai serait dans l’intérêt de la justice.

[13]           En l’espèce, il est évident que la demanderesse avait reçu l’avis d’annulation au 21 août 2015, car il s’agit de la date à laquelle elle a consulté un avocat pour la première fois. La durée du retard est donc d’environ quatre mois. La demanderesse avait également été avisée depuis le 22 décembre 2014 que son habilitation de sécurité faisait l’objet d’un examen. La demanderesse avait sans aucun doute initialement l’intention de poursuivre une demande de contrôle judiciaire. Elle a cependant omis de donner suite à cette intention jusqu’à ce qu’elle tombe sur une référence en ligne au sujet de son avocat actuel quelque temps avant le 21 décembre 2015. Cette attitude ne démontre pas, à mon avis, une intention constante de poursuivre la demande avec diligence.

[14]           La demanderesse n’a pas non plus expliqué de façon raisonnable son retard. Elle l’a attribué à son ignorance des procédures judiciaires et à un manque de confiance. De telles explications n’ont pas été jugées raisonnables par la Cour fédérale : Mutti c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 97; Thibodeau c Canada (Ministre des Transports), 2002 CFPI 386; Flores Cabrera c Canada (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1251. Bien que la demanderesse ait aussi fait mention du malheureux diagnostic de cancer reçu par sa mère, il est difficile de voir comment cette annonce a empêché une personne âgée de trente ans de prendre des mesures pour assurer la protection de ses droits.

[15]           Il est possible que ces préoccupations aient été insuffisantes, à elles seules, pour faire obstacle à l’exercice par la Cour de son pouvoir discrétionnaire en faveur de la demanderesse. Ce qui a cependant une incidence plus importante, à mon avis, est le fait qu’elle n’a pas démontré l’existence d’un quelconque fondement possible à sa demande de contrôle judiciaire. Contrairement à ce que la demanderesse fait valoir, la lettre de la directrice générale de la sûreté aérienne ne démontre pas que Transports Canada a omis de tenir compte de son témoignage ni qu’une simple déclaration stéréotypée lui a été transmise sans qu’il ne lui soit expliqué comment les conclusions la concernant ont été tirées. Cette lettre explique les raisons pour lesquelles le pouvoir discrétionnaire dévolu au ministre a été exercé afin d’annuler l’habilitation de sécurité, et il y est fait mention des admissions faites par la demanderesse dans sa réponse à la première lettre d’information.

[16]           La présente affaire n’est pas semblable à l’affaire Ho c Canada (Procureur général), 2013 CF 865, citée par la demanderesse. Dans l’affaire Ho, le juge Harrington a conclu au caractère déraisonnable d’une décision d’annuler une habilitation de sécurité parce que le ministre des Transports n’avait aucun élément de preuve contredisant une partie de ceux présentés par le demandeur. En l’espèce, la demanderesse a reconnu qu’elle a fréquenté dans sa jeune vingtaine des individus liés aux activités de gangs. Elle fait valoir que l’existence dans le passé de liens de cette nature ne suffit pas à justifier l’annulation de son habilitation. La Cour a cependant statué qu’il n’était pas déraisonnable pour le ministre de tenir compte de ce genre de fréquentations, même après une longue période de temps écoulé : Christie c Canada (Ministre des Transports), 2015 CF 210. Comme l’a souligné la juge Kane dans la décision Brown c Canada (Procureur général), 2014 CF 1081, au paragraphe 71, il est loisible au ministre de privilégier la sécurité du public. Je ne vois, en conséquence, aucune chance de succès pour la demande, même si son instruction devait être autorisée.

[17]           Par conséquent, la requête en prolongation de délai est rejetée. Bien que le défendeur ait demandé des dépens, la Cour exercera son pouvoir discrétionnaire de ne pas en adjuger dans les circonstances.


ORDONNANCE

LA COUR STATUE QUE la requête en prolongation de délai est rejetée, sans frais.

« Richard G. Mosley »

Juge

Traduction certifiée conforme

Jean‑Jacques Goulet, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

15‑T‑51

INTITULÉ :

JOYCE WAI YEE TAM c LE MINISTRE DES TRANSPORTS

REQUÊTE ÉCRITE EXAMINÉE À VANCOUVER (COLOMBIE‑BRITANNIQUE), CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 369 DES RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES

ordONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE MOSLEY

DATE DE L’ORDONNANCE ET DES MOTIFS :

LE 28 JANVIER 2016

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Scott R. Wright

POUR LA DEMANDERESSE

Jon Khan

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sutherland Jetté Avocats

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LA DEMANDERESSE

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.