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Date : 20151223


Dossier : IMM-6817-14

Citation : 2015 CF 1417

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 23 décembre 2015

En présence de monsieur le juge LeBlanc

ENTRE :

THANATHAKARAN PARAMANAYAGAM

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE LIMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle l’agent d’immigration (l’agent) a rejeté, le 2 septembre 2014, la demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire que le demandeur a présentée en vertu de l’article 25 de la Loi sur limmigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi).

II.                Le contexte

A.                Les faits

[2]               Le demandeur est un Tamoul âgé de 33 ans provenant de la ville de Jaffa dans le nord du Sri Lanka. Il a fui le Sri Lanka en mai 2010 et est arrivé au Canada le 13 août 2010 à bord du MV Sun Sea. Peu après, il a présenté une demande d’asile dans laquelle il alléguait avoir été victime de harcèlement et de persécution de la part les formes armées et des groupes paramilitaires sri lankais. La Section de la protection des réfugiés (la SPR) a rejeté la demande d’asile du demandeur en décembre 2012, et la demande d’autorisation de contrôle judiciaire de la décision rendue par la SPR a également été rejetée.

[3]               En avril 2014, le demandeur a déposé une demande de résidence permanente au Canada, laquelle était fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, son degré d’établissement au Canada, les conditions au Sri Lanka pour les jeunes Tamouls d’âge moyen, plus particulièrement la discrimination à laquelle font face les Tamouls au Sri Lanka, et l’intérêt supérieur des enfants de son oncle à qui il fournit un soutien au Canada.

[4]               Le demandeur vit actuellement avec son oncle, occupe deux emplois et aide un voisin âgé dans ses tâches quotidiennes telles que faire l’épicerie et l’accompagner à ses rendez-vous médicaux.

B.                 La décision contestée

[5]               En rejetant la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, l’agent a conclu que le degré d’établissement au Canada du demandeur n’était pas suffisant. L’agent a également conclu qu’il ne disposait pas suffisamment de preuves qui donnent à penser que le demandeur éprouverait des difficultés à trouver un emploi en cas de renvoi au Sri Lanka étant donné qu’il [traduction] « est né et a poursuivi ses études au Sri Lanka et qu’il parle la langue ». L’agent a aussi noté que si le demandeur retournait dans son pays d’origine, il pourrait bénéficier d’un avantage concurrentiel grâce à l’expérience professionnelle qu’il a acquise au Canada.

[6]               Lors de l’examen de l’intérêt supérieur des cousins du demandeur, l’agent a noté qu’en dépit du fait que le demandeur entretienne des liens étroits avec ses cousins, il ne disposait pas  suffisamment de preuves démontrant que les enfants subiraient des répercussions négatives si le demandeur retournait au Sri Lanka pour y présenter une demande de résidence permanente. De plus, l’agent a conclu que le demandeur pouvait conserver des liens étroits avec ses cousins par téléphone et par courriel.

[7]               En ce qui concerne les conditions du pays, l’agent a conclu que le demandeur ne correspondait pas au profil des personnes faisant l’objet de harcèlement et de menaces de la part du gouvernement, notamment les journalistes, les militants et les Tamouls qui ont des liens avec les Tigres de libération de l’Eelam tamoul (les TLET). En rejetant la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire du demandeur, l’agent a conclu notamment que [traduction] « le demandeur a fourni peu de preuves démontrant qu’il avait été victime de discrimination en tant que Tamoul au Sri Lanka ».

C.                La plaidoirie du demandeur

[8]               Le demandeur prétend que l’agent n’a pas appliqué le bon critère lors de l’évaluation des difficultés en confondant l’analyse des difficultés dans le cadre d’une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire avec l’analyse du risque dans le contexte d’un examen des risques avant renvoi étant donné que l’agent avait demandé au demandeur de définir une difficulté personnelle au-delà de celles auxquelles les Tamouls qui vivent au Sri Lanka sont confrontés.

[9]               Le demandeur prétend également que l’agent a commis une erreur dans l’analyse des difficultés en ne considérant pas ou en n’expliquant pas la raison pour laquelle la discrimination des Tamouls au Sri Lanka ne constitue pas des difficultés excessives ou inhabituelles. Il soutient en outre que l’agent a conclu de manière déraisonnable que le demandeur pouvait envisager une [traduction] « solution viable » qui consiste à s’installer à Colombo pour échapper aux mauvaises conditions de vie à Jaffna, où la famille du demandeur réside et que les conclusions de l’agent à cet égard sont fondées sur de pures conjectures.

[10]           Le demandeur ne conteste pas les conclusions de l’agent quant à son degré d’établissement au Canada et à l’intérêt supérieur des enfants de son oncle.

III.             Les questions en litige et la norme de contrôle

[11]           La question que soulève la présente demande de contrôle judiciaire consiste à savoir si l’agent, en tirant sa conclusion comme il l’a fait et de la manière dont il a évalué les conditions du pays et le risque de discriminations futures, a commis une erreur susceptible de contrôle aux termes du paragraphe 18.1(4) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC, 1985, c F-7. 

[12]           Comme il est bien établi, le but des demandes fondées sur des considérations d’ordre humanitaire présentées en vertu de l’article 25 de la Loi consiste à demander une exemption de l’application des lois canadiennes en matière d’immigration qui sont autrement appliquées de façon universelle. (Chieu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 3, au paragraphe 57, [2002] 1 RCS 84 [Chieu]. Ce type de demande est « essentiellement un plaidoyer auprès de l’exécutif en vue d’obtenir un traitement spécial qui n’est même pas explicitement envisagé par la Loi » (Chieu, précité, au paragraphe 64; Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CFA 113, au paragraphe 40 [Kanthasamy CFA]; Nicayenzi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 595, au paragraphe 12, 457 FTR 65).

[13]           Les décisions prises en réponse aux demandes fondées sur des considérations d’ordre humanitaire présentées en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi sont donc réputées être hautement discrétionnaires et la norme de contrôle judiciaire applicable à de telles décisions est la norme de la décision raisonnable (Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, au paragraphe 44 [Kanthasamy CSC]; Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, aux paragraphes 31 et 56, [1999] ACS no 39 [Baker]; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Legault, 2002 CFA 125, au paragraphe 15, 293 FTR 285). Cela signifie que la Cour n’interviendra que si la décision de l’agent n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir]; Kanthasamy CFA, précité aux paragraphes 81 à 84).

[14]           Toutefois, lorsqu’il s’agit du critère qui doit être appliqué par les agents d’immigration lors de l’examen d’une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire en vertu de l’article 25 de la Loi, la jurisprudence de la Cour est divisée. Certains juges, s’appuyant sur l’arrêt Toussaint c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CFA 146 (CAF), de la Cour d’appel fédérale, au paragraphe 29, qui, à leur avis, n’a pas été renversée par l’arrêt Kanthasamy CAF, et, par conséquent, doit être appliqué, ont soutenu que la norme de contrôle judiciaire applicable en pareil cas est celle de la décision correcte (Vuktilaj c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 188, aux paragraphes 28 à 30, 449 FTR 8; Gonzalez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 382, aux paragraphes 30 à 34). 

[15]           D’autres sont d’avis que la norme de la décision correcte s’accorde mal avec la jurisprudence de la Cour suprême depuis l’arrêt Dunsmuir, qui réitère la position de la Cour suprême selon laquelle le caractère raisonnable doit être présumé lorsqu’un décideur interprète sa loi habilitante (Diabate c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 129, aux paragraphes 10 à 17, 427 FTR 87 [Diabate]; Charles c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 772, au paragraphe 22, 461 FTR 12, Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 44, [2009] 1 RCS 339; Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 50, [2013] 2 RCS 559). 

[16]           En l’espèce, je ne crois pas que cette question soit déterminante quant à l’issue de la présente affaire, bien que j’en sois venu à la conclusion que l’agent a appliqué le bon critère, j’estime que son appréciation de la situation du pays et du risque de discrimination future est biaisée et justifie donc l’intervention de la Cour. 

IV.             Analyse

[17]           Le paragraphe 25(1) de la Loi confère au ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration le pouvoir discrétionnaire d’exempter des ressortissants étrangers de l’application de la Loi dans la mesure où l’exemption est justifiée par des considérations d’ordre humanitaire. Ces considérations sont existantes lorsque le fait de refuser l’exemption entrainerait des difficultés « inhabituelles et injustifiées ou excessives » (Kanthasamy CAF, précité, au paragraphe 41). Bien que le paragraphe 25(1) ne soit pas censé faire double emploi avec la demande d’asile, la preuve obtenue dans le cadre de l’examen de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire peut néanmoins, selon elle, être prise en compte pour déterminer si le demandeur sera exposé ou non à des difficultés « inhabituelles et injustifiées ou excessives » en cas de renvoi dans son pays d’origine (Kanthasamy CAF, précité, au paragraphe 73).

[18]           Il est maintenant bien établi que des conditions défavorables dans un pays peuvent être utilisées pour démontrer des difficultés dans le cadre d’une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. À cet égard, la juge Mary Gleason, maintenant juge de la Cour d’appel fédérale, a statué dans la décision Diabate, précitée, que dans l’appréciation des conditions du pays « [i]l est à la fois fautif et déraisonnable, dans le cadre dune telle analyse, d’exiger dun demandeur qu’il prouve que les circonstances qu’il devra affronter ne sont généralement pas celles que doit affronter la population dans son pays dorigine » étant donné que le cadre d’analyse des considérations d’ordre humanitaire « oblige l’agent à se demander si les difficultés entraînées par un départ du Canada et un renvoi dans le pays dorigine seraient inhabituelles, injustifiées ou démesurées » (Diabate, précitée, au paragraphe 36).  

[19]           Toutefois, lorsque des demandeurs s’appuient sur les conditions du pays pour présenter leur demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, ils doivent démontrer que les « conditions défavorables du pays [] ont une incidence néfaste directe » sur eux (Caliskan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1190, au paragraphe 22, 420 FTR 17; Kanthasamy CAF, précité, au paragraphe 76). Autrement dit, les demandeurs « doivent soit démontrer quils seront probablement touchés par [les conditions défavorables du pays] ou, à tout le moins, que vivre dans des conditions [défavorables] [] constitue en soi des difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées » (Vuktilaj, précitée, au paragraphe 36). Les demandeurs doivent donc être en mesure « détablir un lien entre la preuve des difficultés qu’ils font valoir et leur situation particulière. Il ne suffit pas de faire état de difficultés sans établir un tel lien » (Kanthasamy CAF, au paragraphe 48; voir également Lalane c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 6, 338 FTR 224, au paragraphe 1).

[20]           Au vu de ce qui précède, je suis d’avis que l’agent a appliqué le bon critère juridique lorsqu’il a considéré l’aspect lié aux difficultés dans la demande du demandeur. Comme l’indique ses motifs de décision, l’agent cherchait à savoir si le demandeur était en mesure d’établir comment les conclusions contenues dans les rapports sur le pays [traduction] « se rapportent à sa situation personnelle », démontre un [traduction] « lien entre la preuve et sa situation personnelle » ou une [traduction] « preuve objective convaincante [] [démontrant] qu’il ferait personnellement face à des difficultés au Sri Lanka dans la mesure où cela justifierait une exemption pour des considérations d’ordre humanitaire ».

[21]           Je ne crois pas que la Cour peut raisonnablement conclure d’après la décision contestée que l’agent a demandé au demandeur de démontrer que ces difficultés, en tant que Tamoul d’âge moyen originaire du nord du Sri Lanka ou qui y habite, seraient pires que celles d’autres personnes dans une situation similaire. Au moment où l’agent s’est penché sur la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire du demandeur, la jurisprudence démontrait clairement que le demandeur avait le fardeau de prouver que les conditions défavorables du pays lui causeraient probablement des difficultés personnelles et directes s’il présentait une demande de résidence permanente depuis le Sri Lanka.

[22]           Cela dit, je suis d’avis que la conclusion de l’agent selon laquelle le demandeur a omis de démontrer qu’il rencontrerait personnellement des difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées au Sri Lanka est déraisonnable.

[23]           Les agents d’immigration appelés à se prononcer sur l’existence de considérations d’ordre humanitaire doivent apprécier tous les faits et les facteurs pertinents portés à leur connaissance (Baker c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), [1999] 2 RCS 817, aux paragraphes 74 et 75). Dans le présent cas, les conditions défavorables du pays touchant les Tamouls d’âge moyen qui sont originaires du nord du Sri Lanka ou qui y habitent constituaient l’un des facteurs dont l’agent devait tenir compte.  L’agent devait apprécier ce facteur non pas au regard des risques que ces conditions pouvaient représenter pour le demandeur, comme ce serait le cas pour l’analyse d’une demande d’asile aux termes des articles 96 et 97 de la Loi, mais plutôt au regard des difficultés que ces conditions représenteraient pour le demandeur si celui-ci était renvoyé au Sri Lanka pour présenter une demande de résidence permanente au Canada (Kanthasamy CAF, au paragraphe 73). Dans ce contexte, la décision de l’agent est, à mon avis, problématique à deux points de vue.

[24]           Premièrement, l’agent a omis d’examiner adéquatement les considérations d’ordre humanitaire du demandeur liées aux conditions du pays et à la discrimination. Dans l’examen des conditions du pays, l’agent a reconnu que la qualité de vie à Jaffna n’était [traduction] « pas idéale ». D’ailleurs, selon la preuve au dossier, Jaffina est une région à majorité tamoule, qui se caractérise par des niveaux de pauvreté très élevés (55 % des ménages vivent en dessous du seuil de pauvreté, soit moins de 1 US$ par jour et par personne), une insécurité alimentaire (55 % des ménages souffrent d’insécurité alimentaire) et un manque de logement convenable (près de 40 % des personnes déplacées par la guerre vivent encore avec des familles d’accueil) (voir IRIN Asia, Sri Lanka: Focus on Food Insecurity in Jaffna, 24 avril 2014.) Les résidants de la région qui ont été déplacés par la guerre vivent dans des conditions difficiles qui ne sont pas [traduction] « conformes aux normes internationales « Sphère », qui exposent les exigences minimales en cas de catastrophe pour les abris, la sécurité alimentaire, leau et lhygiène et les services de santé » (Département d’État des États-Unis, Country Reports on Human Rights Practices for 2013, Sri Lanka 2013 Human Rights Report, p. 33[Rapport sur les droits de la personne]).

[25]           Toutefois, l’agent a conclu que la réinstallation dans une autre région du Sri Lanka, telle que Colombo, était une option viable pour le demandeur. Bien que je sois d’accord avec le défendeur lorsqu’il déclare que l’agent pouvait indiquer que le demandeur pourrait résider dans une autre région du Sri Lanka, cette déclaration n’exclut pas le devoir de l’agent d’apprécier la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire du demandeur par rapport aux conditions du pays dans son ensemble. À cet égard, l’agent a omis, à mon avis, d’examiner convenablement les allégations de difficultés inhabituelles et injustifiées que le demandeur éprouverait probablement au Sri Lanka compte tenu de la preuve au dossier attestant que les jeunes Tamouls font l’objet de discrimination.  

[26]           Le présent cas se distingue de l’arrêt Kanthasamy étant donné que l’agent n’a pas analysé la question de discrimination future en cas de renvoi au Sri Lanka (voir Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 802, au paragraphe 36). L’agent ne fait pas mention de la preuve présentée par le demandeur à l’effet que les Tamouls sont [traduction] « victimes depuis longtemps d’une discrimination systémique au chapitre de l’éducation dans les universités, de l’emploi au gouvernement et dautres domaines sous la tutelle du gouvernement ». (Human Rights Report, précité à la page 50). L’agent n’a pas non plus mentionné que [traduction] « les Tamouls de l’ensemble du pays, plus particulièrement ceux qui résident dans le nord et l’est du pays, ont déclaré que les forces de sécurité et les groupes paramilitaires harcelaient fréquemment les jeunes Tamouls et les Tamouls d’âge moyen ». (Human Rights Report, à la page 50).

[27]           De plus, les motifs de l’agent comprennent un extrait du United Kingdom Home Office Country of Information Report on Sri Lanka 2012 selon lequel [traduction] « la discrimination contre [] la minorité ethnique tamoule se poursuit et un nombre démesuré de victimes de violation des droits de la personne étaient des Tamouls » (à la page 60). Malgré cela, l’agent n’a fourni aucun motif ni analyse indiquant la façon dont il a tiré la conclusion selon laquelle la preuve de discrimination contre les Tamouls au Sri Lanka ne touche pas personnellement le demandeur, même s’il se réinstallait à Colombo, ou la façon dont la preuve de discrimination représente une difficulté lorsque le demandeur est un Tamoul qui veut retourner au Sri Lanka afin de présenter une demande de résidence permanente au Canada depuis l’étranger.

[28]           Par ailleurs, lors de l’appréciation des perspectives d’emploi du demandeur, le commentaire de l’agent selon lequel le demandeur n’aurait aucune difficulté à se trouver un emploi au Sri Lanka parce qu’il [traduction] « parle la langue du pays » n’est que pure conjecture étant donné que l’avocat du demandeur indique que celui-ci ne parle pas le singhalais, qui constitue la langue dominante au Sri Lanka, et qu’un rapport publié par Freedom House qui s’intitule Sri Lanka : Countries at the Crossroads 2012, indique que [traduction] « [c]eux qui étudient dans la langue tamoule et qui ne parlent pas couramment le singhalais sont défavorisés lorsquils cherchent un emploi à Colombo ou dans la fonction publique » (à la page 9).

[29]           Comme le juge Donald Rennie, maintenant juge de la Cour d’appel fédérale, a expliqué dans la décision Aboubacar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 714, au paragraphe 12 :

[12] Bien que les demandes fondées sur des motifs dordre humanitaire en vertu de larticle 25 doivent s’appuyer sur la preuve, il existe des circonstances où les conditions dans le pays d’origine sont telles qu’elles confortent linférence raisonnable relativement aux difficultés auxquelles un demandeur en particulier serait exposé à son retour […] Il ne sagit pas d’une hypothèse, mais bien dune inférence raisonnée, de nature non hypothétique, relativement aux difficultés auxquelles une personne serait exposée, et, de ce fait, cela constitue le fondement probatoire d’une analyse sérieuse et individualisée, conformément à la décision Kathasamy.

[30]           Ce point de vue sur les conditions défavorables du pays est également applicable en l’espèce quant à la composante de discrimination de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire du demandeur et l’agent aurait dû en tenir compte.

[31]           Deuxièmement, l’agent a constaté que, même si les conditions du pays [traduction] « sont loin dêtre parfaites », le demandeur n’avait pas le profil d’une victime faisant l’objet de harcèlement et de menaces de la part de la police et des forces de sécurité sri lankaises. Cependant, il s’agit d’une analyse de risques, et non pas d’une description de la preuve étayant les mauvaises conditions du pays comme considérations d’ordre humanitaire. Sur ce point, la jurisprudence indiquait clairement que, lorsque la décision contestée a été rendue, l’agent avait le devoir de se pencher davantage sur la question et de déterminer si la preuve étayant les conditions défavorables du pays démontrait que le demandeur subirait des difficultés personnelles et injustifiées ou démesurées (Diabate, précitée, au paragraphe 36; Kanthasamy CAF, précité, au paragraphe 75).

[32]           Dans la décision Somasundaram c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1165, la Cour a accueilli une demande de contrôle judiciaire d’une décision fondée sur des considérations d’ordre humanitaire rendue par un agent et, ce faisant, a rejeté l’argument de l’agent selon lequel le demandeur ne correspondait pas au profil d’une personne faisant l’objet de discrimination. Elle a statué que :

[39] Quant au profil du demandeur, il se peut que l’agente ait voulu dire que, étant donné que la preuve ne confirmait pas que le demandeur était un militant, un sympathisant des TLET ou un journaliste, il n’avait pas le profil d’une personne exposée à un risque d’agression et de harcèlement, tel que décrit dans le rapport de l’USDOS, et qu’elle se soit fondée sur le profil du demandeur décrit dans la décision de la SPR. Parallèlement, l’agente sest peut-être appuyée sur le profil du demandeur décrit par la SPR dans sa décision. Quoi qu’il en soit, cela nest pas clair et ses motifs ne traitent pas de la discrimination à laquelle le demandeur serait exposé en raison de son origine tamoule s’il devait retourner au Sri Lanka. Par ailleurs, même si lagente nétait pas tenue de croire la description que lui a faite le demandeur de sa propre situation, vu que la SPR navait pas cru qu’il était ou soupçonné dêtre associé aux TLET, elle devait absolument déterminer quel était le profil du demandeur aux fins de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire et se demander si un jeune homme tamoul du Nord, dans ces circonstances particulières, serait personnellement la cible d’une discrimination équivalent à des difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées.

[40] Autrement dit, en dépit de ses affirmations, dans son analyse des documents sur les conditions défavorables dans le pays, l’agente sest arrêtée aux conclusions de la SPR relativement à la crédibilité, conclusions qui étaient essentiellement basées sur le risque, et elle n’a pas examiné la preuve selon le critère du paragraphe 25(1), à savoir que le demandeur subirait personnellement et directement des difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées s’il retournait au Sri Lanka.

[33]           Comme dans la décision Somasundaram, précitée, j’estime que l’agent était tenu de déterminer clairement le profil du demandeur aux fins de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire et se demander, d’un point de vue prospectif, si un jeune homme tamoul du Nord, dans ces circonstances particulières, serait personnellement la cible d’une discrimination équivalent à des difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées. L’agent ne l’a pas fait.

[34]           Pour tous ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et le dossier, renvoyé à un autre agent dimmigration pour réexamen. La demande fondée sur des circonstances d’ordre humanitaire du demandeur pourra être ainsi réexaminée à la lumière de la décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, rendu le 10 décembre 2015.

[35]           Les parties n’ont proposé la certification d’aucune question de portée générale. Aucune question ne sera certifiée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.      L’affaire est renvoyée à Citoyenneté et Immigration Canada pour qu’un agent d’immigration différent rende une nouvelle décision.

3.      Aucune question n’est certifiée.

« René LeBlanc »

Juge

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice-conseil


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6817-14

INTITULÉ :

THANATHAKARAN PARAMANAYAGAM c LE MINISTRE DE CITOYENNETÉ ET IMMIGRATION

LIEU DE LAUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :

LE 29 juin 2015

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE LEBLANC

DATE DES MOTIFS :

23 DÉCEMBRE 2015

COMPARUTIONS :

Mme Karina Thompson

Pour le demandeur

Mme Asha Gafar

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mme Karina Thompson

Avocate

Toronto (Ontario)

Pour le demandeur

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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