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Date : 20151123


Dossier : IMM‑2296‑15

Référence : 2015 CF 1303

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 23 novembre 2015

En présence de monsieur le juge Barnes

ENTRE :

GURVINDER SINGH SANDHU

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée par Gurvinder Singh Sandhu à l’égard d’une décision rendue par la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la Commission]. M. Sandhu conteste le rejet de sa demande de parrainage de sa femme indienne [la demandeure] pour qu’elle obtienne sa résidence permanente. En première instance, la demande a été rejetée par un agent des visas au motif qu’il doutait que le mariage soit authentique et croyait qu’il visait principalement l’acquisition d’un statut d’immigrant. La Commission a confirmé cette décision à la lumière de ses propres réserves quant à la crédibilité.

[2]               Je comprends les difficultés inhérentes à l’établissement de la validité des mariages arrangés. Toutefois, la Commission doit toujours être consciente des lourdes conséquences qu’entraîne le refus de délivrer un visa en présence d’une relation authentique. Il faut apprécier de façon attentive l’ensemble de la preuve dans le contexte culturel pertinent. En l’espèce, l’appréciation de la preuve qu’a faite la Commission était étonnamment superficielle, et la plupart des conclusions que la Commission a tirées quant à la crédibilité étaient mal fondées.

[3]               La Commission a reconnu certains éléments de preuve en faveur de l’octroi d’un visa, mais elle est essentiellement demeurée muette quant à l’importance d’autres questions pertinentes. Par exemple, elle a reconnu le fait qu’il y avait eu une fausse couche et a déclaré que celle‑ci revêtait une « certaine importance ». Toutefois, elle n’a tiré aucune conclusion particulière au sujet d’une cohabitation qui aurait duré 6 mois et qui aurait été facilitée par le départ volontaire de M. Sandhu de son emploi au Canada. M. Sandhu est également retourné en Inde à deux occasions et a finalement déménagé à Vancouver pour se rapprocher de la famille de sa femme. Le mariage indien, qui a rassemblé plusieurs centaines d’invités, était un gros événement. Ces faits, s’ils sont acceptés, indiquent tous fortement que le mariage était de bonne foi. Finalement, l’appréciation de cette preuve par la Commission se résume à une simple affirmation selon laquelle les autres éléments de preuve « ne l’emportent pas sur le manque de crédibilité du témoignage des témoins ».

[4]               La Commission a conclu que M. Sandhu ne s’était pas acquitté du fardeau qui lui incombait d’établir que le mariage est authentique et qu’il ne visait pas principalement l’acquisition d’un statut d’immigrant.

[5]               Les réserves qu’avait la Commission quant à la crédibilité se limitaient à quatre points distincts dont aucun ne concernait directement l’authenticité de la relation ni son objectif premier. Les réserves ont été ainsi décrites :

a.         À l’audience, les témoins ont répondu de façon cohérente au sujet des liens entre l’appelant et l’intermédiaire. Toutefois, l’explication fournie par la demandeure à l’agent des visas, selon laquelle l’appelant et l’intermédiaire étaient des amis proches et avaient gardé le contact par téléphone après que l’appelant avait émigré, était très différente du témoignage à l’audience. [non souligné dans l’original]

b.         À l’audience, les témoins ont présenté des témoignages cohérents en ce qui a trait aux raisons pour lesquelles l’appelant s’était brouillé avec son beau‑père, soit une dispute à propos de la terre familiale. Toutefois, à l’entrevue, l’appelant a déclaré que c’était parce qu’ils n’étaient pas sur [traduction] « la même longueur d’onde » et qu’il a refusé de suivre le projet de son beau‑père relativement à son mariage. L’agent des visas a signalé cette divergence à l’appelant et à la demandeure à la fin de l’entrevue. Même s’il a eu la possibilité de corriger ou de clarifier sa réponse, l’appelant n’a pourtant pas donné la même explication que celle fournie à l’audience.

c.         Le témoignage sur leur première rencontre le 7 décembre 2011 et sur les événements subséquents était cohérent. L’appelant et la demandeure ont tous les deux déclaré qu’aucune décision n’a été prise avant le 9 décembre 2011. Ils ont déclaré que, ce jour‑là, l’appelant a communiqué son consentement à l’union par l’entremise de l’intermédiaire. La famille de la demandeure a communiqué son consentement puis s’est rendue à la maison de la famille de l’appelant pour organiser une cérémonie de fiançailles. À l’entrevue, la demandeure a dit à l’agent des visas que l’accord a été conclu le 7 décembre 2011 et que la rencontre du 9 décembre 2011 avait pour but de fixer la date du mariage.

d.         À l’entrevue, la demandeure a donné des réponses vagues et incohérentes aux questions de savoir si elle et sa famille avaient envisagé d’autres demandes en mariage. L’agent des visas a expressément demandé si la famille avait envisagé des partis en provenance de l’Inde. La demandeure a déclaré que sa famille n’avait pas envisagé cette possibilité. Son témoignage à l’audience ne concordait pas avec sa déclaration à l’agent des visas. À l’audience, elle a déclaré que la famille avait examiné trois demandes en mariage antérieures, y compris une de l’Inde, mais qu’elle les avait rejetées pour diverses raisons.

[6]               Même si elles existaient bel et bien, les incohérences décrites précédemment ne représenteraient qu’une faible assise sur laquelle se fonder pour rejeter tous les autres éléments de preuve en faveur de l’authenticité du mariage. Or, le problème fondamental que posent ces conclusions quant à la crédibilité réside dans le fait qu’elles ne sont pas toujours étayées par le dossier de preuve.

[7]               Par exemple, aucune incohérence apparente ne ressort de la preuve concernant la relation entre M. Sandhu et l’intermédiaire. Les deux parties ont déclaré qu’il y avait une relation familiale de longue date. Le fait que la demandeure ait décrit la relation comme étant celle d’amis « proches » ne contredit pas le témoignage de M. Sandhu selon lequel un lien familial et personnel existait depuis plusieurs années avec l’intermédiaire.

[8]               Il n’y a également aucune incohérence évidente en ce qui a trait aux motifs de la dispute entre M. Sandhu et son beau‑père. Dans son entrevue avec l’agent des visas, M. Sandhu a déclaré qu’ils n’étaient pas sur la même « longueur d’onde » et qu’ils ne s’entendaient pas au sujet des arrangements de mariage. L’agent des visas n’a pas demandé plus de précisions quant à ce que M. Sandhu entendait par « longueur d’onde ». Lorsque la Commission a posé la question, les deux parties ont fait état d’une dispute au sujet d’une terre en Inde. Il n’y a aucune incohérence entre la réponse générale donnée à l’agent des visas et la réponse plus précise fournie à la Commission lorsque cette dernière a demandé des précisions.

[9]               Il y a une divergence reconnue au dossier quant à la date à laquelle il y a eu consentement au mariage. La demandeure s’est trompée de deux jours. Il s’agit là toutefois d’un point sans importance, et la Commission n’aurait pas dû s’attendre à ce que la partie se souvienne parfaitement de la date.

[10]           Enfin, la question de savoir si la famille de la demandeure avait envisagé d’autres demandes en mariage ne soulève aucune incohérence ou imprécision. La Commission a manifestement omis d’obtenir des éclaircissements au sujet de la preuve présentée de manière spontanée à cet égard lors de l’entrevue avec l’agent des visas. Il s’agit là d’une erreur flagrante de la part de la Commission.

[11]           La conclusion défavorable qu’a tirée la Commission quant à la crédibilité ne résiste pas à l’analyse à la lumière de la preuve concrète. Par conséquent, la décision est déraisonnable.

[12]           J’ajouterais qu’il faut nécessairement évaluer l’authenticité de la relation pour déterminer si une personne s’est mariée principalement pour obtenir un statut d’immigrant. Les deux éléments conjonctifs du paragraphe 4(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 sont donc liés et doivent être examinés conjointement.

[13]           Il n’y a rien de fondamentalement répréhensible ou suspect à vouloir trouver un époux canadien pour un mariage arrangé dans le but d’une réunification familiale. Lorsque les deux parties témoignent d’un engagement de bonne foi au maintien à long terme de la relation matrimoniale, il est très rare qu’il soit raisonnable de conclure que le mariage visait principalement l’acquisition d’un statut d’immigrant. Il en est ainsi parce que l’engagement à long terme à l’égard de la relation est nécessairement l’objectif principal d’un mariage de bonne foi. L’avantage accessoire que représente l’acquisition d’un statut d’immigrant serait, dans la quasi‑totalité des cas, secondaire à cet engagement conjugal.

[14]           Pour les motifs qui précèdent, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre décideur pour qu’il procède à un nouvel examen sur le fond.

[15]           Aucune des parties n’a proposé de question à certifier, et la présente affaire ne soulève aucune question de portée générale.


JUGEMENT

LA COUR accueille la présente demande de contrôle judiciaire et renvoie l’affaire à un autre décideur pour qu’il procède à un nouvel examen sur le fond.

LA COUR déclare également qu’aucune question n’est certifiée. 

« R.L. Barnes »

Juge

Traduction certifiée conforme

Stéphanie Pagé, B.A. en trad



COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑2296‑15

 

INTITULÉ :

Sandhu c MCI

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (COLOMBIE‑Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 4 NovembrE 2015

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BARNES

 

DATE DES MOTIFS :

LE 23 NovembRE 2015

 

COMPARUTIONS :

M. Charles Groos

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Mme Helen Park

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Charles Groos

Avocat

Surrey (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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