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Date : 20151109


Dossier : T-740-15

Référence : 2015 CF 1258

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 9 novembre 2015

En présence de monsieur le juge Fothergill

ENTRE :

ROBB CAMPRE

demandeur

et

PREMIÈRE NATION DE FORT MCKAY

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               Le 10 avril 2015, la Première Nation de Fort McKay a tenu une élection générale en vue de la désignation des membres de son conseil. Selon le Code électoral de la Première Nation de Fort McKay [le Code électoral], le conseil est composé d’un chef et de quatre conseillers.

[2]               Lors de l’élection générale, Robb Campre était candidat au poste de conseiller, mais il n’a pas été élu. Il a interjeté appel des résultats de l’élection, en vertu du Code électoral. Dans son avis d’appel, M. Campre a soutenu que :

[traduction]

La manœuvre électorale frauduleuse consistait en ce que de nombreuses personnes (43) ont été transportées en avion à Edmonton ou conduites en voiture de Fort McKay à Edmonton où elles ont séjourné au Chateau Nova ou au Chateau Louis (aux frais ou pour le compte du chef de la Première Nation de Fort McKay) et ont été vues pendant qu’elles votaient au bureau de vote d’Edmonton. À la suite du vote, ces personnes ont assisté à un spectacle payé par le chef de la Première Nation de Fort McKay, ou pour son compte, au Chateau Louis, de l’autre côté de la rue du Chateau Nova où l’élection a eu lieu.

[3]               L’appel interjeté par M. Campre a été entendu par Frank R. Foran, c.r., qui a été désigné comme arbitre d’appel de l’élection [l’arbitre]. L’arbitre a conclu que M. Campre était [traduction] « loin d’avoir » établi une manœuvre électorale frauduleuse, contrairement à ce qui était soutenu dans l’avis d’appel.

[4]               M. Campre a présenté une demande de contrôle judiciaire de la décision de l’arbitre, au titre de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c 41. Pour les motifs exposés ci-dessous, j’ai conclu que l’arbitre a raisonnablement tranché que M. Campre n’a pas produit suffisamment d’éléments de preuve à l’appui de l’inférence selon laquelle l’élection générale était marquée par une manœuvre électorale frauduleuse. La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.

II.                Le contexte

[5]               Le 10 avril 2015, le même jour que l’élection générale de la Première Nation de Fort McKay, une organisation dénommée Public Interest Alberta a organisé un hommage pour souligner la vie de l’ancienne chef, Dorothy McDonald. Mme McDonald était la première femme à devenir chef de la Première Nation de Fort McKay et elle est vue, par les personnes de la Première Nation, comme quelqu’un qui a été au service de sa communauté avec beaucoup de distinction pendant une période de grands changements. Une présentation musicale multimédia intitulée On the River a été créée en son honneur et donnée en spectacle au Chateau Louis, à Edmonton.

[6]               De nombreuses personnes de la Première Nation de Fort McKay ont voyagé à Edmonton pour assister à la célébration. Beaucoup de ces personnes ont aussi voté à l’élection générale de la Première Nation de Fort McKay au bureau de vote d’Edmonton situé directement de l’autre côté de la rue du Chateau Louis.

[7]               À l’issue de l’élection générale, Jim Boucher a été réélu au poste de chef. Il a obtenu 215 voix. L’autre candidate au poste de chef, Cecilia Fitzpatrick, a obtenu 188 voix. Voici les quatre conseillers élus : Raymond Powder, avec 239 voix; Gerald Gladue, avec 179 voix; Crystal McDonald, avec 163 voix; Mary Peggy Lacorde, avec 160 voix. M. Campre a obtenu 91 voix, et n’a pas été élu.

[8]               Le 29 avril 2015, l’arbitre a entendu l’appel interjeté par M. Campre. Ce dernier a produit son affidavit et celui de sa sœur, Mme Annette Campre, et les deux ont témoigné en personne. La Première Nation de Fort McKay n’a appelé aucun témoin, mais a présenté trois documents issus du site Internet de Public Interest Alberta, afin d’établir que la Première Nation de Fort McKay n’était ni un promoteur ni un commanditaire du spectacle On the River.

[9]               Par une décision datée du 4 mai 2015, l’arbitre a rejeté l’appel interjeté par M. Campre au motif qu’il n’avait pas présenté suffisamment d’éléments de preuve à l’appui de l’inférence selon laquelle une manœuvre électorale frauduleuse avait eu lieu.

III.             Le Code électoral

[10]           Un candidat ou un électeur qui a voté lors d’une élection peut interjeter appel du résultat de celle-ci sur le fondement de l’un ou plusieurs des cinq motifs énumérés à l’article 81.1 du Code électoral. M. Campre a interjeté appel au titre de l’article 81.1.5 :

[traduction]

81.1.5 Un candidat a été reconnu coupable d’une manœuvre électorale frauduleuse ou a consenti à une telle manœuvre et en a tiré profit.

[11]           Le Code électoral définit ainsi la « manœuvre électorale frauduleuse » :

[traduction]

1.1.10 « manœuvre électorale frauduleuse » :

1.1.10.1 fait d’offrir ou de tenter d’offrir de l’argent ou une autre contrepartie de valeur en échange,

1.1.10.1.1 soit du vote d’un électeur

[12]           En vertu du Code électoral, l’arbitre détient les pouvoirs suivants :

[traduction]

88.1.1 trancher les questions de droit qui surviennent au cours de l’instruction de l’appel;

88.1.2 statuer sur toute objection soulevée durant l’instruction de l’appel;

88.1.3 ordonner la production de documents essentiels et pertinents quant à l’appel;

88.1.4 déterminer la procédure à suivre relativement à l’équité et à l’égalité entre les parties à l’audience;

88.1.5 déterminer, sans être lié par les règles de la preuve, la manière dont la preuve sera admise et, dans les délais prescrits à l’article 84.2, déterminer l’admissibilité de la preuve, sa pertinence et le poids à y accorder;

88.1.6 déterminer l’heure, le lieu et la date de l’instruction de l’appel;

88.1.7 déterminer si l’instruction de l’appel sera publique et, le cas échéant, les membres qui peuvent y assister.

[13]           L’arbitre n’avait pas le pouvoir :

[traduction]

88.2.1 d’assigner un témoin ou de forcer une personne à fournir des éléments de preuve lors de l’instruction d’un appel, à l’exception du directeur de scrutin, qui est un témoin contraignable;

88.2.2 d’accorder une réparation qui n’est pas expressément autorisée par le présent Code.

IV.             Les questions en litige

[14]           La présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

A.    Les affidavits contenant des preuves dont l’arbitre n’était pas saisi sont-ils admissibles dans la présente demande de contrôle judiciaire?

B.     Quelle est la norme de contrôle applicable?

C.     L’arbitre a-t-il commis une erreur lorsqu’il a rejeté l’appel en raison de l’insuffisance de preuve?

V.                Analyse

A.                Les affidavits contenant des preuves dont l’arbitre n’était pas saisi sont-ils admissibles dans la présente demande de contrôle judiciaire?

[15]           Les deux parties, M. Campre et la Première Nation de Fort McKay ont déposé des éléments de preuve dont l’arbitre n’avait pas été saisi.

[16]           M. Campre a déposé son affidavit dans lequel il a déclaré, entre autres, qu’il avait parlé à Don Bouzek qui exploite la société de production Ground Zero Productions et a produit le spectacle On the River. M. Campre a déclaré sous serment que M. Bouzek lui a dit que le Conseil de bande avait fourni des billets à plus de 200 personnes et payé le transport et le logement des personnes qui ont assisté au spectacle. M. Campre a aussi déclaré sous serment que Dwayne Grandjambe, un membre de la Première Nation de Fort McKay, avait reçu un paiement de 1 500 $ pour voter pour Jim Boucher et pour mettre une affiche électorale devant sa maison.

[17]           La Première Nation de Fort McKay a déposé l’affidavit de M. Bouzek. M. Bouzek décrit les renseignements que M. Campre lui attribue dans son affidavit comme étant [traduction] « totalement erronés ». Il a déclaré que la Première Nation de Fort McKay n’avait absolument aucun lien avec le spectacle On the River donné le 10 avril 2015, à Edmonton. M. Bouzek n’a eu aucune connaissance de quiconque s’est vu donner des billets ou s’est fait payer ses frais de transport et d’hôtel pour assister au spectacle.

[18]           L’avocat de M. Campre a contre‑interrogé M. Bouzek relativement à son affidavit, et la transcription du contre-interrogatoire a été déposée à la Cour. Pendant le contre‑interrogatoire, M. Bouzek a reconnu que la vente des billets pour la prestation du 10 avril 2015 du spectacle On the River ne connaissait pas beaucoup de succès et qu’il a par la suite été informé par M. Campre que la Première Nation de Fort McKay avait invité des personnes à assister au spectacle.

[19]           La Première Nation de Fort McKay a aussi déposé l’affidavit de Dayle Hyde, membre de la Première Nation de Fort McKay et fille de l’ancienne chef McDonald. Mme Hyde a déclaré que la Première Nation de Fort McKay, son chef et ses conseillers n’avaient absolument rien à voir avec la prestation du 10 avril 2015 du spectacle On the River à Edmonton, et qu’ils n’ont payé pour aucun voyage, logement ou autres dépenses pour quiconque a assisté au spectacle.

[20]           Enfin, la Première Nation de Fort McKay a déposé l’affidavit de M. Grandjambe. Ce dernier a déclaré que les renseignements que lui a attribués M. Campre étaient erronés, et qu’il n’a reçu ni paiement, ni quelque somme d’argent que ce soit de quiconque pour mettre une affiche électorale devant sa maison ou pour voter pour quelque candidat précis que ce soit.

[21]           En principe, le dossier de la preuve qui est soumis à la Cour lorsqu’elle est saisie d’une demande de contrôle judiciaire se limite au dossier de la preuve dont disposait l’arbitre (Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency [Access Copyright], 2012 CAF 22 [Association des universités et collèges], au paragraphe 19). Le but premier du contrôle judiciaire est de contrôler des décisions, et non pas de trancher, par un procès de novo, des questions qui n’ont pas été examinées de façon adéquate quant à la preuve devant le tribunal ou la cour de première instance (Association des universités et collèges, au paragraphe 19, citant les arrêts Gitxan Treaty Society c Hospital Employees’ Union, [2000] 1 CF 135, [CAF], aux pages 144 et 145; Kallies c Canada, 2001 CAF 376, au paragraphe 3; Bekker c Canada, 2004 CAF 186, au paragraphe  11).

[22]           Comme la Cour d’appel fédérale l’a décidé au paragraphe 20 de l’arrêt Association des universités et collèges, « [l]e principe général interdisant à notre Cour d’admettre de nouveaux éléments de preuve dans le cadre d’une instance en contrôle judiciaire souffre quelques exceptions reconnues et la liste des exceptions n’est sans doute pas exhaustive. Ces exceptions ne jouent que dans les situations dans lesquelles l’admission, par notre Cour, d’éléments de preuve n’est pas incompatible avec le rôle différent joué par la juridiction de révision et par le tribunal administratif. » Les trois exceptions reconnues par la Cour d’appel sont : (i) un affidavit qui contient des informations générales qui sont susceptibles d’aider la Cour à comprendre les questions qui se rapportent au contrôle judiciaire; (ii) un affidavit qui est nécessaire pour porter à l’attention de la juridiction de révision des vices de procédure qu’on ne peut déceler dans le dossier de la preuve du tribunal administratif; (iii) un affidavit qui fait ressortir l’absence totale de preuve dont disposait le tribunal administratif lorsqu’il a tiré une conclusion déterminée.

[23]           En l’espèce, la preuve additionnelle par affidavits produite par les parties vise principalement des questions qui, selon M. Campre, n’ont pas été adéquatement analysées dans la preuve dont l’arbitre était saisi. La preuve par affidavit n’est pas admissible à cette fin. Cela ne change pas non plus, de quelque façon importante que ce soit, la preuve qui a été examinée par l’arbitre.

[24]           M. Campre a soutenu que la preuve additionnelle par affidavit peut être admissible pour établir un manquement à l’équité procédurale. Il s’est plaint de la courte période de temps qui lui a été allouée pour introduire l’appel et de l’incapacité de l’arbitre à contraindre des personnes, autres que le directeur de scrutin, à témoigner.

[25]           Rien ne donne à penser que la preuve additionnelle par affidavit déposée dans la présente demande de contrôle judiciaire n’aurait pas pu être produite devant l’arbitre. En outre, l’arbitre détenait le pouvoir, en vertu de l’article 88.1.3 du Code électoral, d’ordonner la production de documents essentiels et pertinents quant à l’appel. Fondamentalement, l’arbitre détenait le pouvoir, en vertu de l’article 88.1.4 du Code électoral, de déterminer la procédure à suivre relativement à l’équité et à l’égalité entre les parties. Ce pouvoir pouvait être assez vaste pour accorder aux parties suffisamment de temps afin qu’elles obtiennent des preuves par affidavit semblables à celles qu’elles ont déposées dans la présente instance ou qu’elles citent d’autres témoins à comparaître.

[26]           Je ne suis donc pas convaincu que la preuve additionnelle par affidavit établit que les dispositions du Code électoral ont entraîné un manquement à l’équité procédurale ou que l’arbitre a appliqué des dispositions du Code électoral de façon injuste.

B.                 Quelle est la norme de contrôle applicable?

[27]           Les parties ne s’accordent pas sur la norme de contrôle que la Cour devrait appliquer à la décision de l’arbitre. M. Campre dit que l’interprétation du Code électoral est une pure question de droit, et que la décision de l’arbitre est donc soumise au contrôle de la Cour selon la norme de la décision correcte. La Première Nation de fort McKay estime pour sa part que la décision de l’arbitre selon laquelle il n’y avait pas suffisamment de preuves pour faire droit à l’appel est une question mixte de faits et de droit et qu’elle commande donc la norme de la décision raisonnable.

[28]           Dans la décision Fitzpatrick c Boucher, 2012 CF 294, laquelle traitait de la contestation de l’élection générale de 2011 de la Première Nation de Fort McKay, les parties avaient convenu que la norme de contrôle applicable était celle de la décision correcte. Toutefois, la Cour d’appel fédérale a refusé d’approuver cette norme et a maintenu la décision de l’arbitre des appels au motif que celle-ci était à la fois correcte et raisonnable (Fitzpatrick c Boucher, 2012 CAF 212, au paragraphe 21).

[29]           Aux paragraphes 62 et 63 de la décision Ferguson c Lavallee, 2014 CF 569, la juge Heneghan a déclaré que la question de fond à trancher dans une demande dépend de l’interprétation des dispositions pertinentes d’un code électoral et de l’application de cette interprétation aux faits, il s’agit d’une question mixte de fait et de droit, et ce type de question est contrôlable selon la norme de la décision raisonnable.

[30]           Plus récemment, au paragraphe 44 de la décision Orr c Première Nation de Peerless Trout, 2015 CF 1053, une décision qui fait actuellement l’objet d’un appel, la juge Strickland a conclu que la norme de la décision raisonnable s’appliquait à l’interprétation du Règlement électoral faite par l’arbitre qui a été désigné pour instruire l’appel en matière d’élections.

[31]           Le Code électoral en cause dans la présente affaire confère à l’arbitre le pouvoir d’interpréter le droit; il contient aussi une clause privative. L’existence d’une clause privative milite clairement en faveur d’un contrôle suivant la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [Dunsmuir], au paragraphe 52). L’interprétation et l’application du code électoral ne sont pas des questions de droit qui revêtent une importance capitale pour le système juridique ou qui sont étrangères au domaine d’expertise de l’arbitre, ce qui favorise encore le critère de la décision raisonnable (Dunsmuir, au paragraphe 70).

[32]           Je conclus donc que l’interprétation faite par l’arbitre du Code électoral et son application de cette interprétation aux faits sont soumises au contrôle de la Cour selon la norme de la décision raisonnable. Toutefois, je note que l’éventail d’interprétations raisonnables à donner à une disposition précise du Code électoral peut être relativement restreint (Canada [Procureur général] c Canada [Commission des droits de la personne], 2013 CAF 75, aux paragraphes 13 et 14).

C.                 L’arbitre a-t-il commis une erreur lorsqu’il a rejeté l’appel en raison de l’insuffisance de preuve?

[33]           L’arbitre a admis que certains agissements peuvent entraîner qu’une inférence de manœuvre électorale frauduleuse soit tirée (Sideleau c Davidson, 1942 RCS 306 [Sideleau]), et qu’il n’est pas nécessaire qu’il existe des preuves directes d’efforts explicites déployés pour acheter des votes. L’arbitre a aussi accepté qu’une personne puisse être déclarée comme s’étant engagée dans une manœuvre électorale frauduleuse même si elle n’y a participé qu’indirectement.

[34]           L’arbitre a conclu que les témoignages de M. Campre et de sa sœur démontraient, au mieux, qu’ils ont vu un certain nombre de personnes de Fort McKay voter au bureau de vote d’Edmonton le jour de l’élection, et que certains de ces électeurs ont aussi assisté au spectacle On the River dans la soirée. Mme Campre a déclaré que plus de 20 personnes sont parties de Fort McKay pour aller voter à Edmonton, mais elle ne pouvait pas dire combien de ces personnes avaient assisté au spectacle. M. Campre a fait une estimation selon laquelle 30 personnes ont voyagé de Fort McKay pour aller voter au bureau de vote d’Edmonton.

[35]           L’arbitre ne disposait d’aucun élément de preuve selon lequel la Première Nation de Fort McKay a commandité, ou a participé de quelque façon que ce soit au spectacle On the River le 10 avril 2015 à Edmonton. Il n’y avait pas non plus d’éléments de preuve selon lesquels la Première Nation de Fort McKay a payé les frais de voyage de qui que ce soit qui a assisté au spectacle. Même s’il était adéquat que j’examine les affidavits additionnels et la transcription du contre‑interrogatoire déposés dans la présente demande de contrôle judiciaire, ces éléments tendraient à étayer de telles conclusions.

[36]           L’arbitre a relevé que M. Campre n’a produit aucun élément de preuve visant à établir que l’élection était prévue afin d’avoir lieu la même journée que celle du concert. Même si ce fait avait été prouvé, l’arbitre a déclaré que c’était insuffisant, en soi, pour donner à penser que la Première Nation de Fort McKay, son chef, son précédent conseil ou l’un quelconque des candidats élus se fusse livré à une manœuvre électorale frauduleuse. Je suis du même avis.

[37]           M. Campre déclare que selon l’arrêt Sideleau, les éléments de preuve qu’il a présentés étaient suffisants pour permettre à l’arbitre de tirer l’inférence selon laquelle la Première Nation de Fort McKay s’est livrée à une manœuvre électorale frauduleuse. Il maintient que la Première Nation de Fort McKay n’a pas réussi à renverser cette présomption, parce qu’elle n’a pas présenté de preuve visant à la réfuter.

[38]           M. Campre semble avoir confondu le fardeau juridique de la preuve et la bonne application d’un principe de preuve relatifs aux inférences qui peuvent être tirées d’un élément de preuve présenté. Il incombait à M. Campre d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que la Première Nation de Fort McKay s’était livrée à une manœuvre électorale frauduleuse (Wrzesnewskyj c Canada [Procureur général], 2012 CSC 55, aux paragraphes 52 et 53). Conformément au droit, certains agissements peuvent mener à une inférence de manœuvre électorale frauduleuse, mais cela ne signifie pas que le fardeau de la preuve a été renversé.

[39]           L’arbitre a explicitement fait référence aux principes régissant la preuve énoncés dans l’arrêt Sideleau. Toutefois, l’arbitre a conclu que la preuve présentée dans l’appel était [traduction] « ténue » et que le droit ne permettait pas de tirer une inférence de manœuvre électorale frauduleuse sur la foi de [traduction] « simples conjectures ».

[40]           Il est possible de tirer une inférence de la preuve seulement dans certaines circonstances. Par exemple, dans l’arrêt Première Nation de Kahkewistahaw c Taypotat, 2015 CSC 30, la Cour suprême du Canada a décidé que l’obligation d’avoir un niveau de scolarité de 12e année pour les candidats qui souhaitent occuper le poste de chef ou de conseiller de bande n’étaye pas l’inférence que les aînés de la communauté seraient défavorisés. Dans l’arrêt Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation), 2015 CSC 39, la Cour suprême a déclaré que le refus de délivrer une cote de sécurité à un homme d’origine pakistanaise n’étayait pas l’inférence selon laquelle le profilage racial était en cause.

[41]           De façon semblable, la preuve qu’un nombre important de personnes ont voyagé de Fort McKay à Edmonton et ont par la suite voté à l’élection générale de la Première Nation de Fort McKay avant d’assister au spectacle On the River n’étaye pas l’inférence selon laquelle une manœuvre électorale frauduleuse a eu lieu. M. Campre a produit très peu d’éléments de preuve à l’appui de son appel. Il était donc raisonnable que l’arbitre conclue que la simple présence de personnes de Fort McKay au spectacle à Edmonton n’étayait pas l’inférence selon laquelle ces personnes avaient accepté des pots-de-vin du chef, ou pour son compte, ou de quiconque d’autre pour voter d’une façon précise.

[42]           Je ne trouve aucune erreur dans la décision de l’arbitre qui justifie l’intervention de la Cour. La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.

VI.             Dépens

[43]           Les deux parties ont sollicité la possibilité de s’adresser à la Cour par écrit, relativement aux dépens. La Première Nation de Fort McKay déposera ses observations écrites, d’une longueur maximale de sept pages, dans les cinq jours ouvrables suivant la présente décision. M. Campre présentera ses observations écrites en réponse, d’une longueur maximale de sept pages, dans les cinq jours ouvrables suivant la réception des observations écrites de la Première Nation de Fort McKay.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Simon Fothergill »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DOSSIER :

T-740-15

 

INTITULÉ :

ROBB CAMPRE c PREMIÈRE NATION DE FORT MCKAY

LIEU DE L’AUDIENCE :

EDMONTON (ALBERTA)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 19 OCTOBRE 2015

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE FOTHERGILL

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 9 NOVEMBRE 2015

COMPARUTIONS :

Priscilla Kennedy

POUR LE DEMANDEUR

Trina Kondro

pour la défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

DLA Piper LLP

Edmonton (Alberta)

POUR LE DEMANDEUR

Ackroyd, s.r.l.

Edmonton (Alberta)

pour la défenderesse

 

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