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Date : 20151103


Dossier : IMM-412-15

Référence : 2015 CF 1231

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Fredericton (Nouveau-Brunswick), le 3 novembre 2015

En présence de monsieur le juge Bell

ENTRE :

KASSIM MOHAMED ALI

demandeur

Et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction et aperçu

[1]               Kassim Mohamed Ali sollicite le contrôle judiciaire d’une décision par laquelle la Section d’appel des réfugiés [la SAR] a rejeté un appel de la décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] où il a été conclu qu’il n’est ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger au sens de l’article 96 et du paragraphe 97(1), respectivement, de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi].

[2]               Pour les motifs exposés ci-après, je suis d’avis de rejeter la demande de contrôle judiciaire.

II.                Les faits pertinents

[3]               M. Ali est un citoyen de la Somalie né le 1er janvier 1985. En mars 2013, il s’est rendu en Éthiopie, puis est arrivé au Canada en septembre 2013. M. Ali est de religion musulmane (sunnite) et membre du Shanshee, un sous-clan du Reer Hamar. Devant la SPR, M. Ali a témoigné qu’en Somalie sa famille et lui possédaient et exploitaient une ferme d’élevage de bétail, dont des vaches et des moutons, de même qu’une boutique où ils vendaient des aliments, du thé, des cigarettes et des bonbons.

[4]               M. Ali soutient qu’à cause de la relation secrète qu’il entretenait avec une femme non mariée qui est tombée enceinte, il craint d’être victime de représailles de la part de la famille de cette femme et d’être persécuté par le groupe Al-Shabaab, car ses actes sont considérés comme [traduction« contraires à l’islam ». Le dossier n’indique pas quand cette relation a eu lieu, l’âge qu’avaient les parties à cette époque, ni l’âge qu’elles avaient à la date approximative de conception. D’après ce que j’ai compris, la grossesse a été interrompue avant la naissance de l’enfant. M. Ali soutient par ailleurs qu’en tant que membre d’un clan minoritaire, il ne serait pas protégé contre la persécution s’il retournait en Somalie.

III.             La décision contestée

[5]               La SPR a admis que M. Ali est un ressortissant de la Somalie. Elle a toutefois conclu qu’il n’avait pas fourni de preuves concluantes qui étayaient l’existence d’une crainte objective de persécution ou qui corroboraient sa crainte subjective que le groupe Al-Shabaab ou la famille de son ancienne petite amie soient à sa recherche et aient l’intention de lui causer préjudice. La SPR a de plus conclu que M. Ali n’avait pas prouvé que sa famille ou lui avait été victime de menaces ou d’actes de violence en tant que membres du clan Reer Hamar. Elle a ajouté que M. Ali n’avait pas présenté de preuves objectives convaincantes à l’appui de sa crainte d’être renvoyé en Somalie.

[6]               M. Ali a porté cette décision en appel devant la SAR. Il a soulevé trois questions : premièrement, la SPR n’a pas appliqué le critère juridique qui convient à une décision fondée sur l’article 96; deuxièmement, à titre de personne déplacée qui est également membre d’un clan minoritaire, il ne bénéficie d’aucune protection et pourrait être victime de vol, tué ou contraint de se battre pour un groupe islamique; troisièmement, la relation qu’il a entretenue avec une femme non mariée, et qui s’est soldée par une grossesse, pourrait amener la famille de cette femme à le tuer par désir de vengeance ou inciter le groupe Al-Shabaab à exercer contre lui des représailles pour sa conduite anti-islamique.

[7]               Pour ce qui est de la première question, la SAR a conclu que la SPR avait appliqué de manière irrégulière l’article 96 de la Loi quand elle avait déclaré que M. Ali n’avait pas [traduction« fourni des éléments de preuve convaincants montrant que, s’il devait retourner en Somalie, il aurait des problèmes en tant que membre des Reer Hamar » [non souligné dans l’original]. Le critère ne consiste clairement pas à savoir si M. Ali « aurait des problèmes ». La SAR a formulé le critère juridique approprié, c’est-à-dire s’il existe une « possibilité sérieuse » de persécution en raison de l’appartenance de M. Ali à un clan minoritaire, advenant son retour en Somalie. Elle a ensuite examiné la jurisprudence de la Cour fédérale, des éléments de preuve documentaire tels que le Guide du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés [Guide du HCR] ainsi que le témoignage de M. Ali devant la SPR, pour ensuite conclure qu’il ne s’exposait pas à une possibilité sérieuse de persécution du fait de son appartenance à un clan.

[8]               Pour ce qui est de la deuxième question, la SAR a conclu que les déclarations de M. Ali à propos de sa crainte de persécution en raison de son appartenance à un clan minoritaire et en tant que personne déplacée étaient de nature conjecturale et que la preuve documentaire contredisait ses affirmations. Elle a conclu que M. Ali n’avait pas présenté de preuves objectives à l’appui de ses dires selon lesquels le groupe Al-Shabaab prend pour cible les personnes ayant un profil semblable au sien.

[9]               Enfin, la SAR a conclu que M. Ali n’avait pas établi que, selon toute probabilité, il s’exposait à un risque de préjudice de la part de la famille de son ancienne petite amie, ainsi que l’envisage le paragraphe 97(1). La SAR a tiré une conclusion semblable au sujet du risque de préjudice de la part du groupe Al-Shabaab ou d’autres membres de la communauté islamique.

IV.             Les questions en litige

[10]           M. Ali soutient que la SAR : (i) n’a pas appliqué la norme de contrôle appropriée aux conclusions de la SPR, (ii) a commis une erreur en fusionnant son analyse concernant l’article 96 et le paragraphe 97(1), (iii) n’a pas renvoyé l’affaire à un tribunal différemment constitué de la SPR en vue d’une nouvelle décision, après avoir conclu que la SPR avait commis une erreur dans son interprétation de l’article 96, et (iv) a rendu une décision déraisonnable malgré une évaluation exhaustive du dossier de preuve.

V.                La norme de contrôle applicable

[11]           L’interprétation que fait la SAR de la norme juridique applicable en ce qui concerne tant l’article 96 que l’article 97 de la Loi a trait à des questions de droit d’application générale et doit être contrôlée selon la norme de la décision correcte (voir Vozkova c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1376, [2011] ACF no 1682, au paragraphe 20; Pushpanathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 RCS 982, [1998] ACF no 46).

[12]           Les décisions de la SAR de rejeter la demande de reconnaissance de la qualité de réfugié (article 96) ou de la qualité de personne à protéger (article 97) de M. Ali constituent des questions mixtes de fait et de droit, qui doivent être contrôlées selon la norme de contrôle de la raisonnabilité (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir]). La Cour n’interviendra que si elle conclut que la décision de la SAR n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).

VI.             Les dispositions applicables

[13]           Les articles 96 et 97, qui contiennent les définitions de « réfugié au sens de la Convention » et de « personne à protéger », ainsi que le texte de l’article 111 de la Loi sont reproduits à l’annexe « A » qui suit les présents motifs.

VII.          Analyse

A.                La norme de contrôle que la SAR a appliquée

[14]           La jurisprudence est quelque peu divisée à propos de la portée de l’examen que la SAR doit effectuer à l’égard des conclusions que tire la SPR (Taqadees c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 909, [2015] ACF no 911, au paragraphe 11). Cependant, la tendance actuelle de la jurisprudence est que la SAR doit évaluer de façon indépendante la question qui lui est soumise et substituer sa propre décision si celle‑ci diffère de celle de la SPR (voir Huruglica c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 799, [2014] ACF no 845 [Huruglica]; Alyafi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 952, [2014] ACF no 989; et Bahta c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 1245, [2014] ACF no 1278). Il y a toutefois lieu de faire preuve de déférence envers la SPR pour les questions de crédibilité, les conclusions factuelles ou autres points pour lesquels elle a un avantage particulier (voir la décision Huruglica, précitée, aux paragraphes 54 et 55; Palden c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 787, [2015] ACF no 816, et Yetna c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 858, [2014] ACF no 906). La SAR a suivi l’approche adoptée dans la décision Huruglica, à savoir que la SAR tient une forme hybride d’appel qui l’oblige à rendre sa propre décision à partir d’une évaluation indépendante de la preuve, mais qui lui permet de faire preuve de déférence envers la SPR à l’égard de certaines questions.

[15]           M. Ali soutient que la SAR a omis d’examiner l’affaire « sous un angle différent » et d’effectuer sa propre analyse de la preuve. En toute déférence, je ne suis pas d’accord. Même si la SAR a fait brièvement référence aux conclusions de la SPR sur le témoignage de M. Ali, elle a également évalué l’appel en se fondant sur des éléments de preuve documentaire comme le Guide du HCR et les conditions du pays. À mon avis, la SAR a procédé à sa propre analyse des documents dont elle disposait, tout en faisant preuve de retenue à l’égard des conclusions de la SPR relatives aux faits et à la crédibilité lorsqu’elle devait le faire.

B.                 L’application des articles 96 et 97 de la Loi

[16]           M. Ali soutient qu’après avoir conclu que la SPR avait commis une erreur dans sa formulation du critère juridique applicable en ce qui concerne l’article 96 de la Loi, la SAR a commis la même erreur (formulation incorrecte du critère juridique applicable) au paragraphe 29 de ses propres motifs, où elle déclare qu’« [elle ne] dispose [pas] de suffisamment d’éléments de preuve crédibles montrant que l’appelant […] était [ou] sera […] ciblé par Al Shabaab ou la famille de son ancienne petite amie à son retour en Somalie » [non souligné dans l’original]. M. Ali soutient que l’emploi du mot « sera » montre que la SAR a commis une erreur en omettant d’employer les mots « possibilité sérieuse » pour évaluer sa crainte de persécution au sens de l’article 96. Le défendeur rétorque que la phrase contestée n’a été employée que pour évaluer la preuve et ne visait pas à énoncer la norme de preuve qu’appliquait la SAR. Il soutient qu’une lecture complète de la décision montre que la SAR connaissait le critère juridique approprié et qu’elle l’a appliqué. Il renvoie notamment au fait que la SAR a fait remarquer, au début de ses motifs, que la SPR avait omis d’appliquer le bon critère. D’autres passages de la décision de la SAR étayent la thèse du défendeur. Au paragraphe 12 de ses motifs, la SAR dit qu’il n’y aurait aucune « possibilité sérieuse » de persécution si M. Ali retournait en Somalie. De plus, au paragraphe 21, elle indique que M. Ali n’a pas présenté de preuves suffisamment crédibles pour établir une « possibilité sérieuse » de persécution du fait de son appartenance au clan minoritaire. La SAR fait également référence au critère de la « possibilité sérieuse » de persécution au paragraphe 23 de ses motifs. Après avoir lu la décision de la SAR dans son ensemble, je suis d’avis que cette dernière connaissait, et a convenablement appliqué, le critère juridique qui est énoncé à l’article 96 de la Loi (voir Alahaiyah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 726, [2015] ACF no 723, aux paragraphes 47 à 50).

[17]           Pour ce qui est de la relation que M. Ali a entretenue avec une femme non mariée et du risque que la famille de cette dernière le tue par vengeance, la SAR a examiné ce risque au regard de l’article 97. Contrairement à l’article 96, le paragraphe 97(1) n’exige pas qu’il y ait un lien avec un motif énoncé dans la Convention, mais il requiert bel et bien que le demandeur d’asile établisse l’existence d’une crainte objective de persécution. M. Ali soutient qu’il n’y a aucune différence pratique entre le fardeau de preuve qu’exige l’article 96 et celui qu’exige l’article 97. La série de décisions portant que la norme de preuve prévue à l’article 96 est quelque peu inférieure à celle de la prépondérance des probabilités, alors que celle qu’exige l’article 97 est la norme civile, me convainc toutefois du contraire. Voir l’arrêt Li c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 1, [2005] ACF no 1, au paragraphe 14, où la Cour conclut que la norme de preuve qui s’applique à une décision fondée sur le paragraphe 97(1) est « la prépondérance des probabilités », ainsi que la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c A011, 2013 CF 580, [2013] ACF no 685, au paragraphe 30, où la Cour conclut que le fardeau de preuve du risque personnel que prévoit le paragraphe 97(1) requiert une norme plus stricte que le critère de la « possibilité sérieuse » prévu par l’article 96; voir aussi la décision Santanilla Bonilla c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 656, [2013] ACF no 724, au paragraphe 43, de même que l’arrêt Chan c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] 3 RCS 593, [1995] ACF no 78, au paragraphe 120). Je suis convaincu que la SAR a eu raison d’appliquer la norme de preuve de la « prépondérance des probabilités » à son analyse fondée sur l’article 97.

[18]           Enfin, M. Ali soutient que la SAR aurait dû mener une analyse distincte dans le cas de l’article 97. Une telle approche est préférable, et elle n’a clairement pas été suivie en l’espèce, mais je ne suis pas d’accord avec M. Ali pour dire que cette omission constitue une « erreur susceptible de révision ». Je noterais tout d’abord que le critère du caractère raisonnable englobe à mon avis la notion de l’« erreur susceptible de révision ». Je m’explique. Avant l’arrêt Dunsmuir, la Cour cherchait à savoir si l’omission du décideur de procéder à une analyse distincte en vertu de l’article 97 équivalait à une erreur de peu d’importance ou à une erreur « susceptible de révision ». Il fallait que la conclusion tirée à cet égard soit fondée sur les faits de l’affaire examinée (Bouaouni c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1211, [2003] ACF no 1540; Kandiah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 181, [2005] ACF no 275).

[19]           À mon avis, l’avènement de l’arrêt Dunsmuir commande une nouvelle approche. La Cour n’est plus tenue de chercher à savoir si une erreur particulière est de « peu d’importance » ou « susceptible de révision » mais plutôt si, eu égard au principe de la déférence, la décision dans son ensemble répond au critère de la raisonnabilité. Par conséquent, l’analyse que mène la SAR au regard de l’article 97 sera valable si le processus décisionnel est justifié, transparent et intelligible, et s’il appartient aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47). Il y a lieu de faire preuve de déférence à l’égard du choix que fait un décideur de traiter séparément une demande d’asile fondée sur l’article 97, compte tenu de son expertise spécialisée ainsi que de la nature particulière des questions en litige (Velez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 923, [2010] ACF no 1138, aux paragraphes 23 et 48 [Velez]). Par ailleurs, il faut évaluer la raisonnabilité de l’analyse menée au regard de l’article 97 en tenant compte des circonstances propres à chaque affaire (El Achkar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 472, [2013] ACF no 500, au paragraphe 29 [El Achkar]), et ce, dans le contexte de la décision dans son ensemble (voir Agraira c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 RCS 559, au paragraphe 53, citant Construction Labour Relations c Driver Iron Inc., 2012 CSC 65, [2012] 3 RCS 405; Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] RCS 708, au paragraphe 14 [Newfoundland Nurses’]).

[20]           Deux des motifs qu’invoque M. Ali, ceux qui ont trait à la persécution fondée sur l’appartenance à un clan minoritaire et à la religion, tombent manifestement sous le coup de l’article 96 de la Loi. Étant donné que la norme de preuve – la prépondérance des probabilités – qui s’applique dans le contexte de l’article 97 est plus stricte que celle qui s’applique dans le contexte de l’article 96, il était inutile que la SAR entreprenne une analyse exhaustive sous l’angle de la norme plus stricte. La SAR a montré qu’elle comprenait bien le rôle qu’elle jouait dans le contexte de l’article 97 (Rajadurai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 532, [2013] ACF no 566, au paragraphe 46) en ce qui concerne la crainte de représailles de la part de membres de la famille. Je conclus que l’analyse que la SAR a effectuée dans le contexte de l’article 97 est justifiable, transparente et intelligible. Il était raisonnable dans les circonstances que la SAR n’ait pas procédé à une analyse distincte, au regard de l’article 97, des motifs énoncés dans la Convention que M. Ali a invoqués (voir les décisions El Achkar et Velez, précitées).

C.                 Autres motifs de contestation du caractère raisonnable de la décision de la SAR

[21]           Outre les motifs de contestation susmentionnés concernant le caractère raisonnable de la décision de la SAR, M. Ali évoque un « pot-pourri » de problèmes, dont ce qui suit : (i) une fois que la SAR a décidé que la SPR avait appliqué le mauvais critère juridique, elle aurait dû renvoyer l’affaire à un autre commissaire de la SPR pour qu’il soit statué à nouveau sur l’affaire, (ii) la SAR a commis une erreur en ne concluant pas que la marginalisation du clan Reer Hamar dont fait état la preuve documentaire constitue de la persécution, (iii) la SAR a mal évalué l’affirmation de M. Ali selon laquelle l’Éthiopie n’accepte pas de réfugiés somaliens, en signalant qu’il y a des réfugiés somaliens en Éthiopie, et (iv) en dépit d’informations contradictoires sur les conditions du pays, la SAR a fait preuve de sélectivité dans son évaluation des éléments de preuve auxquels elle accordait une certaine valeur et a omis de prendre en compte d’autres éléments pertinents.

[22]           Mon analyse de ces motifs de contestation concernant le caractère raisonnable de la décision est succincte. L’article 111 de la Loi indique que la SAR peut renvoyer une affaire à la SPR s’il lui est impossible de rendre une décision sans tenir une nouvelle audience. L’erreur que la SAR a relevée était manifestement une question de droit, soit la norme de preuve que requiert l’article 96 de la Loi. La SAR n’a pas commis d’erreur en évaluant les éléments de preuve (sous un angle différent) et en tirant sa propre conclusion sur le fondement de la norme appropriée. Selon moi, il était inutile de tenir une nouvelle audience pour réévaluer les éléments de preuve dont disposait la SAR (voir Spasoja c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 913, [2014] ACF no 920, au paragraphe 18).

[23]           À l’époque où M. Ali se trouvait en Éthiopie, il n’a pas demandé l’asile. Dans le formulaire « Fondement de la demande d’asile » [FDA] qu’il a rempli, il a expliqué que le gouvernement éthiopien n’acceptait pas de Somaliens comme réfugiés et ne leur offrait aucune protection. La SAR a signalé que cette affirmation est contredite par des éléments de preuve documentaire qui démontrent que la majorité des réfugiés en Éthiopie sont somaliens. La question de savoir si des Somaliens peuvent solliciter l’asile en Éthiopie n’est pas déterminante pour ce qui est du caractère raisonnable de la décision. La SAR a simplement fait la remarque, sur le fondement de la preuve qui lui a été présentée, qu’il y a de nombreux réfugiés somaliens en Éthiopie. Cette preuve semble contredire ce que M. Ali a déclaré. On ne peut pas reprocher à la SAR d’avoir fait état de cette contradiction.

[24]           Enfin, pour ce qui est des motifs (ii) et (iv) mentionnés au paragraphe 21 qui précède, la preuve documentaire corrobore le fait que le clan Reer Hamar peut jusqu’à un certain point avoir été victime d’exploitation ou de marginalisation. La SAR a toutefois conclu que la seule discrimination n’équivaut pas à la persécution. Elle a évalué les conditions du pays et a tenté de « mettre en balance » des preuves contradictoires au regard du contexte, selon lequel M. Ali et sa famille possédaient et exploitaient une ferme et une boutique et semblaient vivre dans une paix relative avant le départ de ce dernier pour la Somalie. Le processus de « mise en balance » de la preuve fait partie intégrante du rôle de la SAR et illustre l’une des nombreuses raisons qui justifient le principe de la déférence. L’insuffisance perçue des motifs ne justifie pas, à elle seule, qu’on conclue au caractère déraisonnable de la décision (arrêt Newfoundland Nurses’, précité, au paragraphe 14). De plus, il y a lieu de considérer la décision dans le contexte de l’ensemble de la preuve (Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 RCS 654). L’affirmation de M. Ali selon laquelle on n’a pas tenu compte de certains éléments de preuve ou qu’on leur a accordé un poids insuffisant doit être considérée dans le contexte de l’ensemble de la preuve et de la décision. Il n’appartient pas à la Cour de se lancer dans une chasse à l’erreur dans la décision ou dans le processus décisionnel (arrêt Newfoundland Nurses’, précité, au paragraphe 16). Le critère ultime est celui du caractère raisonnable.

VIII.       Conclusion

[25]           Je suis d’avis que la SAR a correctement interprété la norme de preuve exigée par les articles 96 et 97 de la Loi. Je suis par ailleurs convaincu qu’elle a appliqué de manière raisonnable le droit aux faits. En résumé, je conclus que la décision est justifiable, transparente et intelligible. De plus, elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Je suis donc d’avis de rejeter la demande de contrôle judiciaire.

[26]           La demande de contrôle judiciaire est rejetée, sans frais.

[27]           Ni l’une ni l’autre des parties n’a proposé de question à certifier, et aucune n’est certifiée.


JUGEMENT

LA COUR REJETTE la demande de contrôle judiciaire, sans frais.

« B. Richard Bell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


ANNEXE « A »

Définition de « réfugié »

Convention refugee

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

Personne à protéger

Person in need of protection

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

Personne à protéger

Person in need of protection

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

Décision

Decision

111. (1) La Section d’appel des réfugiés confirme la décision attaquée, casse la décision et y substitue la décision qui aurait dû être rendue ou renvoie, conformément à ses instructions, l’affaire à la Section de la protection des réfugiés.

111. (1) After considering the appeal, the Refugee Appeal Division shall make one of the following decisions :

(a) confirm the determination of the Refugee Protection Division;

(b) set aside the determination and substitute a determination that, in its opinion, should have been made; or

(c) refer the matter to the Refugee Protection Division for re-determination, giving the directions to the Refugee Protection Division that it considers appropriate.

Renvoi

Referrals

(2) Elle ne peut procéder au renvoi que si elle estime, à la fois :

(2) The Refugee Appeal Division may make the referral described in paragraph (1)(c) only if it is of the opinion that

a) que la décision attaquée de la Section de la protection des réfugiés est erronée en droit, en fait ou en droit et en fait;

(a) the decision of the Refugee Protection Division is wrong in law, in fact or in mixed law and fact; and

b) qu’elle ne peut confirmer la décision attaquée ou casser la décision et y substituer la décision qui aurait dû être rendue sans tenir une nouvelle audience en vue du réexamen des éléments de preuve qui ont été présentés à la Section de la protection des réfugiés.

(b) it cannot make a decision under paragraph 111(1)(a) or (b) without hearing evidence that was presented to the Refugee Protection Division.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-412-15

INTITULÉ :

KASSIM MOHAMED ALI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 20 octobrE 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BELL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 3 NovembrE 2015

 

COMPARUTIONS :

Michael Crane

 

POUR LE DEMANDEUR

Alison Engel-Yan

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Michael Crane

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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