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Date : 20151028


Dossier : IMM‑1232‑14

Référence : 2015 CF 1220

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 28 octobre 2015

En présence de madame la juge Kane

ENTRE :

ZEID ABU RAYAN

demandeur

Et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Le demandeur, Zeid Abu Rayan, sollicite, en application de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés [la Loi], le contrôle judiciaire de la décision par laquelle un agent de l’immigration et de la citoyenneté [l’agent de CIC] a refusé sa demande de résidence permanente, présentée à titre de personne protégée, au motif que, en vertu de l’alinéa 34(1)c) de la Loi, il est interdit de territoire au Canada pour raison de sécurité étant donné qu’il s’est livré à des actes de terrorisme.

[2]               Pour les motifs exposés ci‑après, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Le demandeur n’a pas établi qu’il y avait eu un manquement à l’équité procédurale en raison d’un abus de procédure. L’agent de CIC a conclu à raison qu’il existait des motifs raisonnables de croire que le demandeur s’était livré à des actes de terrorisme.

Contexte

[3]               Les efforts déployés par le demandeur en vue d’obtenir la résidence permanente au Canada remontent à 1999. Pour fournir le contexte nécessaire à la décision, je donne ci‑dessous une description des principaux faits, qui tient compte des versions du demandeur et du défendeur.

[4]               Le demandeur est Palestinien et citoyen d’Israël. Il raconte qu’il est devenu informateur pour les services de sécurité israéliens, le Shabak. Il a enquêté sur d’autres Palestiniens et fait de fausses déclarations en cour pour qu’ils soient condamnés. En raison de son rôle d’informateur, il a été libéré après trois ans d’emprisonnement à la suite d’une condamnation de six ans infligée pour des infractions liées à la sécurité. Le Shabak l’a ensuite aidé à se réétablir et à devenir résident permanent et citoyen d’Israël.

[5]               Le demandeur est arrivé au Canada en janvier 1999 et il a demandé l’asile. Le Service canadien du renseignement de sécurité [le SCRS] l’a interrogé en mai 2000. Sa demande d’asile a été refusée en janvier 2002.

[6]               La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la Commission] a souligné que le demandeur affirmait avoir été détenu en 1984 parce qu’il avait participé à des activités politiques. Il avait ensuite fourni de l’information au service de renseignement israélien concernant des Palestiniens qui tentaient de fabriquer des engins explosifs. Il a été arrêté avec les personnes au sujet desquelles il avait fourni de l’information et condamné à six ans d’emprisonnement. Toutefois, il n’a purgé qu’une peine de trois ans en raison de son rôle d’informateur. La Commission a également renvoyé à un document concernant une demande de mandat d’arrestation en Israël en 1996. Même si ce document fait état d’une condamnation pour sa participation à des attentats perpétrés avec des engins explosifs et pour des infractions liées à la sécurité, la Commission a seulement mentionné le fait qu’il n’y avait pas eu de suite à la mise en accusation (autrement dit, on ne sait pas vraiment ce que la Commission savait sur son implication concernant les engins explosifs).

[7]               La Commission a conclu que le demandeur était exposé à une possibilité sérieuse de persécution en Cisjordanie, mais qu’il pourrait vivre en Israël et bénéficier de la protection offerte par ce pays. La Commission a rejeté sa demande d’asile.

[8]               La Cour a refusé sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire en mai 2002.

[9]               Le défendeur souligne que la version du demandeur concernant les faits qui ont donné lieu à sa condamnation variait selon les entrevues. Il allègue avoir été arrêté et condamné pour avoir participé à des manifestations. Le défendeur soutient que le demandeur a été condamné parce qu’il avait posé des engins explosifs posés près des patrouilles militaires israéliennes et participé à des manifestations. Le demandeur avoue s’être lié à des jeunes qui faisaient éclater des engins explosifs, fabriqués avec allumettes placées dans des tuyaux, pour faire peur aux soldats et leur faire une sorte de guerre psychologique. Il avoue également avoir utilisé des engins explosifs pour faire peur aux animaux.

[10]           Après le refus de sa demande d’asile, une décision défavorable faisant suite à un examen des risques avant renvoi [ERAR] a été rendue en juillet 2003, et une mesure d’expulsion a été prise contre lui. Il a quitté le Canada en août 2003.

[11]           Le demandeur est revenu au Canada en juillet 2005 et il a de nouveau demandé l’asile. Sa demande a été jugée irrecevable en vertu de l’alinéa 101(1)b) de la Loi parce qu’une demande antérieure avait été instruite et rejetée et qu’il n’avait pas obtenu l’autorisation du ministre pour revenir au Canada, comme l’exige le paragraphe 52(1) de la Loi. Toutefois, il avait le droit de demander un ERAR.

[12]           L’agent chargé de l’ERAR a conclu dans sa décision datée du 29 août 2005 que le demandeur était une personne à protéger en vertu de l’alinéa 97(1)b) de la Loi. L’agent chargé de l’ERAR était d’avis qu’une nouvelle preuve, obtenue à la suite du renvoi du demandeur en Israël en 2003, établissait qu’il ne pourrait pas se réclamer de la protection de l’État dans ce pays. Le demandeur s’est vu reconnaître la qualité de personne protégée au Canada. Il a été informé qu’il pouvait demander la résidence permanente, et c’est ce qu’il a fait.

[13]           Le 24 février 2009, le demandeur a été informé par l’agent de CIC que sa demande de résidence permanente pourrait être refusée pour cause d’interdiction de territoire en application des alinéas 34(1)c) et 36(1)b) de la Loi. L’agent de CIC a convoqué le demandeur à une entrevue et lui a demandé de fournir plusieurs documents. Le demandeur a fourni les documents demandés, ainsi que des observations écrites, et il s’est présenté à l’entrevue du 25 mars 2009.

[14]           Le 1er avril 2009, l’agent de CIC a envoyé au demandeur une lettre concernant une demande de dispense ministérielle en vue de la levée de son interdiction de territoire, en soulignant qu’il en avait été question lors de l’entrevue. Une autre lettre, également datée du 1er avril 2009, énonçait les dispositions relatives à la dispense ministérielle et invitait le demandeur à présenter des observations.

[15]           Le 4 avril 2009, le demandeur a envoyé en réponse une lettre de six pages précisant qu’il ne souhaitait pas demander de dispense ministérielle parce qu’il n’avait commis aucun acte de nature criminelle ou de terrorisme. Dans sa lettre, il a repris les observations qu’il avait présentées précédemment et, de plus, il a laissé entendre qu’il avait fait l’objet de mesures discriminatoires.

[16]           Le 17 décembre 2009, l’agent de CIC a fourni au directeur, Examen sécuritaire, de l’Agence des services frontaliers du Canada [l’ASFC] une note de service dans laquelle il a exposé les antécédents d’immigration du demandeur et les renseignements recueillis. L’agent de CIC a invoqué l’article 34 de la Loi et la norme des « motifs raisonnables de croire ». Il a donné la définition complète d’« activité terroriste » figurant à l’article 83.01 du Code criminel, LRC 1985, c C‑46, et souligné que l’un des éléments décrits dans la définition précise que l’activité terroriste s’entendait d’un acte qui « intentionnellement […] compromet gravement la santé ou la sécurité de tout ou partie de la population ». Il a aussi évoqué la définition donnée par la Cour suprême dans l’arrêt Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, [2002] 1 RCS 3 [Suresh]. Il a fourni des renseignements généraux sur la condamnation du demandeur pour des [traduction] « infractions liées à la sécurité » en 1984; il a analysé les observations du demandeur concernant ce qu’il a vécu en Israël; il a examiné la preuve relative au Shabak et au traitement des Palestiniens qui collaborent avec le gouvernement israélien.

[17]           L’agent de CIC a souligné que la preuve révèle que le demandeur a été incarcéré pour avoir posé des engins explosifs et pour avoir constitué une menace à la sécurité d’Israël. Il a également souligné que le demandeur avait déclaré dans son entrevue avec le SCRS en 2000 qu’il s’était lié à des jeunes qui fabriquaient des bombes tuyaux pour faire peur aux soldats israéliens, mais que, dans ses déclarations plus récentes, il a reconnu avoir fabriqué ces engins seulement pour faire peur aux petits animaux et parce que pour lui c’était comme des [traduction] « jeux d’enfants ».

[18]           L’agent de CIC a conclu qu’il existait des motifs raisonnables de croire que le demandeur s’était livré à des actes de terrorisme et qu’il était, par conséquent, interdit de territoire en vertu de l’alinéa 34(1)c).

Décision faisant l’objet du contrôle

[19]           La lettre de décision, datée du 12 décembre 2013, a été communiquée au demandeur le 11 février 2014.

[20]           La lettre de décision reprend textuellement la conclusion contenue dans la note de service rédigée par l’agent de CIC en 2009. Celui‑ci a fait état de la condamnation du demandeur en Israël pour des infractions liées à la sécurité, de la peine de six ans qui lui a été infligée, de sa remise en liberté après trois ans d’emprisonnement en raison de sa collaboration avec le Shabak et du fait qu’il était devenu citoyen israélien en 1994.

[21]           Après avoir examiné tous les éléments de preuve et les explications changeantes du demandeur, l’agent de CIC a conclu qu’il existait des motifs raisonnables de croire que le demandeur s’était livré à des actes de terrorisme, particulièrement des attentats avec des engins explosifs. L’agent de CIC a refusé la demande de résidence permanente en se fondant sur la conclusion selon laquelle le demandeur était interdit de territoire au Canada pour raison de sécurité en vertu de l’alinéa 34(1)c) de la Loi.

[22]           Le demandeur reconnaît que la note de service rédigée en 2009 fait partie des motifs de décision de l’agent de CIC.

Questions en litige

[23]           Le demandeur soulève les points litigieux suivants :

         Le temps qui s’est écoulé pour rendre la décision déclarant le demandeur interdit de territoire constitue un abus de procédure et un manquement à l’équité procédurale.

         L’agent de CIC a commis une erreur de droit parce qu’il n’a ni choisi ni appliqué la bonne définition pour conclure à l’interdiction de territoire du demandeur du fait de s’être « livr[é] au terrorisme » et parce qu’il n’a pas fait une analyse appropriée.

         L’agent de CIC n’a pas tenu compte des éléments de preuve et des arguments pertinents.

Norme de contrôle applicable

[24]           Les questions de fait et les questions mixtes de fait et de droit sont assujetties à la norme de contrôle de la raisonnabilité.

[25]           Il est de droit constant que, lorsque la norme de contrôle de la raisonnabilité s’applique, le rôle de la Cour consiste à déterminer si la décision de la Commission « fait partie des “issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit” » (Dunsmuir, au paragraphe 47). « Il peut exister plus d’une issue raisonnable. Néanmoins, si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable. » (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 59, citant l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir]). La Cour ne soupèsera pas de nouveau la preuve et elle ne rendra pas une nouvelle décision.

[26]           Une décision raisonnable se décrit comme une décision capable de résister à un examen assez poussé (Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, 174 DLR (4th) 193, au paragraphe 63, citation extraite de Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c Southam Inc, [1997] 1 RCS 748, 144 DLR (4th) 1, au paragraphe 56).

[27]           Dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708 [Newfoundland Nurses], la Cour suprême du Canada a expliqué plus en détail les principes de l’arrêt Dunsmuir, en soulignant que les motifs d’une décision « doivent être examinés en corrélation avec le résultat et […] doivent permettre de savoir si ce dernier fait partie des issues possibles », et que la cour saisie « peut […], si elle le juge nécessaire, examiner le dossier pour apprécier le caractère raisonnable du résultat » (aux paragraphes 14 à 16). La Cour a résumé ses consignes en ces termes au paragraphe 16 :

En d’autres termes, les motifs répondent aux critères établis dans Dunsmuir s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables.

[28]           La norme de contrôle applicable aux questions relatives à l’équité procédurale est celle de la décision correcte, et il n’y a pas lieu de faire preuve de retenue (Khosa, au paragraphe 43; Sketchley c Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, [2006] 3 RCF 392, au paragraphe 53).

Le temps qui s’est écoulé pour rendre la décision ne constitue pas un abus de procédure

[29]           Le demandeur soutient que le temps qui s’est écoulé pour rendre la décision concernant l’interdiction de territoire constitue un abus de procédure et, par conséquent, un manquement à l’équité procédurale. Il s’ensuit, à son avis, que la décision devrait être annulée et que l’affaire devrait être renvoyée à un autre agent pour nouvel examen. Il ne demande pas qu’il soit sursis à l’instance même s’il allègue l’abus de procédure.

[30]           Le demandeur soutient que le défendeur disposait de tous les renseignements concernant son implication dans des infractions liées à la sécurité en Israël en 1999, au moment où il a présenté sa demande d’asile, et en 2000, à sa première entrevue avec le SCRS, mais il n’a rien fait avec ces renseignements avant 2009. Qui plus est, l’agent de CIC a communiqué la décision concernant l’interdiction de territoire du demandeur au Canada seulement en 2014. Le demandeur soutient également que le défendeur ne peut invoquer un changement dans sa politique – les demandes de dispense ministérielle étant antérieurement mises en suspens – pour justifier une partie du temps mis à rendre la décision puisqu’il n’a pas demandé de dispense ministérielle.

[31]           Le demandeur avance que ce temps d’attente excessif a été causé par le défendeur et que, par conséquent, il a subi un préjudice, notamment un stress accru du fait de l’incertitude entourant son statut. Il soutient qu’il ne serait pas revenu au Canada en 2005 s’il avait su qu’il aurait à attendre aussi longtemps pour qu’une décision concernant son statut soit rendue. Les conséquences de l’interdiction de territoire sont graves; il mentionne notamment l’impossibilité d’obtenir un passeport et la nécessité de renouveler constamment son permis de travail. Le demandeur ajoute que, plus le temps passe, plus il lui est difficile, voire impossible, d’obtenir des renseignements pour se défendre contre les allégations.

[32]           Même si la décision confirmant l’interdiction de territoire du demandeur au Canada a été rendue tardivement, je ne crois pas que le temps d’attente était excessif eu égard aux circonstances ni que le demandeur a subi un préjudice en raison de ce temps d’attente dans la mesure où il aurait constitué un abus de procédure.

[33]           La jurisprudence a établi que le temps d’attente ne constitue pas, à lui seul, un abus de procédure. Le critère préliminaire pour conclure à un abus de procédure attribuable à un temps d’attente est extrêmement rigoureux, et rares sont les cas qui constituent les « cas les plus manifestes » qui satisfont à ce critère (Blencoe c Colombie‑Britannique (Human Rights Commission), 2000 CSC 44, [2000] 2 RCS 307 [Blencoe], au paragraphe 101).

[34]           Dans le jugement Canada (Citoyenneté et Immigration) c Parekh, 2010 CF 692, [2012] 1 RCF 169, la juge Tremblay‑Lamer a résumé les principes relatifs à l’abus de procédure en renvoyant à l’arrêt Blencoe et a fait les remarques suivantes :

[24]      De manière générale, une cour de justice conclura que des efforts en vue d’appliquer ou d’exécuter la loi constituent un abus de procédure quand l’intérêt du public à l’exécution de la loi est supplanté par l’intérêt du public à l’équité des procédures administratives ou judiciaires; voir Blencoe c. Colombie‑Britannique (Human Rights Commission), 2000 CSC 44, [2000] 2 R.C.S. 307, au paragraphe 120, […]

[25]      Une telle situation peut découler d’un délai injustifié dans l’exécution de la loi. Il en sera souvent ainsi quand le délai fait en sorte que le processus d’audition de l’affaire devient injuste (par exemple parce que les souvenirs des témoins se sont estompés ou que des éléments de preuve ne sont plus disponibles). Toutefois, le juge Bastarache, s’exprimant au nom des juges majoritaires de la Cour suprême dans l’arrêt Blencoe, précité, au paragraphe 115, était « disposé à reconnaître qu’un délai inacceptable peut constituer un abus de procédure dans certaines circonstances, même lorsque l’équité de l’audience n’a pas été compromise ». Le juge Lebel, dissident en partie, mais pas sur cette question, a exprimé la même idée avec encore plus de force au paragraphe 154 : « Le délai administratif abusif est répréhensible, et ce, peu importe qu’il ne ruine que la vie d’une personne sans affecter l’audition à laquelle elle a droit. »

[26]      Pour qu’un délai soit considéré comme constituant un abus de procédure, « [c]e délai doit être déraisonnable ou excessif » (Blencoe, précité, au paragraphe 121). Le délai ne doit pas seulement être plus long que d’habitude, mais il doit avoir causé au défendeur un préjudice substantiel. Autrement dit, il doit être « inacceptable au point d’être oppressif et de vicier les procédures en cause » (Blencoe, précité, au paragraphe 121).

[35]           La juge Tremblay‑Lamer a également rappelé les principes dégagés dans l’arrêt Blencoe, suivant lesquels l’analyse du caractère raisonnable du temps d’attente devait comporter des aspects factuels et contextuels (aux paragraphes 27 et 28) et tenir compte de la nature de l’affaire, de sa complexité, de la question de savoir si la personne visée par la procédure a contribué à prolonger le temps d’attente, des causes du temps d’attente et de ses conséquences.

[36]           Bien que le demandeur affirme que tous les renseignements sur lesquels le défendeur s’est appuyé pour le faire déclarer interdit de territoire fussent des renseignements qu’il avait lui‑même fournis et dont le défendeur et la Commission disposaient avant le rejet de sa demande d’asile en 2002, le dossier ne confirme pas de façon certaine quels étaient les renseignements connus par la Commission et à quelle date ils l’ont été. Ainsi que je l’ai mentionné précédemment, la décision de la Commission évoque la participation du demandeur à des activités politiques, mais elle ne fait pas état, lorsqu’il est question de la demande de mandat d’arrestation faite en Israël en 1996, des motifs de la condamnation antérieure.

[37]           Le demandeur a parlé des renseignements qu’il a fournis à la Commission et de ceux obtenus du SCRS et de l’ASFC. Toutefois, il demeure difficile de dire quels sont les renseignements divulgués par le demandeur, à qui il les a divulgués et quand. Par conséquent, il n’apparaît pas clairement que le défendeur disposait, au moment où le demandeur est arrivé au Canada, en 1999, des renseignements sur lesquels il s’est plus tard appuyé pour le déclarer interdit de territoire.

[38]           L’argument du demandeur selon lequel il ne serait pas revenu au Canada s’il avait su que sa situation serait incertaine n’est pas convaincant, étant donné qu’il avait été expulsé du Canada en 2003 et qu’il était ou aurait dû être au courant des empêchements à la présentation d’une demande d’asile s’il revenait.

[39]           Le demandeur est revenu au Canada en 2005 sans avoir obtenu au préalable l’autorisation du ministre. À mon avis, le seul temps d’attente susceptible d’être pris en considération pour un abus de procédure serait le temps qui s’est écoulé à partir de son retour au Canada en 2005. Ce temps d’attente de presque neuf ans avant la communication de la décision est en partie attribuable au fait que le défendeur a, à tort ou à raison, tenu pour acquis que le demandeur avait demandé une dispense ministérielle.

[40]           Comme le souligne le demandeur dans ses observations d’avril 2009, il a déclaré qu’il ne demandait pas de dispense ministérielle parce qu’il soutenait qu’il n’avait pas commis d’acte criminel. Toutefois, il a fourni des observations détaillées que l’agent de CIC aurait pu à juste titre interpréter comme une demande de dispense ministérielle, malgré sa déclaration initiale, particulièrement en raison du fait que le demandeur n’était pas représenté par un avocat et que la question de la dispense ministérielle avait été soulevée lors de l’entrevue en personne avec le demandeur. De plus, le demandeur n’a pas donné suite en exigeant qu’une décision soit rendue, malgré sa déclaration qu’il ne demandait pas de dispense ministérielle.

[41]           Comme le souligne le défendeur, sa politique prévoyait la suspension des demandes de résidence permanente lorsqu’une demande de dispense ministérielle en vue de la levée d’une interdiction de territoire était pendante. Cette politique a été modifiée en 2013.

[42]           Peu importe que le temps d’attente ait été attribuable au fait que le défendeur tenait pour acquis que le demandeur avait demandé une dispense ministérielle, ce temps d’attente n’est ni déraisonnable ni excessif si l’on tient compte du contexte.

[43]           Le défendeur a l’obligation de déterminer si le demandeur peut être admis au Canada. Même si le partage d’information entre le SCRS, l’ASFC et Citoyenneté et Immigration Canada ne semble pas être sans faille, compte tenu de l’importance des questions en jeu et du fait qu’il importe de s’assurer que la Loi est respectée, ces décisions exigent beaucoup temps. Qui plus est, en l’espèce, les renseignements fournis par le demandeur n’étaient pas cohérents.

[44]           De plus, le demandeur n’a pas établi qu’il avait subi un préjudice important attribuable au temps d’attente. Le préjudice allégué à propos des difficultés qu’il aurait pour obtenir des autorités israéliennes des renseignements concernant sa condamnation aurait également existé entre 2006 et 2009 et même en 2000, si cette dernière période était prise en considération. Il se peut que, dès lors qu’il a demandé la protection d’un autre pays, comme il l’a fait au Canada en 1999 et 2005, le demandeur ait eu de la difficulté à obtenir les documents nécessaires ou d’autres renseignements d’Israël.

[45]           Il est normal que l’issue incertaine de sa demande de résidence permanente ait contribué à accroître chez le demandeur le stress qu’il a dit avoir éprouvé. Toutefois, le demandeur n’a présenté aucune preuve documentaire à l’appui de cet état de santé. Qui plus est, il est revenu au Canada alors qu’il était interdit de territoire, et un certain stress était à prévoir vu ses efforts pour obtenir un statut au Canada. Malgré cela, il s’est vu accorder le statut de personne protégée et il n’a pas été renvoyé en Israël.

[46]           La décision de ne pas donner suite à la procédure d’interdiction de territoire entre 2000 et 2002 n’empêchait pas le défendeur d’y donner suite plus tard, car aucune décision n’a été prise et n’a été communiquée au demandeur.

[47]           La décision prise par l’agent chargé de l’ERAR n’empêchait pas non plus l’agent de CIC d’examiner la question de savoir si le demandeur était admissible. Je conviens avec le défendeur que la preuve n’indique pas clairement que les renseignements obtenus lors de l’entrevue avec le SCRS en 2000 avaient été communiqués à l’agent chargé de l’ERAR.

[48]           Le demandeur n’a pas établi que la conduite du défendeur constituait un abus de procédure.

L’agent de CIC a‑t‑il bien examiné et analysé la question de savoir si le demandeur s’était livré au terrorisme?

Observations du demandeur

[49]           Le demandeur avance que l’agent de CIC n’a pas choisi ni appliqué la bonne définition de terrorisme et que les motifs n’indiquent pas comment il a analysé les faits pour arriver à conclure qu’il s’était livré au terrorisme.

[50]           Le demandeur soutient que la note de service rédigée par l’agent de CIC en décembre 2009 reprend le critère de l’arrêt Suresh, qui établit les paramètres applicables dans le cadre d’une évaluation fondée sur l’alinéa 34(1)c) de la Loi, mais que l’agent de CIC n’a pas appliqué ce critère. Plus particulièrement, l’agent de CIC n’a pas tenu compte du fait que les allégations visant le demandeur ne portaient pas sur des dommages causés aux civils.

[51]             Le demandeur ajoute que, même si la définition énoncée dans l’arrêt Suresh n’est pas définitive et même si l’agent de CIC avait le droit d’appliquer celle contenue dans le Code criminel, il n’a pas tenu compte des trois éléments du critère parce qu’il a renvoyé seulement à l’élément concernant l’acte qui « intentionnellement […] compromet gravement la santé ou la sécurité de tout ou partie de la population », et non de l’intention ou de l’objet requis et il n’a pas analysé en quoi la conduite du demandeur répondait à la définition.

[52]           Le demandeur avance que la conclusion selon laquelle une personne s’est livrée au terrorisme entraîne des conséquences extrêmement graves et que la Cour est intervenue lorsque pareilles conclusions ne satisfaisaient pas à la définition donnée dans l’arrêt Suresh (Fuentes c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 RCF 379, [2003] 4 CF 249 (CF 1re inst.) [Fuentes]; Zarrin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 332, 129 ACWS (3d) 579 [Zarrin]; Naeem c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 123, [2007] 4 RCF 658 [Naeem]). Le demandeur soutient que le jugement Pizarro Gutierrez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 623, 434 FTR 69 [Gutierrez], où la Cour a souligné qu’il n’y a de définition unique de terrorisme, s’écarte du reste de la jurisprudence de la Cour.

[53]             Le demandeur affirme que l’agent de CIC ne disposait d’aucune preuve démontrant son intention de causer des dommages aux civils ou à qui que ce soit d’autre. Même si le demandeur a donné deux raisons différentes pour expliquer ses activités, l’agent de CIC n’a pas dit laquelle de ces raisons il croyait ou en quoi l’une ou l’autre de ces raisons constituait du terrorisme.

[54]           Le demandeur reconnaît qu’il s’est lié à d’autres jeunes qui faisaient éclater des engins explosifs pour faire peur aux soldats israéliens et qu’il a informé les autorités israéliennes de ces activités, mais il affirme qu’il a toujours nié avoir participé à ces activités. Il ajoute qu’il a toujours affirmé que ces engins étaient petits et bruyants, mais ne causaient aucun dommage.

Les observations du défendeur

[55]           Le défendeur souligne que l’article 34 de la Loi n’exige pas la preuve d’un engagement dans des actes de terrorisme; par contre, l’article 33 de la Loi prévoit que les faits – actes ou omissions – qui constituent l’interdiction de territoire s’apprécient, sauf disposition contraire, sur la base de motifs raisonnables de croire qu’ils sont survenus, surviennent ou peuvent survenir. La Cour suprême du Canada a décrit la norme des « motifs raisonnables de croire » en affirmant qu’elle exigeait « davantage qu’un simple soupçon, mais restait moins stricte que la prépondérance des probabilités applicable en matière civile » […] et qu’elle s’appliquait en présence d’un « fondement objectif reposant sur des renseignements concluants et dignes de foi » (Mugesera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 40, [2005] 2 RCS 100, au paragraphe 114).

[56]           Le défendeur soutient que l’agent de CIC a conclu à raison que la preuve révélait que les activités auxquelles s’était livré le demandeur étaient visées par la définition de terrorisme. Il existait des motifs raisonnables de croire que le demandeur avait posé intentionnellement des engins explosifs et participé à des attentats à la bombe dans des endroits publics à proximité des patrouilles militaires, ce qui constituait une menace sérieuse pour la sécurité des civils. Le demandeur ne conteste pas qu’il était contre l’occupation de la Cisjordanie par Israël et qu’il a intentionnellement posé des engins explosifs. Il a dit aux agents d’immigration qu’il avait posé des engins explosifs et s’était lié à d’autres jeunes qui utilisaient des engins explosifs pour faire peur aux soldats israéliens.

[57]             L’agent de CIC s’est appuyé sur les renseignements obtenus des autorités israéliennes qui indiquaient que le demandeur avait déjà été déclaré coupable d’avoir posé des engins explosifs et avait été condamné à une peine de six ans d’emprisonnement, qu’il avait admis, lors de l’entrevue avec le SCRS en mai 2000, s’être lié à des jeunes qui remplissaient des tuyaux de têtes d’allumettes et les faisaient éclater à proximité des patrouilles militaires israéliennes, qu’il avait admis, dans des déclarations faites le 4 mars et le 4 avril 2009, avoir utilisé des engins explosifs pour faire peur à des petits animaux et qu’il avait admis, lors de l’entrevue menée le 25 mars 2009, avoir joué avec des allumettes et des tuyaux d’aluminium.

[58]             Le défendeur soutient que l’agent de CIC comprenait la définition de terrorisme donnée dans l’arrêt Suresh et celle donnée dans le Code criminel. La définition énoncée dans l’arrêt Suresh n’est pas la seule définition possible de terrorisme et il n’y a pas de définition unique à appliquer (Gutierrez, aux paragraphes 27 et 28). L’agent de CIC a eu raison de s’appuyer sur le Code criminel dans son analyse.

La décision est raisonnable

L’agent de CIC a examiné les définitions de terrorisme, analysé les faits et conclu à raison qu’il existait des motifs raisonnables de croire que le demandeur s’était livré au terrorisme.

[59]           Dans la note de service qu’il a rédigée en 2009, l’agent de CIC expliquait plus en détail les motifs de la décision. Il a cité les paragraphes pertinents de l’arrêt Suresh et la définition complète d’« activité terroriste » énoncée au paragraphe 83.01(1) du Code criminel.

[60]           Dans l’arrêt Suresh, la Cour suprême du Canada a donné, au paragraphe 98, la définition inclusive suivante :

[98]      À notre avis, on peut conclure sans risque d’erreur, suivant la Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme, que le terme « terrorisme » employé à l’art. 19 de la Loi inclut tout « acte destiné à tuer ou blesser grièvement un civil, ou toute autre personne qui ne participe pas directement aux hostilités dans une situation de conflit armé, lorsque, par sa nature ou son contexte, cet acte vise à intimider une population ou à contraindre un gouvernement ou une organisation internationale à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte quelconque ». Cette définition traduit bien ce que l’on entend essentiellement par « terrorisme » à l’échelle internationale. Des situations particulières, à la limite de l’activité terroriste, susciteront inévitablement des désaccords. Le législateur peut toujours adopter une définition différente ou plus détaillée du terrorisme. La question à trancher en l’espèce consiste à déterminer si le terme utilisé dans la Loi sur l’immigration a un sens suffisamment certain pour être pratique, raisonnable et constitutionnel. Nous estimons que c’est le cas.

[61]           Le paragraphe 83.01(1) du Code criminel définit plusieurs termes, dont celui‑ci :

« activité terroriste »

“terrorist activity” means

 

a) Soit un acte — action ou omission, commise au Canada ou à l’étranger — qui, au Canada, constitue une des infractions suivantes :

(a) an act or omission that is committed in or outside Canada and that, if committed in Canada, is one of the following offences:

 

[…]

[…]

 

b) soit un acte — action ou omission, commise au Canada ou à l’étranger :

 

(b) an act or omission, in or outside Canada,

 

(i) d’une part, commis à la fois :

 

(i) that is committed

 

(A) au nom — exclusivement ou non — d’un but, d’un objectif ou d’une cause de nature politique, religieuse ou idéologique,

 

(A) in whole or in part for a political, religious or ideological purpose, objective or cause, and

 

[…]

[…]

 

(B) met en danger la vie d’une personne,

 

(B) endangers a person’s life,

 

(C) compromet gravement la santé ou la sécurité de tout ou partie de la population,

(C) causes a serious risk to the health or safety of the public or any segment of the public,

 

(D) cause des dommages matériels considérables, que les biens visés soient publics ou privés, dans des circonstances telles qu’il est probable que l’une des situations mentionnées aux divisions (A) à (C) en résultera,

 

(D) causes substantial property damage, whether to public or private property, if causing such damage is likely to result in the conduct or harm referred to in any of clauses (A) to (C), or

 

(E) perturbe gravement ou paralyse des services, installations ou systèmes essentiels, publics ou privés, sauf dans le cadre de revendications, de protestations ou de manifestations d’un désaccord ou d’un arrêt de travail qui n’ont pas pour but de provoquer l’une des situations mentionnées aux divisions (A) à (C).

 

(E) causes serious interference with or serious disruption of an essential service, facility or system, whether public or private, other than as a result of advocacy, protest, dissent or stoppage of work that is not intended to result in the conduct or harm referred to in any of clauses (A) to (C),

 

Sont visés par la présente définition, relativement à un tel acte, le complot, la tentative, la menace, la complicité après le fait et l’encouragement à la perpétration; il est entendu que sont exclus de la présente définition l’acte — action ou omission — commis au cours d’un conflit armé et conforme, au moment et au lieu de la perpétration, au droit international coutumier ou au droit international conventionnel applicable au conflit ainsi que les activités menées par les forces armées d’un État dans l’exercice de leurs fonctions officielles, dans la mesure où ces activités sont régies par d’autres règles de droit international.

and includes a conspiracy, attempt or threat to commit any such act or omission, or being an accessory after the fact or counselling in relation to any such act or omission, but, for greater certainty, does not include an act or omission that is committed during an armed conflict and that, at the time and in the place of its commission, is in accordance with customary international law or conventional international law applicable to the conflict, or the activities undertaken by military forces of a state in the exercise of their official duties, to the extent that those activities are governed by other rules of international law.

 

[62]           L’agent de CIC n’était pas tenu d’appliquer la définition énoncée dans l’arrêt Suresh. Le demandeur a invoqué le jugement Zarrin, mais ce jugement n’impose pas l’obligation de suivre la définition énoncée dans l’arrêt Suresh. Au contraire, le juge Mosley a conclu que les motifs et la preuve dans cette affaire ne permettaient pas de comprendre comment l’agente était parvenue à sa décision et que l’arrêt Suresh aurait fourni certains éclaircissements sur la façon de prendre la décision (au paragraphe 14). Les jugements Fuentes et Naeem n’affirment pas clairement non plus que la définition donnée dans l’arrêt Suresh est la seule définition qui devrait être appliquée.

[63]           Dans le jugement Gutierrez, le juge de Montigny a souligné que la Loi ne comporte aucune définition de terrorisme, et que, même si la Cour s’est appuyée sur la définition donnée dans l’arrêt Suresh, ce n’est pas la seule définition possible (aux paragraphes 27 et 28). Le juge de Montigny a donné les explications suivantes :

[28]      Il n’en demeure pas moins qu’il ne s’agit pas là de la seule définition possible du terrorisme, comme en font foi les nombreux libellés que l’on retrouve dans les instruments internationaux et les différentes législations nationales. La Cour suprême a d’ailleurs reconnu dans l’arrêt Suresh, précité, au paragraphe 95, que l’on cherchera en vain une définition du terrorisme qui fasse autorité. En choisissant de ne pas définir la notion de terrorisme dans la LIPR, le législateur canadien a refusé de s’enfermer dans une conception étroite et rigide de ce terme et a plutôt laissé le soin aux décideurs administratifs et ultimement aux tribunaux de développer ce concept de façon souple et en tenant compte des circonstances. Par conséquent, la raisonnabilité d’une déclaration d’interdiction de territoire liée au terrorisme sera tributaire non pas tant de l’application qu’a faite le décideur d’une définition précise de cette notion aux faits de l’espèce, mais bien plutôt de l’adéquation entre la définition choisie (pour autant qu’elle soit raisonnable et puisse se justifier sur le plan des principes) et la preuve qui était au dossier. Voir, dans le même sens, Daud, au paragraphe 11; Jalil, au paragraphe 32.

[29]      En l’occurrence, l’agente a choisi d’appliquer la définition de« terrorisme » que l’on retrouve à l’article 83.01 du Code criminel. On ne saurait certes lui en tenir rigueur et le demandeur n’a pas présenté d’arguments en ce sens. Il se peut que cette définition soit un peu plus large que la description qu’a donnée du terrorisme la Cour suprême dans l’arrêt Suresh, précité. Cela ne saurait cependant suffire à rendre sa décision déraisonnable. D’une part, il faut rappeler que la Cour suprême a indiqué que la notion de terrorisme que l’on retrouvait à l’article 19 de la Loi sur l’immigration, LRC 1985, c I2 « inclut » la description reproduite plus haut au paragraphe 27 des présents motifs. D’autre part, il était certes loisible à l’agente de référer à la définition de terrorisme insérée au Code criminel par le biais de la Loi antiterroriste, LC 2001, c 41, dans la mesure où la LIPR prévoit dans son préambule (alinéa 3(1)i)) que l’un de ses objectifs est de « promouvoir, à l’échelle internationale, la justice et la sécurité par le respect des droits de la personne et l’interdiction de territoire aux personnes qui sont des criminels ou constituent un danger pour la sécurité ». Enfin, nul ne saurait prétendre que les actes de violence recensés par l’agente et commis par les MIR, le FPMR et les Milices rodriguistes ne constituent pas des actes terroristes, même en adoptant une définition plus étroite du terrorisme que celle retenue par le législateur au Code criminel.

[64]           Le demandeur soutient que la démarche adoptée dans l’arrêt Suresh et la définition donnée dans le Code criminel exigent que l’acte vise à intimider la population, et que l’agent de CIC n’a pas analysé en quoi les actes et l’intention du demandeur répondaient à ce critère. Le demandeur avance également que la note de service rédigée par l’agent de CIC ne révèle pas que celui‑ci a apprécié la manière dont le demandeur a, par ses actes, mis en danger la vie d’une personne ou compromis gravement la santé ou la sécurité de tout ou partie de la population, à savoir un des éléments de la définition donnée dans le Code criminel et citée par l’agent de CIC.

[65]           Ainsi que je l’ai souligné précédemment, la Cour examinera le dossier, conformément à l’arrêt Newfoundland Nurses, afin d’évaluer le caractère raisonnable de l’issue. En l’espèce, le dossier étaye le caractère raisonnable de la décision.

[66]           Je ne crois pas que l’agent de CIC n’a pas évalué en quoi les actes du demandeur lui permettaient de conclure qu’il existait des motifs raisonnables de croire qu’il s’était livré au terrorisme. La note de service rédigée par l’agent de CIC en 2009 est détaillée. Il a reproduit la définition complète figurant au Code criminel et celle contenue dans l’arrêt Suresh. Il a également souligné que la norme des motifs raisonnables de croire exigeait un fondement objectif et il a analysé les faits soutenant ce fondement objectif. L’agent de CIC a tenu compte de tous les renseignements et pris note des aveux du demandeur quant au fait qu’il avait, avec d’autres jeunes, posé des engins explosifs, et quant à leur intention de faire peur aux soldats israéliens, et de sa condamnation pour des infractions liées à la sécurité. Le demandeur a déclaré qu’il avait participé à des manifestations contre l’occupation par Israël et que les bombes tuyaux utilisées pour faire peur aux soldats étaient une forme de guerre psychologique.

[67]           L’agent de CIC était justifié de faire les liens nécessaires et de conclure qu’il existait des motifs raisonnables de croire que la conduite du demandeur reflétait une intention de compromettre gravement la santé ou la sécurité de la population. Même si la cible était les soldats, il était légitime de conclure qu’il y avait un risque pour autrui. Le demandeur a admis que sa conduite servait des fins politiques ou idéologiques et qu’il s’était livré à ces activités en tant que partie ou directement.

[68]           En ce qui a trait à l’argument du demandeur selon lequel l’agent de CIC aurait dû communiquer les résultats de sa recherche indépendante sur les bombes tuyaux, on ne peut pas dire qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale. Comme le demandeur avait décrit les engins qu’il avait fabriqués avec la collaboration des jeunes auxquels il s’était lié, il a ainsi indiqué qu’il possédait certaines connaissances sur les bombes tuyaux.

L’agent de CIC n’a pas écarté la preuve ni les observations du demandeur

[69]             Le demandeur affirme que l’agent de CIC n’a pas tenu compte des éléments suivants : il était jeune au moment où les faits se sont produits; il s’était seulement lié aux autres jeunes et n’avait pas participé activement à la pose d’engins explosifs, sauf pour faire peur à des animaux; il y a été contraint en raison de sa coopération avec les autorités israéliennes; il ne se serait pas vu accorder la citoyenneté israélienne si les autorités israéliennes l’avaient traité comme un terroriste ou une personne susceptible de constituer un danger pour la sécurité de la population.

[70]           Ainsi que je l’ai mentionné précédemment, la note de service rédigée par l’agent de CIC en 2009 fait état de tous les renseignements pertinents et souligne les contradictions entre les versions données par le demandeur. L’agent de CIC a plus particulièrement insisté sur les deux versions différentes que le demandeur a données concernant sa participation aux activités entourant la pose des engins explosifs. La note de service révèle que le demandeur a admis aux autorités de l’immigration qu’il était lié à de jeunes Palestiniens qui faisaient éclater des bombes tuyaux près des patrouilles militaires israéliennes. Il a également admis qu’il avait participé à des manifestations contre l’occupation de la Cisjordanie par Israël en 1984. Il a été par la suite condamné pour des infractions liées à la sécurité. En 1996, la police israélienne a demandé un mandat d’arrestation contre lui pour des raisons de sécurité, mais elle ne l’a pas obtenu.

[71]           L’agent de CIC a tenu compte du jeune âge du demandeur au moment des infractions et a maintes fois souligné son âge dans le rapport. Bien que l’agent de CIC n’ait pas précisément examiné la question de savoir si le demandeur avait les connaissances ou la capacité mentale requises pour comprendre la nature et les conséquences de ses actes, rien dans la preuve dont l’agent de CIC avait été saisi ne porte à croire que le demandeur n’avait pas la capacité voulue à ce moment‑là.

[72]           Le demandeur affirme également que sa condamnation ne devrait pas être prise en considération parce qu’elle était attribuable à la coercition. L’agent de CIC a fait référence à la décision de la Commission (de 2002) qui expliquait les méthodes de recrutement du Shabak, mais il était d’avis que cela ne permettait pas d’établir une crainte bien fondée de persécution. Le demandeur n’a pas contesté avoir obtenu une peine réduite, de l’aide pour se réétablir, le statut de résident permanent et la citoyenneté israélienne parce qu’il a fourni des renseignements au Shabak. Même s’il n’a pas fait état de la déclaration de culpabilité du demandeur et de la peine que le demandeur a purgée, l’agent de CIC s’est appuyé à raison sur les propres aveux du demandeur concernant ses activités et le but de celles‑ci.

[73]           La conclusion selon laquelle il existe des motifs raisonnables de croire que le demandeur a participé à des actes de terrorisme est une conclusion raisonnable qui permet à l’agent de CIC de justifier sa conclusion selon laquelle le demandeur est une personne décrite à l’alinéa 34(1)c) de la Loi. Les conclusions qui servent de fondement à la décision de l’agent de CIC peuvent « se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, au paragraphe 47).


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’a été proposée à des fins de certification.

« Catherine M. Kane »

Juge

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑1232‑14

 

INTITULÉ :

ZEID ABU RAYAN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE 

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 28 SeptembRE 2015

 

JUgement et motifs :

la juge KANE

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 28 OCTOBRE 2015

 

COMPARUTIONS :

Meghan Wilson

 

POUR le demandeur

A. Leena Jaakkimainen

 

pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jackman, Nazami & Associates

Toronto (Ontario)

 

POUr le demandeur

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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