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Date : 20151026


Dossier : IMM-1696-15

Référence : 2015 CF 1212

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 26 octobre 2015

En présence de monsieur le juge Martineau

ENTRE :

HRATCH BAJAKIAN

SONIA BAJAKIAN

ARMANOUHIE GHASARIAN

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 17 mars 2015, par la Section de la protection des réfugiés [SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, dans laquelle il était conclu que les demandeurs n’avaient ni la qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger au titre de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi].

[2]               Les demandeurs ont tous la double citoyenneté du Liban et de la Syrie, ils sont chrétiens et membres de l’Église orthodoxe arménienne. Ils demandent l’asile en raison de leur nationalité, leurs opinions politiques réputées, leur religion et leur appartenance à un groupe social (famille). Les demandeurs soutiennent que s’ils étaient renvoyés au Liban, leur voisin M. Samir Al-Akh [le voisin] les tuerait. Dans leur Formulaire de renseignements personnels [FRP], les demandeurs déclarent que le voisin les a harcelés parce qu’ils sont des [traduction] « traitres syriens ». Le harcèlement et les menaces se sont aggravés en mars 2012, après que le demandeur principal — pendant qu’il réparait l’appareil photo du voisin — a vu des photographies du voisin entouré par un groupe d’hommes armés devant un drapeau des Forces libanaises. Les demandeurs affirment que si les autorités libanaises étaient mises au courant de ces photographies, le voisin serait exposé à l’emprisonnement pour port illégal d’armes. À la suite de l’incident, deux hommes que le demandeur principal croyait à l’origine être des agents des Services secrets/du renseignement libanais sont allés au lieu de travail du demandeur principal, le 1er juillet 2012, et lui ont tendu un piège afin qu’il admette qu’il avait vu les photographies compromettantes. Au cours de la semaine suivante, les deux hommes sont revenus au magasin avec le voisin, c’est à ce moment-là que le demandeur principal a compris que les hommes étaient en fait des amis du voisin. Les hommes ont accusé le demandeur principal d’être un espion travaillant pour le compte des Services secrets syriens et ont menacé de le tuer. Ils sont aussi allés à la résidence familiale des demandeurs et ont accusé les codemandeurs d’être des espions syriens, et ils ont déclaré qu’ils entreprendraient des démarches pour révoquer leur citoyenneté libanaise.

[3]               La SPR a estimé que le récit des demandeurs n’était pas véridique, et n’a pas jugé que la crainte subjective des demandeurs de voir leur citoyenneté libanaise révoquée était objectivement fondée, étant donné que les révocations de citoyenneté faites par le gouvernement libanais et évoquées par les demandeurs étaient limitées à 176 personnes en octobre 2011, et [traduction] « ces révocations découlaient principalement du fait que la citoyenneté avait été accordée sur la base de faux documents ». Les demandeurs, qui ont obtenu la citoyenneté libanaise en vertu du décret 5247, ont confirmé qu’ils ont obtenu leur citoyenneté officiellement et légalement. Bien qu’il existe des éléments de preuve qui donnent à penser que de nombreux groupes ethniques, notamment des Syriens, ont vu leur citoyenneté révoquée en raison de leur origine ethnique, la SPR était d’avis que, comme les révocations de citoyenneté n’ont pas eu lieu depuis octobre 2011, il est peu probable que la citoyenneté des demandeurs soit révoquée à l’avenir. La SPR a aussi conclu que les observations faites par les codemandeurs relativement à la persécution fondée sur le sexe n’étaient pas crédibles, parce qu’ils n’ont pas démontré comment une telle persécution s’appliquait à leurs circonstances personnelles.

[4]               La seule question qui demeure à trancher aujourd’hui consiste à savoir si les diverses conclusions tirées par la SPR sont étayées par la preuve et par un processus décisionnel raisonnable. Les demandeurs soutiennent en général à la Cour que la conclusion principale de défaut de crédibilité tirée par la Commission était fondée sur des conclusions factuelles erronées, bien qu’ils ne contestent pas le caractère raisonnable de la décision de la Commission relativement à leur crainte de voir leur citoyenneté révoquée. En particulier, à l’audience de la présente demande, l’avocat des demandeurs a fait valoir que la SPR a commis une erreur lorsqu’elle a écarté le témoignage du demandeur principal selon lequel les deux associés de son voisin étaient des agents des Services secrets/du renseignement libanais.

[5]               Lorsque la Cour contrôle judiciairement les conclusions relatives à la crédibilité tirées par la SPR, la norme de contrôle qu’elle applique est la décision raisonnable (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 51 [Dunsmuir]). À mon avis, la SPR n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle, car la décision contestée appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » [Dunsmuir, au paragraphe 47].

[6]               Les motifs pour lesquels la SPR a rejeté l’allégation de crainte de persécution de la part du voisin des demandeurs et des Services secrets libanais sont clairs et intelligibles :

a)                  Les demandeurs n’ont pas produit de preuve crédible que le voisin serait réellement emprisonné par les autorités libanaises en raison de ses liens avec la milice des Forces libanaises ou en raison de sa possession d’armes. Cette conclusion est étayée par la preuve documentaire dont il ressort que les lois relatives au port d’armes ne sont pas appliquées au Liban.

b)                  Il n’est pas vraisemblable que le voisin ait donné au demandeur principal son appareil photo contenant les photographies incriminantes. La SPR était en droit de rejeter la proposition du demandeur principal selon laquelle le voisin avait apporté son appareil photo dans le magasin afin de causer des problèmes au demandeur principal.

c)                  La déclaration du demandeur principal selon laquelle les demandeurs étaient pris pour cible par les agents des Services secrets/du renseignement libanais est aussi truffée d’incohérences. Dans son FRP, le demandeur principal a écrit que les deux hommes, qui sont venus à son travail et ont dit être des agents du gouvernement, étaient en fait des amis de son voisin et des membres de la milice des Forces libanaises. Lors de son témoignage, le demandeur principal a insisté sur le fait que les hommes étaient des agents du gouvernement parce qu’ils lui avaient montré leurs cartes d’identité (bien qu’il ait reconnu qu’il n’a pas eu le temps de lire le contenu des cartes d’identité, à l’exception du fait que sur ces cartes figurait le logo de la République du Liban) et s’étaient présentés comme des agents du gouvernement. Les demandeurs affirment à nouveau aujourd’hui que le récit du demandeur principal est véridique et que celui-ci avait des raisons de croire que les deux associés de son voisin étaient des espions libanais.

d)                 Les demandeurs ont omis d’importantes allégations dans leur FRP. Ils auraient dû mentionner qu’ils avaient été menacés par le voisin et d’autres voisins pendant la période de 1976 à 2012, puisque ces allégations pouvaient constituer de la persécution, si elles sont considérées de manière cumulative. La SPR n’a pas accepté l’explication du demandeur principal selon laquelle le FRP recensait les incidents les plus graves survenus en 2012, car la SPR n’a pas cru que les incidents de 2012 ont réellement eu lieu. Aucune observation sérieuse n’a été portée à l’attention de la Cour qui permettrait de contredire une telle conclusion.

e)                  Les allégations des demandeurs sont minées par le témoignage portant sur le frère du demandeur principal et la première codemandeure d’asile selon lequel, le frère en question n’a été impliqué dans aucun incident avec le voisin ou les prétendus agents des Services secrets/du renseignement libanais, malgré le fait que le frère se trouvait dans une situation semblable à la situation en l’espèce, est connu du voisin, et serait vraisemblablement en mesure d’être repéré par les agents des Services secrets/du renseignement libanais. Encore une fois, une telle conclusion n’est pas véritablement contestée par les demandeurs.

[7]               Il n’y a pas de raison de modifier les conclusions relatives à la crédibilité tirées par la SPR en ce qui a trait aux allégations portant sur les incidents impliquant le voisin et ses deux associés. En l’espèce, le demandeur principal s’est contredit plusieurs fois pendant son témoignage et il n’a pas été en mesure de donner en exemple une personne qui a été emprisonnée parce qu’elle possédait des armes au Liban, bien qu’il ait déclaré qu’il connaissait beaucoup de cas semblables. En outre, durant le témoignage du demandeur principal, il est ressorti que les deux associés du voisin étaient des espions libanais, et cela contredisait les déclarations contenues dans son FRP d’après lesquelles ces hommes étaient simplement des amis du voisin et aussi des membres des Forces libanaises. La crédibilité des demandeurs a été en outre remise en question, étant donné que ni le voisin ni ses associés n’ont menacé le frère du demandeur principal et la première codemandeure, bien que ce frère soit une personne qui se trouve dans une situation semblable; cela minait les affirmations des demandeurs selon lesquelles ils étaient pris pour cibles par le voisin et par les prétendus Services secrets/du renseignement libanais. Il était aussi raisonnable que la SPR conclue que les demandeurs auraient dû mentionner dans leur FRP qu’ils avaient été exposés à des menaces abusives de M. Al-Akh et d’autres voisins pendant une période de plus de 30 ans. La SPR a aussi conclu que le fait que les demandeurs continuent de payer 20 $ par an pour la location de leur résidence au Liban démontre une absence de crainte subjective du voisin ou des agents des Services secrets/du renseignement libanais. Une telle conclusion n’était pas déraisonnable.

[8]               Pour conclure, j’estime qu’il n’y a aucun motif justifiant que j’accueille la demande. Les avocats sont d’accord que la présente affaire ne soulève aucune question de portée générale.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que : la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Luc Martineau »

Juge

Traduction certifiée conforme

L. Endale


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1696-15

 

INTITULÉ :

HRATCH BAJAKIAN, SONIA BAJAKIAN, ARMANOUHIE GHASARIAN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (QuÉbec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 21 OCTOBRE 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 26 OCTOBRE 2015

 

COMPARUTIONS :

Anthony Karkar

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Pavol Janura

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Anthony Karkar

Avocat

Montréal (Québec)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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