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Date : 20150928


Dossier : IMM-3915-15

Référence : 2015 CF 1125

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 28 septembre 2015

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

CHUNXIANG YAN et ZHENHUA WANG

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire visant une décision en date du 24 août 2015 par laquelle un commissaire (le commissaire) de la Section de l’immigration (la SI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a ordonné le maintien en détention des demandeurs, Zhenhua Wang et Chunxiang Yan, au motif qu’ils se soustrairaient vraisemblablement à leur renvoi, au sens du paragraphe 58(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR) et de l’article 245 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le Règlement), et que les critères énumérés à l’article 248 du Règlement militaient en faveur de leur détention.

[2]               Pour les motifs qui suivent, la présente demande est accueillie.

I.                   Contexte

[3]               Il s’agit de la troisième demande de contrôle judiciaire présentée par les demandeurs depuis le début de leur détention. L’instruction de la présente demande a fait l’objet d’un traitement accéléré le 24 septembre 2015, car le prochain contrôle des motifs de détention des demandeurs est prévu pour le 30 septembre 2015. Les motifs de la présente décision sont par conséquent nécessairement assez succincts pour permettre que la présente décision soit rendue avant le prochain contrôle des motifs de détention.

[4]               Les demandeurs sont des citoyens chinois. Le 25 septembre 2012, ils ont obtenu des visas de résident temporaire pour pouvoir rendre visite à leurs enfants, qui étudient au Canada, et pour explorer des occasions d’affaires. Ils sont arrivés au Canada le 30 septembre 2012. Ils disposent de moyens financiers importants. Ils avaient l’intention de demander la résidence permanente au Canada dans le cadre du Programme des candidats des provinces.

[5]               Le 26 novembre 2013, l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) a reçu des renseignements suivant lesquels Mme Yan possédait plusieurs identités et que M. Wang était un fugitif recherché par la justice. Plus précisément, M. Wang aurait été accusé d’avoir mis sur pied, avec Mme Yan, une opération pyramidale et de commercialisation à paliers multiples qui visait à frauder 60 000 personnes de 180 millions de dollars canadiens. Mme Yan a obtenu un visa de la Malaisie le 18 octobre 2011, six jours après le premier interrogatoire de l’employé et associé de sa société et elle a quitté la Chine le 23 octobre 2011. M. Wang a quitté la Chine le 17 janvier 2012, onze jours après la date à laquelle il aurait été libéré sous caution, et il est arrivé en Malaisie le lendemain.

[6]               Le 7 mars 2014, les demandeurs ont été détenus par l’ASFC en vertu de l’article 55 de la LIPR, au motif qu’ils se soustrairaient vraisemblablement à l’enquête (alinéa 58(1)b) et alinéa 58(1)c)), en raison de l’enquête que le ministre menait au sujet des allégations de criminalité en Chine. La SI maintient les demandeurs en détention depuis le 7 mars 2014. Lors du contrôle des motifs de détention du 27 mai 2014, la détention a été maintenue uniquement sur le fondement du risque de fuite, au titre de l’alinéa 58(1)b) de la LIPR. La SI a jugé que les demandeurs devaient être détenus en raison de ce risque de fuite et du fait qu’ils se soustrairaient vraisemblablement à leur renvoi.

[7]               Le 23 mai 2014, le ministre a établi un rapport circonstancié en vertu de l’article 44 de la LIPR indiquant que les demandeurs étaient interdits de territoire au Canada pour fausses déclarations, car ils avaient omis de divulguer au ministre des faits qui avaient entraîné ou risquaient d’entraîner une erreur dans l’application de la LIPR. Le ministre a déféré l’affaire à la SI pour enquête. Le 27 juin 2014, les demandeurs ont présenté une demande d’asile, ce qui a eu pour effet de suspendre l’enquête.

[8]               En juillet 2014, le ministre a pris des mesures de renvoi contre les demandeurs, au motif qu’ils n’avaient pas respecté les exigences de la LIPR, car ils cherchaient à obtenir la résidence permanente au Canada sans avoir obtenu les visas nécessaires. Selon LIPR, en raison des demandes d’asile, les mesures de renvoi sont des mesures d’interdiction de séjour conditionnelles. L’examen des demandes d’asile a commencé en janvier 2015 et devrait se poursuivre en 2016.

[9]               Les demandeurs ont déjà fait l’objet de plusieurs contrôles des motifs de leur détention. Le 21 janvier 2015, le juge Phelan a annulé la décision du 11 décembre 2014 par laquelle la SI avait ordonné leur maintien en détention. Le juge Phelan a conclu que la SI avait commis une erreur en ne tenant pas compte de la probabilité que les demandeurs se présentent lors de la prochaine instance prévue (l’audience de leur demande d’asile), en rejetant le plan de mise en liberté proposé par les demandeurs et en écartant le témoignage d’expert des demandeurs.

[10]           Le contrôle des motifs de détention suivant a eu lieu le 11 février 2015 et la décision a été rendue le 2 avril 2015. Le 8 juin 2015, la juge Gagné a annulé cette décision en concluant encore une fois que la SI avait commis une erreur en ne tenant pas compte de l’instance relative à la demande d’asile pour se prononcer sur le risque de fuite des demandeurs. La décision du 24 août 2015 de la SI, qui a été rendue à l’issue du contrôle des motifs de détention suivant, est celle qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

II.                Décision de la Section de l’immigration

[11]           Dans la décision contestée, le commissaire a analysé les critères établis à l’article 245 du Règlement, et a conclu, selon la prépondérance des probabilités, qu’il existait un risque très élevé que les demandeurs se soustraient aux procédures d’immigration les concernant, et notamment celles concernant leur demande d’asile, et qu’ils présentaient un risque de fuite très élevé. Les conclusions du commissaire concernaient les critères énumérés à l’article 245 sur lesquels cette décision était fondée et notamment les conclusions suivant lesquelles les demandeurs étaient des fugitifs recherchés par la justice, qu’ils possédaient de nombreuses fausses identités, qu’ils n’étaient ni crédibles ni dignes de foi et qu’ils possédaient les capacités et les ressources leur permettant d’éviter d’être repérés par le gouvernement et d’être renvoyés.

[12]           Le commissaire a ensuite examiné les critères établis à l’article 248 du Règlement dont il faut tenir compte une fois qu’une décision a été prise au sujet du motif de détention. Le commissaire a estimé que les critères en question ne dissipaient pas les préoccupations relatives au fait que les demandeurs se soustrairaient vraisemblablement à leur renvoi ou à l’instruction de leur demande d’asile. Dans son examen des critères prévus à l’article 248, le commissaire a notamment examiné le plan de mise en liberté proposé par les demandeurs à titre de solution de rechange à la détention. Il a toutefois conclu que le plan proposé ne dissipait pas les préoccupations exprimées au sujet des risques de fuite.

III.             Questions soulevées par les parties

[13]           Dans la présente demande de contrôle judiciaire, les demandeurs soulèvent des préoccupations au sujet de l’équité procédurale, ils font valoir que le commissaire a tiré des conclusions sur des questions pour lesquelles les parties n’avaient pas plaidé et que le commissaire a tiré de nombreuses conclusions de fait déraisonnables qui ne reposaient pas sur des éléments de preuve fiables ou encore qu’il n’a pas tenu compte des éléments de preuve pertinents. Le défendeur conteste l’allégation que le commissaire a manqué à ses obligations en matière d’équité procédurale et avance qu’en tout état de cause, les conclusions auxquelles se rapportent les arguments formulés par les demandeurs en ce qui concerne l’équité procédurale n’étaient pas importantes quant au résultat. Le défendeur soutient que les conclusions tirées par le commissaire au sujet de la preuve et de la crédibilité reposaient sur la preuve et qu’il était loisible au commissaire de les tirer et que les demandeurs contestent tout simplement le poids que le commissaire a accordé à la preuve.

[14]           L’argumentation des parties était toutefois axée principalement sur l’appréciation que le commissaire a faite du plan de mise en liberté proposé par les demandeurs en tant que solution de rechange à la détention. J’estime que c’est sur ce volet de la décision que repose la présente demande.

IV.             Analyse

A.                Norme de contrôle

[15]           Les décisions que rend la SI au sujet des contrôles des motifs de détention sont des décisions fondées sur les faits à l’égard desquelles il convient de faire preuve de retenue et qui sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Selon cette norme, les décisions de la SI ne doivent être modifiées que si le raisonnement est erroné et que la décision qui en résulte ne fait pas partie des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Bruzzese c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2014 CF 230, au paragraphe 43).

B.                 Plan de mise en liberté

[16]           Comme cela ressort de la décision, le plan de mise en liberté proposé prévoit une assignation à résidence, une surveillance électronique par une société privée dénommée Jentec Inc au moyen d’un bracelet électronique porté à la cheville, l’installation d’un système de surveillance vidéo à l’extérieur de la résidence des demandeurs, ainsi que l’installation d’un système d’alarme aux portes et aux fenêtres surveillé par une société privée Investigative Solutions Network Inc (ISN), recrutée par les demandeurs. ISN posterait également deux gardes de sécurité à l’extérieur de la maison. Les demandeurs seraient accompagnés par ces gardes lors de leurs sorties autorisées et les demandeurs avaient consenti à ce que les gardes utilisent la force physique contre eux. M. Ronald Wretham, associé et PDG d’ISN, verserait également un cautionnement en espèces de 10 000 $ de son argent personnel.

C.                 Le cautionnement en espèces

[17]           Le commissaire a entamé son analyse de la solution de rechange à la détention en examinant le cautionnement et en estimant qu’il ne pouvait assurer que les demandeurs se conforment à leur engagement, ou que le cautionnement les aide à s’y conformer, parce qu’il n’y avait pas de lien de confiance ou de proximité entre les demandeurs et M. Wretham qui pourrait motiver les demandeurs à respecter les conditions de leur mise en liberté. Les demandeurs soutiennent que le commissaire a commis une erreur dans son analyse du cautionnement, car il a mal compris le rôle de la caution. Les demandeurs signalent que cette question a été soulevée par le juge Phelan dans la décision rendue à la suite de leur premier contrôle judiciaire. En effet, dans la décision Wang c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2015 CF 79, le juge Phelan déclare ce qui suit, au paragraphe 27 :

[27]      La caution a pour rôle de veiller au respect des conditions de l’ordonnance de mise en liberté. Ce qui garantit qu’il va accomplir cette tâche, en plus de l’obligation habituelle d’avoir une bonne réputation, c’est le « risque que court » la caution si la personne libérée ne respecte pas les conditions de sa mise en liberté. L’élément pécuniaire est le « risque que court » la caution du fait de son engagement.

Par conséquent, lorsque les demandeurs ne déposent pas leur propre argent, la question n’est pas de savoir si leur omission de respecter les conditions entraînera pour eux une perte financière, mais si cette omission nuira suffisamment à la caution pour que le risque d’inobservation des conditions soit très réduit. La commissaire a posé la mauvaise question et n’a pas considéré la situation du point de vue de la bonne personne.

[18]           Bien que je sois d’accord que l’analyse que le commissaire a faite du cautionnement ne porte pas sur les conséquences que le non‑respect du cautionnement aurait sur M. Wretham, le commissaire poursuit néanmoins en écrivant ce qui suit :

[traduction]

Je ne mets pas en doute l’intégrité de M. Wretham ou sa volonté de faire en sorte qu’ISN fasse tout ce qui est permis par la loi pour assurer le succès du plan de mise en liberté proposé, ne serait‑ce que pour tirer profit des avantages financiers et ceux liés à la réputation de son entreprise. Il y a toutefois trois aspects sur lesquels M. Wretham, ISN et Jentec n’ont aucun contrôle et qui ont finalement mené à l’échec de ce plan de mise en liberté.

[19]           Ainsi, le commissaire s’est concentré sur la question de savoir si M. Wretham était suffisamment motivé pour s’assurer que les demandeurs se conforment au plan de mise en liberté et il a répondu par l’affirmative à la question. Logiquement, la décision du commissaire n’aurait pas été différente s’il s’était concentré sur le cautionnement comme facteur supplémentaire de motivation pour M. Wretham, étant donné que la décision ne reposait pas sur une analyse de la motivation de ce dernier, mais sur des préoccupations que, malgré toute la bonne volonté de M. Wretham, le plan de mise en liberté ne dissipait pas suffisamment les risques de fuite. Je conclus donc que la façon dont le commissaire a traité la question du cautionnement ne justifie pas l’intervention de la Cour en l’espèce.

[20]           Les trois préoccupations qui ont amené le commissaire à conclure que le plan de mise en liberté n’était pas suffisant se rapportaient : i) au consentement donné par les demandeurs au recours à la force; ii) à la possibilité que les demandeurs coupent les bracelets de surveillance; iii) à la crédibilité et à la moralité des demandeurs.

D.                Moralité et crédibilité

[21]           Pour ce qui est tout d’abord des préoccupations exprimées par le commissaire au sujet de la moralité et de la crédibilité des demandeurs, je relève que le commissaire a examiné le cas de la mise en liberté réussie d’un autre détenu, M. Tursunbayev, qui avait proposé un plan semblable. Le commissaire a toutefois estimé que les deux cas étaient distincts et a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, la situation personnelle des demandeurs faisait en sorte qu’ils n’agiraient pas de bonne foi et ne se conformeraient pas de plein gré au cautionnement et aux mécanismes de contrôle et de surveillance électronique d’ISN.

[22]           Pour établir une distinction entre la présente espèce et l’affaire Tursunbayev, le commissaire a fait observer que M. Wretham, dont la compagnie avait aussi administré le plan de mise en liberté dans cette affaire-là, avait expliqué que M. Tursunbayev était un client modèle et que le succès du plan était attribuable [traduction] « à la collaboration entre M. Tursunbayev et ISN ». Le commissaire a fait observer qu’à la différence des demandeurs, M. Tursunbayev n’avait pas d’antécédents, et notamment pas de liste impressionnante de mensonges et de fausses déclarations à des organismes gouvernementaux, d’utilisation constante de fausses identités, ou de mépris généralisé de la loi. Le commissaire a également déclaré que la crédibilité et la fiabilité de M. Tursunbayev n’avaient pas été contestées, qu’il n’avait pas déclaré qu’il craignait de retourner dans son pays d’origine et qu’il n’avait pas d’idées suicidaires (contrairement à la demanderesse, Mme Yan).

[23]           Le commissaire a également examiné l’utilisation faite des plans de mise en liberté assortis de mécanismes de contrôle semblables dans d’autres affaires de sécurité nationale. Le commissaire a fait observer que, dans sa décision, le juge Phelan s’était demandé s’il était raisonnable de la part de la SI d’avoir déjà rejeté un plan de mise en liberté semblable proposé pour les demandeurs; cependant, le commissaire a fait observer que les individus qui étaient soupçonnés de présenter une menace pour la sécurité nationale avaient été mis en liberté en application de plans comportant moins de mécanismes de contrôle. Toutefois, le commissaire a établi une distinction entre l’espèce et ces affaires, et a fait observer que dans ces affaires, les personnes visées n’avaient pas d’antécédents importants de mensonges et de fausses déclarations aux autorités et qu’ils n’avaient pas fait montre d’un aussi grand mépris envers la loi, n’avaient pas fui la justice ou caché activement le lieu où ils se trouvaient. Le commissaire a déclaré qu’un plan de mise en liberté viable devait être assorti de mécanismes de contrôle qui répondaient aux préoccupations précises concernant l’individu visé et que, étant donné les autres préoccupations exprimées quant à la crédibilité et la fiabilité des demandeurs en l’espèce, des mécanismes de contrôle semblables à ceux utilisés dans des affaires mettant en jeu la sécurité nationale n’auraient pas la même efficacité dans le cas des demandeurs.

[24]           Bien que cet aspect n’ait pas été mentionné par le commissaire, il vaut la peine de signaler que dans sa décision, le juge Phelan ne s’est pas dit préoccupé uniquement par le fait que dans sa décision antérieure relative au contrôle des motifs de détention, la SI n’avait pas considéré que le plan de mise en liberté proposé était assorti de mécanismes de contrôle plus rigoureux que ceux que l’on trouvait dans les affaires relatives à la sécurité nationale. Le juge Phelan a aussi fait des commentaires selon lesquels la présente affaire présentait des similitudes regrettables avec l’affaire Tursunbayev c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2012 CF 504 (Tursunbayev) et que la SI avait déraisonnablement établi une distinction entre les circonstances de la présente espèce et celles de l’affaire Tursunbayev.

[25]           Les demandeurs font valoir que le juge Phelan a expressément décidé que l’on ne pouvait établir de distinction entre la situation des demandeurs et celle évoquée dans la décision Tursunbayev. Je n’interprète pas la décision du juge Phelan comme s’il donnait à penser qu’il n’était pas possible d’établir une distinction entre la situation des demandeurs et celle de M. Tursunbayev, mais plutôt que la SI avait établi une distinction déraisonnable dans la décision que la Cour contrôlait dans cette affaire. Je suis toutefois conscient des similitudes qui existent entre le cas de M. Tursunbayev et celui des demandeurs et, compte tenu notamment des propos du juge Phelan dans la décision précédente relative au contrôle des motifs de la détention, je trouve particulièrement important que le commissaire ait examiné très attentivement les similitudes et les différences qui existent entre les deux affaires.

[26]           À cet égard, je souscris à l’argument des demandeurs suivant lequel le commissaire n’a pas tenu compte des renseignements qui existaient au sujet de M. Tursunbayev. Dans l’affaire Tursunbayev, la juge Mactavish a confirmé les conclusions de la SI suivant lesquelles :

A.    M. Tursunbayev était un fugitif recherché par la justice qui s’était enfui du Kazakhstan en sachant que les autorités menaient des enquêtes impliquant l’entreprise d’uranium appartenant à l’État dont il avait été le vice‑président;

B.     Compte tenu de l’immense richesse inexpliquée de M. Tursunbayev, il était raisonnable de conclure que ce dernier avait grandement bénéficié de sa participation au système kazakh et qu’il n’était pas crédible qu’une personne puisse tirer autant parti d’un tel système de corruption sans l’avoir facilité ou y avoir contribué;

C.     Le fait que M. Tursunbayev s’était déjà enfui du Kazakhstan, la mobilité que lui procurait son immense richesse et la débrouillardise dont il avait fait preuve lorsqu’il avait acquis la citoyenneté à Saint‑Kitts‑et‑Nevis étaient des indicateurs de ses risques éventuels de fuite.

[27]           Le commissaire ne mentionne aucun de ces renseignements dans sa décision, se contentant de signaler que M. Tursunbayev avait été un [traduction] « client modèle » d’ISN lorsqu’il avait participé à son plan de mise en liberté. On a du mal à concilier les renseignements contenus dans la décision de la juge Mactavish avec la conclusion du commissaire suivant laquelle la crédibilité et la fiabilité de M. Tursunbayev n’avaient pas été remises en question et que ce dernier n’avait pas d’antécédent de mépris généralisé pour la loi. Je ne conclus pas pour autant que l’on ne peut distinguer le cas des demandeurs de celui de M. Tursunbayev. Toutefois, l’analyse du commissaire appartient au moins à la catégorie des préoccupations exprimées par la Cour dans le jugement Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (1998) ACF no 1425, au paragraphe 17 :

[17]      Toutefois, plus la preuve qui n’a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l’organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l’organisme a tiré une conclusion de fait erronée « sans tenir compte des éléments dont il [disposait] » : Bains c. Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 63 F.T.R. 312 (C.F. 1re inst.). Autrement dit, l’obligation de fournir une explication augmente en fonction de la pertinence de la preuve en question au regard des faits contestés. Ainsi, une déclaration générale affirmant que l’organisme a examiné l’ensemble de la preuve ne suffit pas lorsque les éléments de preuve dont elle n’a pas discuté dans ses motifs semblent carrément contredire sa conclusion. Qui plus est, quand l’organisme fait référence de façon assez détaillée à des éléments de preuve appuyant sa conclusion, mais qu’elle passe sous silence des éléments de preuve qui tendent à prouver le contraire, il peut être plus facile d’inférer que l’organisme n’a pas examiné la preuve contradictoire pour en arriver à sa conclusion de fait.

[28]           J’estime à cet égard que le raisonnement qu’a suivi le commissaire pour établir une distinction entre la situation du demandeur et celle de M. Tursunbayev était vicié et que la décision qui en est résultée n’appartient pas aux issues possibles acceptables de sorte qu’il y a lieu d’accueillir la présente demande et d’examiner un nouveau la décision.

E.                 Usage de la force / retrait du bracelet de surveillance électronique

[29]           Les deux autres préoccupations qui ont amené le commissaire à conclure que le plan de mise en liberté n’était pas suffisant sont étroitement liées. Le commissaire conclut que, même s’il ressort du document dans lequel les demandeurs consentent à ce que les gardiens d’ISN recourent à la force contre eux que leur consentement est irrévocable, ce consentement pourrait être retiré et est par conséquent sans véritable effet. Le commissaire estime que les demandeurs peuvent couper leurs bracelets de surveillance électronique et qu’ils le feront probablement, qu’ils retireront leur consentement à ce que les gardiens d’ISN recourent à la force et qu’ils s’enfuiront. Bien que le fait de couper les bracelets déclenche immédiatement un message d’avertissement, il n’y aura plus de surveillance et les gardiens n’auront pas le pouvoir légal de se lancer dans une poursuite en voiture ou d’engager quelque tierce partie que ce soit. Ils ne peuvent que signaler la violation à l’ASFC. Le commissaire a déclaré que rien ne permettait de penser que l’ASFC disposait d’une capacité d’intervention quelconque en cas d’urgence.

[30]           Toutefois, comme les demandeurs l’ont soutenu, les arguments soumis au commissaire faisaient référence au signalement de tout manquement de leur part non seulement à l’ASFC, mais également à la police. La décision du commissaire ne fait pas mention d’une éventuelle participation de la police et de la capacité d’intervention de celle-ci en cas d’urgence pour se prononcer sur la question de savoir si le plan de mise en liberté était suffisant pour répondre aux préoccupations exprimées au sujet des risques de fuite. J’estime que la décision était déraisonnable du fait qu’elle ne tenait pas compte de ce facteur.

[31]           Lors de l’examen de la présente demande, les demandeurs ont soumis dans leur plaidoirie un autre argument en ce qui a trait aux préoccupations formulées par le commissaire au sujet du retrait du consentement à utiliser la force et à la rupture du bracelet de surveillance dans le but de faire échouer le plan de mise en liberté et de s’évader. Les demandeurs soutiennent que le retrait de leur consentement constituerait un manquement aux conditions de leur mise en liberté ainsi qu’une infraction à l’article 124 de la LIPR possiblement punissable par mise en accusation en vertu de l’article 125 de la LIPR. Les demandeurs soutiennent que, en application de l’article 494 du Code criminel, LRC 1985, c C‑46, les gardiens d’ISN pourraient par ailleurs arrêter les demandeurs, étant donné que cet article permet à quiconque d’arrêter sans mandat une personne qu’ils trouvent en train de commettre un acte criminel. La thèse des demandeurs est que ces considérations répondent aux préoccupations du commissaire parce que ce droit d’arrestation prévu par la loi s’appliquerait malgré le retrait de leur consentement à l’usage de la force.

[32]           Le défendeur soutient que les demandeurs n’ont pas soulevé cet argument lors du contrôle des motifs de la détention effectué par le commissaire ou dans les observations écrites présentées par les demandeurs avant l’audience qui s’est déroulée devant la Cour. Le défendeur demande par conséquent à la Cour, dans le cas où elle serait disposée à trancher l’affaire sur le fondement de cet argument, de lui accorder la possibilité de formuler des observations supplémentaires sur cette question. Les demandeurs affirment que cet argument a déjà été soulevé, sauf qu’ils n’avaient pas cité l’article précis du Code criminel sur lequel repose leur argument.

[33]           J’ai examiné le dossier, et notamment la transcription de l’audience qui s’est déroulée devant le commissaire et je n’ai pas été en mesure de retrouver un argument suivant lequel les gardiens d’ISN ont, en vertu de la loi, le droit d’arrêter un individu dans les circonstances susmentionnées. Je ne suis donc pas disposé à tenir compte de cet argument pour me prononcer sur le caractère raisonnable de la décision du commissaire. Toutefois, compte tenu du fait que la présente demande est accueillie et qu’elle est renvoyée à la SI pour d’autres motifs, la SI aura l’occasion d’examiner en profondeur cet argument lors du réexamen du contrôle des motifs de détention.

[34]           Les parties ont confirmé qu’elles ne souhaitaient pas proposer de question grave de portée générale à certifier en vue d’un appel.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié pour qu’une nouvelle décision soit rendue par un autre commissaire. Aucune question n’est certifiée aux fins d’un appel. 

« Richard F. Southcott »

Juge

Traduction certifiée conforme

L. Endale


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3915-15

INTITULÉ :

CHUNXIANG YAN ET ZHENHUA WANG c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 24 SEPTEMBRE 2015

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE southcott

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 28 SEPTEMBRE 2015

COMPARUTIONS :

Lorne Waldman

Britt Gunn

POUR LES DEMANDEURS

Brad Gotkin

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lorne Waldman

Waldman & Associates

Toronto (Ontario)

pour les demandeurs

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

pour le défendeur

 

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