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Date: 20150707


Dossier : T-2044-14

Référence : 2015 CF 831

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 7 juillet 2015

En présence de monsieur le juge Locke

ENTRE :

STANLEY BAHNIUK

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Contexte

[1]               Le demandeur, Stanley Bahniuk, demande le contrôle judiciaire de la décision par laquelle Steven B. Katkin, arbitre de grief de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (l’arbitre), a fixé le montant des dommages-intérêts qui doivent lui être versés conformément à une décision précédente dans laquelle le grief lié à la cessation de son emploi auprès de l’Agence de revenu du Canada (ARC) a été accueilli. Dans la décision précédente, l’arbitre a ordonné le paiement de dommages-intérêts tenant lieu de réintégration. Le demandeur soutient que le raisonnement de l’arbitre était en partie vicié.

[2]               Pour les motifs exposés ci-dessous, je conclus qu’il y a lieu de rejeter la demande.

II.                Les faits

[3]               Le demandeur a été employé par l’ARC pendant 24 ans, du 6 janvier 1986 jusqu’à son licenciement le 22 janvier 2010. Il avait alors 52 ans.

[4]               Dans la décision précédente, l’arbitre avait décidé que le demandeur avait été licencié sans motif valable, et ce, malgré son historique de problèmes et suspensions de nature disciplinaire. En tant qu’employé de l’ARC, le demandeur profitait des avantages d’une convention collective. Sur le fondement de celle‑ci, il a demandé à être réintégré dans son poste. L’arbitre a toutefois refusé d’ordonner la réintégration du demandeur, et a plutôt ordonné le paiement de dommages-intérêts.

[5]               Le présent contrôle judiciaire fait suite à la décision subséquente de l’arbitre concernant le calcul des dommages-intérêts.

III.             Décision contestée et question en litige

[6]               Dans la décision contestée, l’arbitre a exposé de façon détaillée les facteurs qu’il a examinés, dont ceux qui sous-tendent le calcul des dommages-intérêts et l’évaluation elle-même. Mon travail est simplifié par le fait que seul un aspect mineur de la décision est contesté. Néanmoins, il est nécessaire de fournir un aperçu du raisonnement de l’arbitre avant de traiter la question en litige.

[7]               L’arbitre a fait état de deux approches pour évaluer les dommages-intérêts découlant d’un licenciement injuste dans le contexte d’une convention collective : i) l’approche fondée sur le calcul d’un certain nombre de semaines de salaire par année de service, parfois appelé indemnisation tenant lieu de préavis raisonnable de cessation d’emploi, et la prise en compte possible des circonstances liées à la cessation d’emploi; (ii) l’approche axée sur la perte financière, selon laquelle l’arbitre évalue l’ensemble de la valeur économique du licenciement injuste de l’ancien employé. Cette dernière approche, qui pourrait être applicable aux cas où l’employé avait des attentes raisonnables de se faire réintégrer dans son poste, a été adoptée par l’arbitre, choix qui n’est pas contesté.

[8]               L’arbitre a examiné plusieurs décisions arbitrales où l’on avait appliqué cette approche pour évaluer les dommages-intérêts tenant lieu de réintégration, notamment :

  • Hay River Health and Social Services Authority c Public Service Alliance of Canada (2010), 201 LAC (4th) 345 [Hay River];
  • George Brown College of Applied Arts and Technology c Ontario Public Service Employees Union (Kuca Grievance) (2011), 214 LAC (4th) 96 [George Brown College];
  • (Lâm c Administrateur général (Agence de la santé publique du Canada), 2012 CRTFP 96 [Lâm].

[9]               Dans la décision Hay River, l’arbitre a présenté un historique détaillé de décisions arbitrales et judiciaires portant sur les dommages-intérêts tenant lieu de réintégration, et a ensuite adopté une méthodologie pour l’évaluation des dommages‑intérêts. Celle‑ci est décrite comme suit au paragraphe 26 de la décision George Brown College :

[traduction

Étape 1 : Calculer le revenu maximal que la fonctionnaire aurait pu recevoir si elle n’avait pas été congédiée à tort;

Étape 2 : Ajouter à ce montant la valeur des avantages rattachés à son poste;

Étape 3 : Réduire ce montant de manière à ce qu’il reflète les divers éléments de pondération qui auraient pu l’empêcher de demeurer en poste;

Étape 4 : Réduire de nouveau ce montant de façon à ce qu’il reflète son obligation d’atténuer les dommages.

[10]           Le choix de cette méthodologie n’est pas contesté.

[11]           À la première étape, il faut estimer la date de départ à la retraite de l’employé, s’il n’avait pas été licencié avant celle-ci. En l’espèce, l’arbitre a conclu que le demandeur aurait probablement effectué 35 ans de service, soit 11 ans et sept mois de plus que le nombre d’années de service accumulées en date du licenciement. En faisant le calcul selon son salaire annuel de 74 794 $, on arrivait à une perte potentielle de revenus de 866 363,81 $.

[12]           À l’étape 2, l’arbitre a évalué la valeur des avantages du demandeur à 11,3 % de son salaire. La prise en compte des avantages dans le calcul de la perte de revenus du demandeur a donné lieu à un montant de 964 262,92 $.

[13]           Pour ce qui est de l’étape 3, l’arbitre a déclaré ce qui suit aux paragraphes 110 et 111 de sa décision :

110      Dans le cadre de l’évaluation des divers éléments de pondération, il convient de tenir compte de la situation de la personne. Certains éléments de pondération s’appliquent à tous les employés, comme la maladie, le risque de décès, la retraite anticipée et d’autres circonstances imprévisibles. En ce qui concerne le fonctionnaire [le demandeur], l’ancienneté ne constitue pas un facteur dans la protection de l’emploi sous le régime de la convention collective, mais le risque de mise en disponibilité du fonctionnaire est atténué par l’appendice sur le réaménagement de l’effectif.

111      Toutefois, le facteur le plus important pour évaluer les éléments de pondération qui s’appliquent au fonctionnaire est celui de sa conduite. Sur ce point, je souscris à l’énoncé suivant à la page 387 [paragraphe 135] de Hay River :

[traduction]

Si la conduite d’un employé est telle que le lien d’emploi est irréparable, ce facteur peut et doit être pris en compte pour évaluer les éléments de pondération de la durée de (même s’il y a réintégration).

[14]           L’arbitre a souligné « l’attitude conflictuelle [du demandeur] à l’égard de la haute direction de l’ARC et son incapacité d’accepter des directives de cette même direction », ainsi que son lourd dossier disciplinaire, avant de conclure comme suit, au paragraphe 119 de sa décision :

119      Je suis convaincu que si j’avais ordonné la réintégration du fonctionnaire, sa conduite aurait fait en sorte que l’employeur l’aurait licencié de nouveau après une période plus courte que longue. Compte tenu de son dossier disciplinaire, il semble probable que le licenciement se serait concrétisé. De fait, je suis convaincu que le fonctionnaire aurait continué de se comporter comme il le faisait auparavant s’il avait été seulement sanctionné plutôt que licencié et que la poursuite de ses gestes aurait donné à l’employeur un motif valable de licenciement. Compte tenu des faits de la présente affaire et de mon évaluation du fonctionnaire, un tel résultat constitue presque une conclusion connue d’avance. Par conséquent, il est peu probable que le fonctionnaire aurait continué d’occuper son poste jusqu’à l’âge de 63 ans. Dans les circonstances, j’estime que le montant de 964 262,92 $ devrait être réduit de 90 % afin de refléter cette probabilité, de même que les autres éléments de pondération généraux mentionnés précédemment dans la présente décision. Le montant devant être versé par l’employeur au fonctionnaire pour la perte d’emploi devrait donc être de 96 426,29 $.

[15]           Rien dans cette analyse des étapes 1 à 3 n’a fait l’objet de contestations dans la présente demande.

[16]           Le désaccord entre les parties porte sur l’évaluation effectuée par l’arbitre au regard de l’obligation du demandeur d’atténuer ses dommages-intérêts, aux termes de l’étape 4. Ce montant correspond au salaire que le demandeur a gagné et qu’il gagnera dans d’autres emplois après son licenciement. On estime que ce montant devrait être déduit des dommages-intérêts afin d’éviter le paiement d’un montant plus élevé que celui de la perte financière subie par le demandeur. Bien que le demandeur ne conteste pas le besoin d’évaluer un montant aux fins d’atténuation, il remet en question l’approche adoptée par l’arbitre pour calculer ce montant.

[17]           L’arbitre souligne que, dans la décision George Brown College, on avait évalué que le montant d’atténuation correspondait à 50 % du montant réduit après la prise en compte des éléments de pondération. Je ferais deux remarques. Premièrement, dans la décision George Brown College, on avait omis d’atténuer les pertes, problème qui n’a pas été soulevé en l’espèce. Par conséquent, le montant déduit dans cette affaire correspondait au montant du salaire que l’ancienne employée aurait hypothétiquement gagné, et non celui qu’elle avait réellement gagné. Deuxièmement, on peut également procéder à l’évaluation du montant d’atténuation correspondant à un pourcentage du montant auquel on parvient après la prise en compte des éléments de pondération dans les affaires on n’a pas omis d’atténuer les pertes : Hay River. Bien que, dans la décision Lâm, on affirme qu’il est inapproprié de déduire tout montant aux fins d’atténuation lorsqu’on applique l’approche axée sur les pertes financières, les parties semblent convenir (et je suis d’accord) que l’évaluation d’un montant d’atténuation des dommages-intérêts n’est pas en soi inappropriée en l’espèce.

[18]           Dans la présente affaire, l’arbitre a choisi de ne pas calculer le montant de l’atténuation en fonction d’un pourcentage du montant auquel on arrive après avoir tenu compte des éléments de pondération. Il a plutôt décidé que le montant déduit aux fins d’atténuation serait « les montants gagnés par le fonctionnaire [le demandeur] entre la date de son licenciement et la date de la présente décision ». L’arbitre avait noté auparavant que le demandeur avait été sans emploi pendant près de deux ans après son licenciement. Par la suite, il avait travaillé à son compte en tant qu’entrepreneur général. Il n’y avait aucune preuve du revenu réel gagné par le demandeur depuis qu’il travaillait à son compte.

[19]           Le demandeur soutient qu’il n’était pas approprié de la part de l’arbitre de fonder le montant d’atténuation sur les revenus réels du demandeur jusqu’à la date de la décision.

IV.             Analyse

A.                Norme de contrôle

[20]           Les parties conviennent, et je suis du même avis, que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable : Chow c Canada (Procureur général), 2008 CF 942; Canada (Procureur général) c Nitschmann, 2009 CAF 263, au paragraphe 8.

[21]           Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, la Cour suprême du Canada a déclaré ce qui suit :

La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[22]           Comme l’a mentionné la juge Abella dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses' Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16, « [e]n d’autres termes, les motifs répondent aux critères établis dans l’arrêt Dunsmuir s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables ».

B.                 Discussion

[23]           Comme nous l’avons vu, le demandeur soutient que l’arbitre n’aurait pas dû fonder le montant d’atténuation sur le revenu réel du demandeur. Le fondement principal de l’argument du demandeur est que la réduction de 90 % du revenu prévu jusqu’au départ à la retraite pour tenir compte des éléments de pondération (étape 3) a en fait réduit la période d’emploi prévu de onze ans et sept mois (étape 1) à 10 % de cette période, soit environ 14 mois. Le demandeur soutient que l’arbitre a en fait conclu à l’étape 3 qu’il aurait probablement perdu son emploi 14 mois après son licenciement injuste, s’il n’avait pas été licencié. Dans ces circonstances, le demandeur affirme qu’il était inapproprié de déduire quoi que ce soit à l’égard de revenus gagnés plus de 14 mois après le licenciement injuste. Étant donné qu’il n’avait pas de revenus au cours de la période initiale de 14 mois suivant son licenciement et que l’arbitre n’a pas conclu qu’il avait manqué à son devoir d’atténuer ses pertes, le demandeur soutient qu’aucun montant n’aurait dû être déduit, puisqu’on tiendrait compte d’un revenu qui n’est pas lié à sa perte économique.

[24]           Je ne souscris pas à l’argument du demandeur, et ce, pour les motifs exposés ci‑après, graphiques à l’appui. Ces graphiques illustrent les différentes étapes suivies par l’arbitre pour calculer les dommages-intérêts.

[25]           Avant de commencer mon examen de ces graphiques, je dois préciser qu’ils se veulent approximatifs et ne doivent pas être considérés comme précis ou à l’échelle. Il est aussi important de garder à l’esprit que toute détermination du montant des dommages-intérêts est nécessairement une estimation générale, et non un calcul précis. Aux paragraphes 109 et 112 de la décision Hay River, on cite un extrait de la décision Edwards c Society of Graphical and Allied Trades, [1971] Ch 354, [1970] 3 All ER 689 (C.A.) : [traduction] « Il faut tenter d’évaluer. Il est impossible de calculer. » Par conséquent, il existe une vaste gamme d’issues possibles et acceptables qui peuvent se justifier au regard des faits et du droit en l’espèce lorsqu’on applique la norme de la décision raisonnable.

[26]           Dans les graphiques, l’axe horizontal correspond au temps et l’axe vertical, à l’argent. Le montant de 74 794 $ sur l’axe vertical du graphique 1 correspond au salaire annuel du demandeur. L’indication de onze ans et sept mois sur l’axe horizontal correspond à la période allant du licenciement du demandeur jusqu’à sa date de départ à la retraite prévue. La section ombragée correspond au revenu total potentiel au cours de cette période (866 363,81 $). Le graphique 1 illustre l’étape 1 de l’analyse de l’arbitre.


Graphique 1

[27]           Le graphique 2 est similaire au graphique 1, mais il comprend les montants évalués par l’arbitre en ce qui concerne la valeur des avantages sociaux du demandeur, soit 11,3 %. La section ombragée dans le graphique 2 représente donc la valeur économique potentielle totale, y compris les avantages sociaux de l’ancien emploi du fonctionnaire, de la date de son licenciement jusqu’à la date prévue de son départ à la retraite (964 262, 92 $). Le graphique 2 illustre l’étape 1 de l’analyse de l’arbitre.


Graphique 2

[28]           À ce stade-ci de l’analyse, il n’y a pas de désaccords entre les parties. À l’étape 3 de son analyse, l’arbitre a appliqué une réduction de 90 % du montant calculé à l’étape 2 afin de tenir compte de la forte probabilité de licenciement du demandeur avant son départ à la retraite. Les parties ont des interprétations divergentes de l’analyse de l’arbitre en ce qui concerne cette étape. Les graphiques 3 et 4 illustrent ces interprétations divergentes.

[29]           Comme il a été mentionné précédemment, le demandeur soutient que l’arbitre a en fait conclu qu’il aurait perdu son emploi environ 14 mois après la date réelle de son licenciement. Par conséquent, le demandeur soutient que le montant calculé à l’étape 3 reflète son salaire pendant cette période de 14 mois (96 426 $). Ce montant est représenté par la section ombragée dans le graphique 3 ci-dessous.


Graphique 3

[30]           À mon avis, cet argument est trop simpliste. La réduction envisagée à l’étape 3 visait à tenir compte des divers éléments de pondération qui auraient pu avoir des incidences sur l’emploi continu du demandeur. Bien que l’arbitre ait indiqué que le facteur le plus important était le licenciement du demandeur en raison de son comportement (ce qui aurait pu donner lieu à un licenciement plus tôt que plus tard), l’arbitre a également identifié d’autres facteurs qui auraient pu avoir une incidence bien plus tard (comme la maladie, le risque de mort, la retraite anticipée). À mon avis, la réduction visée à l’étape 3 est mieux illustrée par la courbe estimative présentée dans le graphique 4 ci-dessous.


Graphique 4

[31]           La forme de cette courbe montre non seulement que le demandeur aurait fort probablement été licencié tôt en raison de son mauvais comportement, mais également que la perte d’emploi aurait pu se produire plus près de la date de départ à la retraite prévue.

[32]           La section ombragée sous la courbe du graphique 4 devrait être de la même la taille que celle qui figure au graphique 3. Seule la forme est censée être différente.

[33]           Une autre raison pour laquelle je préfère l’approche illustrée dans le graphique 4 est qu’elle reflète mieux la différence entre l’approche fondée sur la perte économique pour déterminer les dommages-intérêts (qui a été adoptée par l’arbitre) et l’approche fondée sur l’indemnisation tenant lieu de préavis qu’il a décidé de ne pas retenir. L’argument du demandeur illustré au graphique 3 équivaut en fait à l’approche rejetée.

[34]           L’importance des différentes approches dans les graphiques 3 et 4 est illustrée par l’ajout d’une ligne verticale au graphique (encore une fois, de manière estimative) pour indiquer le moment auquel le demandeur a commencé à recevoir un revenu comme travailleur autonome (environ deux ans après son licenciement). Cette nouvelle ligne verticale figure aux graphiques 5 et 6.

[35]           Suivant l’approche du demandeur (voir le graphique 5), toute la section ombragée (représentant le montant obtenu après l’étape 3) correspond à la période précédant le moment où il a commencé à avoir des revenus de son travail autonome.


Graphique 5

[36]           Selon cette analyse, la perte de revenu complète prévue pour le demandeur s’est produite avant le gain de tout autre revenu (atténuation). Le demandeur se fonde sur cette prémisse pour soutenir qu’il était inapproprié de déduire le salaire réel comme atténuation à l’étape 4.

[37]           Toutefois, cet argument ne fonctionne pas lorsqu’on tient compte de la section ombragée et la ligne, figurant au graphique 6, qui indique le moment où le demandeur a commencé à avoir des revenus de son travail autonome.


Graphique 6

[38]           Selon cette approche, une partie de la section ombragée est située après le début des revenus provenant du travail autonome, ce qui indique qu’il n’est pas déraisonnable de déduire un montant pour l’atténuation à l’étape 4.

[39]           L’avocat du demandeur reconnaît que, durant l’audience relative à la présente demande, il n’aurait pas eu d’objection si le montant de la réduction à l’étape 4 avait été un pourcentage du montant calculé à l’étape 3 (comme c’était le cas dans la décision George Brown College), plutôt qu’un montant fixe fondé sur le revenu réel avant la décision de l’arbitre. Toutefois, il soutient qu’il était inapproprié de la part de l’arbitre d’appliquer une réduction à l’étape 4 qui correspondait à un montant fixe. Il s’agit d’un élément particulièrement important à la lumière du fait que la preuve n’indique pas à combien s’élève ce montant fixe. Par conséquent, l’arbitre a accordé des dommages-intérêts d’un montant inconnu.

[40]           Je suis d’avis que l’acceptation du montant résultant de l’application d’un pourcentage par le demandeur à l’étape 4 est difficile à concilier avec le reste de ses arguments. Si l’arbitre avait appliqué une réduction de 50 % à l’étape 4 pour tenir compte de l’atténuation (comme c’était le cas dans la décision George Brown College), le montant des dommages-intérêts payables au demandeur correspondrait à la moitié de la partie ombragée soit au graphique 5 soit au graphique 6 (selon l’interprétation que l’on fait de l’effet de l’étape 3). On pourrait le démontrer en supprimant la partie supérieure de la section ombragée. Le demandeur a admis qu’il ne se serait pas opposé à l’application d’une telle réduction, même si, selon sa propre analyse, la réduction globale prévue à l’étape 4 serait appliquée avant qu’il commence à percevoir des revenus de son travail autonome. À mon avis, si le montant fixe d’atténuation à l’étape 4 est contestable en l’espèce, le montant résultant de l’application d’un pourcentage l’est également.

[41]           Quoi qu’il en soit, je préfère me fonder sur le graphique 6, où le montant global calculé à l’étape 3 (la section ombragée) ne correspond pas à la période antérieure au moment où le demandeur a commencé à travailler à son compte. À mon avis, il est approprié d’appliquer un montant d’atténuation (pour l’étape 4) en l’espèce. De plus, il n’y avait rien d’injuste à appliquer un montant d’atténuation forfaitaire (plutôt qu’un pourcentage), même si on ne sait pas à combien il s’élève.

[42]           En fait, on pourrait soutenir que l’application d’un montant forfaitaire pour l’atténuation décidé par l’arbitre est sans doute plus juste qu’un montant résultant de l’application d’un pourcentage pour l’atténuation. Si le montant du revenu de travail autonome de la date de début du travail autonome jusqu’à la date de la décision de l’arbitre est élevé, il aura une incidence importante dans la réduction des dommages-intérêts accordés au demandeur. Toutefois, si le demandeur a effectivement réussi à avoir des revenus élevés dans le cadre de son travail autonome au cours de cette période, il est probable qu’il continue à le faire à la suite de la décision de l’arbitre, ce qui atténuerait les répercussions sur le demandeur de l’attribution de dommages-intérêts réduits.

[43]           Inversement, si le montant des revenus provenant du travail autonome du demandeur avant la décision arbitrale est peu élevé, il aurait eu une incidence relativement faible sur la réduction des dommages-intérêts accordés au demandeur. Le demandeur profiterait d’une petite réduction dans l’éventualité probable que les faibles revenus tirés de son travail autonome avant la décision arbitrale demeurent les mêmes après la décision.

[44]           Par conséquent, l’application à l’étape 4 d’un montant d’atténuation fixe lie le montant des dommages-intérêts que le demandeur recevra à sa perte réelle, ce qui serait impossible si le montant d’atténuation était un simple pourcentage du montant calculé à l’étape 3. L’arbitre n’a pas indiqué que l’application d’un montant fixe pour l’atténuation était toujours appropriée, mais il a conclu qu’il convenait de le faire en l’espèce. À mon avis, cette décision était raisonnable. Je ne crois pas que l’arbitre se soit trompé ou qu’il ait omis de tenir compte de répercussions importantes liées à cette approche.

[45]           Comme nous l’avons déjà mentionné, il faut tenter d’évaluer les pertes, pas de les calculer.

[46]           Comme le souligne le demandeur, il est vrai que l’application d’un montant d’atténuation forfaitaire à l’étape 4 n’a été plaidée par aucune des parties à l’instance, mais je ne suis pas prêt à conclure que l’arbitre n’avait pas le droit d’adopter cette approche.

V.                Conclusion

[47]           La présente demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée, avec dépens.

« George R. Locke »

Juge

Traduction certifiée conforme

Elise Colas


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :


DOSSIER :

T -2044-14

 

INTITULÉ :

STANLEY BAHNIUK c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 20 MAI 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LOCKE

 

DATE :

LE 7 JUILLET 2015

 

ONT COMPARU :

Andrew Raven

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Karen Clifford

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Raven, Cameron, Ballantyne
& Yazbeck s.r.l.

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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