Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20150911


Dossier : IMM‑6498‑14

Référence : 2015 CF 999

[TRADUCTION FRANÇAISE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 11 septembre 2015

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

K.S.

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS PUBLICS

(Identiques au jugement et aux motifs confidentiels rendus le 21 août 2015,

le demandeur n’ayant pas demandé de caviardage)

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], à l’encontre d’une décision rendue par un commissaire de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, selon laquelle le demandeur n’a pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni de personne à protéger au sens de l’article 96 ou de l’article 97 de la LIPR. Le demandeur, qui est un jeune citoyen tamoul du Sri Lanka, est arrivé au Canada le 13 août 2010 avec un groupe de migrants tamouls à bord du navire Sun Sea. Il a demandé l’asile, disant craindre la persécution, la torture et des traitements cruels et inusités de la part du gouvernement sri‑lankais et des groupes paramilitaires s’il retournait au Sri Lanka. Il soutient que la SPR a commis une erreur en concluant qu’il ne serait pas exposé à de tels risques.

[2]               Pour les motifs exposés ci‑après relativement à la demande d’asile présentée sur place par le demandeur, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.

I.                   Contexte

[3]               La présente instance est assujettie à une ordonnance de confidentialité datée du 16 octobre 2014, qui s’applique à toute information susceptible de révéler l’identité du demandeur ou celle des membres de sa famille ou de ses proches, y compris leur nom, âge ou lieu de naissance. À l’audience de la demande de contrôle judiciaire, j’ai demandé aux avocats de soumettre des observations sur la question d’étendre l’ordonnance de confidentialité à l’audience et à ma décision. Dans ses observations écrites présentées après l’audience, le demandeur a demandé à ce que l’ordonnance de confidentialité soit ainsi étendue, en se fondant sur les arguments initialement formulés à l’appui de la requête visant à obtenir l’ordonnance de confidentialité. Le défendeur n’a pas pris position à ce sujet.

[4]               J’estime qu’il y a lieu d’étendre l’ordonnance de confidentialité comme il a été demandé par le demandeur. Je suis d’avis que les présents motifs renvoient uniquement aux faits contextuels nécessaires à la présente analyse de la demande d’asile sur place du demandeur et qu’ils ne fourniront aucun renseignement visé par l’ordonnance de confidentialité. Toutefois, par souci de prudence, je vais rendre confidentiels le jugement et les motifs du jugement; j’accorderai deux semaines au demandeur pour proposer des caviardages au jugement et aux motifs publics qui suivront, et une semaine au défendeur pour fournir des commentaires au sujet des caviardages proposés.

[5]               Le demandeur est né dans la province septentrionale du Sri Lanka. Dans son formulaire de renseignements personnels [le FRP], il indique que pendant son enfance, lui et sa famille, ont été déplacés plusieurs fois en raison du conflit sévissant entre le gouvernement sri‑lankais et les Tigres de libération de l’Eelam tamoul [les TLET]. Comme bien d’autres, les TLET ont tenté de le recruter lorsqu’il était jeune. Ils l’ont détenu à cause de son refus, mais l’ont par la suite relâché.

[6]               Lorsque le demandeur était aux études, il a subi une blessure à la jambe qui a nécessité une chirurgie et a laissé une importante cicatrice résiduelle.

[7]               Dans son FRP, le demandeur affirme qu’à plusieurs reprises, son frère a été capturé, s’est évadé puis s’est fait capturer de nouveau par les TLET.

[8]               En 2010, le demandeur a quitté le Sri Lanka, s’est rendu en Thaïlande et est monté à bord du navire Sun Sea, qui est arrivé au Canada le 13 août 2010. Le demandeur a par la suite présenté une demande d’asile au Canada.

II.                Décision de la SPR

[9]               Dans une décision datée du 11 août 2014, la SPR a rejeté la demande d’asile du demandeur [la Décision].

[10]           La SPR a conclu que le demandeur n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni de personne à protéger, en mettant l’accent sur la crédibilité générale du demandeur, sur son profil de risque et sur la question de savoir s’il était un réfugié sur place parce qu’il avait voyagé à bord du navire Sun Sea.

[11]           La SPR a tout d’abord passé en revue l’exposé circonstancié accompagnant le FRP initial et les FRP modifiées du demandeur, et elle a jugé que le demandeur n’avait pas été un témoin crédible tout au long de l’audience. La SPR a tiré des conclusions défavorables au sujet de plusieurs aspects du témoignage du demandeur, notamment en ce qui concerne les incohérences entourant le nombre de fois où le frère du demandeur s’est trouvé aux mains des TLET.

[12]           La SPR s’est ensuite penchée sur le profil de risque du demandeur, soulignant que le Haut‑commissariat des Nations Unies pour les réfugiés [le HCR] avait mentionné dans son document Eligibility Guidelines for Assessing the International Protection Needs of Asylum Seekers from Sri Lanka [lignes directrices pour la protection internationale des demandeurs d’asile du Sri Lanka – lignes directrices du HCR] que compte tenu de l’arrêt des hostilités, les Tamouls du Nord n’étaient plus présumés admissibles au statut de réfugié et que chaque demande d’asile devait être évaluée selon la situation de chacun.

[13]           La SPR a conclu que le demandeur n’était pas exposé à un risque conformément aux profils de risque établis dans les lignes directrices du HCR. Bien que la SPR ait jugé non crédibles, notamment eu égard aux dates, les éléments de preuve voulant que le frère du demandeur ait été capturé et soumis à des travaux forcés par les TLET, elle a néanmoins noté que la documentation indiquait que le frère du demandeur avait été détenu par les autorités sri‑lankaises, puis libéré d’un centre de réhabilitation après la guerre. La SPR a toutefois estimé que malgré les liens existant entre la famille du demandeur et les TLET, aucune preuve probante ne permettait de confirmer que le demandeur était recherché par les autorités sri‑lankaises. Le demandeur a été capable de traverser les points de contrôle et de quitter le Sri Lanka, et il était raisonnable de s’attendre à ce que les autorités le traite différemment si celles‑ci croyaient qu’il était un partisan des TLET. Il était également raisonnable de s’attendre à ce que le demandeur traverse les points de contrôle, obtienne un passeport et soit autorisé à quitter le pays si les autorités croyaient qu’il était une personne correspondant aux profils de risque.

[14]           Avant que la SPR ne rende sa décision, d’autres renseignements ont été communiqués sur le statut de deux Sri‑Lankais arrivés au Canada à bord du Sun Sea et renvoyés par la suite au Sri Lanka. Tant le demandeur que le défendeur ont présenté des observations relativement à ces éléments de preuve. En dépit des éléments de preuve relatifs aux traitements infligés à ces deux autres personnes par les autorités sri‑lankaises, la SPR a conclu qu’elle ne disposait pas de renseignements indiquant pourquoi ils avaient été traités ainsi et elle n’a pas été en mesure de déterminer si le demandeur se trouvait dans une situation similaire.

[15]           La SPR a conclu que la crainte subjective du demandeur ne reposait sur aucun fondement objectif.

[16]           Ensuite, la SPR s’est demandé si le fait d’être un demandeur d’asile débouté mettrait le demandeur à risque s’il retournait au Sri Lanka. La SPR a fait remarquer que la délégation internationale qui a fait un voyage d’enquête au Sri Lanka en 2011, auquel ont participé l’Agence des services frontaliers du Canada [l’ASFC] et les autorités d’autres pays, avait indiqué que « [c]e qui ressortait principalement des commentaires » communs aux personnes interviewées était « qu’elles ne se sentaient plus menacées ». La SPR a jugé que ce rapport était digne de confiance, fiable et pertinent. En outre, la SPR a souligné qu’après la signature d’une entente d’aide au retour volontaire conclue avec l’Organisation internationale pour les migrations, qui visait à faciliter le retour des Sri‑Lankais d’Afrique, les responsables canadiens avaient indiqué que soixante‑six rapatriés avaient été interrogés à l’aéroport puis relâchés sans difficulté.

[17]           D’autres sources ont confirmé que les Tamouls sont soumis aux mêmes mesures de contrôle que toutes les autres personnes, sans égard au fait qu’ils reviennent de leur plein gré ou après avoir été déboutés d’une demande d’asile. Même s’il y a eu des cas de détention à l’arrivée, ceux‑ci étaient liés à des accusations criminelles en instance et non à des demandes d’asile ou à l’appartenance ethnique. Bien que certains rapports indiquent que les Tamouls ayant ou perçus comme ayant des liens avec les TLET risquent davantage d’être détenus et torturés, la preuve est insuffisante pour permettre de conclure que le demandeur avait des liens avec les TLET ou s’était opposé au gouvernement dans le passé.

[18]           Citant de nouveau les documents communiqués après l’audience concernant les deux personnes qui étaient retournées au Sri Lanka, la SPR a estimé que les renseignements supplémentaires fournis par le défendeur annulaient les observations du demandeur, et elle a conclu que le demandeur ne se trouvait pas dans une situation semblable, faisant remarquer que dans l’un des cas, la personne s’était livrée à des actes criminels.

[19]           La SPR a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour établir que le demandeur serait placé en détention à l’issue d’un contrôle s’il était renvoyé au Sri Lanka. Comme il n’était pas considéré par le gouvernement sri‑lankais comme ayant des liens avec les TLET, il n’avait pas de raison de craindre d’être persécuté à titre de demandeur d’asile débouté s’il retournait au pays.

[20]           La SPR a ensuite examiné si le demandeur serait soupçonné d’être mêlé aux TLET du fait qu’il avait été un passager du navire Sun Sea, ce qui ferait de lui un réfugié sur place. Elle a conclu que la preuve ne suffisait pas à établir que le gouvernement sri‑lankais soupçonnait les personnes entrées clandestinement au Canada à bord du Sun Sea d’avoir des liens avec les TLET, et qu’il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve crédibles permettant d’affirmer que le gouvernement sri‑lankais avait des raisons de croire que le demandeur était un membre ou un partisan des TLET, mis à part le fait qu’il ait voyagé à bord du Sun Sea.

[21]           Selon l’analyse de la SPR, même si l’arrivée du navire Sun Sea présentait un intérêt particulier pour les autorités sri‑lankaises et canadiennes, il était logique de conclure que les responsables canadiens estimeraient que le demandeur n’avait pas de liens avec les TLET. En outre, même si les autorités sri‑lankaises avaient pu savoir ou soupçonner que le demandeur s’était trouvé à bord du Sun Sea, elles auraient de même logiquement conclu que les autorités canadiennes estimaient qu’il n’avait pas de liens avec les TLET, sinon il est peu probable qu’il aurait été libéré. Le demandeur était en mesure de fournir des documents des instances relatives à sa demande d’asile pour montrer qu’il avait été reconnu comme n’ayant pas de liens avec les TLET. Par conséquent, la SPR a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, le gouvernement sri‑lankais ne considérerait pas le demandeur comme un membre ou un partisan des TLET simplement parce qu’il avait voyagé à bord du Sun Sea, compte tenu de ses antécédents au Sri Lanka avant sa venue au Canada.

[22]           La SPR s’est également penchée sur la demande présentée par le demandeur en vertu de l’article 97 de la LIPR, et pour les mêmes raisons sous‑jacentes à son analyse relative à l’article 96, elle a conclu que le demandeur ne serait pas exposé à une menace à sa vie, au risque de traitements ou peines cruels et inusités ou à un risque de torture s’il retournait au Sri Lanka.

III.             Questions

[23]           À mon avis, il est possible de formuler ainsi les questions soulevées en l’espèce :

A.                 Quelle est la norme de contrôle applicable?

B.                 La SPR a‑t‑elle commis des erreurs susceptibles de révision qui rendraient sa décision déraisonnable?

IV.             Observations des parties

[24]           Étant donné que ma décision repose sur l’analyse effectuée par la SPR concernant la demande d’asile sur place du demandeur et qu’il n’est donc pas nécessaire que j’examine les autres motifs invoqués à l’appui de la demande de contrôle, le résumé des observations des parties présenté ci‑dessous a trait uniquement aux observations liées directement ou indirectement à cette analyse.

A.                Observations du demandeur

[25]           Le demandeur soutient que la SPR a commis une erreur en rejetant sa demande d’asile sur place, qui était fondée sur le fait qu’il avait voyagé à bord du navire Sun Sea, qu’il reviendrait d’un centre soupçonné de recueillir des fonds pour les TLET, qu’il avait été détenu et interrogé par l’ASFC concernant ses liens avec les TLET et qu’il reviendrait muni de titres de voyage temporaires. La SPR a commis une erreur en omettant de tenir compte de ces facteurs et en tranchant plutôt la demande en se fondant sur le profil du demandeur au moment où il a quitté le Sri Lanka (Khan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 836, au paragraphe 22). Dans une décision récente concernant un homme tamoul arrivé au Canada à bord du navire Sun Sea, la Cour a conclu que la Commission avait commis une erreur en s’intéressant seulement à la question de savoir si le demandeur « était déjà réputé avoir des liens avec les TLET en raison de son voyage à bord du Sun Sea, par opposition à la question de savoir s’il serait réputé avoir de tels liens à son retour » (B407 c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 1085, paragraphe 39 [B407]).

[26]           Le demandeur invoque également la décision que le juge Russell a rendue dans l’affaire YS c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 324, qui affirme aux paragraphes 65 à 69 que le fait qu’un demandeur ait été lavé de tout soupçon quant aux liens qu’il aurait pu, par le passé, entretenir avec les TLET, revêt en l’espèce une certaine importance, mais ne règle pas la question de sa qualité de réfugié sur place, et aussi que la SPR était tenue d’envisager la qualité de réfugié sur place sous l’angle prospectif, dans l’idée que le demandeur pourrait être tenu avoir entretenu des liens avec les TLET étant donné son arrivée au Canada à bord du navire Sun Sea. De même, la juge Strickland a conclu, dans la décision B381 c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 608, au paragraphe 51 [B381], que ce n’est pas le passé du demandeur qui le ferait soupçonner d’entretenir des liens avec les TLET, mais son voyage à bord du navire Sun Sea, cela constituant la nature même de la demande d’asile sur place. Le demandeur soutient que la SPR a commis la même erreur en se fondant uniquement sur ses conclusions concernant le passé du demandeur, sans établir si le lien avec le navire placerait le demandeur à risque.

[27]           Selon le demandeur, la SPR a également négligé ou écarté certains éléments de preuve essentiels à l’appui de la demande d’asile sur place. La SPR a omis de se référer à deux rapports cités par le demandeur, soit : un rapport d’Amnistie internationale daté du 12 juin 2012 concernant les risques auxquels faisaient face les passagers des navires Sun Sea et Ocean Lady, qui concluait que les passagers risquaient d’être persécutés en raison de leurs liens présumés avec les TLET; et un rapport de Freedom from Torture daté du 13 septembre 2012 et intitulé « Sri Lankan Tamils tortured on return from the UK ») (B381, paragraphes 44 à 53 et 56 à 57).

[28]           En outre, le demandeur soutient que la SPR a écarté des éléments de preuve concernant les deux personnes qui sont retournées au Sri Lanka (désignées par les numéros B005 et B016) et que ses conclusions sont imprécises et incohérentes. La conclusion selon laquelle l’information relative aux « deux autres Sri‑Lankais » ne permettait pas de déterminer les raisons pour lesquelles ces demandeurs avaient été traités ainsi par les autorités sri‑lankaises, ni de rendre une décision quant à la similarité des circonstances du demandeur, est incompréhensible puisque la SPR a par la suite déclaré, en faisant référence aux éléments communiqués après l’audience, qu’elle préférait la position du ministre au sujet des documents. Le demandeur affirme qu’il n’est pas clair si la SPR savait que les éléments communiqués après l’audience faisaient référence aux deux mêmes personnes, et ce, uniquement sur le point précis quant à savoir si l’une de ces personnes était toujours détenue.

[29]           Le demandeur soutient que les éléments de preuve démontraient que les deux personnes rapatriées qui avaient voyagé sur le navire Sun Sea avaient été maltraitées à leur arrivée au Sri Lanka, malgré le fait que l’une d’entre elles avait été explicitement exonérée de tout lien avec les TLET avant son départ. Selon les éléments de preuve, le sujet B016 avait été détenu et torturé à son arrivée, s’était fait demander le nom de tous ceux qui s’étaient trouvés à bord du navire, et avait fourni, sous la torture, le nom de tous les passagers et membres d’équipage qu’il connaissait, en déclarant que ceux‑ci étaient associés au TLET. Cela confirme que le gouvernement sri‑lankais s’intéressait vivement aux passagers de ces navires. Que la situation du sujet B016 ait été ou non similaire ou non à celle du demandeur, cet élément de preuve était d’une grande pertinence et la SPR ne pouvait pas en faire fi. L’omission de la SPR de tenir compte de cet élément de preuve et de l’évaluer de manière intelligible, justifiable et transparente rend déraisonnable l’analyse de la demande sur place.

[30]           Enfin, le demandeur soutient que la SPR a commis une erreur en omettant de tenir compte d’importants éléments de risque avancés par le demandeur (Zoja c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1079, aux paragraphes 18 à 20; Thiyagarajah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1015, aux paragraphes 15 et 16). À son avis, la SPR n’a pas tenu compte des facteurs de risque additionnels dont il a fait part, notamment : le fait d’être une personne revenant de ce qui était perçu comme un centre d’activité et de collecte de fonds pour les TLET; la présence de cicatrices visibles; le fait que le nom du demandeur est courant parmi les représentants des TLET; et la crainte du demandeur d’être ciblé par le Parti démocratique populaire de l’Eelam et les paramilitaires.

B.                 Observations du défendeur

[31]           Le défendeur soutient que le demandeur n’a pas démontré que la SPR a commis une erreur susceptible de révision. Il conteste plutôt le caractère suffisant des motifs fournis et tente de réévaluer les éléments de preuve.

[32]           Selon le défendeur, le demandeur n’a pas réussi à établir qu’il est un réfugié sur place. La Cour a déjà conclu, dans de nombreuses affaires, qu’une personne n’est pas un réfugié sur place par le simple fait d’être un homme tamoul du Sri Lanka, y compris du Nord, arrivé au Canada à bord d’un navire transportant des passagers clandestins (PM c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 77, [PM], au paragraphe 16; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c B380, 2012 CF 1334, aux paragraphes 2, 3, 10, 16 à 18, et 23 et 24; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c B472, 2013 CF 151, au paragraphe 28; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c B323, 2013 CF 190; B223 c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 511, aux paragraphes 1, 4, 6, 8 et 10; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c A011, 2013 CF 580, au paragraphe 40; Ganeshan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 841, aux paragraphes 1, 24 et 31 à 35; Sivanathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 184, aux paragraphes 2, 10 et 12; Thevarasa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 234, aux paragraphes 3, 10, 32 et 33; Yathavarjan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 146, [Yathavarjan], aux paragraphes 5, 7, 9, 46, 54 et 56).

[33]           Le défendeur fait également remarquer que la Cour a confirmé des décisions où il a été conclu que les hommes tamouls arrivés à bord du navire Sun Sea ou Ocean Lady ne sont pas exposés à un risque lié au fait d’être perçus comme des partisans des TLET, en raison d’un manque de crédibilité, des lignes directrices du HCR et d’éléments de preuve indiquant que les autorités sri‑lankaises ne considèrent pas tous les passagers arrivés à bord de ces navires comme des partisans des TLET (SA c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 146, aux paragraphes 52 à 55; Yathavarajan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), aux paragraphes 53 et 54; B231 c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 1218, aux paragraphes 60, 64 et 69).

[34]           Le défendeur soutient que la SPR a conclu de façon raisonnable que les éléments de preuve ne suffisaient pas à établir que le gouvernement sri‑lankais soupçonne les personnes d’entretenir des liens avec les TLET du fait qu’elles sont entrées clandestinement au Canada à bord d’un navire appartenant aux TLET et exploité par eux. La SPR a souligné que le gouvernement sri‑lankais n’avait aucune raison de croire que le demandeur était un membre ou un partisan des TLET, et elle s’est demandé pourquoi le demandeur serait arrêté, détenu ou torturé si les autorités ne le connaissaient pas ou le connaissaient peu. Contrairement à ce qu’argumente le demandeur, la SPR s’est bien demandé si le demandeur serait exposé à un risque du fait qu’il avait été détenu et interrogé par l’ASFC, mais elle a conclu que les autorités sri‑lankaises concluraient que les autorités canadiennes auraient cherché à savoir si le demandeur avait des liens avec les TLET avant de le remettre en liberté. La SPR a aussi indiqué que le demandeur pouvait fournir une copie des motifs pour lesquels la SPR en était venue à conclure qu’il n’était pas associé aux TLET. Il incombait au demandeur de démontrer qu’il était probablement exposé à un risque du fait qu’il avait été détenu et interrogé par les autorités canadiennes, mais il n’a cité aucun précédent ni aucun document permettant d’appuyer cette affirmation ou de démontrer qu’il serait exposé à un risque, surtout que son frère a été libéré par l’armée peu après son départ, qu’il réside avec ses parents au Sri Lanka et qu’il n’existe aucune preuve selon laquelle il aurait été maltraité.

[35]           Le défendeur soutient également que le demandeur invoque à tort la décision B407 car dans cette affaire, l’analyse de la demande d’asile sur place a été communiquée en une seule phrase. Dans le cas qui nous occupe, la SPR a énoncé en détail les raisons pour lesquelles le demandeur ne serait pas exposé à un risque s’il retournait au Sri Lanka. Bien que la SPR reconnaisse qu’il existe des éléments de preuve voulant que les autorités sri‑lankaises utilisent la torture, le demandeur n’a pas démontré qu’il y a plus qu’une simple possibilité qu’il soit exposé à un risque. La SPR a examiné les éléments communiqués après l’audience concernant B005 et B016, mais elle a conclu que le demandeur ne se trouvait pas dans une situation similaire. Même si la SPR a reconnu la possibilité de mauvais traitements, elle a conclu que le risque n’était qu’une simple possibilité. Il était loisible à la SPR d’en arriver à cette conclusion compte tenu des faits au dossier (SK c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 78, aux paragraphes 21, 22 et 25; PM, aux paragraphes 11, 12 à 14 et 17). La SPR peut privilégier certains éléments de preuve par rapport à d’autres lorsque les éléments de preuve sont contradictoires (Kaur c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] ACF no 190, au paragraphe 22).

[36]           La SPR a examiné le profil complet du demandeur en fonction du contexte, mais elle a conclu que le demandeur ne correspondait pas au profil de risque établi. Tous les éléments tiennent à la mesure dans laquelle le demandeur serait considéré comme un partisan des TLET, ce qui ne serait pas le cas selon la SPR. Il a été relâché après avoir été interrogé par les autorités sri‑lankaises et a été autorisé à quitter le pays muni d’un passeport valide. Eu égard au dossier, la décision énonce le fondement du refus, qui repose sur une évaluation exhaustive des éléments de preuve.

V.                Analyse

A.                Quelle est la norme de contrôle applicable?

[37]           Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable à l’ensemble des questions est celle de la décision raisonnable, qui s’intéresse « à la justification, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel » ainsi qu’« à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c New Brunswick, 2008 CSC 9, aux paragraphes 47 et 48).

B.                 La SPR a‑t‑elle commis des erreurs susceptibles de révision qui rendraient sa décision déraisonnable?

[38]           Une grande retenue doit être démontrée envers la SPR en ce qui a trait à son appréciation de la preuve et à ses conclusions quant au risque de persécution auquel le demandeur serait exposé s’il était renvoyé au Sri Lanka, mais je suis persuadé que, dans le cadre de son analyse de la demande d’asile sur place du demandeur, elle a commis des erreurs susceptibles de révision dans l’appréciation de ce risque.

[39]           Le demandeur s’appuie fortement sur certains précédents, dont la décision B407, pour faire valoir que la SPR commet une erreur dans l’examen de ce type de demande lorsqu’elle tient compte uniquement des liens passés avec les TLET par opposition à la question de savoir si le demandeur aurait de tels liens à son retour au Sri Lanka du fait d’avoir voyagé sur le navire Sun Sea. J’estime que la SPR n’a pas commis d’erreur à cet égard puisqu’elle a expressément abordé, dans sa décision, la question de savoir si les autorités sri‑lankaises considéreraient maintenant le demandeur comme ayant des liens avec les TLET simplement parce qu’il avait voyagé à bord du navire.

[40]           Je conclus toutefois que la SPR a commis une erreur à un autre égard, soit en omettant de prendre en considération les circonstances cumulativement, ainsi que certains éléments de preuve pertinents.

[41]           Il est bien connu qu’un demandeur qui n’est pas jugé crédible (comme c’est le cas en l’espèce) peut quand même avoir une crainte de persécution fondée, qui peut être évaluée au moyen d’éléments de preuve objectifs concernant les conditions dans le pays et le profil de risque du demandeur (Kandiah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 181, au paragraphe 18; Maimba c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 226, au paragraphe 22). Le défendeur a confirmé, à l’audition de la présente demande, qu’il ne conteste pas la proposition selon laquelle la crédibilité du demandeur n’est pas déterminante pour l’issue de sa demande.

[42]           En effectuant son analyse, la SPR doit évaluer les effets cumulatifs de tous les motifs de préoccupation soulevés par le demandeur (Boroumand c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1219, au paragraphe 63, Yener c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 372, au paragraphe 57). Dans la décision LS c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 330, aux paragraphes 14 et 15, la Cour a confirmé que s’il ressort de ses motifs que la SPR a examiné séparément les facteurs de risque pertinents plutôt que cumulativement, sa décision peut être annulée.

[43]           En l’espèce, la SPR a examiné les profils de risque recensés dans les lignes directrices du HCR, mais a conclu qu’aucun d’entre eux ne s’appliquait directement au demandeur. La SPR a noté les éléments de preuve indiquant que le frère du demandeur avait été détenu par les autorités sri‑lankaises puis libéré d’un centre de réhabilitation, mais elle a conclu que « malgré ce lien familial avec les TLET, aucun élément de preuve probant n’a été présenté pour montrer que le demandeur d’asile était recherché par les autorités au Sri Lanka »; il a pu traverser les points de contrôle pour se rendre à Colombo et quitter le Sri Lanka sans difficulté, et a témoigné qu’il n’avait jamais appuyé les TLET ni travaillé pour eux.

[44]           Comme le souligne le demandeur, le fait qu’un demandeur ait été en mesure de quitter son pays muni de son propre passeport n’est pas déterminant quant au risque auquel il peut être exposé à son retour; cela témoigne d’une approche trop simpliste, notamment compte tenu des renseignements issus de la Direction des recherches de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, selon lesquels il n’existe aucune preuve concrète montrant que le système d’alerte aéroportuaire qu’utilisent les autorités sri‑lankaises contient de l’information au sujet de chaque personne ayant été détenue par la police ou l’armée. La Cour a jugé que le fait qu’un demandeur ait été relâché ou ait pu voyager muni de son propre passeport n’est pas déterminant pour ce qui est du risque auquel il serait exposé s’il retournait dans son pays (B027 c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 485, [B027], aux paragraphes 8 et 9; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Fernando, 2012 CF 706, au paragraphe 13; Abdul c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 260, au paragraphe 23).

[45]           Quoi qu’il en soit, il est significatif que la SPR n’ait pas rejeté la documentation indiquant que le frère du demandeur avait été détenu par l’armée sri‑lankaise et emprisonné dans un camp de réhabilitation, et qu’elle ait mentionné que le demandeur avait un « lien familial » avec les TLET, ce que les lignes directrices du HCR désignent comme étant un facteur de risque. Cela concorde avec les éléments de preuve présentés à la SPR qui mentionnent qu’après la guerre, de nombreux Tamouls soupçonnés d’être des membres des TLET ont été placés dans des camps de réhabilitation dirigés par l’armée. Les avocats des deux parties ont également confirmé à l’audition de la présente demande que le frère du demandeur est indéniablement un membre des TLET.

[46]           Il était loisible à la SPR d’en arriver à la conclusion que le demandeur n’était pas exposé à un risque en raison de cette association, car malgré le lien familial du demandeur avec les TLET, aucune preuve probante n’a été présentée pour établir qu’il était recherché par les autorités sri‑lankaises. La SPR a toutefois omis d’examiner la façon dont ce lien, réuni aux autres facteurs, y compris la situation du demandeur en tant qu’homme tamoul du Nord portant des cicatrices visibles et ayant voyagé au Canada à bord du navire Sun Sea, contribuerait collectivement au risque qu’il soit considéré comme un partisan des TLET et soit persécuté s’il retournait au Sri Lanka.

[47]           La SPR disposait d’éléments de preuve selon lesquels les personnes soupçonnées d’avoir des liens avec les TLET couraient un risque plus élevé d’être arrêtées à l’aéroport et d’être exposées à la torture. La SPR semble avoir accepté cette preuve, mentionnant que certains rapports indiquaient que « les personnes qui sont particulièrement exposées au risque d’être soumises à la torture sont les Tamouls ayant une association réelle ou perçue avec les TLET ou qui se sont déjà opposés au gouvernement ». La SPR a conclu que les éléments de preuve n’étaient pas suffisants pour établir que le demandeur entretenait des liens avec les TLET ou s’était opposé au gouvernement dans le passé. Elle a toutefois déclaré que « la question de son voyage à bord du Sun Sea sera examinée séparément sous le sous-titre sur place ».

[48]           Dans son analyse subséquente de la demande d’asile sur place, la SPR n’a ni mentionné ni pris en compte les conséquences du lien familial du demandeur avec les TLET. À mon avis, ce lien distingue la présente affaire de celles citées par le défendeur où la Cour a confirmé les décisions de la SPR rejetant les demandes présentées par d’autres passagers du navire Sun Sea, qui n’ont pas été considérés comme ayant des liens réels ou présumés avec les TLET. Le fait que nulle part dans son analyse de la demande d’asile sur place la SPR n’a mentionné ce facteur important donne à penser qu’elle a omis de le prendre en considération dans le contexte de la demande en question. Cela laisse suggérer que la SPR a rendu sa décision sans tenir compte des éléments de preuve (Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) [1998] ACF no 1425, au paragraphe 17).

[49]           À mon avis, les motifs indiquent que la SPR a examiné les facteurs de risque de façon isolée. Dans son analyse de la demande d’asile sur place, elle s’est demandé si le demandeur serait considéré comme ayant des liens avec les TLET du fait qu’il avait voyagé à bord du navire Sun Sea. La SPR a conclu que rien n’indiquait que le demandeur avait été membre d’une organisation favorable aux TLET ou avait soutenu une telle organisation pendant son séjour au Canada. La SPR ne s’est toutefois pas penchée sur la façon dont les divers facteurs établis par la preuve, y compris le lien familial du demandeur avec les TLET, auraient pu constituer plus qu’une simple possibilité de persécution en les examinant conjointement. Cela est comparable à la décision rendue dans la décision B027, où le juge Harrington a conclu, au paragraphe 11, que le commissaire n’avait pas analysé les circonstances de façon cumulative, et que compte tenu de certains facteurs tels que l’origine ethnique de B027, la nature de sa blessure, le fait qu’il avait travaillé dans la région contrôlée du Nord du Sri Lanka et que son épouse et lui‑même avaient été des passagers du Sun Sea, ils pouvaient fort bien être exposés à un risque sérieux de persécution s’ils retournaient au Sri Lanka.

[50]           L’avocat du défendeur a affirmé dans sa plaidoirie que le fait que le frère du demandeur est un membre des TLET rend moins convaincant l’argument du demandeur. Le défendeur a fait valoir que puisque le frère du demandeur habite actuellement avec leurs parents au Sri Lanka et qu’il n’existe aucune preuve selon laquelle il aurait été maltraité, il ne serait pas logique que le demandeur, dont le seul lien entre lui et les TLET est celui de son frère, soit maltraité alors que son frère ne l’a pas été.

[51]           Bien que cet argument puisse présenter une certaine logique, il va à l’encontre de la preuve relative aux lignes directrices du HCR voulant que les personnes qui ont déjà eu des liens (réels ou présumés) avec les TLET allant au‑delà du fait d’avoir auparavant résidé dans un territoire contrôlé par les TLET continuent d’être exposées au risque de subir un traitement pouvant nécessiter une protection. Ces liens peuvent comprendre les liens familiaux avec d’autres personnes associées aux TLET. La SPR semble avoir accepté la valeur probante des lignes directrices du HCR. En outre, dans les motifs exposés dans sa décision, la SPR ne se livre pas à une analyse s’apparentant à l’argument avancé par le défendeur à cet égard.

[52]           La SPR n’a pas, non plus, fait référence aux deux rapports cités par le demandeur, en l’occurrence : un rapport d’Amnistie internationale daté du 12 juin 2012 concernant les risques auxquels étaient exposés les passagers des navires Sun Sea et Ocean Lady, dans lequel on conclut que les passagers risquaient la persécution en raison de leurs liens présumés avec les TLET; et un rapport de Freedom from Torture daté du 13 septembre 2012 intitulé « Sri Lankan Tamils tortured on return from the UK ». La Cour a conclu que la SPR a commis une erreur en omettant de mentionner et d’analyser les conclusions de ce rapport particulier d’Amnistie internationale. Dans la récente décision Thanabalasingam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 397, le juge Fothergill a déclaré ce qui suit au paragraphe 17 relativement à ce rapport :

[17]      Tant le juge Russell dans le jugement Y.S. que la juge Strickland dans le jugement B381 c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 608 [B381] ont signalé le rapport d’Amnistie internationale dans leur analyse des demandes « sur place » des demandeurs d’asile qui avaient voyagé à bord du Sun Sea. Dans le jugement B381, la juge Strickland a conclu que le défaut de la Commission d’expliquer pourquoi elle n’avait pas tenu compte du rapport d’Amnistie internationale rendait la décision de la Commission déraisonnable (au paragraphe 58). De même, dans le cas qui nous occupe, le défaut de la Commission d’expliquer pourquoi elle avait écarté le rapport d’Amnistie internationale ainsi que d’autres éléments de preuve contradictoires fait en sorte que sa décision est déraisonnable.

[53]           Sur ce point, le défendeur affirme que la décision mentionne que la SPR a tenu compte des rapports et des observations de l’avocat indiquant que les personnes rapatriées ayant des liens avec les TLET couraient un risque plus élevé d’être arrêtées à l’aéroport et d’être exposées à la torture. La SPR a cité un autre rapport d’Amnistie internationale (différent de celui mentionné dans l’argument du demandeur) indiquant que parmi les personnes les plus exposées au risque de torture figurent les Tamouls qui ont des liens réels ou présumés avec les TLET ou qui se sont opposés au gouvernement dans le passé. La SPR a ensuite conclu que les éléments de preuve n’étaient pas suffisants pour conclure que le demandeur entretenait des liens avec les TLET ou s’était opposé au gouvernement dans le passé, puis a déclaré que la question du voyage du demandeur à bord du navire Sun Sea serait examinée séparément, sous l’intitulé Demande d’asile sur place.

[54]           Compte tenu des éléments de preuve particuliers invoqués par la SPR et de sa mention d’un examen distinct subséquent de la question relative au voyage du demandeur à bord du navire Sun Sea, il ressort clairement que la SPR n’a pas examiné, dans le cadre de l’analyse exposée dans le passage de la décision cité par le défendeur, la preuve émanant d’Amnistie internationale selon laquelle les passagers du navire Sun Sea étaient exposés à un risque de persécution en raison de leurs liens présumés avec les TLET.

[55]           À mon avis, puisque dans son analyse de la demande d’asile sur place du demandeur la SPR a omis de prendre en compte cette preuve documentaire et qu’elle a omis d’examiner ensemble les facteurs de risque auxquels est exposé le demandeur, la décision ne peut pas se justifier et n’appartient pas aux issues acceptables.

VI.             Conclusion

[56]           Pour les motifs précités, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée pour réexamen à un tribunal différemment constitué de la SPR.

[57]           Aucune question de portée générale n’a été soumise à la Cour aux fins de certification.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à la SPR pour qu’un autre commissaire rende une nouvelle décision.

2.      Aucune question n’est certifiée aux fins d’un appel.

3.      Le dossier de l’audition de la demande ainsi que le jugement et les motifs confidentiels doivent être traités comme étant confidentiels et peuvent n’être communiqués qu’aux parties et à la Cour.

4.      Deux semaines sont accordées au demandeur, à compter de la date du jugement et des motifs confidentiels, pour signifier et déposer des observations sur des caviardages proposés au jugement et aux motifs publics qui seront subséquemment publiés par la Cour, et une semaine est accordée au défendeur, à compter de la date de signification des caviardages proposés, pour signifier et déposer des observations sur ceux‑ci. Ces observations seront considérées comme étant confidentielles et seules les parties et la Cour pourront les consulter.

« Richard F. Southcott »

Juge

Traduction


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DoSSIER :

IMM‑6498‑14

 

INTITULÉ :

K.S. c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

le 21 juillet 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS PUBLICS :

le juge Southcott

 

DATE DES MOTIFS :

Le 11 septembre 2015

 

COMPARUTIONS :

Jacqueline Swaisland

 

POUR LE demandeur

 

Gregory George

 

POUR LE Défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jacqueline Swaisland

Avocate

Waldman et Associés

Toronto (Ontario)

 

POUR LE demandeur

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE Défendeur

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.