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Date : 20150519


Dossier : IMM‑2811‑14

Référence : 2015 CF 643

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 19 mai 2015

En présence de madame la juge Kane

ENTRE :

DEEQ MUNYE ABDI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision, datée du 18 mars 2014, par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la Commission) a accueilli la demande du ministre présentée en vertu de l’article 109 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi) d’annuler une décision antérieure rendue en 2005 dans laquelle le demandeur s’était vu reconnaître le statut de réfugié.

[2]               La demande est rejetée pour les motifs exposés ci‑après.

Contexte

[3]               Le demandeur est citoyen de la Somalie. Il est arrivé au Canada le 9 septembre 2004, et il a demandé l’asile du fait de sa nationalité, de son appartenance au clan Tunni, et il a fait valoir que sa terre était passée sous le contrôle de la milice qui cherchait à l’« éliminer ». La décision de lui conférer l’asile reposait sur une entrevue tenue dans le cadre du processus accéléré par un agent de protection des réfugiés (l’APR), à la suite de laquelle un rapport accéléré a été rédigé, en date du 4 mars 2005. Le rapport indiquait ce qui suit :

Le demandeur d’asile est un Somalien de 34 ans appartenant au clan Tunni. Son père a été tué alors qu’il tentait de fuir la Somalie en 1991. Le demandeur d’asile a pu s’enfuir, mais il est retourné en Somalie en 2001 et a découvert que la ferme familiale était passée sous le contrôle d’un chef de la milice. Le demandeur d’asile a demandé de l’aide au gouverneur autoproclamé de la région, ce qui lui a été refusé. Le demandeur d’asile a fui la Somalie pour la seconde fois lorsqu’il a appris que les miliciens qui occupaient les terres de sa famille voulaient l’éliminer.

[4]               Selon le rapport, le demandeur avait appelé à comparaître un témoin pour attester son identité, qui était un ami de son père et qu’il avait rencontré dans une mosquée à Toronto.

[5]               Le rapport indiquait également que le demandeur possédait des connaissances sur le clan Tunni. L’APR a affirmé : « Je n’ai aucune raison de douter de l’identité personnelle, ethnique, tribale, religieuse ou nationale du demandeur d’asile. » Enfin, selon le rapport, la preuve documentaire laisse supposer que le clan Tunni est un clan minoritaire vulnérable en Somalie, que le demandeur serait en danger s’il devait y retourner et que, à ce constat « s’ajoute le fait que le demandeur d’asile a tenté de récupérer les terres de sa famille en en chassant le milicien qui les occupait, ce qui est à l’origine des menaces de mort que le demandeur d’asile a reçues; menaces qui ont été personnellement adressées au demandeur d’asile et qui s’ajoutent au simple fait qu’il appartient au clan Tunni ».

[6]               En 2005, la Commission a accepté la demande du demandeur indiquant qu’« [un] APR perspicace a jugé crédible le demandeur d’asile. La preuve du demandeur d’asile est corroborée par un témoin. Il fait en outre partie d’un clan minoritaire qui est exposé à un certain danger ».

[7]               En se fondant sur les nouveaux renseignements révélés par l’analyse des empreintes digitales, le ministre a demandé l’annulation du statut de réfugié du demandeur. Les nouveaux renseignements indiquaient que le demandeur était entré aux États‑Unis (les É.‑U.) en 1996 et qu’il y avait résidé jusqu’en 2004 et, par conséquent, qu’il n’était pas en Somalie au moment de la menace proférée contre lui et sa terre; le demandeur était connu sous plusieurs noms aux États‑Unis; et, il possédait un lourd casier judiciaire dans ce pays.

La décision de 2014 de la Commission

[8]               La Commission a conclu que la décision favorable rendue à l’égard du demandeur résultait de présentations erronées sur un fait important quant à un objet pertinent, ou de réticence sur ce fait, et que les autres éléments de preuve pris en compte par la SPR en 2005 n’étaient pas suffisants pour justifier la décision de lui reconnaître le statut de réfugié.

[9]               La Commission a indiqué que le demandeur a admis avoir fait des présentations erronées mais qu’il a ajouté que celles‑ci n’étaient pas importantes et que le témoignage du témoin pouvant attester son identité était suffisant pour justifier de lui accorder l’asile du fait de sa nationalité et de son origine ethnique, qui sont des faits qui ne sont pas altérés par les présentations erronées.

[10]           La Commission était en désaccord et a conclu que les présentations erronées du demandeur à propos des endroits où il se trouvait de juillet 1996 à 2004 se rapportaient bel et bien à un fait important et pertinent. Selon la Commission, la décision du commissaire rendue en 2005 n’indiquait pas que les allégations de persécution antérieure en Somalie n’étaient pas pertinentes et ces allégations auraient dû être vues comme des éléments pertinents pour la prise d’une décision favorable.

[11]           La Commission a conclu que la demande d’asile a été accueillie en 2005 parce que le commissaire avait établi que le demandeur était un témoin crédible en ce qui a trait à l’ensemble des faits allégués, y compris sa présumée persécution et son appartenance au clan Tunni. Si la Commission avait su que le demandeur ne se trouvait même pas en Somalie en 2001, elle aurait jugé le demandeur non crédible.

[12]           La Commission a également conclu que le témoignage du témoin pouvant attester l’identité du demandeur pouvait prouver que celui‑ci était Somalien mais pas qu’il était membre du clan Tunni, affirmant :

[Il] n’est aucunement fait mention, dans le rapport sur le processus accéléré dont je dispose, des éléments de preuve qu’aurait fourni AH [le témoin pouvant attester l’identité] lors de l’entrevue tenue dans le cadre du processus accéléré pour vérifier qu’AH a bel et bien parlé de l’origine ethnique de l’intimé [le demandeur en l’espèce] dans son témoignage à la SPR. Il est seulement écrit dans le rapport sur le processus accéléré qu’AH a déclaré qu’il connaissait le père de l’intimé et que le témoignage d’AH concordait avec des renseignements fournis par l’intimé.

[13]           La Commission n’a accordé aucun poids au témoignage du demandeur lui‑même présenté à l’audience de 2014 où il a affirmé que le témoin pouvant attester son identité avait déclaré lors de l’audience accélérée en 2005 qu’il appartenait au clan Tunni.

[14]           La Commission a conclu que le demandeur n’était pas un témoin crédible en ce qui a trait à son origine ethnique, précisant qu’il n’a pas fait mention de son appartenance au clan Tunni dans sa demande d’asile aux États‑Unis ni n’a informé les autorités de l’immigration américaines de ce fait, malgré l’allégation formulée dans sa demande d’asile présentée au Canada selon laquelle son origine ethnique était l’un des principaux fondements de sa crainte à l’égard de la Somalie.

La norme de contrôle

[15]           Les questions en litige dans la présente affaire sont des questions mixtes de fait et de droit. La norme de la décision raisonnable s’applique; la question est de savoir si la décision de la Commission appartient aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, paragraphe 47). Il peut exister plus d’une issue raisonnable. Néanmoins, si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable » (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59, [2009] 1 RCS 339).

[16]           Dans Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, aux paragraphes 14‑16, [2011] 3 RCS 708, la Cour suprême du Canada a donné des précisions sur les exigences énoncées dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, précisant que les motifs doivent être « examinés en corrélation avec le résultat et ils doivent permettre de savoir si ce dernier fait partie des issues possibles » et que les tribunaux peuvent « examiner le dossier pour apprécier le caractère raisonnable du résultat ».

[17]           Il est bien établi que les commissions et les tribunaux administratifs occupent une position idéale pour évaluer la crédibilité des demandeurs d’asile (Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF No 732, paragraphe 4, 160 NR 315 (CAF)) et, compte tenu de son rôle d’arbitre des faits, il convient de faire preuve de retenue à l’égard des conclusions de la Commission en matière de crédibilité (Lin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1052, paragraphe 13, [2008] ACF No 1329; Fatih c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 857, paragraphe 65, 415 FTR 82).

La disposition législative pertinente

L’article 109 de la Loi dispose :

109. (1) La Section de la protection des réfugiés peut, sur demande du ministre, annuler la décision ayant accueilli la demande d’asile résultant, directement ou indirectement, de présentations erronées sur un fait important quant à un objet pertinent, ou de réticence sur ce fait.

 

109. (1) The Refugee Protection Division may, on application by the Minister, vacate a decision to allow a claim for refugee protection, if it finds that the decision was obtained as a result of directly or indirectly misrepresenting or withholding material facts relating to a relevant matter

(2) Elle peut rejeter la demande si elle estime qu’il reste suffisamment d’éléments de preuve, parmi ceux pris en compte lors de la décision initiale, pour justifier l’asile.

 

(2) The Refugee Protection Division may reject the application if it is satisfied that other sufficient evidence was considered at the time of the first determination to justify refugee protection.

(3) La décision portant annulation est assimilée au rejet de la demande d’asile, la décision initiale étant dès lors nulle.

 

(3) If the application is allowed, the claim of the person is deemed to be rejected and the decision that led to the conferral of refugee protection is nullified.

Les questions en litige

[18]           La présente demande de contrôle judiciaire soulève deux questions connexes :

         La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant que la décision de 2005 accordant l’asile au demandeur découlait de présentations erronées sur un fait important quant à un objet pertinent?

         La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant qu’il ne restait pas suffisamment d’éléments de preuve pour justifier l’asile au titre du paragraphe 109(2) malgré les présentations erronées?

La position du demandeur

[19]           Le demandeur prétend que ses présentations erronées ne sont pas importantes ni pertinentes parce qu’il appartient au clan Tunni en Somalie et, pour ce seul motif, son statut de réfugié pouvait ou devait lui être accordé en 2005. Le demandeur soutient qu’un témoin pouvant attester son identité a confirmé qu’il est de la Somalie et appartient au clan Tunni. Par conséquent, le fait qu’il ne se trouvait pas en Somalie au moment des faits allégués, c.‑à‑d., les menaces du milicien qui occupait la ferme familiale, est sans conséquence.

[20]           Le demandeur allègue que la Commission a commis une erreur en se livrant à une conjecture sur la conclusion que la Commission précédente aurait tirée en 2005 s’il n’y avait pas eu de présentations erronées. En 2014, la Commission était tenue d’examiner les éléments de preuve qui étaient disponibles en 2005 et ensuite de déterminer si ceux‑ci étaient suffisants pour justifier d’accorder l’asile. Le demandeur soutient que ce n’est pas ce qu’a fait la Commission et que la preuve disponible en 2005 aurait justifié l’octroi de l’asile.

[21]           Le demandeur fait valoir qu’il était déraisonnable en 2014 que la Commission fasse des suppositions sur ce que la Commission, en 2005, aurait considéré comme pertinent selon le rapport de l’APR et qu’elle s’appuie sur le fait qu’en 2005 la Commission n’a pas indiqué que l’allégation de persécution n’était pas pertinente. Le demandeur soutient que la preuve documentaire devrait être prise en compte pour ce qu’elle dit et non pour ce qu’elle ne dit pas (Bagri c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] ACF No 784, 168 FTR 283; Mahmud c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] ACF No 729, 167 FTR 309; et, Njeru c Canada, 2009 CF 1281, [2009] ACF No 1641).

[22]           Le demandeur soutient que, même s’il a passé des années aux États‑Unis, y compris la période pendant laquelle la persécution alléguée aurait eu lieu en Somalie, et qu’il possédait un casier judiciaire aux États‑Unis, cette situation n’emportait pas nécessairement interdiction de territoire au Canada. Sa demande d’asile fondée sur la persécution subie par le clan Tunni en Somalie aurait quand même été examinée, mais non de manière accélérée.

[23]           Le demandeur soutient également que la Commission a commis une erreur en jugeant de sa crédibilité en fonction de ses présentations erronées antérieures. Il a admis avoir fait des présentations erronées dans le passé, mais cela n’aurait pas dû compromettre le témoignage qu’il a rendu à l’audience en 2014.  En outre, même lorsqu’un demandeur n’est pas crédible, la Commission doit tenir compte de la preuve documentaire, (Baranyi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 664, [2001] ACF No 987 (Baranyi); Voytik c MCI, 2004 CF 66, [2004] ACF No 50).

[24]           Le demandeur soutient que la preuve documentaire objective établit qu’il est une personne à protéger au sens des articles 96 et 97, même s’il n’est pas crédible. L’examen applicable en matière de protection selon l’article 97 est objectif; il repose sur le profil du demandeur et la preuve documentaire dont dispose la Commission (Maimba c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 226, [2008] ACF No 296 (Maimba); Fixgera Lappen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 434, [2008] ACF No 566 (Lappen); Rathinasigngam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 988, [2006] ACF No 1247; et, Kule c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 770, [2006] ACF No 996). Le demandeur réitère qu’il appartient au clan Tunni de la Somalie et que la situation du pays en 2005 aurait mené à la conclusion qu’il avait qualité de personne à protéger.

[25]           Le demandeur affirme que son témoignage faisait mention de ce que le témoin pouvant attester son identité avait dit en 2005 et que cela aurait dû être pris en compte en même temps que le rapport de l’APR qui indiquait que le témoin en question avait confirmé qu’il est originaire de la Somalie et appartient au clan Tunni.

La position du défendeur

[26]           Le défendeur fait valoir que la Commission a examiné avec soin la preuve dont elle disposait, y compris le rapport de l’APR en 2005 qui indiquait que les menaces du milicien faisaient partie intégrante de la demande d’asile du demandeur, laquelle ne reposait pas seulement sur son origine nationale ou ethnique.

[27]           Le formulaire de renseignements personnels du demandeur (le FRP), déposé en 2004, qui fait état de sa demande d’asile et des motifs à l’appui, fait partie du dossier et démontre que le demandeur n’a jamais révélé qu’il avait déjà été aux États‑Unis. Le FRP expose les faits de sa demande d’asile selon lesquels il a quitté la Somalie en 1991 et y est ensuite retourné en 2001, mais qu’il s’est enfui en raison de l’occupation de la ferme familiale et de menaces de mort proférées à son endroit par le milicien en 2003 et 2004.

[28]           Le défendeur souligne qu’en raison de ces renseignements mensongers personne ne sait quand le demandeur a en fait quitté la Somalie. Cependant, il est clair qu’il ne se trouvait pas en Somalie au moment de la menace alléguée.

[29]           Le défendeur est d’avis que la Commission a eu raison de conclure que le demandeur a fait des présentations erronées sur un fait important ou une réticence sur ce fait lorsqu’il a déposé sa demande d’asile. La Commission a tiré une inférence de fait raisonnable. Le demandeur conteste uniquement la façon dont la Commission a soupesé la preuve.

[30]           Le défendeur soutient que la décision de 2005 révèle que le demandeur avait été jugé comme crédible par l’APR. Il était raisonnable que la Commission conclue que la décision de 2005 faisait référence à la vraisemblance de tous les faits allégués par le demandeur, y compris l’allégation de persécution et les menaces de mort.

[31]           La Commission n’a pas fait de supposition, mais a plutôt tiré les conclusions appropriées quant à la question de savoir si la demande d’asile aurait été accueillie en l’absence de présentations erronées. Le défendeur signale que ce qui est désormais connu est que le demandeur a quitté la Somalie à un moment quelconque avant 1996, sans que l’on sache combien de temps avant précisément, et qu’il a vécu aux États‑Unis pendant au moins huit ans avant d’arriver au Canada. Le demandeur ne se trouvait pas en Somalie au moment de la persécution alléguée qui l’a amené à fuir. Le défendeur fait valoir qu’appartenir au clan Tunni, même si ce fait était établi, et être Somalien ne suffissent pas en soi pour justifier l’asile.

[32]           La Commission a également souligné que le témoin pouvant attester l’identité du demandeur en 2005 n’avait pas confirmé que celui‑ci appartenait au clan Tunni. Le témoin en question a seulement affirmé qu’il connaissait le père du demandeur en Somalie. Le rapport de 2005 indique seulement que le demandeur possédait des connaissances sur le clan Tunni.

[33]           En outre, les conclusions négatives tirées par la Commission au sujet de l’origine ethnique du demandeur reposaient de manière raisonnable sur la divergence entre sa demande d’asile présentée au Canada et celle présentée aux États‑Unis.

[34]           Le défendeur soutient qu’il faut plus qu’une preuve de la situation dans le pays pour établir la persécution (Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile) c Gunasingam, 2008 CF 181, [2008] ACF No 234 (Gunasingam); Coomaraswamy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 153, [2002] 4 CF 501; Ray c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF No 849, 191 FTR 316; et, Arumugam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1449, [2005] ACF No 1773). Dans la présente affaire, aucune preuve ne permet d’établir un lien entre le demandeur et la persécution possible en Somalie en 2005.

[35]           Le défendeur ajoute que Maimba et Lappen sont à distinguer parce que, dans ces affaires, l’identité du demandeur n’était pas contestée. En l’espèce, la Commission n’a pas reconnu que le demandeur était un membre du clan Tunni, ce qui était un élément fondamental de sa demande d’asile.

La Commission a eu raison de conclure que la décision de 2005 accordant l’asile au demandeur découlait de présentations erronées sur un fait important quant à un objet pertinent

[36]           La façon de traiter une demande visant à faire annuler une décision ayant accordé le statut de réfugié comporte deux étapes : premièrement, la Commission doit conclure que la décision ayant accordé l’asile résultait de présentations erronées directes ou indirectes sur un fait important quant à un objet pertinent, ou d’une réticence sur ce fait; deuxièmement, la Commission doit examiner s’il reste suffisamment d’éléments de preuve, parmi ceux pris en compte lors de l’examen favorable à la demande d’asile, pour justifier l’asile et, dans l’affirmative, si la Commission peut rejeter la demande d’annulation (c.‑à‑d. confirmer le statut de réfugié), malgré les présentations erronées.

[37]           Dans la présente affaire, le demandeur a admis avoir fait des présentations erronées sur des faits et n’a pas déclaré qu’il se trouvait aux États‑Unis de 1996 à 2004. Cependant, il soutient que ses présentations erronées ne sont pas importantes ni pertinentes puisque le fondement de sa demande d’asile repose sur le fait qu’il est Somalien et d’origine ethnique Tunni et que ces faits demeurent inchangés et constituent des éléments de preuve suffisants pour justifier l’asile.

[38]           Je ne souscris pas à l’argument du demandeur selon lequel ses présentations erronées concernant les huit années passées aux États‑Unis, ses pseudonymes ou son casier judiciaire ne sont pas des faits importants quant à un objet pertinent et que tout ce qui est pertinent est qu’il appartient au clan Tunni originaire de la Somalie. La demande d’asile du demandeur était fondée sur des allégations que l’on sait désormais erronées. Il n’est pas possible de reconstituer un récit crédible étant donné que le demandeur ne se trouvait pas en Somalie au moment des menaces de mort alléguées relativement à l’occupation de sa terre, une allégation qui faisait clairement partie de sa demande d’asile.

[39]           La Commission n’a pas fait de supposition sur ce qui aurait pu être décidé en 2005. Elle a examiné la preuve disponible en 2005 et a raisonnablement conclu que le demandeur avait établi qu’il était originaire de la Somalie, ce qui avait été corroboré par le témoin pouvant attester son identité. Cependant, le rapport de 2005 ne précise pas si c’est le même témoin qui a confirmé que le demandeur appartenait au clan Tunni. De plus, dans le témoignage du demandeur lui‑même, donné à l’audience de 2014, rien n’indique que le témoin pouvant attester son identité ait affirmé qu’il appartient au clan Tunni; le témoignage du demandeur était vague et évasif. En outre, le demandeur n’a pas répondu aux questions au sujet de ses connaissances actuelles sur le clan Tunni.

[40]           La Commission a tiré des conclusions raisonnables quant à la décision qui aurait probablement été rendue en 2005 si les faits avaient été connus, conformément aux principes applicables au droit d’asile. Comme l’a souligné le défendeur, la nationalité du demandeur et son appartenance au clan Tunni, si ces faits sont véridiques, sont insuffisantes pour justifier l’asile.

[41]           Même le rapport de l’APR sur lequel s’est appuyé la Commission en 2005 établissait un lien entre la demande d’asile du demandeur et la menace précise qu’il alléguait, soulignant qu’au danger auquel s’expose le demandeur en cas de retour « s’ajoute le fait que le demandeur d’asile a tenté de récupérer les terres de sa famille en en chassant le milicien qui les occupait, ce qui est à l’origine des menaces de mort que le demandeur d’asile a reçues; menaces qui ont été personnellement adressées au demandeur d’asile et qui s’ajoutent au simple fait qu’il appartient au clan Tunni ».

[42]           Comme l’a fait observer le juge Harrington dans Gunasingam, au paragraphe 18 :

Tant aux termes du paragraphe 109(1) que du paragraphe 109(2), la commissaire a eu tort de conclure que la situation du pays, à elle seule, justifiait que l’on fasse droit à la demande d’asile du demandeur. La demande doit être personnalisée (Taj c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 707, [2004] A.C.F. no 880, Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Fouodji, 2005 CF 1327, [2005] A.C.F. no 1614, et l’arrêt Coomaraswamy, précité.

[43]           L’aspect personnel de la demande d’asile du demandeur était qu’il avait été persécuté, en particulier l’allégation de menaces de mort proférées contre lui par des miliciens qui occupaient sa terre. Étant donné qu’il ne se trouvait même pas en Somalie au moment de ces menaces alléguées, l’aspect personnel disparaissait complètement. Ces présentations erronées étaient clairement un fait important quant à un objet pertinent.

La Commission a eu raison de conclure qu’il ne restait pas suffisamment d’éléments de preuve pour justifier l’asile au titre du paragraphe 109(2) malgré les présentations erronées

[44]           Le paragraphe 109(2) permet à la Commission de rejeter une demande d’annulation si elle estime qu’il reste suffisamment d’éléments de preuve pour justifier la décision initiale relative à l’asile. La Commission a le pouvoir discrétionnaire; elle n’est pas tenue de rejeter la demande d’annulation même si elle estime qu’il reste suffisamment d’éléments de preuve pour justifier l’asile. Cependant, en l’espèce, la Commission n’était pas convaincue qu’il restait suffisamment d’éléments de preuve.

[45]           La preuve disponible en 2005 se limitait au rapport de l’APR et à la brève décision de la Commission d’approuver ce rapport. Le témoignage du demandeur en 2014 au sujet de son entrevue de 2005 et le témoignage du témoin pouvant attester son identité étaient évasifs, et il était raisonnable de les juger non crédibles.

[46]           La Commission a accepté l’explication du demandeur selon laquelle il n’avait pas révélé son origine ethnique Tunni dans sa demande d’asile aux États‑Unis parce qu’il ne comprenait pas la procédure américaine, mais a jugé cette explication déraisonnable. La conclusion de la Commission voulant que le témoignage du demandeur concernant son origine ethnique n’était pas crédible était raisonnablement fondée sur les contradictions entre sa demande d’asile au Canada et sa demande d’asile aux États‑Unis.

[47]           En outre, suivant les questions posées au demandeur par la Commission, à l’audience en 2014, au sujet du témoignage rendu en 2005, celui‑ci a répondu de manière évasive à la question de savoir si le témoin pouvant attester son identité avait confirmé son appartenance au clan Tunni ou comment ce témoin aurait pu être en mesure de le savoir. Le demandeur a également répondu de façon évasive à la question de savoir s’il avait été interrogé sur ses connaissances concernant le clan Tunni.

[48]           L’argument du demandeur selon lequel il est Somalien et membre du clan Tunni et que cela est suffisant pour étayer sa demande d’asile puisque la preuve de la situation dans son pays aurait corroboré le risque encouru, ne peut être retenu, comme il a déjà été mentionné (Gunasingam, paragraphe 18).

[49]           Dans Gabor c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1162, au paragraphe 14, [2010] ACF No 1446, le juge Zinn a rejeté un argument similaire. Dans cette affaire, le demandeur qui était d’origine ethnique rome a affirmé qu’une fois que la Commission a accepté son origine ethnique rome, elle a l’obligation de dresser un portrait objectif des conditions de vie dans le pays en cause malgré une conclusion de crédibilité négative. Le juge Zinn a déclaré au paragraphe 15 :

La requête du demandeur doit être rejetée à la lumière de la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Sellan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 381, dans laquelle, en réponse à une question certifiée, la Cour a déclaré :

Lorsque la Commission tire une conclusion générale selon laquelle le demandeur manque de crédibilité, cette conclusion suffit pour rejeter la demande, à moins que le dossier ne comporte une preuve documentaire indépendante et crédible permettant d’étayer une décision favorable au demandeur. C’est au demandeur qu’il incombe de démontrer que cette preuve existe.

[50]           Le demandeur s’est également appuyé sur Baranyi pour affirmer que, même lorsqu’un demandeur n’est pas crédible, la Commission doit prendre en considération la preuve documentaire. Cependant, comme l’a fait remarquer le juge O’Keefe dans Baranyi, au paragraphe 14, citant Seevaratnam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] ACF No 694, 167 FTR 130 :

[L]orsque la seule preuve qui relie le demandeur à la persécution émane de son témoignage, le fait de rejeter ce témoignage signifie que le lien avec la persécution n’existe plus. Il devient donc impossible d’établir un lien entre la revendication de la personne et la preuve documentaire.

[51]           Dans la présente affaire, la Commission a conclu de manière raisonnable que le demandeur manquait de crédibilité quant à son origine ethnique. Étant donné que son allégation de persécution a été considérée comme une présentation erronée, il n’existait aucun lien entre sa revendication et la preuve documentaire, et il n’y avait simplement aucun autre élément de preuve crédible au dossier pour appuyer sa demande d’asile.

[52]           Comme l’a mentionné le juge Harrington à la fin de sa décision dans Gunasingam au paragraphe 24 : « Il est tout simplement faux de penser qu’on peut être admis au Canada au moyen d’un mensonge. »


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.                  Aucune question n’a été proposée aux fins de certification.

« Catherine M. Kane »

Juge

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif, LL.B., B.A., Trad.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑2811‑14

 

INTITULÉ :

DEEQ MUNYE ABDI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 11 MAI 2015

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LA JUGE KANE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 19 MAI 2015

 

COMPARUTIONS :

Alal Kikinova

 

POUR LE DEMANDEUR

 

A. Leena Jaakkimainen

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Michael Loebach Law Office

Avocat

London (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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