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Date : 20150227


Dossier : IMM-6560-13

Référence : 2015 CF 250

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE, NON RÉVISÉE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 27 février 2015

En présence de monsieur le juge Zinn

ENTRE :

CARLOS RAMIREZ RODAS

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET
DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Il s’agit d’une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] qui a refusé à M. Ramirez Rodas la qualité de réfugié au sens de la Convention et la qualité de personne à protéger. Sa demande de protection était jointe à celle de son épouse, Marion Restrepo Mejia. Les deux demandes d’asile ont été rejetées pour des raisons de crédibilité. La demande d’asile de Mme Restrepo Mejia a aussi été rejetée au motif qu’elle disposait d’une possibilité de refuge intérieur au Venezuela. La Cour n’a accordé l’autorisation qu’à M. Ramirez Rodas et a rejeté la demande d’autorisation de son épouse.

Le contexte

[2]               M. Ramirez Rodas est Colombien, et son épouse est à la fois Colombienne et Vénézuélienne. Mme Restrepo Mejia travaillait pour une compagnie aérienne en Colombie et avait accès aux avions de son employeur.

[3]               Les demandeurs affirment avoir, en novembre 2012, fait la connaissance d’un autre couple, Alberto et Adriana. Alberto les a invités à sa ferme le 26 janvier 2013 pour une petite réunion. À leur arrivée, ils étaient les seuls invités. Alberto a reçu un appel téléphonique, puis a invité les demandeurs à faire le tour des lieux. Alors qu’ils étaient dans les écuries, un homme est entré muni d’une mallette. Il s’est présenté en tant que membres des Forces armées révolutionnaires de Colombie – Armée populaire [les FARC] et leur a dit qu’il leur fallait aider les FARC [traduction] « à exécuter un plan destiné à faire pression sur le gouvernement ». L’homme a ouvert sa mallette, et ils ont constaté qu’elle contenait une arme et de l’argent, qui, a‑t-il dit, était la contrepartie d’une participation de Mme Restrepo Mejia. Il voulait que celle-ci apporte des explosifs à l’aéroport et les introduise dans l’un des avions de son employeur. Elle les remettrait alors à deux membres des FARC prétendant être des passagers.

[4]               Les demandeurs ont refusé de collaborer. Devant leur refus d’accepter l’argent, l’homme les a menacés avec son fusil et les a avertis qu’ils n’avaient pas le choix, qu’ils prennent l’argent ou non. Il leur a dit que tout serait prêt dans un mois. Mme Restrepo Mejia a demandé davantage de temps pour mettre au point un moyen de collaborer avec eux. L’homme a refusé et lui a dit que, s’ils ne collaboraient pas, ils mourraient. Elle a insisté pour qu’il leur donne un délai supplémentaire étant donné que de nouvelles mesures de sécurité étaient sur le point d’être appliquées.

[5]               L’homme leur a dit qu’il communiquerait avec eux à nouveau dans un mois et les a avertis de ne pas alerter les autorités. Il leur a montré des photos de gens torturés et leur a dit [traduction] « voilà ce qui est arrivé à d’autres qui ont été trop bavards ».

[6]               Le 7 février 2013, Mme Restrepo Mejia s’est rendue au bureau antistupéfiants de la police de l’aéroport pour vérifier et mettre à jour un manuel. Cela faisait partie de son travail ordinaire. Une fois partie, elle a été approchée par Alberto sur le terrain de stationnement du bureau. Il lui a demandé ce qu’elle faisait avec la police, lui a dit qu’elle et son mari étaient étroitement surveillés, puis l’a menacée. Pendant ce temps, M. Ramirez Rodas a été tabassé et introduit de force dans un véhicule par trois individus alors qu’il quittait la banque. Ils lui ont dit qu’il allait être tué à cause des faits et gestes de son épouse. Les agresseurs l’ont forcé à appeler son épouse, qui lui a raconté ce qui était arrivé à l’aéroport. Entendant [traduction] « ce qui était réellement arrivé », les hommes ont relâché M. Ramirez Rodas, mais non sans lui conseiller à nouveau de ne pas aller trouver les autorités. C’est alors que les demandeurs ont décidé de chercher asile au Canada et ils ont démissionné le lendemain.

[7]               Les demandeurs ont cessé de travailler le 15 février 2013 et, peu après, Alberto s’est rendu chez eux, exigeant de savoir s’ils avaient quitté leurs postes étant donné qu’on ne les voyait plus. Il a menacé avec une arme Mme Restrepo Mejia, lui disant de conseiller à son époux de se souvenir de ce qui était arrivé à son père. Celui-ci avait été assassiné par les FARC. Ils ont quitté leur domicile le lendemain matin pour se réfugier chez un parent tout en songeant au meilleur moyen de quitter le pays.

[8]               Ils ont fui la Colombie le 6 mars 2013, se rendant d’abord aux États-Unis grâce à des visas de visiteurs obtenus en septembre ou octobre 2012. Ils sont restés aux États-Unis pendant environ trois mois avant d’arriver au Canada. Ils ont présenté une demande d'asile au Canada le 12 juin 2013, en affirmant craindre d’être persécutés par les FARC en Colombie et au Venezuela.

[9]               Les demandeurs affirment ne pas avoir cherché à obtenir de l’État une protection parce qu’ils craignaient des représailles et qu’ils ne croyaient pas que la protection serait suffisante. Ils ne croyaient pas qu’il était sécuritaire pour eux de se rendre ailleurs en Colombie parce que les FARC y sont présents partout. M. Ramirez Rodas affirme que son père et son frère ont tous deux été assassinés par les FARC et que l’un de ses cousins n’a plus été revu depuis quelques années.

[10]           En appréciant la crédibilité des demandeurs, la Commission a relevé que M. Ramirez Rodas avait déclaré à l’audience que sa famille avait eu des démêlés avec les FARC : son père et son oncle avaient été menacés et assassinés par les FARC pour avoir refusé de se plier à des demandes d’extorsion, son frère avait été tué en 1994, et son cousin avait disparu et les FARC avaient exigé de l’argent pour le relâcher. La commissaire n’a pas accepté son explication selon laquelle, si tout cela ne figurait pas dans l’exposé circonstancié du formulaire Fondement de la demande d'asile [le formulaire FDA], c’était parce qu’il croyait qu’il devait s’en tenir à son propre cas. La commissaire a fait observer que, dans l’exposé circonstancié de son formulaire FDA, M. Ramirez Rodas parlait de ses [traduction] « êtres chers », assassinés par les FARC, mais l’exposé circonstancié ne donnait aucun détail sur leurs noms, leurs liens de parenté avec lui ou les circonstances de leurs assassinats. En outre, l’exposé ne parlait nullement de son cousin. La commissaire a estimé que les omissions avaient leur importance « puisqu’elles se rapportent à des menaces et à des actes de persécution passés très graves et continus de la part des FARC envers [la] famille [de M. Ramirez Rodas] ». Elle n’a pas accepté les certificats de décès du frère et du père de M. Ramirez Rodas, ni un affidavit de sa mère, ni un article de presse comme preuves crédibles et dignes de foi montrant que les assassinats en question étaient imputables aux FARC. Elle a refusé d’ajouter foi aux allégations de M. Ramirez Rodas, estimant qu’elles ne visaient qu’à embellir sa demande d'asile.

[11]           Deuxièmement, la commissaire a refusé d’ajouter foi aux allégations de Mme Restrepo Mejia parce qu’elle n’avait pas fait état, dans l’exposé circonstancié de son formulaire FDA, de plusieurs incidents qui témoignaient de l’attitude peu éthique de la police. Elle a estimé que ces incidents avaient leur importance car ils avaient influé sur la décision des demandeurs de ne pas chercher à obtenir de l’État une protection.

[12]           La commissaire a également trouvé peu vraisemblables certains aspects du récit de Mme Restrepo Mejia, en particulier le fait qu’elle pouvait en toute liberté accéder aux avions sans être fouillée à un point de contrôle de sécurité, et le fait que la compagnie aérienne et les pilotes « ne dispos[aient] pas d’un système plus sophistiqué pour recevoir des renseignements urgents et pertinents concernant les itinéraires de vol et les cartes de navigation » au lieu de devoir attendre qu’elle leur remette des manuels imprimés. La commissaire a conclu que toutes ces choses « débord[aient] le cadre de ce à quoi il est possible de s’attendre, tout particulièrement à cette époque de sensibilisation accrue à la sécurité du transport aérien ». Elle a aussi jugé peu vraisemblable que Mme Restrepo Mejia ait pu, le 7 février 2013, être vue se rendant au bureau antistupéfiants, puisque ce bureau « [est] situé à l’intérieur même de l’aéroport et elle ne sait pas si le public y a accès ».

[13]           La commissaire a tiré une conclusion défavorable de la lenteur des demandeurs à quitter la Colombie alors qu’ils étaient en possession de visas de visiteurs pour les États-Unis :

Le tribunal estime que les actions des demandeurs d’asile ne correspondent pas à celles d’une personne ayant véritablement une crainte subjective de persécution. Les demandeurs d’asile ont plutôt pris le temps de donner un préavis et de démissionner, d’organiser leurs affaires personnelles et de se préparer pour leur voyage aux États‑Unis.

[14]           Finalement, la commissaire a tiré une conclusion défavorable à l’encontre de Mme Restrepo Mejia parce qu’elle n’avait révélé sa nationalité vénézuélienne qu’après que le défendeur eut déposé un avis de son intention d’intervenir.

[15]           Pour tous ces motifs, la commissaire a conclu, selon la prépondérance de la preuve, que les principales allégations des demandeurs n’étaient pas crédibles.

Les questions en litige

[16]           M. Ramirez Rodas a soulevé trois points :

1.                  La SPR a-t-elle commis une erreur dans son évaluation de la crédibilité?

2.                  La SPR a-t-elle commis une erreur dans son évaluation de la crainte subjective?

3.                  La SPR a-t-elle commis une erreur en faisant l’impasse sur une preuve documentaire pertinente?

Analyse

A.         Crédibilité

(1)        Omission des antécédents familiaux de M. Ramirez Rodas

[17]           Selon M. Ramirez Rodas, la commissaire a commis une erreur en concluant que l’exposé circonstancié de son formulaire FDA ne faisait pas explicitement référence aux antécédents de membres de sa famille avec les FARC, étant donné que les détails mêmes qu’elle relève figuraient en réalité dans le formulaire FDA. Il soutient aussi que ces détails n’intéressaient pas directement sa demande d'asile parce que les événements en cause n’étaient pas ce qui l’avait conduit à demander l’asile, de sorte que ces détails n’avaient pas leur place dans le formulaire FDA (voir par exemple la décision Akhigbe c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 249, au paragraphe 16, 112 ACWS (3d) 930 (CF); Khalifa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 369, au paragraphe 18, 129 ACWS (3d) 978; Naqui c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 282, aux paragraphes 22 à 24, 270 FTR 177; et Feradov c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2007 CF 101, aux paragraphes 18 et 19, 154 ACWS (3d) 1183 [Feradov]).

[18]           Selon le défendeur, les détails omis avaient leur importance parce qu’ils ont servi à renforcer la crainte des demandeurs pour leurs vies, et il affirme que la preuve ne montre pas que les décès étaient imputables aux FARC. Le défendeur soutient par conséquent que la conclusion de la commissaire selon laquelle ces affirmations ont été faites pour embellir leurs demandes d'asile est justifiée.

[19]           Il est clair que la commissaire a rapporté incorrectement la preuve – M. Ramirez Rodas a explicitement écrit dans l’exposé circonstancié de son formulaire FDA que son père et son frère avaient été assassinés par les FARC et que son cousin avait disparu. La commissaire l’avait reconnu à l’audience quand M. Ramirez Rodas a été questionné. Sur ce fondement, la conclusion de la commissaire sur la crédibilité de M. Ramirez Rodas à propos de ses antécédents familiaux est déraisonnable, et c’est une conclusion qu’elle a tirée sans tenir compte des documents qui avaient été soumis à la SPR.

[20]           M. Ramirez Rodas avait d’ailleurs témoigné que les membres de sa famille avaient été victimes d’extorsion en raison de leur statut de propriétaires fonciers et que, s’ils étaient morts, c’est parce qu’ils avaient refusé de se soumettre aux exigences des FARC. Cela donne à penser que ces événements ne sont pas rattachés aux événements de 2013 à l’origine de la demande d'asile, qui sont liés à l’emploi de son épouse. Les événements survenus dans sa famille ne constituent pas « des faits importants ou des faits clés relatifs à la persécution », dont l’omission pourrait validement susciter un doute. Comme dans Feradov, l’exposé circonstancié du formulaire FDA « n’était évidemment pas censé servir de récitation encyclopédique de la preuve » et « il a été écrit comme résumé très général des principaux aspects de la demande ». Dans ce précédent, le juge Barnes concluait que la SPR n’aurait pas dû s’inquiéter de l’absence de détails sans importance.

[21]           La commissaire a rejeté la preuve documentaire concernant les décès du frère et du père de M. Ramirez Rodas, estimant qu’elle n’avait aucune valeur probante susceptible de la persuader que les décès en question étaient imputables aux FARC. Elle n’explique pas les raisons pour lesquelles elle a rejeté cette preuve. Toutefois, ces documents étaient essentiels pour la preuve de M. Ramirez Rodas concernant ses antécédents familiaux. Il avait témoigné que les enquêtes policières sur les décès n’avaient rien donné et qu’il valait mieux pour eux, sous peine de possibles représailles, ne pas dire à la police que les FARC y étaient mêlées. Si ce témoignage sous serment est tenu pour véridique, il est difficile de comprendre quelle preuve plus crédible les demandeurs auraient pu obtenir.

[22]           C’était là la principale conclusion de non-crédibilité tirée par la commissaire à l’encontre de M. Ramirez Rodas, et il est donc raisonnable de penser qu’elle a dû être un facteur clé dans l’évaluation de sa crédibilité. Toutefois, puisque cette conclusion a été prise en compte en même temps que les conclusions tirées par la commissaire à l’encontre de son épouse, il n’est pas possible de connaître l’incidence qu’elle a eue dans l’analyse faite par la commissaire et dans sa conclusion ultime de non-crédibilité : Huerta c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2008 CF 586, 167 ACWS (3d) 968. Cela suffit à rendre la décision déraisonnable, aux termes de l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, et cela justifie le renvoi du dossier pour nouvelle décision.

(2)        Les conclusions d’invraisemblance

[23]           Les conclusions d’invraisemblance auxquelles est arrivée la commissaire n’ont conduit à des présomptions défavorables qu’à l’encontre de Mme Restrepo Mejia. Néanmoins, elles intéressent quand même la présente demande de contrôle judiciaire parce qu’elles sont rattachées au contexte factuel de la prétendue crainte de M. Ramirez Rodas d’être persécuté.

[24]           M. Ramirez Rodas soutient que la conclusion de la commissaire portant sur l’accès de Mme Restrepo Mejia aux avions est déraisonnable parce qu’elle repose sur des conjectures. Il affirme que la commissaire n’a laissé voir aucune preuve ni aucune connaissance spécialisée pour ce qui concerne les compagnies aériennes colombiennes en général, ou pour ce qui concerne les nouvelles compagnies aériennes à bas coûts comme celle pour laquelle travaillait Mme Restrepo Mejia.

[25]           Le défendeur rétorque que la conclusion de la commissaire est raisonnable parce que la commissaire était fondée à s’en rapporter au bon sens et à la raison dans son appréciation de la preuve, et parce qu’il est de notoriété publique que les acteurs du transport aérien sont sensibilisés à la nécessité d’une sécurité accrue.

[26]           L’appréciation de la crédibilité entre parfaitement dans le pouvoir discrétionnaire de la SPR, mais la SPR n’est souvent pas mieux placée que le tribunal de révision pour tirer des conclusions fondées sur l’invraisemblance du récit d’un demandeur d’asile si l’on s’en tient au bon sens, à la raison et à la connaissance judiciaire : Giron c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1992), 143 NR 238, page 239, 33 ACWS (3d) 1270. Dans la décision Valtchev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CFPI 776, 208 FTR 267, la Cour écrivait ce qui suit :

Le tribunal administratif ne peut [...] conclure à l'invraisemblance que dans les cas les plus évidents, c'est-à-dire que si les faits articulés débordent le cadre de ce à quoi on peut logiquement s'attendre ou si la preuve documentaire démontre que les événements ne pouvaient pas se produire comme le revendicateur le prétend.

[27]           Je suis d’accord avec le demandeur que les conclusions d’invraisemblance tirées par la commissaire sur cet aspect sont déraisonnables. C’était là une appréciation subjective de la preuve, et la commissaire n’indique pas clairement les faits qui sont à l’origine de sa conclusion, n’évoquant qu’une vague « sensibilisation accrue à la sécurité ». L’appréciation de ce qui est vraisemblable est donc simple conjecture.

B.        La crainte subjective

[28]           Selon M. Ramirez Rodas, la commissaire a commis une erreur en concluant qu’il avait tardé à quitter la Colombie, parce qu’elle a oublié que les ennuis des demandeurs avec les FARC s’inscrivaient dans un ensemble cumulatif d’actes. Selon le défendeur, la commissaire a donné aux demandeurs l’occasion d’expliquer leur lenteur à quitter le pays, et sa conclusion était raisonnable au vu de leur explication.

[29]           Les demandeurs prétendaient avoir été menacés la première fois le 26 janvier 2013. Le 7 février 2013, Mme Restrepo Mejia s’est rendue au bureau antistupéfiants de la police, et les deux demandeurs ont été violemment menacés. Le 19 février 2013, Mme Restrepo Mejia a été menacée après qu’elle-même et M. Ramirez Rodas eurent cessé de se rendre au travail. Chacun de ces incidents pourrait être lié aux menaces et avertissements initiaux dont ils avaient été l’objet.

[30]           La lenteur d’un demandeur d’asile à quitter son pays d’origine intéresse la question de la crédibilité et peut constituer une raison suffisante de rejeter une demande d'asile dans les cas qui le justifient, en particulier en l’absence d’une explication raisonnable : Velez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2010 CF 923, au paragraphe 28; et Duarte c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 988, au paragraphe 14, 2003 CFPI 988. Toutefois, la Cour a jugé que la lenteur d’un demandeur d’asile à quitter son pays n’est pas déterminante : Caicedo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2010 CF 1092, 195 ACWS (3d) 233 [Caicedo].

[31]           La demande de protection reposait sur plusieurs faits ayant abouti à un événement qui, affirment-ils, les a contraints de partir (à savoir les menaces proférées par Alberto contre Mme Restrepo Mejia chez elle, et l’évocation par Alberto de l’assassinat du père de M. Ramirez Rodas). Dans un tel cas, la question de la lenteur à agir à compter du premier de tels actes ne doit pas être considérée comme un signe d’absence de crainte subjective, pour les motifs exposés dans la décision Ibrahimov c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 1185, au paragraphe 19 :

Les actes cumulatifs susceptibles de constituer de la persécution s'étalent sur une certaine période. Dans les cas où la demande d'une personne est en fait fondée sur plusieurs incidents qui se sont produits au cours d'une certaine période et qui sont susceptibles de constituer de la persécution du fait de leur nature cumulative, tenir compte du moment auquel la discrimination ou le harcèlement a commencé par rapport au moment où la personne en cause quitte le pays pour justifier le rejet de la demande en raison du retard revient à miner la notion même de persécution cumulative.

[32]           Les faits en l’espèce sont remarquablement semblables à ceux de l’affaire Caicedo, où une demandeure d’asile colombienne craignait d’être persécutée par les FARC après avoir été menacée en raison de ses activités politiques. Elle avait retardé de six semaines son départ du pays après avoir reçu la première menace, alors qu’elle était déjà en possession d’un visa valide pour les États-Unis. La SPR avait conclu qu’elle serait partie sur-le-champ si elle avait véritablement eu peur. Le juge Near a trouvé cette conclusion déraisonnable :

[…] un délai de six semaines pour prendre des mesures permanentes afin de quitter votre famille, votre maison et votre pays tout en recevant des menaces d’une gravité croissante ne me semble pas abusif, étant donné, surtout, que la demandeure principale a fait tout ce qu’elle pouvait raisonnablement faire pour demeurer à couvert : elle a cessé de faire du bénévolat et d’aller au bureau du parti, elle a changé son numéro de téléphone et elle est partie dès qu’elle a décidé que c’était là sa seule option.

[33]           Ici, les demandeurs se sont cachés durant environ 26 jours après avoir reçu la première menace à la ferme, puis ont quitté la Colombie environ deux semaines après. Cela ne semble pas un délai excessif compte tenu des circonstances, en particulier compte tenu de leur explication selon laquelle il leur fallait emprunter de l’argent à des proches pour pouvoir quitter le pays. Ils ont pris aussi des mesures raisonnables pour composer avec la menace, en s’efforçant de gagner un peu de temps et d’apaiser leurs oppresseurs, avant d’arriver à la conclusion qu’il leur faudrait quitter le pays.

C.        La preuve documentaire

[34]           M. Ramirez Rodas soutient que, puisque la commissaire s’est fourvoyée sur les questions de crédibilité, elle a commis une erreur en ne tenant pas compte de la preuve documentaire qui montre que les demandeurs étaient exposés à une possibilité sérieuse de persécution en Colombie.

[35]           Il n’est pas impossible que cet argument soit fondé puisque la preuve s’accorde, en partie, avec le témoignage des demandeurs concernant les proches de M. Ramirez Rodas et la corruption policière en Colombie. Cependant, puisque les conclusions ci-dessus suffisent à faire droit à cette demande de contrôle judiciaire, et puisque la demande d’asile doit être réexaminée, il ne vaut guère la peine d’explorer en détail cet argument.

[36]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie. Aucune des parties n’a proposé qu’une question soit certifiée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.                  L’intitulé est modifié selon la forme suivante :

CARLOS RAMIREZ RODAS

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

2.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie;

3.                  La décision de la SPR concernant M. Ramirez Rodas est annulée, et sa demande d'asile est renvoyée pour nouvelle décision à une autre formation de la SPR; et

4.                  Aucune question n’est certifiée.

« Russel W. Zinn »

Juge

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice-conseil


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6560-13

INTITULÉ :

CARLOS RAMIREZ RODAS c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 14 JANVIER 2015

JUGeMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ZINN

DATE DES MOTIFS :

LE 27 FÉVRIER 2015

COMPARUTIONS :

Jack Davis

POUR LE demandeur

Prathima Prashad

POUR LE défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Davis & Grice

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LE demandeur

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE défendeur

 

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