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Date : 20150514


Dossier : IMM-3535-14

Référence : 2015 CF 636

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 14 mai 2015

En présence de madame la juge Simpson

ENTRE :

FRANCOIS REGIS DUSHIMIYIMANA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

(Prononcés à l’audience à Toronto (Ontario), le 11 mai 2015)

[1]               Le demandeur a présenté une demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision défavorable par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a décidé, le 10 avril 2014 (la décision), que le demandeur n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger.

[2]               La présente demande a été présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).

[3]               Le demandeur est un citoyen tutsi du Rwanda âgé de 21 ans. Au cours du génocide de 1994, son père et plusieurs membres de sa famille ont été tués par des membres de la milice hutue (la milice) et sa maison familiale a été complètement détruite par un incendie.

[4]               La demande d’asile du demandeur est fondée sur sa crainte d’être persécuté par la milice. Certains membres de sa famille, dont sa mère, ont témoigné contre des membres de la milice aux procès gacaca qui ont suivi le génocide. Ces procès ont nécessité la mise en place de 11 000 tribunaux communautaires devant lesquels des milliers de personnes ont témoigné lors d’audiences publiques. À la suite de ce témoignage, certains membres de la milice ont été emprisonnés en 1996, mais après leur mise en liberté en 2005, le demandeur affirme que sa famille a commencé à recevoir des menaces téléphoniques comme [traduction] « Nous savons où vous restez », « Ce n’est pas encore fini » et « Vous allez regretter d’avoir parlé ».

[5]               Sa famille a pris ces menaces au sérieux parce qu’elle savait que d’autres témoins avaient été tués à la suite des procès gacaca. Elle a signalé les menaces à la police une fois en 2005, mais on lui a reproché de chercher à se venger. En raison du défaut d’agir de la police, le demandeur dit que sa famille a déménagé dix fois à l’intérieur de la ville de Kigali entre 2005 et 2013. Elle a toutefois continué à recevoir des menaces téléphoniques peu importe où elle se trouvait.

[6]               Un soir de juin 2010, alors qu’il était âgé de seize ans, le demandeur a été enlevé par deux hommes (l’agression). Les hommes connaissaient le nom de sa mère. Ils l’ont traîné jusqu’à un chantier de construction abandonné et l’ont torturé avec des couteaux jusqu’à ce qu’il soit secouru par des passants. Le demandeur a été grièvement blessé.

[7]               Le demandeur a cinq frères et sœurs. Un de ses frères et une de ses sœurs ont fui le Rwanda et se sont vu reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention au Canada en mars 2010. Son autre sœur est mariée et vit avec son mari près de Chicago; ses deux autres frères sont restés au Rwanda avec sa mère.

[8]               En 2007, le demandeur a demandé un visa pour les États‑Unis, mais on lui a refusé. Cependant, en 2013, le beau‑père de sa sœur a accepté de payer les frais relatifs à sa fréquentation de l’université aux États‑Unis. En septembre 2013, il s’est rendu aux États‑Unis muni d’un visa d’étudiant dans l’espoir que la famille de sa sœur le parraine un jour.

[9]               Cependant, à la fin de son premier trimestre, le beau‑père de sa sœur s’est rendu compte qu’il ne pouvait plus se permettre de payer ses frais de scolarité, et sa sœur ne pouvait le prendre en charge parce qu’elle avait sa propre famille. C’est ainsi qu’en décembre 2013, le demandeur est venu rejoindre son frère et sa sœur qui vivent au Canada et a présenté une demande d’asile.

I.                   La décision

[10]           La Commission a cru que la mère du demandeur avait témoigné contre la milice et que l’agression avait eu lieu. Cependant, pour plusieurs raisons, elle a conclu que les menaces n’avaient pas été aussi constantes ou graves que le demandeur l’affirmait.

[11]           La SPR a également estimé ne pas pouvoir conclure que la présomption de protection de l’État avait été réfutée. La SPR est arrivée à cette conclusion parce que la famille n’est allée à la police qu’à deux reprises au cours d’une période de neuf ans, soit une fois en 2005 et une fois après l’agression en 2010. La SPR a conclu que la preuve documentaire, qui était préférable au témoignage du demandeur, démontrait que la protection de l’État pouvait être obtenue. La SPR a fait référence à des rapports du Département d’État des États‑Unis et du ministère de l’Intérieur du Royaume‑Uni, mais l’avocat du défendeur a reconnu que le rapport plus récent que le demandeur a fourni à la Commission, intitulé Testifying to Genocide: Victim and Witness Protection in Rwanda et rédigé par REDRESS, une organisation de défense des droits de l’homme (le rapport de REDRESS), était le rapport faisant le plus autorité en matière de protection de l’État.

II.                Questions en litige

[12]           Il y avait plusieurs questions en litige, mais la question déterminante était celle relative à la protection de l’État.

III.             Analyse

[13]           À mon avis, la conclusion selon laquelle la protection de l’État pouvait être obtenue était déraisonnable pour les motifs suivants :

1.                  La SPR ne semble pas avoir compris le rapport de REDRESS. La SPR a confondu les services offerts aux témoins transférés au Rwanda dans le cadre d’instances de l’ONU avec ceux offerts aux témoins de l’intérieur ayant comparu devant les tribunaux gacaca. Elle semble avoir conclu que la protection était adéquate en raison des réformes mises en place pour les témoins transférés de l’ONU, alors qu’il ressortait clairement de la preuve que les protections dont ils bénéficient sont différentes de celles offertes aux témoins des procès gacaca.

2.                  La SPR ne semble pas avoir compris la réalité rwandaise. Il s’agit d’un pays qui abrite encore un grand nombre de citoyens menacés de représailles à la suite de leur participation aux procès gacaca. Le rapport de REDRESS démontre que le gouvernement n’a pas les ressources nécessaires pour assurer une protection.

IV.             Certification

[14]           Aucune question n’a été soulevée aux fins de certification en vue d’un appel en application de l’alinéa 74d) de la LIPR.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que, pour ces motifs, la demande soit rejetée. L’affaire sera renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission pour qu’il rende une nouvelle décision.

« Sandra J. Simpson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Diane Provencher, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DoSSIER :

IMM-3535-14

 

INTITULÉ :

FRANCOIS REGIS DUSHIMIYIMANA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 11 MAI 2015

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE SIMPSON

DATE DES MOTIFS :

LE 14 MAI 2015

COMPARUTIONS :

Raoul Boulakia

POUR LE DEMANDEUR

Suran Bhattacharyya

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Raoul Boulakia

Avocat

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

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