Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20150505


Dossier : IMM-4671-14

Référence : 2015 CF 583

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 5 mai 2015

En présence de monsieur le juge Russell

ENTRE :

ISTVANNE GULYAS

JANOS TOTH

ISTVAN GULYAS

KRISZTOFER RACZ

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   INTRODUCTION

[1]               Les demandeurs sollicitent, en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi], le contrôle judiciaire de la décision d’une agente principale d’immigration [l’agente], datée du 3 avril 2014 [la décision], qui rejetait leur demande de résidence permanente présentée depuis le Canada et fondée sur des motifs d’ordre humanitaire [la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire].

II.                LE CONTEXTE

[2]               Les demandeurs forment une famille originaire de Hongrie. Ce sont la demanderesse principale, son conjoint de fait, son fils âgé de 19 ans, ainsi que son petit-fils âgé de 10 ans [le demandeur mineur]. La demanderesse principale et les enfants sont arrivés au Canada et y ont demandé l’asile en décembre 2010. Le conjoint de fait les y a rejoints en février 2011. La famille a déposé la demande d'asile parce qu’elle craignait les Skinheads, car elle est d’origine rom.

[3]               En mai 2011, le demandeur mineur a été heurté par une voiture alors qu’il traversait la rue. Il a subi un traumatisme cérébral et a dû suivre divers traitements, notamment ergothérapie, physiothérapie, orthophonie et enseignement spécialisé. Il a déposé un recours devant la justice afin d’obtenir réparation pour ses blessures.

[4]               La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié [la SPR] a rejeté la demande d'asile en juin 2012. La Cour fédérale a rejeté en novembre 2012 la demande d’autorisation de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision de la SPR.

[5]               Les demandeurs ont déposé une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire en octobre 2012. Ils continuent d’affirmer qu’ils seront victimes de discrimination en raison de leur origine s’ils doivent retourner en Hongrie. Ils affirment aussi que le demandeur mineur sera dans l’impossibilité d’obtenir les soins de santé et les services éducatifs dont il a besoin et dont il bénéficie à l’heure actuelle au Canada.

III.             LA DÉCISION CONTESTÉE

[6]               La demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire a été rejetée le 3 avril 2014.

[7]               L’agente a affirmé avoir examiné la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire d’après la norme des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives. Elle a défini les difficultés inhabituelles et injustifiées comme des difficultés qui ne sont pas envisagées par la Loi ou par le Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, et qui ne dépendent pas en général de la volonté du demandeur. Elle a défini les difficultés excessives comme des difficultés susceptibles d’avoir un effet disproportionné sur un demandeur en raison de sa situation personnelle.

[8]               L’agente a d’abord examiné les difficultés liées à la discrimination et aux conditions défavorables ayant cours en Hongrie. Elle a affirmé avoir passé en revue à la fois la décision de la SPR et les arguments des demandeurs pour un examen des risques avant renvoi, puisqu’elle devait aussi effectuer cet examen. Elle a également passé en revue la preuve documentaire des demandeurs et mené sa propre recherche sur la manière dont les Roms sont traités en Hongrie.

[9]               L’agente a conclu que la preuve documentaire ne confirmait pas les dires des demandeurs qui affirmaient avoir connu des difficultés quand ils vivaient en Hongrie. Elle a relevé que [traduction] « la discrimination limitait encore notablement l’accès des Roms à l’éducation, au marché du travail, aux soins de santé et aux services sociaux ». Cependant, d’après elle, le gouvernement hongrois offrait des possibilités d’emploi dans le secteur public aux personnes inscrites au chômage, il finançait des collèges spéciaux pour les élèves roms et il s’employait à améliorer les conditions de vie des Roms habitant les zones de ségrégation. Elle a aussi relevé que le gouvernement hongrois avait mis sur pied un conseil des affaires roms chargé [traduction] « d’élaborer des propositions favorisant l’intégration sociale des Roms et de surveiller l’application des programmes gouvernementaux ». Selon elle, bien que les conditions ayant cours en Hongrie ne soient sans doute pas idéales pour la population rom, les demandeurs disposaient de voies de recours et de réparation et l’accès aux programmes ne serait pas pour eux une source de difficultés.

[10]           L’agente a ensuite examiné le niveau d’établissement des demandeurs au Canada. Elle a relevé que les demandeurs adultes avaient tous deux été scolarisés en Hongrie. La demanderesse principale était sans travail lorsqu’elle était arrivée au Canada, mais elle avait déjà travaillé. Son conjoint avait travaillé en Hongrie avant d’arriver au Canada. Il ne semblait pas que les demandeurs adultes avaient suivi des cours pour améliorer leurs compétences professionnelles ou linguistiques au Canada.

[11]           Dans leurs arguments, les demandeurs ont précisé que la demanderesse principale était dans l’impossibilité de travailler en raison de blessures subies suite à un accident de la route, mais aucun détail ne fut donné à ce sujet. L’agente a reconnu que la demanderesse principale s’occupe du demandeur mineur, mais elle a constaté que celui-ci fréquentait l’école à plein temps. L’information financière montrait que les demandeurs subvenaient à leurs besoins grâce à l’aide sociale. Il ne semblait pas qu’ils disposaient d’épargne ou qu’ils avaient des biens.

[12]           Pour l’agente, rien ne montrait que le fils de la demanderesse principale avait un emploi ou fréquentait l’école. D’après la preuve, il participait aux activités du Centre communautaire rom en tant que danseur. Rien ne montrait par ailleurs que les demandeurs participaient à la vie communautaire au Canada.

[13]           L’agente a demandé en juillet 2013 des informations à jour sur les lésions subies par le demandeur mineur. Elle a reconnu qu’il suivait un programme intensif de réadaptation, composé notamment de séances d’orthophonie et de physiothérapie. Les traitements étaient pour l’essentiel financés par son assureur, et il bénéficiait aussi, à l’école, du soutien individualisé d’un professionnel des besoins spéciaux de l’enfance. L’avocat du demandeur mineur avait indiqué que celui-ci avait droit à réparation pour ses blessures et que le procès risquait de s’étaler sur plus de trois ou quatre ans.

[14]           Selon un rapport de suivi médical daté de juin 2013, le demandeur mineur [traduction] « s’était bien remis de ses lésions et pouvait pratiquer toute activité, sauf les sports de contact ou toute autre activité où il risquait d’être frappé à la tête ». Il n’avait à l’époque pas d’autres rendez-vous médicaux au calendrier. On lui avait recommandé de voir un chirurgien orthopédique et de faire de l’exercice pour fortifier ses muscles. Le rapport précisait que, même si son anglais s’améliorait, il avait beaucoup manqué l’école et avait pris un retard considérable.

[15]           L’agente a noté que la mère du demandeur mineur avait signé un formulaire de consentement pour lui permettre de se rendre au Canada avec la demanderesse principale. Il n’existait cependant aucun document attestant que la demanderesse principale avait légalement adopté le demandeur mineur, et nulle information ne donnait à penser que le demandeur mineur pouvait légalement figurer dans la demande de résidence permanente présentée par la demanderesse principale. Rien ne montrait non plus que la mère du demandeur mineur ne pouvait pas s’occuper de lui ou qu’ils n’avaient pas vécu ensemble en Hongrie.

[16]           L’agente a expliqué qu’elle avait passé en revue la preuve produite par les demandeurs concernant les difficultés de la population rom à obtenir des soins de santé en Hongrie. Cependant, selon elle, les articles ne la renseignaient nullement sur la question de savoir si ces demandeurs, et en particulier le demandeur mineur, seraient en mesure d’obtenir des soins de santé.

[17]           L’agente a conclu que, bien que le retour des demandeurs en Hongrie puisse être source de difficultés, ce ne serait pas des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives. Le demandeur mineur était fondé à obtenir réparation pour ses lésions, mais la procédure légale était longue et ardue. Rien ne donnait à penser que le traitement médical suivi par le demandeur mineur ne pourrait pas se poursuivre en Hongrie. Rien non plus ne donnait à penser que le demandeur mineur ne trouverait pas un avantage à retrouver sa mère en Hongrie. L’agente a conclu que [traduction] « l’information dont [elle] dispos[ait] ne confirm[ait] pas qu’il ne pourrait être répondu aux besoins de cet enfant et de cette famille qu’à la condition qu’ils obtiennent la résidence permanente au Canada ».

[18]           L’agente a expliqué que l’examen de l’intérêt supérieur de l’enfant l’obligeait à être [traduction] « réceptive et attentive aux intérêts de l’enfant conformément à la Convention relative aux droits de l’enfant ». Elle a ajouté que l’intérêt supérieur de l’enfant constituait un facteur auquel elle devait accorder un poids considérable, mais qu’il n’était que l’un des nombreux facteurs importants dont il fallait tenir compte dans une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Elle a déclaré qu’elle avait considéré l’intérêt supérieur de l’enfant dans son examen antérieur et que l’information disponible ne permettait pas de penser que le retour des demandeurs en Hongrie [traduction] « serait contraire à l’intérêt supérieur du demandeur mineur au point de justifier une dispense ».

[19]           Pour conclure, l’agente a estimé que rien ne donnait à penser que les demandeurs auraient de la difficulté à se réadapter à la société et à la culture hongroises. Les demandeurs adultes ont été scolarisés et ont travaillé en Hongrie, et des membres de leur famille immédiate vivent en Hongrie. Les demandeurs trouvent que le Canada était un meilleur endroit où passer leur vie, mais cela ne suffit pas à justifier une dispense fondée sur des considérations humanitaires.

IV.             LES QUESTIONS EN LITIGE

[20]           Selon les demandeurs, la décision de l’agente soulève une question : son analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant était-elle raisonnable?

V.                LA NORME DE CONTRÔLE

[21]           Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada a déclaré qu’il n’est pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse relative à la norme de contrôle. En fait, si la jurisprudence a établi de manière satisfaisante la norme de contrôle qui s’applique à une question particulière dont la cour de révision est saisie, celle‑ci peut adopter cette norme de contrôle. Ce n’est que lorsque cette quête se révèle infructueuse, ou que la jurisprudence semble devenue incompatible avec l’évolution récente du droit en matière de contrôle judiciaire, que la cour de révision devra procéder à l’examen des quatre facteurs constituant l’analyse relative à la norme de contrôle : Agraira c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 48.

[22]           La Cour d'appel fédérale a récemment confirmé que les décisions consécutives à des demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire doivent être revues selon la norme de la décision raisonnable : Kanthasamy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2014 CAF 113, au paragraphe 37; Lemus c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2014 CAF 114, au paragraphe 18. La panoplie des issues raisonnables reste limitée en raison des principes juridiques établis qui régissent l’évaluation de l’intérêt supérieur de l’enfant : Blas c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2014 CF 629, aux paragraphes 18 à 20; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c Hawthorne, 2002 CAF 475, au paragraphe 9 [Hawthorne]; Sinniah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2011 CF 1285, aux paragraphes 59 à 64 [Sinniah]; Arulraj c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 529, au paragraphe 14.

[23]           Lorsque la cour de révision examine une décision d’après la norme de la décision raisonnable, son analyse s’attachera « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Dunsmuir, précité, au paragraphe 47; Canada (Ministre de la Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59. Autrement dit, la Cour n’interviendra que si la décision est déraisonnable, c’est‑à‑dire si elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

VI.             LES DISPOSITIONS APPLICABLES

[24]           Les dispositions suivantes de la Loi sont applicables à la présente instance :

Séjour pour motif d’ordre humanitaire à la demande de l’étranger

Humanitarian and compassionate considerations — request of foreign national

25. (1) Sous réserve du paragraphe (1.2), le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui demande le statut de résident permanent et qui soit est interdit de territoire — sauf si c’est en raison d’un cas visé aux articles 34, 35 ou 37 —, soit ne se conforme pas à la présente loi, et peut, sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada — sauf s’il est interdit de territoire au titre des articles 34, 35 ou 37 — qui demande un visa de résident permanent, étudier le cas de cet étranger; il peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché.

25. (1) Subject to subsection (1.2), the Minister must, on request of a foreign national in Canada who applies for permanent resident status and who is inadmissible — other than under section 34, 35 or 37 — or who does not meet the requirements of this Act, and may, on request of a foreign national outside Canada — other than a foreign national who is inadmissible under section 34, 35 or 37 — who applies for a permanent resident visa, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligations of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to the foreign national, taking into account the best interests of a child directly affected.

VII.          LES ARGUMENTS

A.                Les demandeurs

[25]           D’après les demandeurs, l’agente a analysé l’intérêt supérieur de l’enfant d’une manière contraire aux normes établies dans l’arrêt Hawthorne, précité, au paragraphe 5.

[26]           D’abord, elle n’a pas tenu compte de la preuve relative à l’impossibilité pour le demandeur mineur d’obtenir en Hongrie les services de réadaptation et services éducatifs dont il a besoin. Elle n’a pas tenu compte de la preuve documentaire qui montre que les Roms [traduction] « se heurtent à de sérieux obstacles dans l’accès aux soins de santé », parce qu’elle ne s’est pas attardée sur le cas particulier des demandeurs. Elle a de ce fait laissé de côté la preuve qui, elle, concernait le cas particulier des demandeurs. Plus précisément, l’ergothérapeute du demandeur mineur disait qu’elle avait exploré la possibilité d’obtenir des services de réadaptation en Hongrie et qu’elle n’avait pu trouver un traitement comparable ou de même niveau que celui que le demandeur mineur reçoit au Canada. Elle connaissait bien aussi le système d’éducation spécialisée en Hongrie, et selon elle, dans ce pays, les enfants souffrant de lésions cérébrales graves sont placés dans des écoles spécialisées qui ne conviendraient pas au demandeur mineur, étant donné ses aptitudes. L’agente n’a pas mentionné ni analysé la preuve qui contredisait directement ses conclusions, et elle a de ce fait commis une erreur susceptible de révision : Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 157 FTR 35, au paragraphe 17 [Cepeda-Gutierrez].

[27]           Deuxièmement, l’agente a commis une erreur susceptible de révision parce qu’elle n’a pas tenu compte de l’avis de l’avocat du demandeur mineur, selon lequel l’action en dommages‑intérêts engagée par le demandeur mineur risquait d’être rejetée s’il ne se trouvait pas au Canada aux diverses étapes du procès.

[28]           Troisièmement, l’agente a commis une erreur en attachant de la valeur aux bienfaits qui, selon elle, découleraient du retour du demandeur mineur auprès de sa mère. La preuve montrait que la mère avait confié le demandeur mineur à la demanderesse principale à un jeune âge. Il est établi aussi que la demanderesse principale est la tutrice légale et le parent-substitut du demandeur mineur.

B.                 Le défendeur

[29]           Selon le défendeur, l’agente a validement évalué l’intérêt supérieur de l’enfant dans la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Le processus des demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire est un recours exceptionnel conçu pour apporter un répit aux demandeurs d’asile déboutés qui connaissent des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c Legault, 2002 CAF 125, aux paragraphes 11, et 15 à 17 [Legault]. Un agent doit être « réceptif, attentif et sensible » à l’intérêt supérieur de l’enfant », mais l’intérêt supérieur de l’enfant n’est pas déterminant, ce n’est plutôt que l’un des facteurs à prendre en compte : Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 RCS 817, au paragraphe 75 [Baker]; Legault, précité, au paragraphe 12; Kisana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 189, au paragraphe 24 [Kisana].

[30]           L’agente a exposé en détail les antécédents médicaux du demandeur mineur, son programme de réadaptation et le plus récent rapport médical le concernant. Cependant, les demandeurs n’ont pas fourni de preuve suffisante démontrant que le demandeur mineur ne pourrait pas recevoir des soins comparables en Hongrie. La Cour fédérale a jugé que les maladies mentales ou les maladies chroniques ne donnent pas aux non-Canadiens le droit de rester au Canada : Gardner c Canada (Ministre de la Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 895, au paragraphe 41; Bichari c Canada (Ministre de la Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 127, au paragraphe 28.

[31]           Contrairement à ce qu’affirment les demandeurs, l’agente a bien pris en compte le témoignage de l’ergothérapeute du demandeur mineur. Cependant, l’agente n’a pas commis d’erreur en omettant de se référer à l’opinion de l’ergothérapeute selon laquelle le demandeur mineur ne pourrait pas obtenir de soins de santé en Hongrie. L’ergothérapeute n’avait pas donné de détails sur la recherche qu’elle avait faite pour conclure que le demandeur mineur ne pourrait pas obtenir en Hongrie de services équivalents de réadaptation. L’agente n’a pas non plus commis d’erreur en ne citant pas l’opinion de l’ergothérapeute sur le système éducatif hongrois. L’expérience de l’ergothérapeute comme enseignante en Hongrie remonte à environ vingt ans et n’a que peu de valeur probante.

[32]           L’agente a eu raison de conclure que, bien qu’un procès civil prenne beaucoup de temps, il est temporaire et ne justifie pas l’application de la solution exceptionnelle qu’est la résidence permanente fondée sur des considérations humanitaires. Il n’est nullement certain que le demandeur mineur obtiendra réparation.

[33]           Finalement, la preuve ne montre pas clairement que la demanderesse principale a la garde légale du demandeur mineur. Il y a une distinction à faire entre la garde légale d’un enfant et la garde temporaire pendant que son père ou sa mère réside à l’étranger. Il était raisonnable pour l’agente de conclure que l’affirmation de la demanderesse principale selon laquelle elle a la garde du demandeur mineur ne constituait pas une preuve suffisante de l’existence de modalités de garde. La preuve montre aussi que la mère du demandeur mineur est venue au Canada un mois après l’accident de voiture et que le demandeur mineur a vécu auprès d’elle durant au moins un an et demi. Tout porte à croire que la mère était la première pourvoyeuse de soins du demandeur mineur.

C.                 La réponse des demandeurs

[34]           En réponse, les demandeurs soutiennent que, bien que la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire ne vise pas à éliminer toutes les difficultés, les difficultés « inhabituelles et injustifiées ou excessives » n’ont pas leur place dans une analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant : Sinniah, précitée; Hawthorne, précité.

[35]           Les demandeurs précisent aussi qu’ils ne prétendent pas que l’agente n’a pas apprécié à sa juste valeur la preuve relative aux traitements suivis par le demandeur mineur, mais plutôt que l’agente n’a pas apprécié cette preuve dans son intégralité.

VIII.       ANALYSE

[36]           Je reconnais avec le défendeur que la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire présentée par les demandeurs ne doit pas nécessairement être accueillie du seul fait que l’intérêt supérieur du demandeur mineur milite en faveur de ce résultat. Voir Legault, précité, au paragraphe 12; Kisana, précité, au paragraphe 24.

[37]           Lorsqu’il rend une décision définitive sur une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, l’agent doit être « réceptif, attentif et sensible » à l’intérêt supérieur de l’enfant concerné par la décision, et il doit prendre cet intérêt supérieur en compte lorsqu’il se prononce sur la demande. Voir l’arrêt Baker, précité, au paragraphe 75. C’est ce que l’agente aurait fait puisqu’elle dit : [traduction] « j’ai pris en compte l’intérêt supérieur des enfants visés par ces demandes, comme je devais le faire, et comme déjà mentionné dans la présente évaluation, en même temps que la situation personnelle de cette famille » (DCT, page 11).

[38]           Cependant, en décidant du poids à accorder à l’intérêt supérieur de l’enfant dans sa décision globale, l’agente doit montrer qu’elle a pris suffisamment conscience de la situation à laquelle faisaient face les enfants; autrement, elle ne saurait dire qu’elle a été réceptive, attentive et sensible à cet intérêt.

[39]           En l’espèce, l’agente ne montre pas une telle prise de conscience. Comme les demandeurs le font remarquer, l’agente n’a pas mentionné la preuve qui montre l’impossibilité pour le demandeur mineur d’obtenir en Hongrie les services de réadaptation et services éducatifs dont il a besoin. Elle dit que les documents produits ne contiennent pas [traduction] « d’informations précises sur les soins que pourraient obtenir les demandeurs, en particulier le petit-fils de la demanderesse principale », et que [traduction] « l’information dont je dispose ne confirme pas que l’enfant serait dans l’impossibilité d’obtenir des soins de santé ou d’autres soutiens en Hongrie pour les lésions qu’il a subies et pour les séquelles qui ont pu résulter de ces lésions » (DCT, page 10). Cependant, l’ergothérapeute du demandeur mineur donne des informations de première main sur les besoins de l’enfant pour lesquels il n’y a pas de prise en charge en Hongrie.

[40]           L’agente dit qu’elle a [traduction] « lu et pris en compte tous les renseignements et éléments de preuve présentés par les demandeurs ainsi que des documents accessibles au public » (DCT, page 8). Elle reconnaît aussi que les articles fournis montrent que [traduction] « le problème de la discrimination a des répercussions sur les soins de santé reçus par une bonne partie de la population rom », mais elle ajoute que [traduction] « les articles ne donnent pas de renseignements précis sur les soins de santé qui sont accessibles aux demandeurs » et donc [traduction] « ne montrent pas que l’enfant n’aurait pas la possibilité d’obtenir des soins de santé ou d’autres soutiens en Hongrie pour les lésions qu’il a subies et pour les séquelles qui ont pu résulter de ces lésions » (DCT, page 10). Cependant, les demandeurs ont produit le témoignage de l’ergothérapeute du demandeur mineur, qui avait fait des recherches sur la situation en Hongrie, recherches qui portaient précisément sur la question de savoir pourquoi les besoins du demandeur mineur ne pouvaient pas être pris en charge en Hongrie. Ce témoignage contredit directement la conclusion de l’agente, or il n’est pas commenté. Il ne suffit pas à l’agente de dire qu’elle a examiné l’ensemble de la preuve, si elle s’abstient ensuite de s’intéresser à la preuve qui contredit ses conclusions et qui, dans la présente affaire, intéresse l’aspect précis qu’elle juge déficient, à savoir l’absence d’une preuve propre aux demandeurs. Voir la décision Cepeda-Gutierrez, précitée.

[41]           Les mêmes failles entachent la manière dont l’agente traite la preuve relative aux déficiences du système éducatif de la Hongrie et à leur incidence sur le demandeur mineur, ainsi que le témoignage de l’avocat du demandeur mineur sur le sort du droit du demandeur mineur à réparation ainsi que du procès auquel il est partie au Canada s’il devait être renvoyé à ce stade.

[42]           Il n’était pas nécessaire que ces considérations fussent déterminantes dans le traitement de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, mais le simple fait de passer outre à des preuves et d’arriver à des conclusions sur l’intérêt supérieur de l’enfant qui sont directement contredites par la preuve rend la décision tout entière déraisonnable parce que ce manquement signifie qu’il n’a pu y avoir mise en balance adéquate des facteurs en jeu et que l’agente n’a pas été réceptive, attentive et sensible à l’intérêt supérieur de l’enfant.

[43]           Selon le défendeur, l’agente a bien examiné cette preuve puisqu’elle affirme que [traduction] « l’information dont [elle] dispos[ait] ne confirm[ait] pas qu’il ne pourrait être répondu aux besoins de cet enfant et de cette famille qu’à la condition qu’ils obtiennent la résidence permanente au Canada ». Autrement dit, selon le défendeur, il suffit à l’agente de reconnaître que des preuves ont été produites, puis d’énoncer une conclusion générale, sans expliquer pourquoi le témoignage de l’ergothérapeute et celui de l’avocat du demandeur mineur ne confirment pas cette conclusion. Si c’était le cas, alors cela voudrait dire qu’une conclusion arbitraire ne pourra jamais être contestée. Il ressort clairement de la jurisprudence de la Cour que ce n’est pas là une manière raisonnable de traiter une preuve importante qui contredit les conclusions générales d’un agent. Voir Hinzman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et Immigration), 2010 CAF 177, au paragraphe 38, citant la décision Cepeda-Gutierrez, précitée; Ratnarajah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1054, au paragraphe 17; Zheng c Canada (Ministre de la Citoyenneté et Immigration) (1995), 27 Imm LR (2d) 101, au paragraphe 13 (CF 1re inst.). L’agent chargé de se prononcer sur une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire jouit d’un large pouvoir discrétionnaire, mais ce pouvoir discrétionnaire ne peut être exercé d’une manière arbitraire, c’est-à-dire au mépris de la transparence et de l’intelligibilité.

[44]           En conséquence, cette affaire doit être renvoyée pour réexamen, au cours duquel l’intérêt supérieur de l’enfant devra être exactement circonscrit et se verra accorder le poids qu’il mérite.

[45]           Les avocats s’accordent pour dire qu’il n’y a pas de question à certifier et la Cour partage leur avis.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de l’agente est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvel examen.

2.      Il n’y a pas de question à certifier.

« James Russell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice-conseil


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4671-14

 

INTITULÉ :

ISTVANNE GULYAS, JANOS TOTH, ISTVAN GULYAS, KRISZTOFER RACZ c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 20 MARS 2015

 

JUGeMENT ET MOTIFS :

LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 5 MAI 2015

 

COMPARUTIONS :

D. Clifford Luyt

 

POUR LES demandeurs

Norah Dorcine

 

POUR LE défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

D. Clifford Luyt

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES demandeurs

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

pour le défendeur

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.