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Date : 20150501


Dossier : IMM-1046-14

Référence : 2015 CF 574

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 1er mai 2015

En présence de monsieur le juge Locke

ENTRE :

JUDITH JACULINE FRANCIS JAYARATNAM

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Le contexte

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire qui vise une décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Le 27 janvier 2014, la SPR a conclu que la demanderesse, Judith Jaculine Francis Jayaratnam, n’était ni une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger aux termes de l’article 96 ou du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR).

[2]               Pour les motifs exposés ci-dessous, j’en suis venu à la conclusion que la décision de la SPR devrait être maintenue et que la demande devrait être rejetée.

II.                Les faits

[3]               La demanderesse est une citoyenne tamoule du Sri Lanka. Avant de quitter le Sri Lanka, elle travaillait comme agente de liaison au sein de la division de la psychologie du Consortium of Humanitarian Agencies, un réseau d’organismes humanitaires au Sri Lanka.

[4]               La demanderesse soutient que le 7 avril 2013, elle agissait à titre d’interprète du tamoul à l’anglais pour une Italienne travaillant pour HALO Trust, un organisme se consacrant au déminage de certaines zones du Nord du Sri Lanka. Leur tâche consistait à poser des questions aux personnes du coin sur le repérage et le signalement de zones minées et sur les mesures prises à la suite de ces signalements.

[5]               La demanderesse prétend que des personnes du coin lui ont transmis des renseignements dépassant la portée de son travail, car elle était une femme tamoule travaillant au sein d’un organisme international. La demanderesse fait précisément référence aux deux renseignements suivants :

  1. un camp de réfugiés pouvant être réétablis, composé d’abris temporaires et construit pour de jeunes veuves de guerre ayant des enfants, était situé à proximité d’un camp militaire, de sorte que les veuves étaient exposées à d’éventuelles agressions de la part du personnel militaire;
  2. des hommes se rendaient la nuit dans les champs de mines situés à proximité de l’endroit où ils habitaient pour récupérer de la ferraille, ce qui leur rapportait de l’argent.

[6]               Le jour où la demanderesse agissait à titre d’interprète pour HALO Trust, un homme, qu’elle a pris pour un militaire (même s’il était habillé en civil), l’a avertie à plusieurs reprises de faire attention à ce qu’elle décidait de traduire. La demanderesse laisse entendre que l’armée craignait que certains renseignements de nature délicate soient portés à la connaissance du public. Elle soutient que ces avertissements l’avaient tellement effrayée que le lendemain, elle a prétendu être malade pour éviter de se retrouver dans une situation semblable. La demanderesse affirme qu’elle a reçu un autre avertissement semblable lorsqu’elle se trouvait dans sa résidence temporaire dans la région.

[7]               La demanderesse soutient également que, pendant les mois qui ont suivi son retour chez elle, à Colombo, d’autres inconnus l’ont avertie à plusieurs reprises de ne raconter à personne ce qu’elle avait appris le 7 avril 2013. Elle aurait reçu le dernier de ces prétendus avertissements le 12 novembre 2013 à l’aéroport lorsqu’elle était sur le point de quitter le Sri Lanka pour assister à une conférence.

III.             La décision de la SPR

[8]               La SPR a souligné que la demanderesse n’avait fait part de ses préoccupations à personne en ce qui concerne les avertissements qu’elle a reçus lorsqu’elle se trouvait soit dans le Nord du Sri Lanka, soit chez elle, après son retour. Elle a seulement dit à la personne qui l’a remplacée de [traduction] « faire attention en traduisant ».

[9]               La SPR a également souligné qu’à la connaissance de la demanderesse, aucun autre membre de l’organisme HALO Trust n’était aux prises avec des problèmes semblables.

[10]           La SPR a conclu que les renseignements transmis à la demanderesse lorsque celle-ci se trouvait dans le Nord du Sri Lanka n’étaient ni confidentiels ni de nature délicate et qu’il était peu probable qu’elle soit confrontée à une grave menace en raison de sa connaissance de ces renseignements. La SPR a signalé qu’il ne s’était passé rien de grave entre le moment où elle a reçu les premiers avertissements et le moment où elle a quitté le Sri Lanka.

[11]           La SPR a conclu que la demanderesse n’avait pas prouvé qu’elle risquait sérieusement d'être persécutée au Sri Lanka pour l’un des motifs prévus par la Convention ou qu’elle serait personnellement exposée aux dangers ou aux risques prévus au paragraphe 97(1) de la LIPR, selon la prépondérance des probabilités.

IV.             Analyse

[12]           La demanderesse soutient que la SPR, qui a conclu qu’il y avait un manque de crédibilité, a tiré une conclusion déraisonnable, car elle avait reconnu que le témoignage de la demanderesse ne comportait aucune contradiction. La demanderesse fait valoir que la SPR n’a pas affirmé explicitement qu’elle ne croyait pas que la demanderesse avait reçu les prétendus avertissements lorsqu’elle se trouvait dans le Nord du Sri Lanka. La demanderesse soutient que la SPR ne peut tirer implicitement une conclusion de manque de crédibilité. Elle prétend que la SPR a en fait conclu à l’invraisemblance, ce qu’elle ne devrait faire que dans les cas les plus évidents (lorsque les allégations débordent le cadre de ce à quoi on peut logiquement s’attendre) en prenant soin de ne pas être déroutée par des différences culturelles et uniquement après avoir appuyé la conclusion sur des faits : Isakova c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 149, aux paragraphes 10 à 12.

[13]           Je ne suis pas disposé à modifier la décision de la SPR. Celle‑ci a donné plusieurs motifs pour justifier sa conclusion selon laquelle la demanderesse n’a pas reçu les prétendus avertissements : elle n’a jamais parlé de ces avertissements à quiconque, personne ne semble avoir reçu des avertissements semblables, les renseignements en question n’étaient pas de nature particulièrement délicate et les avertissements n’ont donné lieu à aucune autre mesure. Il convient également de souligner qu’il n’existe aucune déclaration contemporaine écrite par la demanderesse au sujet des prétendus avertissements. Je suis conscient que, même en appliquant les normes rigoureuses se rapportant aux conclusions d’invraisemblance, la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. Je dois faire preuve de déférence à l’égard de l’appréciation de la preuve effectuée par la SPR.

[14]           La demanderesse soutient que l’importance ne réside pas dans la teneur des renseignements qu’elle a obtenus lorsqu’elle se trouvait dans le Nord du Sri Lanka. C’est plutôt la perception des autorités sri-lankaises à l’égard de la teneur de ces renseignements qui importe. Si je comprends bien cet argument, la demanderesse soutient que le danger découle de la possibilité que les autorités sri-lankaises croient que la nature des renseignements qu’elle a obtenus est plus délicate qu’elle ne l’est en réalité. Cependant, en présentant cet argument, la demanderesse me demande essentiellement, à partir de la preuve, de tirer une conclusion différente de celle tirée par la SPR. Mon rôle ne consiste pas à apprécier de nouveau la preuve.

[15]           Outre les doutes apparents de la SPR quant à la question de savoir si la demanderesse a réellement reçu certains avertissements, la SPR a conclu que tout avertissement donné à la demanderesse n’était pas suffisamment important pour justifier l’octroi de l’asile. Là encore, la SPR souligne qu’aucun incident n’est survenu pendant les sept mois qui se sont écoulés entre le jour où la demanderesse a entendu les renseignements en question et le jour où elle a quitté le Sri Lanka.

[16]           La demanderesse affirme aussi qu’elle est exposée à un risque particulier au Sri Lanka, car elle est une femme célibataire. Comme elle n’a mentionné aucun autre problème au Sri Lanka, mis à part ceux découlant des événements du 7 avril 2013, cette affirmation est insuffisante pour annuler la décision de la SPR.

[17]           Enfin, la demanderesse affirme que sa demande d’asile n’a pas été examinée correctement en application de l’article 97 de la LIPR. Toutefois, les conclusions relatives au manque de crédibilité et à l’importance insuffisante des risques justifient le rejet de la demande aux termes de l’article 97. La SPR n’a commis aucune erreur justifiant le contrôle de sa décision.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que:

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.
  2. Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

« George R. Locke »

Juge

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice-conseil


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1046-14

 

INTITULÉ :

JUDITH JACULINE FRANCIS JAYARATNAM c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L'AUDIENCE :

LE 24 MARS 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LOCKE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 1er mAI 2015

 

COMPARUTIONS :

Arash Banakar

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Émilie Tremblay

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER : 

Arash Banakar

Avocat

Montréal (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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