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Date : 20150506


Dossier : IMM‑3182‑14

Référence : 2015 CF 595

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 6 mai 2015

En présence de monsieur le juge S. Noël

ENTRE :

ELIZABETH BEAUTY OGUNYINKA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR] par Elizabeth Beauty Ogunyinka [la demanderesse], d’une décision rendue le 7 avril 2014 par une agente de Citoyenneté et Immigration [l’agente] qui a rejeté la demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire [la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire] déposée par la demanderesse en vertu du paragraphe 25(1) de la LIPR.

II.                Les faits allégués

[2]               La demanderesse est une Nigériane née le 12 novembre 1964.

[3]               Elle est arrivée au Canada accompagnée de son époux le 29 novembre 2011, munie d’un visa de visiteur.

[4]               Peu après son arrivée au Canada, un diagnostic de séropositivité a été posé pour elle‑même et son époux.

[5]               L’époux de la demanderesse est décédé le 8 août 2013.

[6]               Les trois enfants de la demanderesse sont tous au Canada grâce à des visas d’étudiant.

[7]               La demanderesse a présenté une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire datée du 20 décembre 2013. Cette demande a été rejetée le 7 avril 2014. C’est cette décision qui fait l’objet du contrôle.

III.             La décision contestée

[8]               L’agente a d’abord résumé les observations du conseil de la demanderesse avant d’évaluer les lettres que celle‑ci a déposées pour appuyer sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. À propos de toutes ces lettres, l’agente a dit qu’aucun des auteurs ne donnait un avis d’expert sur les conditions au Nigéria et que la demanderesse n’avait pas présenté de preuve de ce qu’elle serait privée des traitements médicaux dont elle a besoin au Nigéria.

[9]               L’agente a ensuite évalué la documentation relative aux conditions au Nigéria en ce qui concerne la discrimination et la stigmatisation que subissent les porteurs de VIH, la politique actuelle en matière de santé et d’autres rapports internationaux sur les traitements et services médicaux offerts au Nigéria aux personnes séropositives ou atteintes du sida. L’agente a conclu que la demanderesse n’avait présenté aucune preuve objective de l’absence de traitement ou de médicament pour ses problèmes de santé au Nigéria, ni de la discrimination dont elle ferait l’objet dans ce pays. L’agente a également fait remarquer que la preuve documentaire montrait que l’État de Lagos, où la demanderesse vivait auparavant, a des lois contre la discrimination. L’agente a de plus précisé qu’il existe des traitements et des installations de soins de santé pour la demanderesse au Nigéria.

[10]           À propos de l’argument de la demanderesse selon lequel elle ferait face aux réactions indésirables de la famille de son époux, l’agente a conclu qu’elle n’avait pas fourni de preuve objective du risque que lui ferait courir sa belle-famille ou qui que ce soit d’autre au Nigéria.

[11]           Quant au temps que la demanderesse a passé au Canada, l’agente ne lui accorde pas beaucoup de poids, parce que la demanderesse n’a pas montré qu’elle pouvait raisonnablement penser être autorisée à rester au Canada. De plus, la demanderesse est arrivée au Canada munie d’un visa de visiteur et aurait dû s’attendre à retourner au Nigéria. L’agente fait aussi remarquer que ses trois enfants sont tous au Canada grâce à des visas d’étudiant et sont censés quitter le pays à l’expiration de ces visas.

[12]           Pour ces raisons, l’agente a conclu que la demande de la demanderesse fondée sur des motifs d’ordre humanitaire n’était pas justifiée.

IV.             Les observation des parties

[13]           La demanderesse allègue que l’agente a enfreint son droit à l’équité procédurale en s’appuyant sur des éléments de preuve extrinsèques non divulgués auxquels elle n’a pu répondre. La demanderesse fait référence plus particulièrement au document appelé « Motherland Nigeria: Healthcare » dans la décision, qui a trait à la politique de la santé au Nigéria. La demanderesse allègue de plus que l’agente a accordé plus de poids à cette preuve qu’à l’information spécialisée à jour de Steve Aborisade.

[14]           Le défendeur répond qu’il n’y a pas eu de manquement à l’équité procédurale parce qu’il n’est pas nécessaire de divulguer les documents à la demanderesse s’ils sont du domaine public, de nature générale et neutres. Le défendeur ajoute que la demanderesse ne doit être mise au courant que de l’information nouvelle et importante qui pourrait avoir une incidence sur la décision.

[15]           La demanderesse allègue que l’agente a tiré des conclusions de fait sans avoir dûment pris en compte des éléments de preuve montrant qu’elle pourrait être menacée par sa belle‑famille ou faire l’objet des mauvais traitements de celle‑ci au Nigéria, qu’elle n’aurait pas l’aide de membres de sa famille au Nigéria, qu’elle ne pourrait être un membre actif de son église, qu’elle était restée au Canada en raison de circonstances indépendantes de sa volonté, qu’elle ne pourrait se faire traiter au Nigéria, et que de la discrimination y est exercée envers les porteurs de VIH, qui sont stigmatisés.

[16]           Le défendeur répond cependant que la demanderesse n’est pas d’accord avec l’agente à propos du poids que cette dernière a accordé à la preuve et du résultat final de la décision, ce qui ne suffit pas à infirmer cette décision. Le défendeur est d’avis que l’agente a adéquatement pondéré tous les éléments de preuve présentés.

V.                Les questions en litige

[17]           J’ai examiné les observations des parties et leur dossier respectif, et j’estime que les questions à trancher sont les suivantes :

1.      L’agente a‑t-elle manqué à l’équité procédurale en s’appuyant sur un document non divulgué auquel la demanderesse n’a pu répondre?

  1. La décision relative à la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire est-elle raisonnable?

VI.             La norme de contrôle

[18]           Pour déterminer si l’agente a manqué à l’équité procédurale en s’appuyant sur un document non divulgué auquel la demanderesse n’a pu répondre, il faut appliquer la norme de la décision correcte (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43; Nadesan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1325, au paragraphe 8). La Cour ne s’en remettra donc pas au « raisonnement du décideur; elle entreprend[ra] plutôt sa propre analyse » de la question (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] ACS no 9 au paragraphe 50 [Dunsmuir]).

[19]           Pour déterminer si la décision de l’agente est raisonnable, il faut par ailleurs appliquer la norme du caractère raisonnable. « [O]n devrait faire preuve d’une retenue considérable envers les décisions d’agents d’immigration exerçant les pouvoirs conférés par la loi, compte tenu de la nature factuelle de l’analyse, de son rôle [paragraphe 25(1) de la LIPR] d’exception au sein du régime législatif, du fait que le décideur est le ministre, et de la large discrétion accordée par le libellé de la loi » (Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, [1999] ACS no 39, au paragraphe 62; voir aussi Kisana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 189, au paragraphe 18; Kanthasamy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CAF 113, aux paragraphes 82 à 84 [Kanthasamy] et Lemus c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CAF 114, au paragraphe 18).

VII.          Analyse

A.                L’agente a‑t-elle manqué à l’équité procédurale en s’appuyant sur un document non divulgué auquel la demanderesse n’a pu répondre?

[20]           Selon les principes énoncés par la Cour fédérale dans l’arrêt Mancia c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 3 CF 461, 161 DLR (4th) 488, au paragraphe 22 (CA), la principale décision sur cette question, un décideur n’est pas tenu de donner l’occasion de commenter un élément de preuve de source publique qui est disponible.

1.      L’équité n’exige pas la divulgation provenant de documents de sources publiques relativement aux conditions générales ayant cours dans le pays, s’ils étaient accessibles et qu’il était possible de les consulter dans les centres de documentation au moment où le demandeur a présenté ses observations;

  1. Quant aux documents invoqués provenant de sources publiques sur les conditions générales en vigueur dans un pays qui étaient accessibles et qu’il était possible de consulter après que le demandeur a déposé ses observations, l’équité exige qu’ils soient divulgués s’ils sont inédits et importants, et s’ils font état de changements survenus dans la situation du pays qui pourraient avoir une incidence sur la décision (voir aussi Dereva c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 417, au paragraphe 12, et Hoyte c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 175, au paragraphe 15 [Hoyte]).

[21]           Le seul document en litige ici est celui que l’agente a appelé « Motherland Nigeria: Healthcare » dans sa décision.

[22]           Le défendeur fait valoir que l’information du document en cause est du domaine public puisque la demanderesse a trouvé cette information sur Internet après que la décision relative à la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire a été rendue. Cet argument est inexact. Comme l’indique l’affidavit de Mme Dianne Aimee Molina Verano (dossier de la demanderesse [le DD], volume II, aux pages 380 à 383), elle n’a pu trouver ledit document en suivant la référence de l’agente, malgré de nombreuses tentatives. Mme Molina a finalement retracé l’information citée par l’agente dans sa décision en tapant dans Google les mots que celle‑ci avait cités. Ce n’est qu’à ce moment‑là qu’elle a trouvé l’information sur deux blogues. Elle n’a pu trouver le document lui-même, tel que le cite et le présente l’agente. Ce document ne se trouve pas non plus dans le dossier certifié du tribunal [le DCT]. Les deux parties ont cependant discuté à l’audience d’un document qui se trouve dans le DCT, intitulé Federal Republic of Nigeria, Revised Health Policy, Federal Ministry of Health, Abuja [Revised Health Policy] (DCT, aux pages 19 à 27), et qui renferme de l’information semblable, parfois presque mot pour mot, à celle que l’agente a présentée sous le titre « Motherland Nigeria: Healthcare ». Il n’est toutefois pas fait mention de « Motherland Nigeria: Healthcare » dans Revised Health Policy. En outre, la note en bas de page dont se sert l’agente pour renvoyer au document mentionne seulement « Motherland Nigeria : Healthcare ». Par conséquent, contrairement à ce que dit le défendeur, on ne peut pas soutenir que « Motherland Nigeria: Healthcare » est du domaine public. Ce document n’était pas disponible et la demanderesse ne pouvait le consulter. Les exigences énoncées dans l’arrêt Mancia, précité, ne sont par conséquent pas respectées.

[23]           L’agente a également consacré presque toute une page de sa décision à citer de l’information tirée du document inaccessible. La place qu’elle accorde à cette information montre à quel point elle était importante pour sa décision. De plus, l’agente a présenté cette information comme étant la [traduction] « politique actuelle en matière de santé au Nigéria ». Le document se trouvant dans le DCT, Revised Health Policy, qui renferme de l’information semblable, est toutefois daté de septembre 2004. La politique actuelle de la santé au Nigéria, à laquelle l’agente fait référence, n’est peut-être pas si actuelle que cela. Puisque l’agente s’est appuyée sur le document pour rendre sa décision, sans en donner la bonne référence pour que la demanderesse puisse le trouver et sans lui donner la possibilité d’y répondre, il était impossible pour cette dernière d’évaluer correctement l’information qu’il renferme et de faire des observations quant à son contenu. Le document en cause aurait dû être divulgué à la demanderesse. L’agente a donc manqué à l’équité procédurale en s’appuyant sur un document qui n’était pas disponible et qu’il était impossible de consulter, et auquel la demanderesse n’a pu répondre. L’intervention de la Cour est justifiée. Cela étant dit, je ferai également quelques commentaires ci‑après à propos du caractère raisonnable de la décision.

B.                 La décision relative à la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire est-elle raisonnable?

[24]           Le critère à appliquer dans le cas d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire est celui‑ci : au moment où la demanderesse a présenté sa demande, sa situation personnelle était-elle telle que les difficultés associées à une demande de visa de résident permanent effectuée depuis l’extérieur du Canada de la façon normale seraient inhabituelles, injustifiées ou excessives. Il incombe à la demanderesse de satisfaire à ce critère (Owusu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 38, au paragraphe 8; Kanthasamy, précité, au paragraphe 48). Le point de départ de l’analyse de la Cour est donc le raisonnement de l’agente. « La question est de savoir si la décision de l’agent, considérée dans son ensemble, peut justifier un examen assez poussé de la Cour » (Frank c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 270, au paragraphe 17). Tant que l’agente tient compte des facteurs pertinents et appropriés du point de vue de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, la Cour ne peut interférer avec le poids que l’agente accorde à ces divers facteurs, même si la Cour les aurait pondérés différemment (Ambassa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 158, au paragraphe 48 [Ambassa]).

(1)               Discrimination au Nigéria

[25]           La demanderesse allègue que l’agente n’a pas correctement évalué la preuve relative aux allégations qu’elle a formulées selon lesquelles elle pourrait être menacée ou faire l’objet de mauvais traitements, et selon lesquelles, étant séropositive, elle serait victime de discrimination et de stigmatisation au Nigéria. La demanderesse affirme que son affidavit explique les difficultés qu’elle aurait au Nigéria et qu’elle n’y serait pas en sécurité. Elle s’appuie sur la décision Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 CF 302, pour affirmer qu’une fois qu’un demandeur a témoigné sous serment que des allégations sont vraies, il existe une présomption qu’elles le sont.

[26]           En l’espèce, l’agente a conclu que la demanderesse n’avait pas présenté suffisamment d’éléments de preuve objectifs de la discrimination dont elle ferait l’objet au Nigéria. Cette conclusion est déraisonnable. Il y a dans le DCT une abondante preuve documentaire qui corrobore les assertions faites par la demanderesse dans son affidavit. Premièrement, il ne fait pas de doute qu’elle est séropositive, comme l’indique la lettre de l’Hôpital d’Ottawa se trouvant dans le DCT (DCT aux pages 160 et 161). Deuxièmement, le Nigeria, Country of origin information (COI) Report des Services frontaliers du Royaume-Uni [le rapport du R.‑U.], daté du 14 juin 2013, dit expressément que la [traduction] « discrimination envers les personnes séropositives ou atteintes du sida est largement répandue dans la société » (DCT, à la page 53, au point 26.15). Bien que l’agente ait fait référence à ce document dans sa décision, elle n’en a cité qu’une section qui ne concerne que l’existence de médicaments et de traitements médicaux en général, et non les portions de ce document qui traitent expressément de la situation des personnes séropositives ou atteintes du sida. Troisièmement, le DCT contenait aussi un autre document, une réponse à la demande d’information de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada [la demande d’information de la CISR], qui porte essentiellement sur le traitement par la société des personnes séropositives (DCT, aux page 69 et suivantes). Ce document dit en particulier ceci :

[traduction]

[…] les personnes séropositives et les membres de leur famille sont quotidiennement victimes de stigmatisation et de discrimination en raison de leur séropositivité, soit par les membres de leur famille immédiate, des amis, des collègues, la collectivité ou le personnel soignant dans les centres de santé. Des femmes surtout, des étudiants et des travailleurs, y compris des membres des forces policières du Nigéria, séropositifs ont signalé avoir été victimes d’exclusion et de discrimination dans leur communauté (DCT, à la page 70, au point 3).

[27]           Cela concerne directement la situation de la demanderesse. Quatrièmement, l’agente a complètement fait fi de l’affidavit du frère de la demanderesse, qui corrobore les affirmations de la demanderesse et confirme la situation des personnes séropositives au Nigéria. Enfin, l’agente n’a pas non plus tenu compte de la lettre de Steve Aborisade qui, selon ses titres de compétence, semble connaître particulièrement bien la situation des personnes séropositives au Nigéria (DCT, aux pages 168 à 171). M. Aborisade a rédigé cette lettre tout spécialement pour évaluer la situation de la demanderesse. L’agente a considéré que la lettre en question avait un caractère général et qu’elle ne s’appliquait pas personnellement à la demanderesse (DD, décision relative à la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, à la page 10). Cependant, après avoir présenté la situation des personnes séropositives au Nigéria, M. Aborisade conclut ainsi :

[traduction]

D’après mon expérience, je suis certain que votre cliente coure plus de risque d’être stigmatisée parce qu’à la fois elle est séropositive et, dans ce cas, une réaction négative plus intense : qu’elle revienne de l’étranger est à lui seul un stigmate suffisant, du fait que le VIH est considéré à tort comme une maladie de l’homme blanc.

Étant donné ces réalités, mon avis éclairé sera de tenir compte de sa situation particulière et du bien qui serait fait en prolongeant sa vie dans un contexte où elle aurait accès à des traitements et à des soins de meilleure qualité dans un environnement dépourvu des rigueurs inutiles de la discrimination associée au VIH et au sida (DCT, à la page 171) [non souligné dans l’original].

[28]           Il est difficile de comprendre comment ce document a pu être qualifié de général et comment on a pu considérer qu’il ne concernait pas personnellement la demanderesse.

[29]           En ce qui a trait à la discrimination que subirait la demanderesse de la part de sa propre famille et de celle de son défunt époux, l’agente a déraisonnablement conclu que la demanderesse n’avait pas fourni de preuves de ce qu’elle serait menacée par sa belle-famille, ou n’aurait pas le soutien de sa mère et d’autres membres de sa famille au Nigéria (DCT, décision relative à la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, à la page 9). De nouveau, ces allégations sont étayées par l’affidavit du frère de la demanderesse et par la preuve documentaire, comme l’indique la demande d’information de la CISR précitée.

[30]           L’agente n’a donc pas tenu compte des preuves qui contredisaient nettement sa conclusion et a choisi de l’information générale pour soutenir sa conclusion erronée (Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1425, 157 FTR 35; Andrade c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1490). L’agente n’était saisie d’aucun élément prouvant que les affirmations de la demanderesse dans son affidavit étaient fausses. C’est plutôt exactement le contraire. L’agente n’a pas non plus expliqué pourquoi la déclaration sous serment n’était pas suffisant pour établir le manque de soutien au Nigéria (Westmore c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1023, au paragraphe 44). Cela rend la décision relative à la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire déraisonnable.

(2)               Traitements disponibles au Nigéria

[31]           La demanderesse fait valoir aussi que l’agente a commis une erreur dans son évaluation des traitements disponibles au Nigéria. Je suis d’accord. À cet effet, à l’audience du contrôle judiciaire, la demanderesse a signalé le Global Report: UNAIDS report on the global AIDS epidemic 2013 (DCT, aux pages 179 à 213). Selon ce rapport, le Nigéria est le dix-neuvième pays où 90 % des gens ayant besoin d’un traitement antirétroviral ne le reçoivent pas (DCT, à la page 183). Le rapport dit ensuite que [traduction] « [L]e Nigéria compte la deuxième population au monde de personnes séropositives, le tiers seulement des gens admissibles au traitement contre le VIH le recevant […] » (DCT, à la page 212). Le rapport du R.‑U., précité, explique aussi qu’au Nigéria, il existe [traduction] « un fossé énorme entre les personnes obtenant des médicaments antirétroviraux et celles qui en ont besoin » (DCT, à la page 53, au point 26.16). L’agente, après avoir analysé la disponibilité des services de santé en général et des traitements contre le VIH dans les établissements de santé au Nigéria, a conclu dans sa décision qu’elle n’est pas convaincue que la demanderesse [traduction] « souffre de troubles médicaux dont le traitement ne serait pas disponible au Nigéria » (DCT, décision relative à la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, à la page 8). Compte tenu de l’information susmentionnée, l’agente n’a pas procédé à une analyse réaliste de la possibilité pour les personnes séropositives d’être traitées au Nigéria. Ceci justifie l’intervention de la Cour.

(3)               La demanderesse reste au Canada dans des circonstances indépendantes de sa volonté

[32]           Pour ce qui est de l’établissement de la demanderesse au Canada, je suis de nouveau d’accord avec elle et je considère qu’elle est restée au Canada par suite de circonstances qui sont indépendantes de sa volonté, en raison des problèmes de santé de son défunt époux. Comme elle l’affirme dans son affidavit, elle n’a jamais eu l’intention de rester au Canada, c’est seulement en raison des problèmes de santé inattendus de son époux en novembre 2011 qu’elle est restée au Canada pendant une période prolongée. Cette information n’est pas contestée. De plus, la demanderesse est venue au Canada munie d’un visa de visiteur à plusieurs reprises au cours des douze (12) dernières années et est toujours retournée au Nigéria lorsqu’elle devait le faire. La décision de l’agente selon laquelle il n’y a pas suffisamment de preuves établissant que la demanderesse reste au Canada par suite de circonstances indépendantes de sa volonté est donc déraisonnable.

VIII.       Conclusion

[33]           L’agente s’est appuyée à tort sur un document non disponible et impossible à consulter, « Motherland Nigeria: Healthcare ». De plus, l’agente n’a pas donné à la demanderesse l’occasion de répondre à ce document. En outre, les raisons que l’agente a invoquées pour évaluer la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire de la demanderesse n’étaient pas raisonnables, puisque les affirmations de la demanderesse dans son affidavit étaient appuyées par des éléments probants. La décision relative à la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire est par conséquent déraisonnable et ne fait pas partie des issues possibles et acceptables pouvant être justifiées au regard des faits et du droit (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47). L’intervention de la Cour est donc justifiée.

[34]           Les parties ont été priées de proposer une question certifiée, mais elles ont refusé.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour un nouvel examen.

2.      Aucune question n’est certifiée.

« Simon Noël »

Juge

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice-conseil


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

IMM‑3182‑14

 

INTITULÉ :

ELIZABETH BEAUTY OGUNYINKA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 29 AVRIL 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE S. NOËL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 6 MAI 2015

 

COMPARUTIONS :

Laila Demirdache

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Sarah Jane Harvey

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Clinique juridique communautaire

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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