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Date : 20150506


Dossier : IMM-5936-14

Référence : 2015 CF 594

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 6 mai 2015

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

JIANMIN WU

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

(Jugement prononcé à l’audience)

I.                   Aperçu

[1]               Le demandeur a le fardeau de présenter une demande complète comprenant les documents adéquats à l’appui, et « [l]'agent des visas n'a pas à attendre ni à offrir au [demandeur] une deuxième chance ou même plusieurs autres chances de le convaincre d'éléments essentiels que le [demandeur] peut avoir omis de mentionner » (Prasad c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] ACF no 453, au paragraphe 7).

[2]               La Cour souligne que le demandeur lui a fourni des explications et des éléments de preuve à l’appui de la demande de prorogation de délai qu’il avait présentée initialement à l’agent des visas. Cependant, comme ces éléments de preuve n’ont pas été communiqués à l’agent des visas, ils ne peuvent être pris en compte aux fins du contrôle judiciaire de la décision de l’agent.

II.                Introduction

[3]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, LC 2001 c 27 (la LIPR), à l’encontre de la décision datée du 4 juin 2014 par laquelle un agent des visas a rejeté la demande de résidence permanente du demandeur.

III.             Le contexte factuel

[4]               Le demandeur, un citoyen de la Chine, est l’administrateur indépendant de Migao Corporation Group Co., Ltd., le chef de l’exploitation et directeur de Meize Energy Industries Holding Limited ainsi que le directeur général et représentant légal de Shenyang Yutao Investment Consulting Co., Ltd.

[5]               Le demandeur est titulaire d’un baccalauréat en informatique appliquée et d’une maîtrise en génie électrique de l’Université de technologie de Dalian, en Chine.

[6]               Le demandeur, qui avait l’intention d’immigrer au Canada avec sa famille et prévoyait fonder une entreprise à l’Île-du-Prince-Édouard (l’Î.-P.-É.), dont les activités consisteraient à faciliter la création de parcs éoliens, a été retenu par la province de l'Î.-P.-É. dans le cadre du Programme des candidats des provinces, dans la catégorie des gens d’affaires, volet de la propriété totale, le 28 mai 2013.

[7]               Le 20 août 2013, le demandeur a présenté une demande de résidence permanente au gouvernement fédéral avec l’aide d’une société d'experts-conseils chinoise en matière d’immigration et par l’entremise d’un représentant qualifié à l’Î.-P.-É.

[8]               Le 17 mars 2014, le consulat général à Hong Kong a demandé au demandeur de lui faire parvenir son passeport et le paiement des frais relatifs au droit de résidence permanente au plus tard le 16 mai 2014. L’expert-conseil en immigration retenu par le demandeur a reçu cette demande à son bureau au Canada, puis l’a transmise au bureau de Beijing. Cependant, le personnel du bureau de Beijing n’a pas pris connaissance de cette demande sur-le-champ et s’en est seulement rendu compte environ une semaine après l’expiration du délai.

[9]               Le 26 mai 2014, le représentant du demandeur a envoyé par courriel une demande de prorogation du délai alloué pour la transmission des documents requis. Dans cette demande, le représentant expliquait que le demandeur [traduction] « a beaucoup voyagé et n’a pas encore été en mesure de transmettre son passeport. Ils demandent de proroger le délai jusqu’au 17 juillet 2014 pour être en mesure de faire les voyages déjà prévus. » (Courriel de Chris Somers transmis à la Section de l’immigration à Hong Kong, dossier du demandeur, à la page 45.)

[10]           Un agent des visas a rejeté la demande de prorogation de délai du demandeur le 2 juin 2014. Le 4 juin 2014, un agent des visas du consulat du Canada à Hong Kong a informé le demandeur que sa demande de résidence permanente était rejetée, car il n’avait pas fourni les documents requis et contrevenait ainsi au paragraphe 50(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑27 (le Règlement), et au paragraphe 16(1) de la LIPR.

[11]           Le consulat à Hong Kong a reçu le passeport demandé le 6 juin 2014, soit après la date de la décision de l’agent des visas.

[12]           Les dispositions sur lesquelles s’est appuyé l’agent des visas sont reproduites ci‑dessous.

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227

Immigration and Refugee Protection Regulations, SOR/2002-227

Documents : résidents permanents

Documents – Permanent residents

50. (1) En plus du visa de résident permanent que doit détenir l’étranger membre d’une catégorie prévue au paragraphe 70(2), l’étranger qui entend devenir résident permanent doit détenir l’un des documents suivants :

50. (1) In addition to the permanent resident visa required of a foreign national who is a member of a class referred to in subsection 70(2), a foreign national seeking to become a permanent resident must hold

a) un passeport — autre qu’un passeport diplomatique, officiel ou de même nature — qui lui a été délivré par le pays dont il est citoyen ou ressortissant;

(a) a passport, other than a diplomatic, official or similar passport, that was issued by the country of which the foreign national is a citizen or national;

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27

Immigration and Refugee Protection Act, SC 2001, c 27

Obligation du demandeur

Obligation – answer truthfully

16. (1) L’auteur d’une demande au titre de la présente loi doit répondre véridiquement aux questions qui lui sont posées lors du contrôle, donner les renseignements et tous éléments de preuve pertinents et présenter les visa et documents requis.

16. (1) A person who makes an application must answer truthfully all questions put to them for the purpose of the examination and must produce a visa and all relevant evidence and documents that the officer reasonably requires.

IV.             Les questions en litige

[13]           Voici les questions fondamentales soulevées dans la demande :

a)      L’agent des visas a‑t‑il manqué à son obligation d’équité procédurale?

b)      La décision de l’agent des visas est‑elle raisonnable?

V.                La norme de contrôle

[14]           Les questions d’équité procédurale sont des questions de droit qui doivent être contrôlées selon la norme de la décision correcte, qui n’appelle aucune retenue, tandis que la décision définitive de l’agent des visas de rejeter la demande de résidence permanente du demandeur doit être contrôlée selon la norme de la décision raisonnable (Torres c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 818, au paragraphe 26; Sketchley c Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, au paragraphe 53; Ré:Sonne c Conseil du secteur du conditionnement physique du Canada, 2014 CAF 48, au paragraphe 34; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 43).

VI.             Analyse

[15]           Comme l’a conclu la Cour suprême du Canada, la notion d’équité procédurale est contextuelle et varie en fonction des faits propres à chaque cas (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, [2008] 1 RCS 190, aux paragraphes 77 et 79 (Dunsmuir)).

[16]           Les facteurs pertinents pour déterminer le contenu de l’obligation d’équité procédurale comprennent ce qui suit : (1) la nature de la décision recherchée et le processus suivi pour y parvenir; (2) la nature du régime législatif et les termes de la loi régissant l’organisme; (3) l’importance de la décision pour les personnes visées; (4) les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision; (5) les choix de procédure que l’organisme fait lui‑même (Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817).

[17]           Le demandeur fait valoir que l’importance de la décision pour la personne visée, les attentes légitimes et les choix de procédure que l’agent des visas a faits militent en faveur d’un degré plus élevé d’équité procédurale. Pour sa part, le défendeur fait valoir que l’obligation d’équité est plus limitée en l’espèce, où elle concerne un décideur administratif, que dans les affaires qui concernent un tribunal quasi judiciaire, qui est davantage tenu de confronter le demandeur.

[18]           La Cour estime que les exigences minimales relatives à l’obligation d’équité procédurale dans le processus décisionnel examiné sont parmi les moins rigides. Comme l’a affirmé le juge Michael L. Phelan dans la décision Nabin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 200, aux paragraphes 7 et 8 :

[7] Il est bien établi dans la jurisprudence de la Cour que le fardeau d’établir le droit à un visa incombe au demandeur. Ce fardeau comprend la responsabilité de fournir tous les renseignements pertinents qui pourraient appuyer la demande. Il n’existe aucune exigence générale voulant que les agents des visas aient à se livrer à une forme de dialogue quant à l’exhaustivité ou à l’exactitude des documents déposés.

[8] La règle voulant que l’agent des visas ne soit pas obligé d’aviser le demandeur de ses doutes quant aux documents déposés comporte une exception : l’obligation d’aviser existe lorsque l’agent a des doutes quant à la crédibilité, à l’exactitude ou à l’authenticité des renseignements fournis, ou que ces renseignements comportent des éléments de preuve extrinsèques (voir la décision Olorunshola c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] A.C.F. no 1383, 2007 CF 1056, aux paragraphes 30 à 37).

[Non souligné dans l’original.]

[19]           Le demandeur ajoute que l’agent des visas a commis une erreur lorsqu’il a restreint indûment son pouvoir discrétionnaire et refusé la demande de prorogation de délai.

[20]           Dans la décision Ching-Chu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 855, au paragraphe 24 (Ching-Chu), sur lequel s’appuie le demandeur, le juge Michael A. Kelen a conclu qu’un agent des visas doit d’abord examiner les demandes de prorogation de délai avant de les rejeter et qu’un refus catégorique constitue une restriction indue du pouvoir discrétionnaire :

[25] L’agent des visas a restreint indûment son pouvoir discrétionnaire en déclarant, de manière catégorique, qu’il n’accorde jamais de prorogation de délai aux fins du dépôt de renseignements supplémentaires. Si l’agent avait examiné la demande de prorogation de délai et s’il avait exercé son pouvoir discrétionnaire puis conclu qu’aucune prorogation ne devait être accordée pour un motif précis, sa décision aurait alors été valide. Cependant, en restreignant indûment son pouvoir discrétionnaire, l’agent des visas refuse d’étudier l’opportunité d’exercer ce pouvoir, ce qui est contraire à la loi. Voir la décision Yhap c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 1 C.F. 722 (C.F. 1re inst.) rendue par le juge en chef adjoint Jerome, à la page 739 : [Non souligné dans l’original.]

L'importance de la flexibilité dans l'adoption d'une politique ou de lignes directrices en tant que moyen de structurer le pouvoir discrétionnaire est mise en lumière par D. P. Jones et A. S. de Villars dans leur ouvrage Principles of Administrative Law, où, à la page 137, il est question de politique « générale » et « inflexible » :

[traduction] [...] l'existence du pouvoir discrétionnaire implique l'absence d'une règle dictant le résultat dans chaque cas; le pouvoir discrétionnaire réside essentiellement dans le fait que son exercice varie selon les cas. Et chaque cas est un cas d'espèce. En conséquence, tout ce qui exige d'un délégué qu'il exerce son pouvoir discrétionnaire d'une manière particulière peut illégalement restreindre la portée de son pouvoir. Un délégué qui entrave ainsi son pouvoir discrétionnaire excède sa compétence et peut faire l'objet d'un contrôle judiciaire. [Souligné dans l’original.]

[21]           Dans le cas présent, contrairement à la situation visée par l’arrêt Ching-Chu, précité, rien n’indique que l’agent a refusé d’exercer son pouvoir discrétionnaire ou qu’il n’a pas traité la demande présentée par le demandeur comme un cas d’espèce. Les motifs de l’agent des visas, tel qu’ils figurent dans les notes enregistrées dans le Système mondial de gestion des cas (le SMGC), révèlent plutôt que l’agent a tenu compte de l’explication fournie par le demandeur à l’appui de sa demande (à savoir qu’il avait beaucoup voyagé), mais a conclu qu’il n’était pas justifié, dans les circonstances, de proroger le délai de deux mois. Notamment, l’agent a souligné l’absence d’explication sur les raisons pour lesquelles le demandeur n’avait pas été en mesure de demander une prorogation de délai dans les 60 jours qui lui étaient accordés et l’absence d’éléments de preuve à l’appui de la demande du demandeur, comme des éléments de preuve relatifs aux voyages (notes de l’agent versées dans le SMGC, dossier certifié du tribunal, à la page 6). Ces conclusions ont poussé l’agent des visas à conclure que le demandeur ne respectait pas les exigences de la LIPR et de son Règlement.

[22]           La Cour souligne que le demandeur lui a fourni des explications et des éléments de preuve à l’appui de la demande de prorogation de délai qu’il a présentée initialement à l’agent des visas. Cependant, comme ces éléments de preuve n’ont pas été communiqués à l’agent des visas, ils ne peuvent être pris en compte aux fins du contrôle judiciaire de la décision de l’agent.

[23]           Le demandeur a le fardeau de présenter une demande complète comprenant les documents adéquats à l’appui, et « [l]'agent des visas n'a pas à attendre ni à offrir au [demandeur] une deuxième chance ou même plusieurs autres chances de le convaincre d'éléments essentiels que le [demandeur] peut avoir omis de mentionner » (Prasad, précitée).

[24]           La Cour conclut que la décision de l’agent des visas appartient aux issues raisonnables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47; Newfoundland and Labrador Nurses' Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 14).

VII.          Conclusion

[25]           Compte tenu de ce qui précède, la demande sera rejetée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a pas de question grave de portée générale à certifier.

REMARQUE INCIDENTE

La Cour reconnaît que, dans les affaires semblables à l’affaire en l’espèce, les partenariats fédéraux‑provinciaux semblent promouvoir les projets visant à apporter des améliorations au sein des provinces canadiennes et du Canada en général. Le gouvernement fédéral pourrait donc vouloir, de son propre gré, assouplir l’application des exigences en matière d’immigration dans l’objectif de soutenir les politiques mises en œuvre par les partenariats de coopération fédéraux‑provinciaux.

Il est souligné que les autorités compétentes de l’Î.-P.-É. ont approuvé un projet dans le cadre duquel elles ont accepté d’accorder au demandeur un certificat de désignation au titre de la catégorie des gens d’affaires, volet de la propriété totale. Bien que le jugement de la Cour reconnaisse le caractère raisonnable de la décision de l’agent – une décision fondée sur des faits démontrant le non‑respect d’un délai – en raison de l’application à la lettre de la loi – il peut inspirer le désir de respecter non seulement la lettre de la loi, mais aussi l’esprit de la loi. Il en est ainsi pour les accords de coopération misant à la fois sur les lois fédérales et provinciales pour créer une ouverture permettant aux autorités fédérales d’examiner rapidement les documents de ce demandeur, dans l’objectif d’assurer le traitement de l’affaire de façon accélérée.

Il semble que l’énergie additionnelle que peuvent procurer des parcs éoliens constitue un facteur favorable reconnu dans la politique énergétique du Canada. Par conséquent, la reconnaissance de ce facteur peut justifier l’application d’une mesure d’exception en raison d’un résultat éventuel, s’il n’y a aucun doute quant à l’admissibilité du demandeur.

« Michel M.J. Shore »

Juge

Traduction certifiée conforme

C. Laroche


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5936-14

 

INTITULÉ :

JIANMIN WU c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 6 MAI 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SHORE

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

LE 6 MAI 2015

COMPARUTIONS :

Nancy Myles Elliott

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Margherita Braccio

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Elliott Law Firm

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

pOUR LE DÉFENDEUR

 

 

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