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Date : 20150430


Dossier : T‑2001‑12

Référence : 2015 CF 569

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 30 avril 2015

En présence de monsieur le juge Campbell

ENTRE :

CANAMEX TRUCKING SYSTEMS INC., AUSSI CONNUE sous le nom de CANAMEX-CARBRA TRANSPORTATION SERVICES INC. ET CARRIER & CARGO INTERNATIONAL SYSTEMS INC.

demanderesse

et

HENRYK DEBSKI

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]               Par la présente, la demanderesse (Canamex) demande l’annulation de la décision en matière de recouvrement de salaire rendue par un arbitre du Conseil canadien des relations industrielles le 2 octobre 2012 en vertu du paragraphe 251.12(4) de la partie III du Code canadien du travail, LRC, 1985, c L‑2 (le Code). Canamex est une entreprise de transport ayant son siège à Brampton (Ontario); le défendeur (M. Debski) est un camionneur ayant conduit des véhicules de transport de Canamex à quatre reprises de 2000 à 2007.

[2]               La principale question de fond que devait trancher l’arbitre était de savoir si M. Debski était un employé de Canamex ou un entrepreneur indépendant. M. Debski alléguait être un employé et Canamex soutenait qu’il était un entrepreneur indépendant. La principale question en litige dans la présente demande est de savoir si l’arbitre a tenu une audience équitable sur le fond. Les circonstances récentes ayant immédiatement mené à la décision visée importent dans ce dossier.

[3]               Dans le compte rendu le plus récent du litige, des préoccupations ont été exprimées au sujet de la crédibilité de M. Debski. L’intervention et la décision de l’arbitre découlent d’un appel d’une décision du 2 octobre 2012 rendue par un inspecteur ayant rejeté, en vertu du Code, la plainte de M. Debski pour licenciement injuste. La décision de l’inspecteur comporte la déclaration suivante :

[traduction] Un rendez-vous a été pris avec le plaignant le 12 janvier 2010 pour examiner la plainte en détail et lui donner la possibilité de fournir des documents supplémentaires selon sa demande.

Le 12 janvier 2010, le plaignant a produit un certain nombre de documents et de déclarations écrites. Il a présenté des lettres reçues de la CSPAAT lui refusant la participation au régime, ainsi qu’une décision en appel de la CSPAAT au sujet de sa demande de prestations. Le plaignant a aussi produit plusieurs documents dactylographiés décrivant ses antécédents professionnels et personnels dans les sept dernières années et détaillant ses diverses activités d’emploi dans l’industrie du camionnage. Il a notamment fait part de sa réaction et de ses sentiments en ce qui concerne la procédure d’appel auprès de la CSPAAT et exposé par écrit les raisons pour lesquelles il jugeait qu’il était un employé de Canamex Trucking Systems Inc. Ces documents sont annexés sous la cote [sic] « annexe G ».

À cette rencontre, le plaignant a allégué que l’employeur avait falsifié des documents pour ensuite les présenter à la CSPAAT, afin qu’il soit considéré comme entrepreneur indépendant par la CSPAAT. Il a également allégué qu’il n’avait jamais eu ses propres autorisations et permis d’entreprise et ne payait pas les frais qu’il supportait en carburant et en assurances.

(Dossier de la demanderesse, aux pages 219 et 220)

[4]               Au départ, l’appel a été déféré à un arbitre qui a choisi de se récuser. C’est ainsi que, comme il l’a expliqué dans la décision visée, le présent arbitre a entrepris, une fois l’appel assigné, d’en fixer la procédure :

[traduction] Une audition a eu lieu à Toronto le 22 juin 2012. Les parties ont été entendues séparément, parce qu’on avait fortement indiqué de part et d’autre qu’il y avait du ressentiment entre les parties principales à l’appel. J’ai jugé qu’il serait nuisible et contre-productif qu’ils soient ensemble dans la même pièce. Les parties à l’appel ont eu « toute possibilité de lui présenter des éléments de preuve et des observations », comme le prévoit l’alinéa 251.11(2)d) du Code canadien du travail. Je les ai avisées de cette manière de procéder et des raisons pour laquelle j’agissais ainsi dans un courriel que j’ai envoyé aux deux parties le 29 mai 2012 et que je reproduis ci‑après :

« Je confirme que l’audition de cet appel en matière de recouvrement de salaire aura lieu le 22 juin 2012 au bureau 900, 110, rue Yonge, à Toronto (Ontario).

Comme je vous l’ai déjà expliqué, le Code canadien du travail prévoit qu’en matière de recouvrement du salaire, un arbitre fixe la procédure à suivre pendant l’audience, mais en donne toute possibilité aux parties de lui présenter des éléments de preuve et des observations. Comme il existerait du ressentiment entre les parties, j’ai décidé d’entendre les témoignages et les observations des parties séparément. Je recevrai le témoignage et les observations de M. Debski de 10 h à 13 h et ceux de M. Hundal [président de Canamex] de 14 h à 16 h.

La question à trancher dans cet appel en matière de recouvrement du salaire est de savoir si l’inspecteur du travail a eu raison de conclure que M. Debski était un entrepreneur indépendant. Vous aurez l’occasion à l’audience de produire vos éléments de preuve et de contester ou de confirmer les conclusions de l’inspecteur.

Je vous remercie de votre constante collaboration dans ce dossier. »

(La décision, au paragraphe 6)

[5]               Le pouvoir dont jouit l’arbitre pour fixer la procédure en appel provient de l’alinéa 251.12(2)d), qui dispose que l’arbitre peut : « fixer lui-même sa procédure, sous réserve de la double obligation de donner à chaque partie toute possibilité de lui présenter des éléments de preuve et des observations, d’une part, et de tenir compte de l’information contenue dans le dossier, d’autre part » (non souligné dans l’original).

[6]               Pendant l’audition de la présente demande, l’avocat de Canamex a confirmé que, malgré des efforts diligents pour obtenir le procès-verbal de l’instance devant l’arbitre et vu l’incapacité de l’obtenir, la seule preuve au dossier de la présente demande au sujet de la procédure fixée, aspect qui n’est pas en litige, est ce qu’a déclaré le président de Canamex, qui a participé à l’audience menée par l’arbitre, aux paragraphes 57 à 59 de son affidavit produit dans le contexte de la présente demande :

[traduction] L’arbitre Clarke a déterminé qu’il avait le pouvoir d’entendre les parties séparément en vertu des dispositions du Code canadien du travail et, au paragraphe 6 de ses motifs, il a expliqué que, à son avis, il aurait été nuisible de mettre les deux parties dans la même pièce. À l’époque, aucune des parties ne s’est opposée à ce que l’audition ait lieu sans la présence de l’autre et aucune n’était représentée par un avocat.

Les représentants de CanAmex sont arrivés en retard pour l’audience du 22 juin 2012, ayant eu du mal à constater et repérer le lieu du rendez-vous. M. Clarke n’avait pas convoqué officiellement les parties à l’audience, mais avait plutôt tenu une conversation sur la question avec les parties présentes pour le compte de CanAmex [sic]. L’entretien avait duré moins d’une heure et n’était pas structuré.

À l’audience du 22 juin 2012, l’arbitre Clarke n’a pas discuté du témoignage de M. Debski avec les représentants de CanAmex, ni n’a précisé la nature de l’audience tenue avec celui‑ci. Rien n’indiquait si Henryk Debski avait présenté ses arguments sous serment, si un procès-verbal de l’instance avait été conservé, si l’intéressé avait déposé des documents supplémentaires et ce que renfermait le dossier de la preuve.

[7]               Dans la décision contestée, au moment de conclure que M. Debski était un employé de la société, l’arbitre a tiré les conclusions suivantes sur la question de la crédibilité aux paragraphes 24 à 27 :

[traduction] Aussi bien M. Debski que les représentants de la société étaient crédibles et prêts à coopérer comme témoins et déclarants. Les deux parties ont plaidé leur cause avec compétence dans cet appel. Pour décider si M. Debski était un employé de Canamex ou un entrepreneur indépendant, il faut tenir compte de l’ensemble de la relation des parties. Certains aspects de la relation de travail entre les parties donnent à penser que M. Debski était un entrepreneur indépendant, alors que d’autres donnent à penser qu’il était un employé. On peut à tout le moins dire que la relation professionnelle entre les parties est complexe.

Les faits qui permettent de conclure que M. Debski était un entrepreneur indépendant sont les suivants :

[…]

f. l’appelant a signé une formule de non-participation à la CSPAAT en invoquant l’état d’entrepreneur indépendant (cette signature est contestée par l’appelant);

[…]

Les faits qui permettent de conclure que M. Debski était un employé sont les suivants :

[…]

p. M. Debski nie avoir signé la formule de non-participation à la CSPAAT qui en ferait un entrepreneur indépendant. Il soutient que la formule a été remplie et signée en son nom par l’entreprise.

[…]

[Non souligné dans l’original.]

[8]               Au paragraphe 20 de son affidavit, le président de Canamex dit pourquoi la décision contestée devrait être annulée :

[traduction] L’arbitre Donald Clarke (l’arbitre) a manqué aux règles de justice naturelle pour les raisons suivantes :

(i) Il a choisi une procédure qui excluait la demanderesse de la partie de la procédure où le plaignant présentait un témoignage verbal, ce qui contrevenait nettement à la règle de droit bien établie selon laquelle un tribunal ne devrait pas entendre un témoignage en l’absence de la partie dont la conduite est attaquée;

(ii) Dans sa décision en l’espèce, l’arbitre a directement fait référence aux allégations du défendeur selon lesquelles il n’avait pas personnellement signé plusieurs documents qui auraient porté sa signature et la demanderesse avait contrefait sa signature dans ces documents. Dans sa décision, l’arbitre renvoie aussi aux allégations du défendeur selon lesquelles certaines factures avaient été contrefaites par un employé de la demanderesse. Il invoque en faveur du défendeur l’accusation de celui‑ci selon laquelle un document en particulier, la formule de non-participation à la CSPAAT, avait été contrefaite par la demanderesse. En étant exclue de la partie de la procédure où le défendeur a été entendu par l’arbitre et a fait ses observations, la demanderesse n’a pas eu la possibilité de connaître ni de réfuter ces allégations et d’autres allégations substantielles au sujet d’importants documents déposés en preuve qui sous-tendent la décision finale de l’arbitre;

(iii) L’arbitre n’a pas donné la possibilité à la demanderesse de présenter une défense pleine et entière à l’égard des allégations du défendeur en l’excluant de la partie de la procédure où celui‑ci a été entendu par l’arbitre et a fait ses observations;

(iv) L’arbitre a privé la demanderesse de la possibilité de contester la preuve et la crédibilité du plaignant pour ce qui est des questions substantielles à trancher; un grand nombre de déclarations et d’allégations sur des questions de fait en litige essentielles ont été faites par le défendeur et citées par l’arbitre dans sa décision; comme conséquence du choix de cette procédure par l’arbitre, la demanderesse n’a pas pu entendre le témoignage et les observations du défendeur, ni vérifier directement les faits qu’ils contenaient et mettre en doute la crédibilité du défendeur;

(v) La procédure adoptée par l’arbitre a privé la demanderesse de la possibilité de s’attaquer aux incohérences ou aux erreurs possibles dans le témoignage du défendeur; dans ses observations écrites, celui‑ci a avancé des vues incohérentes que la demanderesse n’a pas eu la possibilité de contester au moment où le défendeur a témoigné et présenté ses observations de vive voix devant l’arbitre;

(vi) L’arbitre n’a pas donné à la demanderesse la possibilité d’entendre directement le témoignage et les observations du défendeur à l’audience et ne lui a pas fourni non plus une transcription ou un autre moyen de connaître son témoignage et ses observations verbales. La demanderesse n’a donc pas pu les réfuter pour ce qui est des questions substantielles dont l’arbitre était saisi.

[9]               Pendant l’audition de la présente demande, l’avocat de Canamex a fait valoir que le défaut de l’arbitre de mener une audition propre à régler la question de la crédibilité faisait peser des soupçons sur l’intégrité et les intérêts de son client. Je peux sûrement comprendre cette inquiétude.

[10]           J’accepte les craintes exprimées par le président de Canamex. Je conclus que l’arbitre savait ou aurait dû savoir que la question de la crédibilité était au cœur même du litige. À mon avis, la procédure que l’arbitre a choisie ne permettait pas de parvenir à une décision équitable en l’espèce. Je conclus donc que le défaut de l’arbitre de fixer une procédure permettant de rendre une décision appropriée à l’égard de la question constitue un manquement à l’obligation d’agir équitablement envers Canamex. C’est pourquoi je conclus que la décision est entachée d’une erreur susceptible de contrôle.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la décision faisant l’objet du présent contrôle judiciaire soit annulée et que l’affaire soit renvoyée à un nouvel arbitre pour que celui‑ci rende une nouvelle décision conformément aux directives suivantes :

1.      La nouvelle décision doit être rendue de façon à répondre aux préoccupations qui ont fait annuler la décision contestée;

2.      Le dossier complet de l’instance, dont un enregistrement et une transcription des témoignages présentés, doit être mis à la disposition tant de la demanderesse que du défendeur dans les 20 jours suivant le prononcé de la décision.

« Douglas R. Campbell »

Juge

Traduction certifiée conforme

M.-C. Gervais


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DOSSIER :

T‑2001‑12

 

INTITULÉ :

CANAMEX TRUCKING SYSTEMS INC., AUSSI CONNUE SOUS LE NOM DE CANAMEX-CARBRA TRANSPORTATION SERVICES INC. ET DE CARRIER & CARGO INTERNATIONAL SYSTEMS INC. c HENRYK DEBSKI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 28 AVRIL 2015

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE CAMPBELL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 30 AVRIL 2015

 

COMPARUTIONS :

David Seed

POUR LA DEMANDERESSE

 

Henryk Debski

 

POUR LE DÉFENDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

David Seed

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Henryk Debski

 

POUR LE DÉFENDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

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