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Date : 20150424


Dossier : IMM-1251-14

Référence : 2015 CF 533

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 24 avril 2015

En présence de monsieur le juge Locke

ENTRE :

QINBIN GUO

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Contexte

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section de protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada selon laquelle le demandeur d’asile s’était désisté de sa demande. Pour les motifs exposés ci-dessous, je suis parvenu à la conclusion que la présente demande devrait être accueillie et que la décision de la SPR devrait être annulée.

II.                Faits

[2]               L’audience du demandeur devant la SPR devait avoir lieu le 27 janvier 2014. Le 23 janvier 2014, l’avocat du demandeur a demandé que l’audience soit reportée parce que le demandeur était malade. À l’appui de sa demande, l’avocat a déposé une lettre du médecin du demandeur datée du 23 janvier 2014, dans laquelle il était indiqué : (i) que le demandeur souffrait d’une bronchite et possiblement d’hypertension, (ii) que le médecin lui avait prescrit des antibiotiques et du sirop contre la toux, et (iii) que le demandeur avait dit à son médecin qu’il avait fait de la fièvre durant la nuit du 22 janvier 2014. L’avocat du demandeur s’est présenté devant la SPR le 27 janvier 2014, mais le demandeur n’y était pas. Pendant cette brève audience, le président a affirmé que le billet du médecin n’était pas un élément de preuve suffisant pour établir que le demandeur ne s’était pas désisté de sa demande. La SPR a prévu la tenue d’une audience spéciale le 17 février 2014 afin de donner au demandeur la possibilité d’expliquer pourquoi le désistement ne devrait pas être prononcé.

[3]               Le 17 février 2014, le demandeur et son avocat se sont présentés devant le même commissaire de la SPR qui avait entendu ce dernier le 27 janvier 2014. Pour la deuxième fois, le président a affirmé que la lettre du médecin datée du 23 janvier 2014 ne permettait pas d’établir que le demandeur était dans un tel état qu’il ne pouvait pas se présenter devant la SPR le 27 janvier 2014. Le demandeur a ensuite reçu une lettre datée du 18 février 2014 qui indiquait qu’il n’avait pas donné les raisons pour lesquelles la SPR ne devrait pas prononcer le désistement. Cette lettre est la décision contestée faisant l’objet du présent contrôle.

III.             Analyse

[4]               La présente affaire soulève une question :

  1. La SPR a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur d’asile s’était désisté de sa demande?  

[5]               La norme de la décision raisonnable s’applique en l’espèce : Ndomba c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 189, au paragraphe 9, Uandara c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 254, au paragraphe 26.

[6]               Les paragraphes 65(4) à 65(7) des Règles de la Section de la protection des réfugiés (DORS/2012-256) (RSPR) énumèrent les facteurs que la Section doit prendre en considération pour décider si elle prononce le désistement de la demande d’asile :

Éléments à considérer

Factors to consider

(4) Pour décider si elle prononce le désistement de la demande d’asile, la Section prend en considération l’explication donnée par le demandeur d’asile et tout autre élément pertinent, notamment le fait qu’il est prêt à commencer ou à poursuivre les procédures.

(4) The Division must consider, in deciding if the claim should be declared abandoned, the explanation given by the claimant and any other relevant factors, including the fact that the claimant is ready to start or continue the proceedings.

Raisons médicales

Medical reasons

(5) Si l’explication du demandeur d’asile comporte des raisons médicales, à l’exception de celles ayant trait à son conseil, le demandeur d’asile transmet avec l’explication un certificat médical original, récent, daté et lisible, signé par un médecin qualifié, et sur lequel sont imprimés ou estampillés les nom et adresse de ce dernier.

(5) If the claimant’s explanation includes medical reasons, other than those related to their counsel, they must provide, together with the explanation, the original of a legible, recently dated medical certificate signed by a qualified medical practitioner whose name and address are printed or stamped on the certificate.

Contenu du certificat

Content of certificate

(6) Le certificat médical indique, à la fois :

(6) The medical certificate must set out

a) sans mentionner de diagnostic, les particularités de la situation médicale qui ont empêché le demandeur d’asile de poursuivre l’affaire, notamment par défaut de transmettre le Formulaire de fondement de la demande d’asile rempli à la date à laquelle il devait être transmis ou de se présenter à l’audience relative à la demande d’asile,

(a) the particulars of the medical condition, without specifying the diagnosis, that prevented the claimant from providing the completed Basis of Claim Form on the due date, appearing for the hearing of the claim, or otherwise pursuing their claim, as the case may be; and

b) la date à laquelle il devrait être en mesure de poursuivre l’affaire.

(b) the date on which the claimant is expected to be able to pursue their claim.

Défaut de transmettre un certificat médical

Failure to provide medical certificate

(7) À défaut de transmettre un certificat médical, conformément aux paragraphes (5) et (6), le demandeur d’asile inclut dans son explication :

(7) If a claimant fails to provide a medical certificate in accordance with subrules (5) and (6), the claimant must include in their explanation

a) des précisions quant aux efforts qu’il a faits pour obtenir le certificat médical requis ainsi que des éléments de preuve à l’appui;

(a) particulars of any efforts they made to obtain the required medical certificate, supported by corroborating evidence;

b) des précisions quant aux raisons médicales incluses dans l’explication ainsi que des éléments de preuve à l’appui;

(b) particulars of the medical reasons included in the explanation, supported by corroborating evidence; and

c) une explication de la raison pour laquelle la situation médicale l’a empêché de poursuivre l’affaire, notamment par défaut de transmettre le Formulaire de fondement de la demande d’asile rempli à la date à laquelle il devait être transmis ou de se présenter à l’audience relative à la demande d’asile.

(c) an explanation of how the medical condition prevented them from providing the completed Basis of Claim Form on the due date, appearing for the hearing of the claim or otherwise pursuing their claim, as the case may be.

[7]               Lorsqu’elle examine une décision sur un désistement, notre Cour doit déterminer « si la conduite du revendicateur du statut de réfugié constitue une expression de l’intention de cette personne de ne pas souhaiter poursuivre sa revendication avec diligence ou de ne pas s’intéresser à sa revendication » : Ahamad c Canada (Citoyenneté et Immigration), [2000] 3 RCF 109 (CF), au paragraphe 32, Csikos c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 632, au paragraphe 25.

[8]               Le défendeur soutient que la SPR a raisonnablement évalué la lettre du médecin et a raisonnablement examiné la question de savoir si le demandeur était prêt à commencer ou à poursuivre les procédures. Le défendeur fait également remarquer que le président a donné au demandeur la possibilité d’expliquer pourquoi il n’était pas présent le 27 janvier 2014. À mon avis, la SPR a fait une analyse déraisonnable de la situation.

[9]               Le raisonnement de la SPR est principalement fondé sur l’appréciation de la lettre du médecin datée du 23 janvier 2014, laquelle a été considérée comme une preuve insuffisante.

[10]           Premièrement, la SPR a agi déraisonnablement lorsqu’elle a conclu que les symptômes du demandeur ne suffisaient pas pour reporter l’audience. Le médecin avait conclu que le demandeur souffrait d’une bronchite aiguë et avait recommandé qu’il reste chez lui pendant une semaine. Le défendeur soutient que la SPR a raisonnablement conclu que l’état de santé du demandeur ne permettait pas de croire qu’il aurait été incapable de participer à l’audience. Je ne suis pas convaincu que la situation nécessitait que le demandeur aille à l’encontre de la recommandation de son médecin. Le défendeur souligne qu’il est question d’un diagnostic probable dans la lettre du médecin. Selon moi, le mot « probable » ne change rien. Un diagnostic n’est que l’énoncé d’une clause probable du problème.

[11]           Deuxièmement, la SPR a agi déraisonnablement lorsqu’elle a conclu que la lettre du médecin était incomplète puisqu’elle n’indiquait pas la date à laquelle le demandeur devait être prêt à poursuivre les procédures. L’absence du demandeur à l’audience initiale était clairement fondée sur la recommandation du médecin de rester à la maison pendant une semaine. Par conséquent, le demandeur serait disponible à la date marquant la fin de la semaine. Il serait pédant de demander plus de précisions.

[12]           Troisièmement, la SPR a commis une erreur en évaluant l’élément prévu au paragraphe 65(4) des RSPR selon lequel le demandeur doit être « prêt à commencer ou à poursuivre les procédures ». Le dossier de l’audience tenue le 17 février 2014 indique que la SPR a demandé au demandeur s’il était prêt à poursuivre à ce moment-là. Le demandeur a répondu ce qui suit : [traduction] « Je ne me sentais pas très bien ce matin, mais maintenant, je me sens bien. Je crois que oui. Je pense que ça va. » Cette réponse n’est peut-être pas aussi ferme et sans équivoque que l’aurait voulu le commissaire de la SPR, mais elle indique néanmoins que le demandeur était prêt à poursuivre. De plus, l’avocat du demandeur a affirmé ceci à l’audience : [traduction] « Aujourd’hui, nous sommes ici tous les deux parce que nous sommes prêts à poursuivre ». La seule conclusion raisonnable est que le demandeur était prêt à poursuivre les procédures. Le dossier de l’audience tend à indiquer que la SPR n’a pas tenu compte de ces déclarations.

[13]           Je ne peux pas conclure sans mentionner que je suis surpris que le défendeur ait choisi de contester la présente demande. À mon avis, il ressort très clairement de la preuve qu’il était déraisonnable de s’attendre à ce que le demandeur se présente le jour de l’audience initiale. Dans sa lettre, le médecin du demandeur semble avoir été aussi clair qu’il était possible de l’être à ce moment-là. Empêcher une personne de présenter une demande d’asile pouvant lui sauver la vie en ergotant sur la question de savoir si le fait de prescrire une semaine à la maison détermine [traduction] « la date à laquelle le demandeur est censé être prêt à poursuivre les procédures » revient à essayer d’épargner les ressources de la SPR au détriment des personnes mêmes que la SPR cherche à protéger, soit les demandeurs d’asile diligents.

[14]           Il est encore plus difficile de comprendre pourquoi le défendeur a continué d’insister sur le fait que le demandeur n’a pas clairement dit, lors de l’audience relative au désistement, qu’il était prêt à poursuivre les procédures. L’avocat n’a d’ailleurs pas insisté sur ce point dans ses observations orales, mais le défendeur l’a fait dans ses observations écrites, en s’appuyant sur la déclaration fausse et trompeuse de la SPR selon laquelle, sur la question de savoir si le demandeur était prêt à poursuivre les procédures, [traduction] « seul le demandeur croyait qu’il était prêt, car il ne s’était pas bien senti au cours des jours précédents ».


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.  
  2. La décision de la SPR est annulée et l’affaire est renvoyée pour qu’elle soit réexaminée par un tribunal différemment constitué.
  3. Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

« George R. Locke »

Juge

Traduction certifiée conforme

Mylène Borduas


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1251-14

 

INTITULÉ :

QINBIN GUO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 2 AVRIL 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LOCKE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 24 AVRIL 2015

 

COMPARUTIONS :

Hart A. Kaminker

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Nicole Paduraru

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Hart A. Kaminker

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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