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Date : 20150428


Dossier : T-1790-14

Référence : 2015 CF 555

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 28 avril 2015

En présence de monsieur le juge Harrington

ENTRE :

CRISTETA L. DELA ROCA

AGAPITO MANALO DELA ROCA

JAMES RUSSEL DELA ROCA

MAC MARLO DELA ROCA

JOSEPH MARI DELA ROCA

JULIUS STEPHEN DELA ROCA

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               En 2005, Cristeta L. Dela Roca et son mari Agapito Manalo adoptèrent officiellement aux Philippines les quatre fils de son frère à elle. Il s’agissait de Mac Marlo, né en 1988; de Joseph Mari, né en 1990; de James Russel, né en 1992; et de Julius Stephen, né en 1994.

[2]               Mme Dela Roca et son mari ont initialement tenté de faire venir leurs quatre fils adoptifs au Canada au titre du regroupement familial en vertu des dispositions de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés [LIPR] et de ses règlements d’application. Leurs demandes de visa furent rejetées, comme le fut l’appel interjeté par Mme Dela Roca devant la Section d’appel de l’immigration (SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Ils ne sollicitèrent pas l’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire de cette décision.

[3]               La Loi sur la citoyenneté a été modifiée, et les enfants adoptifs n’ont désormais plus à obtenir la résidence permanente avant de demander la citoyenneté. Ils ont bien demandé la citoyenneté, mais leur demande a été rejetée, l’agente de la citoyenneté n’étant pas convaincue que les adoptions étaient dans l’intérêt supérieur des enfants, qu’elles avaient, entre l’adoptante et les adoptés, créé un véritable lien affectif parent‑enfant, et qu’elles ne visaient pas principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège relatifs à l’immigration ou à la citoyenneté. Cela étant, les adoptions ne répondaient pas aux conditions énoncées à l’article 5.1 de la Loi sur la citoyenneté. Il s’agit en l’espèce du contrôle judiciaire de cette décision.

[4]               Bien que quatre appels distincts aient été interjetés, correspondant aux numéros de dossier T‑1790‑14, T‑1791‑14, T‑1792‑14 et T‑1793‑14, les quatre, par ordonnance datée du 26 janvier 2015, ont été joints sous le numéro du premier dossier, T‑1790‑14, l’intitulé de la cause étant modifié afin d’y faire figurer à titre de demandeurs les parents adoptifs et leurs quatre fils adoptifs.

I.                   Rejet de la demande de contrôle judiciaire

[5]               J’estime qu’il était, de la part de l’agente de la citoyenneté, raisonnable de conclure que les adoptions en cause visaient principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège relatifs à la citoyenneté, et la demande de contrôle judiciaire est, par conséquent, rejetée. Il n’y a donc pas lieu d’examiner dans le détail la question de savoir si les adoptions étaient dans l’intérêt supérieur des enfants et si elles avaient créé un véritable lien affectif parent‑enfant.

II.                Analyse

[6]               Le frère de Mme Dela Roca et son épouse, les parents biologiques des quatre garçons, ainsi que les garçons eux-mêmes furent tous interrogés en 2007 par un agent des visas. L’agent a pris des notes très détaillées. Non seulement ces notes établissent-elles que la vie quotidienne des intéressés a continué comme avant, les parents biologiques et les quatre garçons continuant à vivre sous le même toit, mais selon les notes de l’agent des visas, les parents biologiques et les quatre garçons auraient dit qu’ils, à savoir les garçons, auraient, au Canada, une meilleure vie. Les demandes de visa furent rejetées, l’agent des visas n’étant pas convaincu que les adoptions ne visaient pas principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège aux termes de la LIPR. Les notes prises par l’agent des visas font état des propos suivants, échangés lors de l’entrevue :

[traduction]

Savez‑vous pourquoi votre répondante souhaite vous adopter tous les quatre? Oui. Pourquoi? Pour que nous puissions avoir un meilleur avenir au Canada? Pensez‑vous avoir un meilleur avenir au Canada? Oui. Parce qu’au Canada, le gouvernement subventionne les étudiants. Parce qu’il peut subvenir à nos besoins. Nous pourrons y trouver un emploi.

[…]

Vos enfants souhaitent être adoptés par la répondante? Oui. Pourquoi? Parce qu’ils savent qu’ils auront là‑bas un meilleur avenir. Ils veulent aller vivre au Canada.

[7]               Mme Dela Roca, de citoyenneté canadienne, a interjeté appel devant la SAI. À part son propre témoignage, elle n’a fait appel qu’au témoignage de Joseph Mari, un de ses fils adoptifs. Il a été jugé non crédible dans la mesure où il a tenté de revenir sur les déclarations qu’il avait faites l’année précédente à l’agent des visas, notamment en ce qui concerne son hébergement chez ses parents biologiques. L’appel fut encore une fois rejeté, au motif que l’adoption visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un avantage aux termes de la LIPR et que l’adoption n’avait pas créé un véritable lien affectif parent‑enfant.

[8]               Comme je l’ai déjà mentionné, la décision en question n’a pas fait l’objet d’une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire.

[9]               En 2007, la Loi sur la citoyenneté a été modifiée par l’ajout d’un article 5.1, ainsi libellé :

5.1 (1) Sous réserve des paragraphes (3) et (4), le ministre attribue, sur demande, la citoyenneté à la personne adoptée par un citoyen le 1er janvier 1947 ou subséquemment lorsqu’elle était un enfant mineur. L’adoption doit par ailleurs satisfaire aux conditions suivantes :

5.1 (1) Subject to subsections (3) and (4), the Minister shall, on application, grant citizenship to a person who was adopted by a citizen on or after January 1, 1947 while the person was a minor child if the adoption

a) elle a été faite dans l’intérêt supérieur de l’enfant;

(a) was in the best interests of the child;

b) elle a créé un véritable lien affectif parent-enfant entre l’adoptant et l’adopté;

(b) created a genuine relationship of parent and child;

c) elle a été faite conformément au droit du lieu de l’adoption et du pays de résidence de l’adoptant;

(c) was in accordance with the laws of the place where the adoption took place and the laws of the country of residence of the adopting citizen; and

d) elle ne visait pas principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège relatifs à l’immigration ou à la citoyenneté.

(d) was not entered into primarily for the purpose of acquiring a status or privilege in relation to immigration or citizenship.

[10]           L’agente de la citoyenneté s’est en grande partie fondée sur les notes prises en 2007 par l’agent des visas. Elle a rejeté de nouveaux éléments de preuve produits par affidavit, estimant qu’il s’agissait d’un témoignage intéressé tendant à revenir sur des déclarations antérieures.

[11]           La demanderesse a prétendu que les notes de l’agent des visas ne devraient pas être prises en compte étant donné que :

a.                   aucun affidavit de l’agent qui a pris ces notes n’a été produit devant la Cour;

b.                  les quatre garçons, dont trois étaient encore mineurs en 2007, ont été interrogés ensemble;

c.                   l’entrevue s’est en partie déroulée en anglais bien que les quatre garçons n’aient eu qu’une faible connaissance de cette langue;

d.                  l’entrevue a eu lieu sans la présence d’un interprète;

e.                   sur certains points les notes sont inexactes.

[12]           L’agente de la citoyenneté était parfaitement en droit de prendre en compte les notes de l’agent des visas ainsi que la décision rendue par le SAI. Rien n’exigeait que les notes en question soient accompagnées d’un affidavit. Les questions d’équité procédurale concernant l’entrevue de 2007 auraient dû être soulevées devant le SAI. Or elles ne l’ont pas été. On ne saurait, plusieurs années plus tard, les soulever devant la Cour. (Uppal c Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 338, au paragraphe 52).

[13]           L’agente de la citoyenneté avait émis une lettre relative à l’équité procédurale, dans laquelle elle disait ne pas être convaincue que les adoptions étaient dans l’intérêt supérieur des enfants, qu’elles avaient créé, entre l’adoptante et les adoptés, un véritable lien affectif parent‑enfant et que les adoptions ne visaient pas principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège relatifs à l’immigration ou à la citoyenneté. Les demandeurs ont eu la possibilité de répondre à ces préoccupations. Ils soutiennent maintenant que la lettre, trop vague, contrevenait au principe de l’équité procédurale, mais au lieu de demander des précisions ils ont versé au dossier des éléments de preuve supplémentaires.

[14]           Il n’était pas, de la part de l’agente de la citoyenneté, déraisonnable de ne pas prendre les affidavits en compte étant donné qu’ils ont été produits après coup (ce qui est évident puisqu’ils ont été produits après l’entrevue de 2007) et qu’il s’agissait de déclarations intéressées. Il est clair que les quatre fils regrettent d’avoir dit ce qu’ils ont dit en 2007.

[15]           Depuis lors, les demandeurs tentent de revenir sur ce qu’ils avaient déclaré à l’époque.

[16]           J’aurais très bien pu parvenir à une conclusion différente si le refus d’accorder la citoyenneté était uniquement fondé sur l’intérêt supérieur des enfants et sur la question de savoir si leur adoption avait créé ou non, entre l’adoptante et les adoptés, un véritable lien affectif parent‑enfant.

[17]           Mme Dela Roca s’oppose vigoureusement à l’opinion de l’agente de la citoyenneté qui estime que la demanderesse n’a fait que se comporter comme une tante affectionnée et généreuse. Elle prétend être allée bien au‑delà de ça, et il est tout à fait possible qu’elle ait raison. Cela dit, que pourrait‑elle faire, en tant que mère adoptive, qu’elle ne pourrait pas faire en tant que tante? La réponse est claire – faire venir ses fils adoptifs au Canada!

[18]           Il n’était déraisonnable de la part de l’agente de la citoyenneté de conclure que les adoptions visaient principalement l’acquisition d’un statut ou privilège relatifs à la citoyenneté. En tant que citoyens les quatre fils auraient pu, à leur guise, venir au Canada, et en repartir.

[19]           Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.                  Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.

3.                  Copie de la présente décision sera versée aux dossiers de la Cour numéros T‑1791‑14, T‑1792‑14 et T‑1793‑14.

« Sean Harrington »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1790-14

INTITULÉ :

DELA ROCA ET AUTRES c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 22 AVRIL 2015

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE HARRINGTON

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

LE 28 AVRIL 2015

COMPARUTIONS :

Angela Y. F. Chan

POUR LES DEMANDEURS

Marjan Double

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Angela Y. F. Chan

Avocat

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LES DEMANDEURS

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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