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Date : 20150415


Dossier : IMM‑7908‑13

Référence : 2015 CF 470

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Montréal (Québec), le 15 avril 2015

En présence de monsieur le juge Locke

ENTRE :

RAJMOHAN MAHALINGAM

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Nature de l’affaire

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), à l’encontre de la décision du 27 novembre 2013 (la décision) par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a conclu que le demandeur n’a pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger aux termes de l’article 96 et des alinéas 97(1)a) et b) de la LIPR.

II.                Les faits

[2]               Le demandeur est un Tamoul originaire du Nord du Sri Lanka. Il est arrivé au Canada le 30 juin 2010.

[3]               Le demandeur soutient qu’à titre de jeune Tamoul il a été fréquemment détenu et harcelé par l’armée, car il vient de la ville d’Uduppiddy. Il s’agit d’une région sous surveillance en raison de sa proximité avec l’endroit d’où vient le chef des Tigres de libération de l’Eelam tamoul (TLET).

[4]               En 2009, l’armée a découvert des armes enterrées dans la maison voisine du domicile du demandeur, ce qui a entraîné l’arrestation du demandeur et d’autres jeunes hommes tamouls. Au cours de sa détention, le demandeur a été battu à coups de crosse et interrogé sur son soutien présumé pour les TLET. Il a été relâché cinq jours plus tard après que son père ait versé un pot‑de‑vin.

[5]               En janvier 2010, le demandeur a été arrêté à un point de contrôle de l’armée car il était soupçonné d’être un partisan des TLET. Il a été battu et on lui a demandé d’identifier des membres et des partisans des TLET sur des photos. Il a répondu qu’il ne les connaissait pas. Il a ensuite été placé devant un homme masqué à qui il a été ordonné de hocher la tête s’il reconnaissait une personne liée aux TLET. L’homme masqué n’a pas reconnu le demandeur. Selon le demandeur, lors de sa remise en liberté le lendemain, l’armée l’a averti qu’il serait tué s’il était arrêté de nouveau.

[6]               C’est à ce moment que le demandeur a décidé de quitter le Sri Lanka. En février 2010, le demandeur s’est caché dans un chalet dans la ville de Colombo. À sa deuxième journée à Colombo, un groupe de gens dans une fourgonnette blanche l’a averti qu’il devait quitter Colombo ou il serait envoyé dans un camp de détention.

[7]               Le demandeur a quitté le Sri Lanka le 4 mars 2010 et il est arrivé au Canada le 30 juin 2010 au moyen d’un passeport authentique obtenu à Colombo. Le demandeur prétend qu’un intermédiaire l’a aidé à obtenir un passeport et lui a dit à quel comptoir se présenter à l’aéroport pour quitter le Sri Lanka.

III.             Décision

[8]               La SPR a jugé que le demandeur ne craignait pas avec raison d’être persécuté s’il retournait au Sri Lanka pour les motifs suivants :

  1. La documentation sur le pays montre que la situation des Tamouls au Sri Lanka s’améliore pour ceux qui ne sont pas soupçonnés d’avoir des liens avec les TLET.
  2. La documentation sur le pays donne un portrait qui porte à confusion quant à savoir quelles personnes sont exposées à un risque et pour quelles raisons; les documents provenant du Haut‑Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) lui sont préférables.
  3. Un des documents du HCR indique que les personnes ayant un certain profil courent encore des risques, mais le demandeur ne correspond à aucun de ces profils.
  4. Le demandeur n’a fourni aucun élément de preuve convaincant qu’il serait perçu comme un partisan des TLET. Bien que le demandeur ait été détenu à deux reprises, il a été remis en liberté la première fois après cinq jours après le paiement d’un pot‑de‑vin et la deuxième fois dès le lendemain quand un indicateur des autorités ne l’a pas identifié comme un partisan des TLET. Si le demandeur avait été perçu comme un partisan des TLET, il n’aurait pas été remis en liberté. Le demandeur a en outre été autorisé à passer les points de contrôle pour se rendre à Colombo.
  5. Le fait que le frère du demandeur ait obtenu l’asile au Canada ne devrait pas convaincre les autorités sri lankaises que le demandeur est un partisan des TLET en absence de tout élément indiquant une association entre le frère et les TLET.
  6. Si les autorités sri lankaises avaient été à la recherche du demandeur, ce dernier n’aurait pas pu obtenir un passeport authentique et quitter le Sri Lanka, même avec l’aide d’un intermédiaire ou d’un passeur.
  7. L’identité des passagers d’une fourgonnette blanche qui auraient averti le demandeur de quitter le Sri Lanka quand il se trouvait à Colombo est inconnue, et les intentions de ces personnes ne sont pas claires.
  8. Il est invraisemblable que l’armée ait fait des recherches pour trouver le demandeur à cinq reprises, comme il le prétend. Les autorités savent qu’il a quitté le pays, puisqu’il a utilisé un passeport authentique à son nom. Rien n’indique non plus que l’armée ait menacé ou blessé les membres de la famille du demandeur depuis que le demandeur a quitté le pays.
  9. Le HCR estime qu’un demandeur d’asile débouté qui revient de l’étranger n’est pas exposé à un risque particulier.
  10. Selon des documents de l’Agence des services frontaliers du Royaume‑Uni, le perfectionnement de la tenue de dossiers des autorités du Sri Lanka a considérablement réduit le risque qu’une personne qui ne présente pas vraiment d’intérêt pour les autorités soit arrêtée ou détenue.
  11. Selon la documentation, même si le demandeur sera soumis à des contrôles de la part des autorités à son retour au Sri Lanka, ils cherchent principalement de l’information sur le trafic de personnes et le passage de clandestins. Les rapatriés sont interrogés à l’aéroport, et des vérifications des antécédents criminels effectuées, mais la preuve est insuffisante pour établir que le demandeur serait maltraité en raison de son profil particulier.

IV.             Question en litige

[9]               La présente affaire soulève la question suivante :

  1. La SPR a‑t‑elle erré en tirant la conclusion que le demandeur ne craignait pas avec raison d’être persécuté?

V.                Analyse

A.                Norme de contrôle

[10]           La présente affaire repose sur l’appréciation de la preuve et cette question est assujettie à la norme de la décision raisonnable (Balasubramaniam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 698 (Balasubramaniam), au paragraphe 24).

B.                 Craindre avec raison d’être persécuté

[11]           Le demandeur fait valoir que la SPR a [traduction« commis une erreur de droit dans sa conclusion que la remise en liberté du demandeur après sa détention montre que les autorités ne le soupçonnent pas d’être associé aux TLET ». Selon le demandeur, cette conclusion ne tient pas compte de la preuve documentaire. Alors que la documentation établit que les pots‑de‑vin sont une méthode habituelle d’échapper à la détention au Sri Lanka, je constate que rien n’indique que la deuxième remise en liberté du demandeur ait été le résultat d’un pot‑de‑vin. Je ne suis pas convaincu que la SPR a omis de tenir compte de la preuve sur cette question, comme le soutient le demandeur.

[12]           Le demandeur fait valoir qu’il était déraisonnable pour la SPR de tirer des conclusions du fait que le demandeur ait pu quitter son pays en utilisant son propre passeport avec l’aide d’un intermédiaire. À mon avis la SPR pouvait raisonnablement tirer de telles conclusions (Zeng c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1060, au paragraphe 11).

[13]           Le demandeur soutient que la SPR a commis une erreur de droit en tirant la conclusion que les autorités ne le ciblaient pas parce qu’il a été remis en liberté à deux reprises et qu’il a par la suite été autorisé à passer des points de contrôle. Pour étayer son argument, le demandeur cite la décision du juge Barnes dans l’affaire Rayappu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 24 octobre 2012, dossier IMM‑8712‑11 (non publiée) (Rayappu), selon laquelle une pareille évaluation de la preuve était par trop simpliste. Le défendeur affirme qu’une distinction peut être établie entre les faits de l’affaire Rayappu et ceux de l’espèce. Je suis d’accord avec le défendeur. La deuxième détention de M. Rayappu « s’est soldée par le vol d’une somme d’argent importante (manifestement transportée par M. Rayappu pour le compte des TLET) ». En raison de ses liens avec les TLET, il était probable que M. Rayappu soit persécuté à son retour au Sri Lanka même s’il ne figurait pas sur la liste officielle des personnes recherchées à titre de membres ou de partisans présumés des TLET. En l’espèce, rien n’indique que les autorités sri lankaises considèrent toujours le demandeur comme un partisan des TLET. Même si les autorités du Sri Lanka ont bel et bien détenu le demandeur en janvier 2010, l’indicateur des autorités ne l’a pas identifié comme un partisan des TLET et il a été relâché après une seule journée de détention, apparemment sans avoir à verser de pot‑de‑vin.

[14]           La SPR s’est penchée sur la situation particulière du demandeur en tant que jeune homme tamoul, mais elle a jugé qu’il ne courait pas le risque d’être persécuté s’il retournait au Sri Lanka. Après avoir examiné la documentation, la SPR a conclu que la situation au Sri Lanka évolue. Je suis convaincu du caractère raisonnable de la conclusion de la SPR à cet égard.

[15]           Le demandeur fait valoir que la SPR [traduction« a commis une erreur de droit [et indûment restreint son pouvoir discrétionnaire] en se fondant exclusivement sur les cinq catégories particulières de demandeurs d’asile originaires du Sri Lanka cernées dans les lignes directrices du HCR pour étayer sa conclusion que le demandeur ne craignait pas avec raison d’être persécuté ». Comme je l’ai mentionné précédemment, la SPR a souligné que « les divers documents donnent un portrait qui porte à confusion quant à savoir quelles personnes sont exposées à un risque et pour quelles raisons », et elle a choisi de se fier à la documentation provenant du HCR. La SPR cite en particulier le passage suivant du document intitulé Eligibility Guidelines for Assessing the International Protection Needs of Asylum‑Seekers from Sri Lanka du HCR (les principes directeurs du HCR) daté du 5 juillet 2010 :

[traduction]

Comme les hostilités ont pris fin, les Sri Lankais originaires du Nord du pays n’ont plus besoin d’une protection internationale selon des critères plus larges pour les réfugiés ou des formes complémentaires de protection fondées uniquement sur le risque de préjudices causés sans discernement. Compte tenu de l’amélioration de la situation des droits de la personne et de la sécurité au Sri Lanka, il n’est plus nécessaire de prévoir des mécanismes de protection fondés sur un groupe particulier ou de présumer de l’admissibilité des Sri Lankais d’origine tamoule du Nord du pays.

[Non souligné dans l’original.]

[16]           La SPR a aussi estimé que même si les « profils de risque » selon les documents du HCR comprennent les personnes soupçonnées d’être des partisans des TLET, le demandeur n’a présenté aucun élément de preuve convaincant pour indiquer qu’il serait perçu comme un partisan des TLET s’il retournait au Sri Lanka. Je juge qu’il était raisonnable pour la SPR de choisir la documentation provenant du HCR de préférence à d’autres documents des cartables nationaux de documentation sur les pays d’origine, même lorsque ces autres documents contenaient des renseignements contradictoires. Premièrement, il est de jurisprudence constante que la SPR n’est pas obligée, dans son examen des éléments de preuve contradictoires, de commenter chaque élément de preuve présenté par le demandeur d’asile dès lors qu’elle a bien examiné la preuve (Balasubramaniam, au paragraphe 57). Deuxièmement, la SPR a fourni une explication claire et raisonnable de sa préférence pour la documentation du HCR (Makhtar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2004 CF 16, au paragraphe 11).

[17]           Le demandeur critique la conclusion figurant au paragraphe 30 de la décision voulant que le demandeur :

[a] été détenu dans le cadre d’une politique globale des autorités qui, à l’époque des arrestations, étaient particulièrement préoccupées par le fait d’être confrontées à un [traduction] « deuxième front », à Colombo, composé de Tamouls qui auraient appuyé et aidé les TLET.

[18]           Le demandeur fait valoir que rien dans la preuve n’indique une préoccupation au sujet d’un éventuel [traduction« deuxième front ». Le demandeur a aussi souligné que les arrestations en question n’avaient même pas eu lieu à Colombo. Le demandeur voudrait que j’en déduise que la SPR doit avoir eu recours à ses connaissances spécialisées pour tirer cette conclusion et que l’omission de soumettre ces connaissances spécialisées au demandeur pour qu’il puisse les commenter représente un manquement à l’obligation d’équité procédurale. Je suis d’avis que les circonstances entourant les arrestations du demandeur sont bel et bien évocatrices d’un possible regain d’activité des TLET. Compte tenu du choix de mots informel et vague de la SPR et du fait que Colombo est la capitale du gouvernement sri lankais, j’estime que la mention d’un second front à Colombo par la SPR est une allusion à la possibilité de pareil regain d’activité. Par conséquent, je ne crois pas que la SPR ait fait appel à des connaissances spécialisées dont le demandeur n’a pas été avisé.

[19]           En ce qui concerne le risque que pourrait courir le demandeur à titre de demandeur d’asile débouté, le demandeur soutient que l’évaluation de la SPR est incomplète, car cette dernière aurait omis d’examiner certains des éléments les plus récents dont elle dispose. Le demandeur désigne ainsi les récents rapports faisant état de la détention, de la maltraitance et de la torture de demandeurs d’asile déboutés mentionnés dans les lignes directrices du HCR. Cependant, ces rapports ne supplantent pas la conclusion générale du HCR selon laquelle les personnes qui ne sont pas soupçonnées d’être liées aux TLET (ou n’appartiennent pas à d’autres profils à risque) risquent peu d’être ciblées.

[20]           Le demandeur fait aussi valoir que la SPR aurait dû tenir compte de la note d’orientation opérationnelle sur le Sri Lanka d’avril 2012 de L’Agence des services frontaliers du Royaume‑Uni, où on trouve des mentions de détention et de torture de non‑demandeurs d’asile retournant volontairement au Sri Lanka. Même si ce document est préoccupant et confirme que la preuve documentaire contient des renseignements contradictoires, je demeure d’avis que la SPR était libre de préférer certains documents à d’autres. Je ne suis pas convaincu que la SPR a omis d’examiner ces documents.

VI.             Conclusion

[21]           La présente demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.
  2. Il n’y a pas de question grave de portée générale à certifier.

« George R. Locke »

Juge

Traduction certifiée conforme

Loïc Haméon‑Morrissette


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑7908‑13

 

INTITULÉ :

RAJMOHAN MAHALINGAM c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 24 février 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

le juge LOCKE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 15 avril 2015

 

COMPARUTIONS :

Krassina Kostadinov

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Manuel Mendelzon

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Waldman & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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