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Date : 20150408


Dossier : IMM-3625-13

Référence : 2015 CF 426

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 8 avril 2015

En présence de monsieur le juge LeBlanc

ENTRE :

ALBAN XHELI

RUDINA XHELI

FOTIS XHELI

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire d’une décision en date du 25 avril 2013 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la SPR) a refusé de leur reconnaître la qualité de réfugiés au sens de la Convention ou celle de personnes à protéger au sens des articles 96 et 97, respectivement, de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi).

[2]               Le demandeur, Alban Xheli (M. Xheli), ainsi que son épouse Rudina Xheli et leur fils Fotis Xheli, sont des citoyens de l’Albanie. Ils sont arrivés au Canada le 30 avril 2011 et ont demandé l’asile au motif qu’ils craignaient le clan Krasniqi, qui aurait déclaré une vendetta contre leur famille. Cette vendetta ferait suite à un incident survenu en 1992 au cours duquel le père de M. Xheli, un policier à la retraite, aurait abattu un membre du clan Krasniqi soupçonné de contrebande.

[3]               Les demandeurs affirment que la vendetta entre les familles a été déclarée en 2010 par les deux fils de la victime pour venger la mort de leur père. Le père de M. Xheli a alors quitté sa maison de Tirana pour chercher refuge dans son village natal de Suhe, dans le sud de l’Albanie. Il a également conseillé aux demandeurs de quitter l’Albanie et a pris des dispositions pour les aider à quitter le pays.

[4]               À l’appui de leur demande d’asile, les demandeurs ont produit quatre éléments de preuve, à savoir : (i) une déclaration du Comité de réconciliation nationale confirmant qu’il avait examiné le dossier de la vendetta opposant la famille des demandeurs au clan Krasniqi; (ii) une déclaration notariée du père de M. Xheli; (iii) une attestation du Commissariat de police de Tirana confirmant la dénonciation de la vendetta faite par le père de M. Xheli; (iv) une lettre de la commune de Qender déclarant que le père de M. Xheli habite maintenant dans son village natal en raison de la menace de vendetta qu’il a reçue à Tirana.

[5]               La SPR a estimé que la demande d’asile des demandeurs n’était ni crédible ni étayée par la preuve. En particulier, la SPR a accordé peu de valeur à la preuve documentaire soumise par les demandeurs pour démontrer qu’une vendetta avait été déclarée contre eux.

[6]               La SPR a écarté la déclaration du Comité de réconciliation nationale en se fondant sur une réponse à une demande d’information expliquant que le signataire, M. Gjin Marku, avait produit de faux documents dans le passé. Même si le président du Comité de réconciliation nationale a nié ce fait, la SPR a estimé que ce renseignement jetait un doute sur la déclaration. La déclaration notariée signée par le père de M. Xheli a également été écartée en raison du fait qu’il était invraisemblable que le père de M. Xheli quitte la sécurité de sa maison s’il était véritablement la cible d’une vendetta. La SPR a exprimé la même opinion au sujet de la déclaration de la police en expliquant que la « liberté de mouvement » du père de M. Xheli et le fait qu’il ne demeurait pas « confiné à la maison » contredisaient les « règles régissant les vendettas » et minaient la crédibilité de la demande. Quant à la lettre de la commune, la SPR a considéré qu’il s’agissait d’un document intéressé, étant donné qu’elle n’avait pas été authentifiée par les autorités albanaises compétentes.

[7]               La SPR a fait observer que, selon la Réponse à la demande d’information susmentionnée : « [l]e représentant du ministère de l’Intérieur de l’Albanie a précisé que la police, le Bureau du procureur et les tribunaux sont les institutions de l’État chargées de traiter les problèmes liés aux vendettas, et que les tribunaux et le Bureau du procureur sont les seules organisations autorisées par le gouvernement à délivrer des certificats en lien avec les vendettas ». Selon la SPR, les demandeurs n’avaient pas produit de document officiel confirmant l’existence d’une vendetta.

[8]               La SPR a également jugé invraisemblable que le père de M. Xheli, un policier ayant de longs états de service, n’ait pas été en mesure d’obtenir « une déclaration de ses anciens collègues, entre autres autorités habilitées à délivrer des attestations de vendetta, c’est-à-dire un tribunal compétent ou un bureau de procureur. »

[9]               Il convient de signaler que la SPR n’a pas analysé la question de la protection de l’État sur laquelle les demandeurs pouvaient compter en Albanie.

II.                Question en litige et norme de contrôle

[10]           La principale question en litige dans la présente affaire est celle de l’appréciation de la preuve par la SPR qui s’est soldée par des conclusions défavorables au sujet de la crédibilité. Il est de jurisprudence constante que cette question est assujettie à la norme de contrôle de la raisonnabilité (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, aux paragraphes 51 à 55; Trako c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1063, au paragraphe 14 [Trako]). D’ailleurs l’appréciation de la preuve et de la crédibilité sont deux questions qui, selon notre Cour, se situent au cœur de la compétence de la SPR (Zhou c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 619, au paragraphe 26; Lubana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 116, 228 FTR 43, au paragraphe 7; Shatirishvili c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 407, au paragraphe 19).

Il ne s’ensuit pas pour autant que les conclusions tirées par la SPR au sujet de la crédibilité échappent au contrôle judiciaire (Rajaratnam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 1071, au paragraphe 45; Rezmuves c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 973, au paragraphe 34; Mason c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1380, au paragraphe 27; Shaheen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1485, au paragraphe 32; Sheikh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 190 FTR 225, [2000] ACF no 568 (QL), au paragraphe 22).

III.             Analyse

[11]           J’estime que les conclusions défavorables tirées par la SPR sont problématiques à trois égards.

A.                L’invraisemblance de la mobilité du père de M. Xheli

[12]           Le défendeur soutient que les conclusions d’invraisemblance tirées par la SPR au sujet de la mobilité du père de M. Xheli, malgré l’existence d’une vendetta, étaient fondées sur la preuve documentaire, le bon sens et la logique et qu’elles étaient donc raisonnables.

[13]           Je ne suis pas de cet avis.

[14]           Le principe qu’il convient d’appliquer en l’espèce est le suivant : la SPR ne peut tirer des conclusions défavorables au sujet de la crédibilité en se fondant sur l’invraisemblance du récit du demandeur que dans les cas les plus évidents, c’est‑à‑dire que si les faits articulés débordent le cadre de ce à quoi on peut logiquement s’attendre ou si la preuve documentaire démontre que les événements ne pouvaient pas se produire comme le demandeur le prétend (Valtchev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 776, [2001] ACF no 1131 (CF 1re inst) (QL), aux paragraphes 7 et 8; Ansar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1152, au paragraphe 17). De plus, la SPR est rigoureusement tenue de justifier ses conclusions sur la crédibilité en faisant expressément et clairement état des éléments de preuve (Leung c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1994), 81 FTR 303, à la page 307; Santos c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 937, au paragraphe 14 [Santos]).

[15]           Dans sa décision, la SPR aurait dû mentionner les éléments de preuve pertinents qui étaient susceptibles de réfuter sa conclusion que la vendetta manquait de crédibilité en raison de la liberté de mouvement dont jouissait le père de M. Xheli. Dans le cas qui nous occupe, les demandeurs ont cité des éléments de preuve documentaire qui contredisaient cette conclusion d’invraisemblance. D’ailleurs, le rapport Alston, que l’on trouve au dossier du tribunal (à la page 71), explique qu’il existe divers degrés d’auto‑isolement dans les cas de vendetta. Ce rapport affirme dans les termes les plus nets que certains individus quittent souvent leur domicile malgré l’existence d’une vendetta. Ce rapport n’est mentionné nulle part dans la décision de la SPR.

[16]           J’estime que la SPR ne pouvait raisonnablement conclure que l’histoire de la vendetta était invraisemblable tout en ignorant des éléments de preuve documentaire solides contraires. Ce faisant, la SPR a commis une erreur susceptible de contrôle (Sierra c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1048, 354 FTR 243, au paragraphe 41; Ali c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 448 [Ali]; Santos, précitée).

B.                 La déclaration du Comité de réconciliation nationale

[17]           La SPR n’a accordé aucune valeur à la déclaration du Comité de réconciliation nationale soumise par les demandeurs et elle a tiré des conclusions défavorables au sujet de la crédibilité en se fondant sur les allégations d’irrégularité concernant son signataire, M. Gjin Marku.

[18]           Pour commencer, je ne suis pas d'accord avec le défendeur pour dire que la SPR peut se servir des renseignements que l’on trouve dans la Réponse à la demande d’information pour accorder peu de poids à ce document de la manière dont elle l’a fait. En fait, la SPR a jugé non crédible la déclaration du Comité de réconciliation nationale sans vraiment expliquer sa conclusion. Bien qu’elle cite un extrait de la Réponse à la demande d’information qui mentionne un cas de faux document produit par M. Marku, la SPR n’explique pas ce qui est arrivé au reste de l’extrait où cette allégation est fortement contestée par le Comité de réconciliation nationale. La décision de la SPR est muette sur la façon dont elle a réclamé de plus amples renseignements ou évalué ce fait.

[19]           Ce n’est pas la première fois que la SPR ou la Cour est confrontée à des lettres d’attestation de M. Marku. Dans l’affaire Trako, précitée, la SPR avait « consacré presque quatre pages de sa décision à l’analyse de la lettre d’attestation de M. Marku » (au paragraphe 22) et le juge en chef Crampton avait qualifié cette évaluation de raisonnable (au paragraphe 27). Il a toutefois prévenu, au paragraphe 28 de sa décision que :

[…] il ne faudrait pas interpréter ma conclusion sur ce point comme indiquant de quelque façon que ce soit qu’il sera raisonnablement loisible à la Commission de mettre systématiquement en doute la crédibilité des lettres d’attestation de M. Marku ou d’autres personnes liées au CRN, en se fondant uniquement sur le contenu du rapport Alston. Chaque affaire repose sur des faits qui lui sont propres et sur le dossier de preuve dans son ensemble.

[20]           Des préoccupations semblables ont été exprimées par mon collègue le juge Yvan Roy dans l’affaire Razburgaj c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 151, au paragraphe 38, dans laquelle mon collègue avait rejeté une demande de contrôle judiciaire sur la question de la protection de l’État tout en mentionnant la question des conclusions tirées par la SPR au sujet de la crédibilité :

Comme je l’ai déjà fait observer, le fait de conclure que les demandeurs pouvaient compter sur une protection de l’État suffisante rend sans objet tout examen des arguments formulés au sujet de leur crédibilité. Je tiens toutefois à souligner que le témoignage d’un certain Gjin Marku, président d’un organisme appelé Comité albanais de réconciliation nationale, a depuis été discrédité. La Commission a cité de larges extraits d’un rapport récent sur l’Albanie qui fait partie du Cartable national de documentation; il semble que de faux documents aient été publiés par cet organisme, ce qui ne fait qu’ajouter à la confusion entourant le phénomène des vendettas et leur fréquence. Compte tenu du fait que ces rapports datent déjà de 14 mois, il se peut que les enquêtes menées au sujet des activités de M. Marku et de son organisme soient terminées et qu’une mise à jour s’impose.

[21]           Compte tenu de l’ensemble des renseignements dont disposait la SPR, on pouvait raisonnablement s’attendre à ce que cette dernière discute de la valeur qu’elle accordait à la déclaration du Comité de réconciliation nationale et, surtout, à la valeur qu’elle attachait aux deux versions de l’histoire de M. Marku et à la production de fausses déclarations. À cet égard, la SPR a rendu sa décision sans tenir compte de la preuve dont elle disposait et sa décision manque de transparence et d’intelligibilité.

C.                Absence d’authentification « officielle » de la vendetta

[22]           Je ne suis pas d’accord avec le défendeur pour dire qu’il était raisonnable de la part de la SPR de tirer des conclusions défavorables au sujet de la crédibilité en partant du principe que les demandeurs auraient dû produire davantage de documents à l’appui pour établir l’existence de la vendetta, notamment des documents authentifiant la vendetta émanant des « autorités albanaises compétentes »

[23]           La preuve à laquelle la SPR peut raisonnablement s’attendre dépend des faits de chaque affaire (Lopera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 653; Wokwera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 132, au paragraphe 39). Compte tenu des faits et de la preuve présentés en l’espèce, le fait d’exiger un autre document attestant l’existence de la vendetta alors qu’une déclaration du Comité de réconciliation nationale et une attestation de la police avaient déjà été soumises à la SPR est problématique.

[24]           De plus, il semble qu’il y ait une controverse ou du moins une incertitude en ce qui concerne l’autorité qui peut produire une déclaration ou une attestation quant à l’existence d’une vendetta. En effet, même la Réponse à la demande de renseignements que la SPR mentionne et cite dans sa décision affirme que la police, le bureau du procureur et les tribunaux sont des institutions publiques qui traitent les problèmes de vendetta et qu'alors que les tribunaux et le bureau du procureur sont les deux entités autorisées à délivrer des documents attestant l’existence de vendetta, deux OGN ont indiqué que tel n’était pas le cas.

[25]           Ainsi, en exigeant une authentification officielle de la vendetta, la SPR n’a pas tenu compte de la preuve documentaire dont elle disposait et qui mentionnait qu’il n’existait pas en Albanie d’autorité chargée d'authentifier les vendettas. À tout le moins, comme l’existence d’éléments de preuve sur l’existence de cette autorité était incertaine, la SPR devait envisager cette incertitude ou du moins en faire état.

[26]           Le défendeur soutient également que le fait d’omettre de mentionner un document ou un élément de preuve dans une décision ne signifie pas pour autant que la SPR n’en a pas tenu compte. La présomption suivant laquelle tous les éléments de preuve documentaire ont été examinés et soupesés, à moins que le contraire ne soit démontré, est bien connue (Florea c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1993] ACF no 598 (CAF) (QL)).

[27]           Toutefois, la SPR peut commettre une erreur susceptible de contrôle si elle ne mentionne ni n’analyse une preuve importante qui contredit ses propres conclusions et la Cour peut déduire de ce silence que la SPR a tiré des conclusions erronées sans égard à la preuve dont elle disposait (Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 157 FTR 35, [1998] ACF no 1425 (QL), au paragraphe 17; Tahmoursati c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1278, au paragraphe 37; Omoregbe c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1189, aux paragraphes 26 et 27; Ali, précité, au paragraphe 24).

[28]           Ainsi que la Cour l’a souligné dans la décision récente Vargas Bustos c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 114 [Bustos], en raison du volume important de documents sur la situation dans les pays d’origine, il est dans bien des cas peu pratique de s’attendre à ce que le tribunal administratif précise méticuleusement quel poids il accorde à chaque document (Bustos, aux paragraphes 35 à 39). Toutefois, ainsi que la Cour l’a également souligné dans le jugement Bustos, précité, si les éléments de preuve contraires qui ont été écartés sont solides et que le tribunal les rejette sans préciser quels éléments de preuve documentaire étayent ses conclusions, il pourrait alors être plus facile de conclure que sa décision était déraisonnable (Bustos, au paragraphe 39).

[29]           La SPR, dans sa décision, n’a aucunement tenu compte du rapport Alston auquel j’ai déjà fait allusion. Évidemment, la SPR n’était pas tenue « de tirer une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soit‑il, qui a mené à sa conclusion finale » (Newfoundland Nurses, précité, au paragraphe 16; Herrera Andrade c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1490, au paragraphe 21). Toutefois, la SPR n’a pas expliqué pourquoi elle n’avait pas tenu compte de ce rapport. Cette omission est cruciale en ce qui concerne la question de l’authentification, étant donné que le rapport ne mentionne pas que les organismes gouvernementaux sont habilités à délivrer des certificats d’authentification au sujet des vendettas, ce qui donne fortement à penser qu’il n’en existe pas, contrairement à l’interprétation que la SPR a faite de la preuve dont elle disposait. De plus, ce même rapport a été invoqué et considéré d’une très grande utilité pour évaluer les affaires de vendetta, tant par la SPR que par la Cour. Dans le jugement Andoni c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 516, au paragraphe 93, voici ce que la Cour a déclaré à ce sujet :

Le rapport de Philip Alston, dont la SPR loue l’objectivité, indique que les vendettas sont régies par des [traduction] « règles culturellement comprises », mais que la teneur de ces règles [traduction] « diffère d’une région à l’autre au fil du temps ». Je ne relève aucune preuve dans le dossier que les règles culturellement comprises dans la région où vivait le demandeur exigent que l’on fasse une déclaration officielle. À mon avis, la conclusion défavorable quant à la crédibilité du demandeur sur ce point est à la fois déraisonnable et inéquitable du point de vue procédural.

[30]           J’estime par conséquent que la SPR n’a pas expliqué pourquoi elle rejetait cette preuve. Il est donc impossible pour la Cour de comprendre les motifs de la SPR et la façon dont elle a traité les éléments de preuve dont elle disposait.

[31]           Si la SPR avait correctement évalué ces trois volets de la demande d’asile des demandeurs, nous aurions pu bénéficier d’un éclairage différent sur les éléments de preuve que la SPR a jugés intéressés, en l’occurrence les lettres de la police et de la commune ainsi que la déclaration notariée du père de M. Xheli. Il vaut la peine de signaler en l’espèce que les demandeurs d’asile sont toujours directement intéressés par l’issue de leur demande et que le fait d’écarter leur preuve pour cette seule raison va à l’encontre du principe suivant lequel la preuve que les demandeurs d'asile présentent est présumée véridique (Nasufi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 586, au paragraphe 29; Nilam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 689, au paragraphe 16; Coitinho c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1037, au paragraphe 7).

[32]           En somme, la conclusion de la SPR suivant laquelle les demandeurs n’ont pas démontré de façon crédible qu’ils font l’objet d’une vendetta et que, par conséquent, ils sont personnellement exposés à une menace à leur vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités s’il retournait en Albanie est, à mon avis, déraisonnable.

[33]           Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie et l’affaire sera renvoyée à la SPR pour être examinée de nouveau par un autre commissaire. En supposant que les demandeurs réussissent alors à démontrer qu’ils seraient exposés à un tel risque s’ils devaient retourner en Albanie, la question de savoir si l’État est apte et disposé à les protéger devra vraisemblablement être examinée (Trako, précité). Comme je l’ai déjà expliqué, la SPR n’a pas jugé bon d’aborder cette question en l’espèce. Elle devra donc vraisemblablement être examinée à une autre occasion.

Ni l’une ni l’autre des parties n’a proposé de question de portée générale à certifier. Aucune ne sera certifiée.


ORDONNANCE

LA COUR STATUE que :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.                  La décision du 25 avril 2013 de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié est annulée.

3.                  L’affaire est renvoyée à un autre commissaire de la Section de la protection des réfugiés pour qu’il la réexamine.

4.                  Aucune question n’est certifiée.

« René LeBlanc »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3625-13

INTITULÉ :

ALBAN XHELI ET AUTRES c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (OntariO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 6 OCTOBRE 2014

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE LEBLANC.

DATE DE L’ORDONNANCE

ET DES MOTIFS :

LE 8 AVRIL 2015

COMPARUTIONS :

Yehuda Levinson

PoUR LES demandeurs

Nicholas Dodokin

PoUR LE défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Levinson & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

PoUR LES demandeurs

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

PoUR LE défendeur

 

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