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Date : 20150401


Dossier : IMM-7169-13

Référence : 2015 CF 416

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 1er avril 2015

En présence de madame la juge Mactavish

ENTRE :

NUSHE DUHANAJ,

SIMONE DUHANAJ,

PREN DUHANAJ

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Les demandeurs, une mère et ses deux enfants, sollicitent le contrôle judiciaire d’une décision par laquelle l’agente d’immigration a rejeté leur demande de résidence permanente au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire.

[2]               J’ai conclu que l’agente d’immigration a commis une erreur dans son évaluation de l’intérêt supérieur des enfants. La demande de contrôle judiciaire sera par conséquent accueillie, et il est inutile d’examiner les autres questions soulevées par les demandeurs.

I.                   Le critère fondé sur l’intérêt supérieur de l’enfant

[3]               La jurisprudence nous enseigne que lorsque l’intérêt supérieur d’un enfant est soulevé dans une demande de dispense fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, la tâche de l’agent d’immigration consiste à examiner le bénéfice que retirerait l’enfant s’il restait au Canada par opposition aux conséquences qu’il subirait advenant son renvoi du pays : Hawthorne c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 475, au par. 4, [2003] 2 R.C.F. 555. Le critère fondé sur des « difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives » n’est pas approprié lorsqu’il s’agit d’apprécier « l’intérêt supérieur de l’enfant » : Hawthorne, précitée, au par. 9; E.B. c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 110, au par. 11, 383 F.T.R. 157; Sinniah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1285, aux par. 62-62, 5 Imm. L.R. (4th) 313.

[4]               L’intérêt supérieur des enfants n’est pas déterminant quant à l’issue de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Les agents doivent plutôt décider si l’intérêt supérieur des enfants, « lorsqu’on le soupesait avec les autres facteurs pertinents, [justifiait] d’accorder, pour des raisons d’ordre humanitaire, une dispense [aux enfants] de manière à leur permettre d’entrer au Canada » : Kisana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 189, au par. 38, [2010] 1 R.C.F. 360; Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 125, aux par. 12-14, 212 D.L.R. (4th) 139.

II.                L’analyse de l’agente en l’espèce

[5]               Je ne suis pas convaincue que l’agente d’immigration a appliqué le bon critère lorsqu’elle a évalué l’intérêt supérieur des enfants demandeurs en l’espèce.

[6]               La déclaration de l’agente dans le dernier paragraphe de sa décision démontre qu’elle a appliqué le mauvais critère. Après avoir examiné les divers facteurs fondés sur des motifs d’ordre humanitaire cités par les demandeurs, dont l’intérêt supérieur des enfants, l’agente a conclu son analyse en affirmant ce qui suit :

[traduction] J’estime que les motifs d’ordre humanitaire présentés par les demandeurs ne sont pas suffisants, individuellement ou globalement, pour établir qu’ils subiraient des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives s’ils devaient demander la résidence permanente à partir d’un autre pays que le Canada. [Non souligné dans l’original.]

[7]               Je reconnais que l’utilisation des mots « difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives » lorsqu’il est question d’apprécier l’intérêt supérieur de l’enfant ne rendra pas automatiquement la décision fondée sur des considérations d’ordre humanitaire déraisonnable. Il suffira que l’on puisse affirmer clairement en lisant la décision dans son ensemble que l’agente a adopté la bonne approche et procédé à une analyse appropriée : Segura c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 894, au par. 29, [2009] A.C.F. no 1116. Toutefois, il ne me paraît pas du tout évident que l’agente a appliqué le bon critère en l’espèce.

[8]               L’agente a reconnu les observations selon lesquelles les enfants [traduction] « subiraient des difficultés en Albanie en raison des conditions défavorables dans ce pays, comme un taux élevé de pauvreté, une mauvaise conjoncture économique, un taux élevé de chômage, des soins de santé inadéquats, une absence d’égalité des sexes pour les femmes, une faible qualité de l’enseignement et des préoccupations quant à l’accès à de l’eau potable propre et à la salubrité de base ». L’agente a également conclu que les enfants « devront probablement traverser une période de dur labeur et de réadaptation » lorsqu’ils commenceront l’école en Albanie. L’agente était néanmoins convaincue que les enfants avaient démontré qu’ils avaient les capacités de s’adapter à un nouveau système scolaire.

[9]               Bien que l’agente ait effectivement renvoyé aux conditions défavorables de l’Albanie, dont la piètre qualité de l’enseignement dans ce pays, elle a conclu que peu d’éléments de preuve indiquaient que les enfants [traduction] « subiraient les conséquences directes et négatives des conditions défavorables du pays ». Toutefois, le fait que tous les enfants albanais souffrent en raison du mauvais système d’éducation ne signifie pas que ce facteur ne doit pas être pris en considération dans l’évaluation de l’intérêt supérieur des enfants en l’espèce.

[10]           La preuve dont disposait l’agente démontrait que bien que des efforts aient été déployés pour améliorer la situation, le système d’éducation en Albanie présente toujours de graves problèmes, comme des infrastructures délabrées, une diminution de la qualité de l’enseignement, des programmes et des méthodes d’enseignement dépassés, des enseignants peu qualifiés, une diminution des fonds publics dédiés à l’éducation, une absence de matériels modernes et une insalubrité.

[11]           Nulle part dans ses motifs l’agente n’a tenu compte des avantages qui profiteraient à ces enfants s’ils étaient en mesure de poursuivre leurs études au Canada, quoique j’accepte que l’agente soit présumée savoir que le Canada offre de nombreux avantages dont d’autres pays ne peuvent se prévaloir. Toutefois, le fait que l’agente n’a pris aucune mesure pour soupeser ces avantages par rapport au préjudice que subiraient les enfants s’ils étaient forcés de terminer leurs études dans le système d’éducation manifestement inférieur en Albanie pose davantage problème.

[12]           Comme elle n’a pas examiné toutes les conséquences qu’aurait sur les enfants en l’espèce leur renvoi en Albanie, l’agente ne pouvait soupeser correctement leur intérêt supérieur et les autres facteurs fondés sur des motifs humanitaires cités à l’appui de leur demande. Qui plus est, l’ensemble de l’analyse de l’ISE démontre clairement que l’agente était convaincue que les enfants seraient exposés à des difficultés en Albanie, mais qu’ils seraient éventuellement en mesure de s’adapter à la vie dans ce pays. Cette analyse a mené l’agente à conclure que les difficultés auxquelles les enfants étaient exposés n’étaient pas inhabituelles, injustifiées ou excessives.

III.             Conclusion

[13]           Comme j’ai conclu que l’agente a appliqué le mauvais critère dans son évaluation du meilleur intérêt des enfants en l’espèce, il s’ensuit que la demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

[14]           Je conviens avec les parties que l’espèce ne soulève aucune question à certifier.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.                  La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvel examen.

« Anne L. Mactavish »

juge

Traduction certifiée conforme

Mylène Boudreau, B.A. en trad.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-7169-13

INTITULÉ :

NUSHE DUHANAJ, SIMONE DUHANAJ, PREN DUHANAJ c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 31 MARS 2015

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MACTAVISH

DATE DES MOTIFS :

LE 1ER AVRIL 2015

COMPARUTIONS :

Richard Wazana

POUR LES DEMANDEURS

David Cranton

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Wazana Law

Avocat

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

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