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Date : 20150330


Dossier : T‑1594‑13

Référence : 2015 CF 403

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 30 mars 2015

En présence de monsieur le juge Harrington

ENTRE :

CASELLA WINES PTY LIMITED

demanderesse/

défenderesse reconventionnelle

et

CONSTELLATION BRANDS CANADA, INC.

défenderesse/

demanderesse reconventionnelle

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]               Dans ce deuxième round du combat de boxe opposant un kangourou et un wallaroo, animal que la défenderesse décrit comme un mélange de wallaby et de kangourou, c’est le kangourou qui l’emporte. De crainte que l’on pense avoir affaire ici à un tribunal kangourou, j’expose mes motifs ci‑après.

[2]               Dans ce différend en matière de marques de commerce, la société Constellation Brands Canada, Inc., défenderesse et demanderesse reconventionnelle, a déposé deux requêtes dans le même document. La première consiste en un appel formé contre une ordonnance du protonotaire Morneau, dont la référence est 2015 CF 263, enjoignant à son représentant de répondre à certaines questions qui lui ont été posées durant l’interrogatoire préalable. La deuxième invite la Cour à rendre une ordonnance de disjonction de sorte que le procès ne suive son cours que sur le fond, pour être suivi, si nécessaire, d’un renvoi sur la question de la réparation du préjudice ou celle de la restitution des bénéfices.

[3]               La première ordonnance était manifestement discrétionnaire. Dans un appel formé en vertu de l’article 51 des Règles des Cours fédérales, la Cour ne modifiera pas l’ordonnance d’un protonotaire à moins que les questions soulevées n’aient une influence déterminante sur l’issue du principal ou à moins que l’ordonnance du protonotaire ne soit entachée d’erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d’un mauvais principe ou d’une mauvaise appréciation des faits (arrêt Merck & Co, Inc c Apotex Inc, 2003 CAF 488, [2004] 2 RCF 459, 30 CPR (4th) 40 (CAF)). À mon avis, une ordonnance enjoignant à une partie de répondre à des questions pour lesquelles des objections ont été formulées durant un interrogatoire préalable n’a pas une influence déterminante sur l’issue du principal. Le pouvoir discrétionnaire du protonotaire n’a pas été exercé en vertu d’un principe manifestement erroné. En tout état de cause, si je devais exercer de novo mon pouvoir discrétionnaire, j’ordonnerais moi aussi qu’il soit répondu aux questions.

[4]               S’agissant de la requête pour que soit rendue une ordonnance de disjonction, les interrogatoires préalables sont complets hormis pour les réponses qui doivent maintenant être données. La réparation du préjudice ou la restitution des bénéfices, selon le choix que pourra exercer la demanderesse, est gérable. Dans les affaires de propriété intellectuelle, il n’est pas rare que des ordonnances de disjonction soient prononcées, mais l’inconvénient est que les questions de responsabilité se soldent très souvent par une procédure d’appel, avec les délais qui en résultent si le demandeur obtient finalement gain de cause.

I.                   Contexte

[5]               Selon sa déclaration, dont les allégations sont tenues pour avérées à ce stade‑ci, Casella Wines PTY Limited, une société australienne, est la propriétaire de la marque de commerce canadienne YELLOW TAIL & Dessin d’un kangourou. Cette marque de commerce a été employée au Canada en liaison avec la vente du vin Yellow Tail.

[6]               La demanderesse affirme que la défenderesse, soit directement, soit par l’entremise de ses distributeurs, vend des vins au Canada en liaison avec une marque de commerce et un habillage qui prêtent à confusion. Le vin en question est vendu sous l’appellation Wallaroo Trail, qui est elle aussi une marque déposée. Wallaroo Trail est vendu dans les épiceries et les dépanneurs au Québec depuis 2007, ainsi que sous la bannière Wine Rack en Ontario depuis 2010. La demanderesse affirme que l’étiquette figurant sur les bouteilles de Wallaroo Trail représente un kangourou coloré.

[7]               La demanderesse voudrait obtenir de la défenderesse une réparation du préjudice ou une restitution des bénéfices. Aucun choix n’a encore été fait par la demanderesse.

[8]               Constellation Brands Canada, Inc. a déposé une défense très enflammée ainsi qu’une demande reconventionnelle. Elle est une filiale de Constellation Brands Inc., que l’on dit être le plus important producteur de vins au monde. Au Canada, il y a deux sociétés Constellation : Constellation Brands Canada, Inc., la défenderesse, qui vend des vins en Ontario, et Constellation Brands Québec, Inc., qui vend des vins au Québec et dans les Maritimes.

II.                Analyse

[9]               La défense indique ensuite d’une manière assez détaillée plusieurs voies de commercialisation dictées par les commissions provinciales des alcools. Par exemple, le vin Yellow Tail est vendu dans les magasins de la Régie des alcools de l’Ontario, tandis que le vin Wallaroo Trail est vendu sous la bannière Wine Rack, sa propre entreprise. Au Québec, Yellow Tail est vendu dans les magasins de la Société des alcools du Québec, tandis que Wallaroo Trail est vendu dans les dépanneurs. En Ontario, Wallaroo Trail doit avoir un certain contenu canadien, c’est‑à‑dire un pourcentage de raisins canadiens, mais non au Québec. Cependant, au Québec, il est impossible de reconnaître les raisins qui sont dans les bouteilles. La variété des voies de commercialisation pourrait bien avoir une pertinence durant le procès pour la question de savoir s’il existe une confusion sur le marché, mais nous n’en sommes qu’au stade des interrogatoires préalables.

[10]           Toutefois, s’agissant des questions à l’égard desquelles le protonotaire Morneau a ordonné qu’il soit répondu en ce qui a trait aux bénéfices et aux frais, la défenderesse soutient qu’elles sont trop onéreuses, ce que je refuse absolument d’admettre, et que, dans une grande mesure, elles concernent les bénéfices de Constellation Brands Québec, Inc., qui n’est pas partie à l’instance. Cependant, le représentant de la défenderesse présent à l’interrogatoire préalable était responsable de la commercialisation des vins Constellation dans tout le pays. En outre, la marque de commerce Wallaroo Trail appartient à la société opérant au Québec. Le protonotaire Morneau a eu raison de dire que Constellation Brands Québec « ne peut être vue ici comme une simple partie tierce non impliquée dans le débat ».

[11]           La défenderesse a aussi fait valoir que la période visée par les questions est excessive; il s’agit de la période écoulée depuis 2007. La demanderesse Casella sait depuis 2008 que Wallaroo est sur le marché, or elle s’est gardée de réagir et a laissé la part de marché de Wallaroo s’accroître considérablement avant de passer à l’attaque. Le manque de diligence a été invoqué, mais non la prescription. Là encore, cet argument peut avoir sa pertinence face au recours exercé par la demanderesse, s’il est retenu, mais, au stade des interrogatoires préalables, il n’est pas pertinent.

[12]           L’autre question concernait la provenance des raisins. La demanderesse tient quelque peu pour suspectes les affirmations selon lesquelles le vin vendu au Québec vient exclusivement de raisins australiens, compte tenu de la situation qui a cours en Ontario. Elle croit qu’il y a sans doute présentation erronée de la réalité au Québec quant à la provenance des raisins. La défenderesse devrait également répondre à cette question.

[13]           Les craintes de la défenderesse à propos des secrets industriels et de la confidentialité peuvent être apaisées. Il est bien établi que les renseignements recueillis au cours d’un interrogatoire préalable ne peuvent servir qu’aux fins de l’affaire. Si elle est utilisée à d’autres fins, il pourra y avoir condamnation pour outrage au tribunal (NM Paterson & Sons Ltd c Corporation de gestion de la voie maritime du Saint‑Laurent, 2002 CFPI 1247, [2002] ACF no 1713 (QL), conf. par 2004 CAF 210, [2004] ACF no 946 (QL)). Par ailleurs, dans la plupart des affaires de propriété intellectuelle, des ordonnances de confidentialité aux termes de l’article 151 des Règles des Cours fédérales sont presque toujours systématiquement prononcées.

[14]           En outre, il ne s’ensuit pas qu’une réponse donnée au cours d’un interrogatoire préalable peut automatiquement être versée au dossier du procès. Constellation Brands Canada pourra à ce moment‑là soulever des objections, notamment concernant la pertinence, le ouï‑dire.

[15]           S’agissant de l’ordonnance de disjonction, la défenderesse s’est appuyée sur une décision de monsieur le juge Hugessen, Osmose‑Pentox Inc c Société Laurentide Inc, 2007 CF 242, [2007] ACF no 302 (QL), où il s’exprimait ainsi : « La restitution des bénéfices est une procédure notoirement lourde et longue et il est très courant que la Cour, dans les affaires de propriété intellectuelle, ordonne que la validité et la contrefaçon soient traitées avant les dommages‑intérêts, ou les bénéfices, qui feront souvent l’objet d’un renvoi de toute façon. »

[16]           En l’espèce, nous parlons de bénéfices réalisés en Ontario, au Québec et dans les Maritimes, et non, comme dans certaines affaires faisant intervenir des sociétés pharmaceutiques, de bénéfices réalisés à l’échelle mondiale. Mettant en balance cette possibilité d’une part et les délais inhérents à une disjonction d’autre part, je ne suis pas disposé à ce stade‑ci à faire droit à la requête. Il n’y a pas encore eu de conférence préparatoire, et la demanderesse n’a toujours pas fait son choix.

 


ORDONNANCE

POUR LES MOTIFS EXPOSÉS CI‑DESSUS;

LA COUR ORDONNE CE QUI SUIT :

1.                  L’appel formé contre l’ordonnance du protonotaire Morneau en date du 2 mars 2015 est rejeté;

2.                  La requête pour que soit rendue une ordonnance de disjonction est rejetée;

3.                  La demanderesse a droit à ses dépens.

« Sean Harrington »

Juge

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1594‑13

 

INTITULÉ :

CASELLA WINES PTY LIMITED C CONSTELLATION BRANDS CANADA, INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 24 MARS 2015

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 30 MARS 2015

 

COMPARUTIONS :

Bob H. Sotiriadis

POUR LA demanderesse / défenderesse RECONVENTIONNELLE

 

Mortimer Freiheit

Bruno Barrette

POUR LA défenderesse / demanderesse reconventionnelle

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Robic s.r.l.

Avocats, agents de brevets et de marques de commerce

Montréal (Québec)

 

POUR LA demanderesse / défenderesse RECONVENTIONNELLE

 

Barrette Legal Inc.

Avocats

Montréal (Québec)

POUR LA DÉFENDERESSE / DEMANDERESSE RECONVENTIONNELLE

 

 

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