Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20150327


Dossier : IMM-6076-14

Référence : 2015 CF 394

Ottawa (Ontario), le 27 mars 2015

En présence de monsieur le juge Locke

ENTRE :

AMER BAKER

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Nature de l’affaire

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, en application du paragraphe 72 (1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, SC 2001, c 27 (LIPR) de la décision rendue le 5 mars 2014 par la représentante du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (l’agente), rejetant la demande de résidence permanente pour considérations humanitaires du demandeur (demande CH) déposée en vertu de l’article 25 (1) de la LIPR.

II.                Faits

[2]               Le demandeur est un citoyen irakien arrivé au Canada le 9 novembre 1999, date à laquelle il a déposé sa demande d’asile sur la base d’une crainte de persécution en raison de ses opinions politiques et de sa foi chiite. Le demandeur allègue avoir été appréhendé et torturé à Bagdad suite à sa participation aux soulèvements populaires irakiens de 1991. Il allègue avoir été libéré en 1994 suite à une amnistie générale.

[3]               Le demandeur est père de trois enfants (l’un d’entre eux est né au Canada alors que les deux autres sont nés en Irak). En date de la décision visée par la présente demande de contrôle judiciaire, ces enfants étaient âgés de 22, 17, et 9 ans.

[4]               Le 4 juillet 2001, la Section du statut de réfugié (SSR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande d’asile du demandeur en raison de son manque de crédibilité et du fait qu’il existe des raisons sérieuses de penser qu’il a été complice de crimes contre l’humanité dans le cadre de l’emploi qu’il a occupé de façon discontinue de 1976 à 1990 à la direction du recensement du gouvernement irakien. La SSR a conclu que le demandeur a consciemment participé, par le biais de deux recensements, à l’expulsion forcée de Kurdes et de chiites désignés comme iraniens et considérés comme des « non-Arabes » par le gouvernement irakien. Le 30 août 2002, cette Cour a confirmé cette décision.

[5]               Le 27 août 2001, le demandeur a déposé une demande de résidence permanente, qui a été rejetée le 19 septembre 2001.

[6]               Le 5 mai 2004, la femme et les deux enfants du demandeur nés en Irak ont obtenu le statut de réfugié au sens de la Convention.

[7]               Le 4 décembre 2004, le demandeur a déposé une demande de résidence permanente pour considérations d’ordre humanitaire.

[8]               À plusieurs reprises, le demandeur a déposé des informations additionnelles afin mettre à jour sa demande pour considérations d’ordre humanitaire.

[9]               Tel que mentionné, cette demande pour considérations d’ordre humanitaire a été rejetée en date du 5 mars 2014.

III.             Décision de l’agente

[10]           Premièrement, l’agente s’est livrée à une nouvelle analyse de l’exclusion du demandeur en vertu de l’article 1Fa) de la Convention relative au statut de réfugié (la Convention) à la lumière des critères établis par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Ezokola c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CSC 40 (Ezokola). Le demandeur ne conteste pas cet aspect de l’analyse de l’agent.

[11]           L’aspect le plus important de la décision de l’agente aux fins de la présente demande de contrôle judiciaire concerne les considérations d’ordre humanitaires relatives au dossier du demandeur. À cet effet, l’agente souligne que le facteur le plus important à considérer est le meilleur intérêt des enfants mineurs du demandeur.

[12]           L’agente considère que le demandeur est père de trois enfants et qu’il allègue être le principal soutien financier de sa famille, mais elle note que le demandeur était incapable de travailler à son arrivée au Canada en raison d’une dépression, et que ses revenus des dernières années sont bas. Plus précisément, l’agente note que les revenus du demandeur ont passé de 6 756 $ à 9 910 $ de 2002 à 2006, que ses revenus étaient de 17 227 $ en 2005, qu’il a travaillé pour un salaire de 8 $ l’heure en 2007, qu’un avis de cotisation indique un revenu total de 1 481 $ en 2009 et que son T4 de 2010 indique des revenus de 10 827 $.

[13]           L’agente doute sérieusement du fait que les revenus du demandeur sont suffisants pour supporter sa famille et elle suppose qu’ils ont déjà reçu de l’aide sociale. Par ailleurs, l’agente souligne que si le demandeur devait quitter le Canada, sa famille pourrait se tourner vers l’aide sociale et sa femme pourrait chercher un emploi alors que son fils est à l’école. L’agente souligne également que le système scolaire public canadien ferait en sorte que le plus jeune fils du demandeur pourrait poursuivre son parcours scolaire. En raison des ressources vers lesquelles la famille du demandeur pourrait se tourner à la suite du départ de ce dernier, l’agente conclut que le renvoi du demandeur ne saurait être la cause de difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées.

[14]           L’agente souligne l’importance de la préservation des liens familiaux et du meilleur intérêt des enfants du demandeur, mais juge néanmoins que ces facteurs appliqués aux faits de la présente affaire sont insuffisants pour que la demande CH soit accordée, principalement parce qu’il existe des motifs sérieux à croire que le demandeur s’est rendu complice de crimes contre l’humanité.

IV.             Questions en litige

[15]           Il y a deux questions en litige :

  1. L’agente a-t-elle manqué à son devoir d’équité procédurale?
  2. L’agente a-t-elle erré en soupesant les considérations d’ordres humanitaires soulevées par le demandeur?

V.                Analyse

A.                Requête du défendeur

[16]           Au début de l’audition, le défendeur a présenté une requête pour retirer du Dossier Certifié du Tribunal (DCT) certaines pages qui n’auraient pas dû être incluses.

[17]           En l’absence de contestation par le demandeur de la requête et étant d’avis que les pages en question (pages 23 à 39) n’auraient jamais dû être incluses dans le DCT, j’ai accepté la requête du défendeur.

B.                 La norme de contrôle applicable

[18]           La norme de la décision correcte s’applique aux questions de justice naturelle et d’équité procédurale : Agnaou c Canada (Procureur général), 2015 CAF 30 au para 36.

[19]           La norme de la décision raisonnable s’applique aux décisions rendues dans le contexte d’une demande CH impliquant l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire et l’analyse de questions mixtes de faits et de droit : Okoloubu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CAF 326 au para 30.

C.                 Le manque d’équité procédurale

[20]           Le demandeur argumente que la mention suivante dans les motifs de l’agente reflète un manque d’équité procédurale :

Even if Mr. Baker is the sole breadwinner of the family, I seriously doubt that his income is sufficient to support his family financially. Therefore, I suppose that they have access to social benefit to assist the family financially. If Mr. Baker was removed from Canada, the loss of income for his wife and children would not in my opinion constitute unusual, underserved and disproportionate hardship as Mr. Baker’s wife would continue to have access to social assistance to support her children.

[21]           Selon le demandeur, l’agente a erré en ne lui donnant pas l’occasion de déposer des éléments de preuve afin de démontrer que cet aspect de la décision de l’agente est erroné. Le demandeur souligne notamment qu’il n’a jamais réclamé d’aide sociale pour sa famille depuis qu’il a commencé à travailler au Canada en 2004 et que l’agent a erré en supposant le contraire. Le demandeur ajoute que le devoir d’équité procédurale de l’agente était plus lourd en l’espèce en raison de la longueur du délai entre le dépôt de la demande CH (en 2004) et la décision (en 2014). Sur cette base, le demandeur soulève que l’agente a manqué à son devoir d’équité procédurale en ne lui donnant pas l’occasion de déposer une documentation complète relativement à tous les aspects de sa demande.

[22]           Tel que le soulève la juge L’Heureux-Dubé dans Baker c Canada (Citoyenneté et Immigration), [1999] 2 RCS 817 au para 21 (Baker), l’équité procédurale est « éminemment variable et son contenu est tributaire du contexte particulier de chaque cas. » Considérant les facteurs énoncés dans l’arrêt Baker, je note que la décision visant le demandeur est d’une grande importance pour lui, mais que les procédures qui devaient être suivies ont été suivies et de que les attentes légitimes qu’il pût avoir en matière d’équité procédurale et de justice naturelle ont été rencontrées.

[23]           D’une part, le demandeur a eu l’opportunité de mettre à jour la preuve soumise puisqu’il l’a fait plusieurs fois. Il n’y a aucune indication que l’agente a refusé de considérer des éléments de preuve additionnels. Le demandeur ne précise pas quels éléments de preuve n’ont pas été déposés en raison du manquement allégué aux principes d’équité procédurale. Il soutient qu’il aurait pu faire la preuve de l’augmentation de ses revenus qui serait survenu après 2010, mais il n’y a aucune indication à cet effet dans son dossier. Je n’ai donc aucune raison de conclure que la décision de l’agente aurait été différente si elle avait donné la chance au demandeur de mettre son dossier à jour.

[24]           D’autre part, je souscris aux arguments du défendeur selon lesquels la jurisprudence établit de façon claire que le demandeur a le fardeau de présenter une preuve suffisante dans le cadre d’une demande CH et que l’agent n’a en principe aucune obligation de demander une mise à jour de la preuve au demandeur : Cao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 559 aux paras 28 à 30; Adams c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1193 au para 21.

[25]           Finalement, je suis d’avis que la supposition de l’agente, quant au fait que la famille du demandeur aurait eu recours à l’aide sociale, n’a pas eu d’effet significatif sur sa décision. C’est plutôt le fait que la famille du demandeur aurait accès à l’aide sociale si le demandeur devait retourner en Irak qui constitue un élément important de l’analyse de l’agente.

[26]           Ainsi, je suis d’avis que le dossier ne permet d’entrevoir aucun manquement aux principes d’équité procédurale.

D.                L’agente a-t-elle erré en soupesant les facteurs déterminants de la demande CH

[27]           Bien que je considère que le demandeur a eu la chance de démontrer que lui ou sa femme n’ont pas bénéficié de l’aide sociale, il apparaît que ce facteur n’était aucunement déterminant dans le présent litige. Ce sont les faibles revenus du demandeur qui se sont avérés être des facteurs d’une importance relative. Il semble que l’agente a simplement noté que l’accès à l’aide sociale était une possibilité s’offrant à la famille du demandeur, si ceux-ci n’y avaient pas encore eu recours. Cette analyse de l’agente est raisonnable; les documents au dossier confirment de façon convaincante que les revenus du demandeur sont bas.

[28]           De plus, il importe de faire preuve de déférence vis-à-vis le poids accordé par l’agente au meilleur intérêt de l’enfant; Kisana c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 189 au para 23. L’agente a raisonnablement considéré que les enfants du demandeur ne sont plus d’âge préscolaire, que l’un d’entre eux est majeur, que l’un d’entre eux le sera sous peu, et que le plus jeune pourra poursuivre son parcours scolaire ce qui permettra à sa mère d’intégrer le marché du travail. Aucune preuve n’indique le contraire. L’agente a également considéré les difficultés émotionnelles résultant d’une éventuelle séparation entre le père et ses enfants. De fait, l’agente mentionne : « the most compelling humanitarian and compassionate considerations in this case are the best interest of the child. » Cependant, l’agente a soupesé ces facteurs par rapport au faible soutien financier que représente le demandeur pour sa famille et à l’exclusion le visant en vertu de l’article 35 (1) a) de la LIPR et de l’article 1Fa) de la Convention.

[29]           Selon le juge Annis dans Hamida c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 998 au para 76, il importe de « soupeser les implications d’une interdiction de territoire contre les autres éléments pertinents, soit les considérations d’ordre humanitaire. » À mon avis, l’agent s’est livré à un tel exercice.

VI.             Conclusions

[30]           À mon avis, la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

[31]           De plus, les pages 23 à 39 du DCT doivent être retirées des copies transmises à la Cour et aux parties.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.
  2. Aucune question importante de portée générale n’est certifiée.
  3. Les pages 23 à 39 du Dossier Certifié du Tribunal doivent être retirées des copies transmises à la Cour et aux parties.

« George R. Locke »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6076-14

 

INTITULÉ :

AMER BAKER c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 24 mars 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LOCKE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 27 mars 2015

 

COMPARUTIONS :

Me Étienne Sonea

 

Pour le demandeur

 

Me Patricia Nobl

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Waice Ferdoussi Attorneys

Avocat

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.